Jean de Ruisbroek ou Jan van Ruusbroec (1293 - 1381), auteur d'onze traités mystiques et de nombreuses lettres, fut un prêtre béatifié en 1908 par le pape Pie X. Il vécut peu après l’ébullition mystique du nord et en tant qu'homme d'église, tout comme Eckhart avant lui, il a voulu y mettre de l'ordre. Rappelons qu'il vécut après la béguine Marguerite Porete "de Hainaut" (1250-1310) qui fut brûlée vive pour son Miroir des âmes simples et anéanties. Le concile de Vienne en Dauphiné (1311-1312) avait condamné officiellement la mystique nordique. Ruysbroeck devait donc faire attention où il mettait les pieds.
« Ruysbroeck
met souvent ses lecteurs en garde contre les faux mystiques et ceux[1] qui ne vivent pas conformément à ce qu'ils
prêchent. Il écrit, dans Les Noces Spirituelles: "Il y a des
hommes qui paraissent bons, et qui cependant mènent une vie toute contraire à
toutes les vertus. Que chacun donc s'examine et s'éprouve lui-même. Car quiconque
n'est pas attiré ni éclairé de Dieu ne peut ressentir, ni la touche d'amour, ni
la simple inclination amoureuse vers le repos de jouissance. Aussi ne peut-il
s'unir à Dieu... Croyez que le repos pris de cette manière n'est point permis,
car il cause en l'homme un aveuglement complet et une ignorance de tout savoir,
en même temps qu'un affaissement sur soi-même qui exclut toute action. Ce n'est
autre chose qu'une oisiveté stérile... Cela est très contraire au repos
surnaturel que l'on possède en Dieu, et qui consiste à se fondre d'amour et à
fixer d'une façon simple l'incompréhensible clarté."
Et
toujours dans Les Noces Spirituelles: "Tous les hommes sont
capables de découvrir et de posséder ce repos en eux-mêmes, par simple nature
et en dehors de la grâce de Dieu... Mais ce n'est pas là que l'homme aimant
peut se reposer; car la charité et la motion intime de la grâce de Dieu ne
demeurent pas oisives; et c'est pourquoi l'homme intérieur ne peut durer
longtemps en lui-même dans le repos naturel.. Le repos en Dieu doit toujours
être cherché d'une manière active...
Les
adeptes des sectes, hommes égarés dans le vide de leur propre essence veulent n'être
bienheureux que dans les limites de leur pure nature. "La
simplicité absolue qu'ils croient posséder, ils la regardent comme étant Dieu
même, parce qu'ils y trouvent un repos naturel. C'est pourquoi ils pensent être
Dieu, dans le fond de leur propre simplicité... et prétendent être dispensés de
toute vertu... Ils demeurent oisifs et sans nul souci des œuvres de Dieu et de
toutes les Écritures... Ils ont perdu Dieu... Volontiers aussi ils empruntent à
l'Écriture des passages peu connus, qu'ils pourront interpréter à faux et
d'après leur sens, afin de plaire aux hommes simples et de les attirer ainsi
dans leur trompeuse oisiveté... Ils veulent enseigner et n'être instruits par
personne, critiquer et ne recevoir aucun blâme, commander et n'avoir point à
obéir... Ils veulent garder leur volonté propre et n'être soumis à personne.
Voilà ce qu'ils appellent la liberté spirituelle..." (Le Livre de
la plus haute vérité)
Ruysbrœck
pense à certaines personnes dont la méthode, notamment celle du Libre esprit, "consiste
en un repos silencieux du corps, sans travail, en un sentiment oisif et
dépourvu d'images, tandis qu'ils sont tournés entièrement vers eux-mêmes... Ils
se reposent en leur propre être qui devient leur idole, et il leur semble
qu'ils possèdent et qu'ils sont un même être avec Dieu, et cela est
impossible... Ces hommes misérables s'endorment et s'enfoncent eux-mêmes dans
un repos tout naturel de leur être," sans amour et sans exercice
de vertus. Ruysbrœck va donner quelques pistes pour discerner ces grandes
erreurs et tentations.
Les
quatre tentations
Ruysbroeck
fustige d'abord violemment l'oisiveté.
– L'oisif,
en effet, fait toutes ses actions par intérêt personnel. "Il se
maintient sans cesse dans son esprit propre, sans oubli de soi.
– Il
en est qui mènent une vie rude et pratiquent de nombreuses pénitences, pour
avoir la réputation et le renom de grande sainteté, et mériter aussi bonne
récompense...
– D'autres
ont de grands désirs, demandant et souhaitant beaucoup de choses
extraordinaires de la part de Dieu. Et c'est souvent pour eux une cause
d'erreur, car il arrive parfois qu'ils obtiennent par l'intermédiaire du démon
les choses qu'ils désirent... Un appétit désordonné les attire tout entier vers
une délectation intérieure et une satisfaction spirituelle purement naturelles.
C'est là ce qu'on appelle luxure spirituelle...
– Remplis
aussi d'orgueil spirituel et de volonté propre, ces hommes peuvent même tomber
en la possession du démon."
Une
fausse perfection
Aujourd'hui,
dit encore Ruysbrœck, on rencontre des hommes[2] "qui s'imaginent être parfaits, qui croient
avoir découvert une manière d'être sans mode et s'y sont fixés sans l'amour de
Dieu. Ils se considèrent eux-mêmes Dieu... Les sacrements et les pratiques de
la sainte Église... les saintes Écritures et tout ce que les saints ont
pratiqué depuis le commencement du monde, tout cela ils l'estiment comme peu de
chose et de nulle valeur... Ils se figurent que dans l'éternité disparaîtra
toute hiérarchie de vie et de récompense... qu'il n'y demeurera rien autre
qu'un seul être essentiel éternel, sans distinction personnelle entre Dieu et
les créatures. C'est bien là l'impiété la plus insensée et la plus perverse qui
fut jamais parmi les païens, les juifs ou les chrétiens." (Les 7 clôtures). » Source : La voie mystique.
Dans son introduction à la traduction du Miroir de Marguerite Porete, Max Huot de Longchamp écrit :
« Ce qui reste des actes des différents procès, tout comme les articles du concile de Vienne, montre l'ampleur du malentendu. En gros, là où Marguerite Porete parle du dépassement de la vertu et de la morale, ses juges lisent une opposition à la vertu ; là où elle parle de l'union à Dieu, ils lisent une identification à Dieu ; là où elle parle de paix intérieure, ils lisent un nihilisme pervers ; là où elle parle d'adorer Dieu en esprit et vérité, ils comprennent le reniement sacrilège des institutions chrétiennes. Aucune des mises en garde de Marguerite Porete elle-même n'aura servi,... »Malgré la prudence de Ruysbroeck, qui n'était pas inquiété de son vivant, Jean de Gerson (1363-1429), qui prônait "le retour à la foi pure" et qui était allergique au néo-platonisme, détecta du panthéisme dans L’Ornement des noces spirituelles de Ruysbroeck et fut apparemment suivi en cette opinion par Jacques « tous les hommes naissent sujets » Bossuet .
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