Les nations[1] et les religions ont souvent des liens très étroits. Les deux utilisent un discours qui parle de l’origine de leur communauté ou groupe. La véritable « origine » étant inconnue, car trop éloignée, créant trop de désaccords ou étant trop complexe, elles font appel à un discours sur l’origine qui est plus simple, une origine symbolique située dans une époque et à partir d’un événement qui font sens. Pour que ce discours sur l’origine, qui fait fonction de pacte, ne soit pas oublié, il peut être mis en scène dans des cérémonies ou des rituels ou rappelé au cours de ceux-ci.
Les chefs d’une communauté justifient leur position par un lien spécial avec le divin ou la réalité supérieure, qui est éventuellement « prouvé » généalogiquement par leur affiliation à une longue lignée de personnages illustres qui descendraient de grands héros, qui descendraient à leur tour d’un parent divin ou qui auraient d’autres liens directs avec des êtres surnaturels et immortels. Les Poètes ou les prêtres racontent alors de quelle façon le pouvoir séculier et le pouvoir religieux sont liés et partagent des origines communes. Le rôle joué par ces grands héros mi-humains mi-divins peut alors être rappelé pendant les cérémonies qui commémorent l’origine symbolique de la communauté selon un calendrier établi par les Poètes/prêtres, et ainsi justifier et consolider le pouvoir du chef de la communauté.
L’ordre qui est ainsi créé, et qui respecte le calendrier établi, est en harmonie avec l’univers. De sorte que contester le pouvoir séculier ou religieux serait considéré comme une mise en cause de l’ordre d’où ils procèdent. Les membres de la communauté pourraient se sentir profondément menacés en leur être, par toute contestation, et pourraient réagir avec violence contre tout « agresseur », interne ou externe.
Ceux qui vivent en harmonie avec l’ordre de la communauté, c’est-à-dire qui partagent le même discours sur l’origine, seront considérés comme des membres de cette communauté. Autrement dit, les membres de la communauté partagent une même identité.
Il en va de même pour toute communauté « nationale » ou religieuse. Quand différentes communautés vivent ensemble, cette identité fait qu’il y un sens de « nous » et « eux ». La nationalité ou la religion relie bien les membres de la même communauté, mais exclue tous les autres. On ne peut donc pas dire qu’une religion a pour fonction de relier, globalement, parce qu’elle inclue autant qu’elle exclue. Les religions n’ont donc pas pour fonction de relier les humains. En revanche, elles soudent leurs propres communautés en excluant.
A partir de l’époque hellénistique, une globalisation avant la lettre, certaines religions commençaient à avoir une vocation universaliste, une tendance qui s’est répandue. D’autres religions étaient aussi prosélytes, c’est-à-dire qu’elles cherchaient à trouver de nouveaux membres. Cela avait pour conséquence que les discours sur l’origine devaient être adaptés, voire remplacés par des discours plus universels et universalistes. Mais comme les religions étaient souvent des révélations d'événements ayant eu lieu dans le passé et dont la mémoire se transmettait avec orthodoxie et orthopraxie, les discours anciens n’ont pas disparus, mais étaient interprétés différemment, davantage en accord avec les nouvelles tendances.
Les religions véhiculent ainsi quelquefois diverses filières intégrées dans un discours qui les ménage toutes, pour garder la paix au sein de la communauté. Au risque que des discours plus « religieux », c’est-à-dire plus spécifiques à une communauté singulière, peuvent être re-interprétés selon un sens plus ancien, que des discours anciens et symboliques soient pris au premier degré, et que l’on « renoue » avec les rituels/sacrifices tels qu’ils furent pratiqués pendant l’âge d’or de la révélation, conformément à la tradition. C’est la tendance « néo- » (intégriste) qui a encore de beaux jours devant elle, car l’adepte qui respecte le mieux les croyances et pratiques des temps anciens (souvent imaginaires) est le plus fidèle.
Une véritable religion universaliste « qui relie » devrait donc dépasser toute identité communautaire, qui exclue davantage qu’elle ne relie. Elle devrait alors laisser de côté (ou ne pas mettre en exergue) tous les éléments utilisés pour construire cette identité en l’opposant aux autres. Notamment les éléments qui lui viennent du discours sur l’origine de la communauté en question ou qui servent à en préserver la mémoire. Puisque la science a pris la relève en matière du discours sur l’origine de l’espèce humaine et des autres espèces, et va dans le sens d’une origine commune de toutes les espèces, pourquoi ne pas lui laisser la main ?
Cela veut dire que c’est la forme mystique des religions, qui dépasse les caractéristiques singulières de celle-ci, qui est la plus apte à représenter une religion réellement capable de « relier ». A condition que ce soit une mystique ouverte sur le monde, qui inclue et et qui est altruiste. Mais peut-on alors encore parler de religion ?
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Illustration : "le sacre de Napoléon 1er : il pose lui même la couronne sur sa tête, il refuse la tutelle du pouvoir spirituel". Mais il se sert de la mythologie de ce pouvoir et se veut l'héritier de Charlemagne.
[1] Groupe d'hommes dont les membres sont unis par une origine réelle ou supposée commune et qui sont organisés primitivement sur un territoire. Atilf
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