Sam van Schaik, un éminent tibétologue et gestionnaire de International Dunhuang Project (IDP), a rendu accessible sur son blog Early Tibet, un article sur les sources du Mahāyoga (T. rnal 'byor chen po). La source principale pour
les définitions utilisées dans cet article est un manuscrit de Dunhuang
intitulé Somme de la vue du Mahāyoga (T. ma ha yo ga'i lung du bsdus pa), réf. IOLTib J 436, datant de la fin du 10ème siècle.[1]
Le manuscrit se divise en six sections, parmi lesquelles des
louanges à Śrī Heruka et Vajrasattva (T.
byang chub sems [pa] rdo rje la bstod pa) et un rituel de réparation des
engagements endommagés (T. dam tshig nyams la bskang ba'i 'thol bshags).
La Somme comporte six parties :
1. La vue du Mahāyoga qui est principalement la condensation des cinq famille de divinités en une seule méthode (T. rigs Inga tshul gcig du lta), celle du Mahāyoga.
2. Les 28 engagements (S. samaya) du Mahāyoga, 3 engagements primaires et 25 (5x5) secondaires.
3. Les quatre stades de l’union rituelle (T. sbyor ba)
4. Les résultats de l’union rituelle, parmi lesquel la subjugation des quatre māra (T. bdud bzhi), emblématiques de la pratique de gcod, apparue au 11ème siècle.
5. Le rituel de libération (T. sgrol ba), qui se divise en la libération de soi et la libération forcée d’autrui. La libération de soi passe par l’approche de la divinité (lévitation à quatre doigts du sol) et l’élucidation des tantars. La libération d’autrui est l’assassinat de Maheśvara, alias Śiva.
6. Une explication des trois absorptions. Ici sur 1. l’ainsité (T. de bzhin nyid), 2. la manifestation intégrale (T. kun tu snang ba) et 3. sur la cause (T. rgyu). Ces trois absorptions sont un développement plus tardif des cinq manifestations éveillées (S. abhisambodhi T. mngon byang) du Tattvasamgraha.
1. La vue du Mahāyoga qui est principalement la condensation des cinq famille de divinités en une seule méthode (T. rigs Inga tshul gcig du lta), celle du Mahāyoga.
2. Les 28 engagements (S. samaya) du Mahāyoga, 3 engagements primaires et 25 (5x5) secondaires.
3. Les quatre stades de l’union rituelle (T. sbyor ba)
4. Les résultats de l’union rituelle, parmi lesquel la subjugation des quatre māra (T. bdud bzhi), emblématiques de la pratique de gcod, apparue au 11ème siècle.
5. Le rituel de libération (T. sgrol ba), qui se divise en la libération de soi et la libération forcée d’autrui. La libération de soi passe par l’approche de la divinité (lévitation à quatre doigts du sol) et l’élucidation des tantars. La libération d’autrui est l’assassinat de Maheśvara, alias Śiva.
6. Une explication des trois absorptions. Ici sur 1. l’ainsité (T. de bzhin nyid), 2. la manifestation intégrale (T. kun tu snang ba) et 3. sur la cause (T. rgyu). Ces trois absorptions sont un développement plus tardif des cinq manifestations éveillées (S. abhisambodhi T. mngon byang) du Tattvasamgraha.
Les mots clé du Mahāyoga sont un, union, unification et mode
uni (T. tshul gcig). La multiplicité anxiogène n’est au fond que la
manifestation de l’un apaisant et cette prise de conscience passe par des
exercices spirituels de création (T. 'phro, bskyed) et de résorption (T. 'du) associés à des rites issus du
fonds commun tantrique. Le chiffre cinq est celui de la pentade omniprésente
dans la pensée indienne. Le bouddha avait laissé en place la multiplicité en
précisant qu’elle n’était ni moi, ni mien et sans définir ce « moi »
présent en creux. Avec les tantra a surgi un sixième élément positif, qui était
en fait l’un, sous-jacent à la pentade qui représente le multiple. Dans le
Mahāyoga, ce sixième deviendra l’objet d’un culte sous le nom de Vajrasattva.
Par la suite, il y avait des multiples réactions contre le Mahāyoga.
Ses rites n’étaient pas conformes au vinaya. Il y avait toujours au Tibet des
moines de la branche du vinaya Mūlasarvāstivādin, aussi appelé "le vinaya oriental", qui essayaient de restaurer et d’étendre leur influence. Ils ne
voyaient sans doute pas d’un bon œil ces bouddhistes libertins. Le Mahāyoga qui
se pratiquait de façon décentralisé sous la forme de « religions de village » autour de chefs charismatiques était imperméable à toutes sortes
d’influences tout en échappant au contrôle royal. Il avait besoin d’être
réencadré, ce qui ressort de l’épsiode de l’invitation d’Atiśa.
Simultanément, il semble avoir existé un autre courant, qui
se servait des idées du Mahāyoga mais en le délestant du côté rituel. Selon van
Schaik[2],
la fonction primitive de la Complétude universelle était d’être un mode (T.
tshul) de la pratique d’une divinité, ou une vue sur laquelle il fallait s’appuyer
tout le long de cette pratique, qui consistait en trois phases : création
(T. bskyed), complétude (T. rdzogs) et complétude universelle (T. rdzogs chen).
La phase de projection (T. ‘phro) correspond au premier et la phase de résorption
(T. ‘du) à la deuxième. Selon la vue du Mahāyoga, les cinq familles (la
multiplicité) sont dite être en mode uni (T. tshul gcig) « quand les
grands éléments (T. ‘byung po) sont absorbés en l’un, ils sont en complétude
intégrale (T. kun rdzogs). C’est la Mère/le principe féminin (T. yum) ». La mère
de tous les tathāgatas. Tout corps (T. gzugs) issu d’elle est le Père/le
principe masculin (T. yab). »[3]
Ce principe masculin est, selon son type d’activité ou famille, un des cinq chefs
de famille (T. rigs bdag).
Mais à un certain point, il semble bien que la vue de la
complétude universelle ait commencé une carrière solitaire en se séparant des
deux phases ou plutôt en les dépassant et en devenant la complétude universelle :
la complétude dans la manifestation même, ou sous-jacente aux deux phases. Tout
courant doit s’appuyer sur un texte révélé (S. āgama T. lung) et un des textes
révélés du nouveau courant est le Discours du roi pancréateur (T. kun byed
rgyal po’i mdo). Comme dans beacoup de nouveaux systèmes dépassant les anciens,
l’autorité du nouveau système s’adresse à l’autorité de l’ancien. Dans le cas
du Mahāyoga, c’est Vajrasattva. Et la nouvelle autorité est la conscience
éveillée (bodhicitta). Elle sort du cadre des tantras, ou plutôt elle le
dépasse, comme elle dépasse les trois cadres (T. sdom gsum) du bouddhisme. Elle
utilise la terminologie, le style et les formes des textes (āgama) mais en
précisant qu’elle est l’absence de tout engagement. Son seul engagement semble
être de ne pas entraver le libre déploiement du spontané. Là où les trois
cadres (T. sdom gsum) échouent. Le chapitre 47 du Discours du roi pancréateur est très clairement en dialogue avec le Mahāyoga. Comme ce chapitre mentionne le Hevajra Tantra, il est apparu après celui-ci.
Sous quelle influence, ce courant s’est-il développé ? C’est
la grande question. En spéculant en toute liberté, je vois bien certaines
affinités avec le ch’an et l’approche simultanée (T. gcig car du 'jug pa). Il
paraît d’ailleurs que le terme « mode uni » (T. tshul gcig) soit
synonyme de « simultané » (T. gcig car). Van Schaik écrit :
« Dans les manuscrits Ch’an tibétains (également issus des collections Dunhuang),le « mode unique » (yixing —ft en chinois) signifie la méthode de réalisation simultanée (cig car) à l’aide de la non-conceptualisation (mi rtog) ou la non-fixation (mi dmigs). »[4]
Il se pourrait aussi très bien que ce nouveau courant se soit développé dans le sillage d'Advayavajra, et d'Atiśa. Mais cessons les spéculations et laissons faire van Schaik ce en quoi qu’il excelle.
Pour d'autres passages du Roi créateur de toute chose, sur le blog de David Dubois ici, ici, ici, et ici.
Illustration : fresque cave Mogoa 14 Dunhuang, photo Huntington archive Remarquer la taille du vajra à trois branches ouvertes.
[2] I have
argued elsewhere that the early function of the Great Perfection was primarily
a mode {tshul) of deity yoga practice, or an expression of a view to be held
while undertaking these practices. (The Early Days of the Great
Perfection." Journal of the International Association of Buddhist Studies
27/1:165-206. van Schaik 2004b.)
[3] Now, the
view of Mahayoga. What is the view of the five families as a single mode? When
the great elements are subsumed into one, they exist in utter perfection. This
is the female deity. The forms that come into being from them are the male
deity: he who is called Totally Illuminating (Vairocana). As he cannot be
carried off by external forces, he is known as The Immoveable (Aksobhya). As he
fulfills all wishes, he is known as The Jewel-Born (Ratnasambhava). As he goes
to the realms of light he is known as Limitless Light (Amitabha). [lv] As ...
he is known as Meaningful Accomplishment (Amoghasiddhi).149 The five families
are, in this way, a single mode.
La transcription de van Schaik : [lr.l] bsgom pa / 'di
// de la ma ha yo ga'i lta / rigs lnga tshul gcig tu lta gang
zhe na // 'byung [2] ba ched po la gcig gi nang na // kun rdzogs par yod pa ni
// yum yin la / de las gzugs [3] su red pa ni / yab ste rnam par snang mdzad //
ces bya // de nyid gzhan gyis myi 'phrogs pa ni [4] myi bskyod pa zhes bya //
de thams cad re ba yid bzhin du skong ba ni // rin cen 'byung ldan
zhes [b]ya [5] {snang zhing song bas ni snang} [ba mtha yas] zhes bya // ...
thams cad ... ni {gyis} // ...
[lv.l] ... ni // {don yod grub pa zhes} bya // rig[s]
lnga de ltar tshul gcig go //
[4] « In
the Tibetan Chan manuscripts (also from the Dunhuang collections), the
"single mode" (yixing —ft in Chinese) signifies the method of
simultaneous (cig car) realization through non-conceptualization (mi rtogs) or
non-fixation (mi dmigs). »
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire