Le bouddhisme est considéré comme une religion non théiste. Le rôle joué par les dieux y est limité, car les dieux sont eux-mêmes prisonniers ou simples agents du saṁsāra. La nouveauté du bouddhisme, comme tous les autres courants de renonçants, était le désintérêt et le retrait d’un système qui créait de la souffrance (renoncement). Quand cette idée perdit en popularité, notamment par la popularité de l’idéal de l’acte désintéressé dans le monde, prôné par la Bahagavad Gītā, le bouddhisme répliqua en avançant l’idéal d’un bodhisattva engagé dans le monde. Cependant, en dotant le bodhisattva des moyens offerts par le yoga (théiste) dans le Yogācāra, les tantras etc. les dieux faisaient leur retour dans les chevaux de Troie que furent les sciences de l’époque.
Même en utilisant ces nouveaux moyens comme des moyens provisoires (upāya), habiles, il n’est pas certain que cette « habileté » fut sans conséquences. Même en expliquant qu’une divinité n’est qu’un symbole, un archétype, il n’est pas garanti qu’elle soit uniquement considérée comme telle. Une divinité, même Lite, ne vient pas seul, elle vient avec une mythologie, une cosmogonie, une théogonie et une généalogie, qui posent le cadre et constituent le corps mystique auquel on est invité à participer.
« Après la mort de Bouddha, l'on montra encore pendant des siècles son ombre dans une caverne, - une ombre énorme et épouvantable. Dieu est mort : mais, à la façon dont sont faits les hommes, il y aura peut-être encore pendant des milliers d'années des cavernes où l'on montrera son ombre. - Et nous - il nous faut encore vaincre son ombre! » (Friedrich Nietzsche, Le Gai Savoir - Luttes nouvelles)Il ne suffirait d’ailleurs pas de simplement enlever le divin, pour aboutir à une philosophie. Le mythe de la double origine a la vie dure et continue à vivre même au sein de la philosophie, sous la forme du couple esprit-matière. Esprit depuis Descartes, avant lui ce fut l’âme et la matière. « L’âme commande et le corps obéit », dit l’Athénien dans le Phédon.
Même dans le discours des écoles dites non-dualistes (bouddhistes ou autres), l’âme et le corps (soma et psyché) sont peut-être transcendés, mais leur ombres sont toujours présents. Si la réalité ultime est la sphère qui contient le corps et l’âme, quelque soit leur nature, elle contient toujours et un corps et une âme. Dans les discours qui racontent la création/formation des mondes à partir d’une union de l’esprit et de la matière, quelques soient les noms et les symboles qu’on leur attribue, on retrouve au cours de la procession à partir de la sphère, et à chaque stade, un élément qui représente la matière et un principe qui représente l’esprit. Dhātu et tattva, dharma et dharmatā … Que cette matière soit pure et dure ou pure pensée semble alors être un détail, le couple est toujours là, et l’un commande l’autre. Un Esprit commande une Nature, un chef (éclairé) commande un peuple, et un masculin commande un féminin ou s'en sert comme un outil
Même en se débarrassant du divin – mais peut-on le vraiment sans se débarrasser du couple esprit-matière ? – rien ne semble vraiment changer.
Ce que l’on veut accomplir par la religion, la spiritualité, ce qui est à re-définir, est-il possible sans s’appuyer sur ces schémas qui sont sans doute obsolètes ? Sauf si on veut simplement ajouter une touche de poésie dans la vie…
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Illustration : "Word Hammer"
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