Le monde actuel est (entre autres) partagé en grandes religions, avec des chefs de religion, qui se reconnaissent mutuellement. Les différences sont respectées et les points d’accord soulignés, des rencontres œcuméniques sont tenues. Mais œcuménisme ne veut pas dire syncrétisme. Il n’existe pas vraiment de définition pour une « grande religion », qui est le plus souvent une religion ancienne avec de nombreux fidèles, qui est devenue une institution ou tout comme.
Le mot religion, que l’on applique maintenant aux diverses croyances du monde, avait été forgé pour le cas spécifique du christianisme dans l’empire romain. Les critères de ce qui constitue une religion ont été modelés sur lui, dès lors qu’il était devenu une croyance officielle, voire la croyance officielle, quand l’Édit de Constance proclame la Religio christiana romanaque la seule religion licite et « que la superstition soit pourchassée. »[1] Les « religions » sont donc des croyances intimement reliées au pouvoir temporel qui peut les approuver ou reprouver et en faire des religions d’état.
Mais même si elle prétend le contraire, toute « religion » ou « grande religion » est un ensemble de cultes et de croyances qui s’est constitué au cours des siècles en s’adaptant et en faisant des emprunts. Une religion est déjà à elle toute seule un « syncrétisme ». La Bible mentionne le syncrétisme entre la Loi Mosaïque et « la religion des nations d'où on les avait emmenés en exil » (2 Rois 17). Le mot « religion » dans cette citation est d’ailleurs דת (dat) en hébreu, qui signifie « loi, décret, édit royal, coutume » et qui est considéré d'origine persane.[2] A l’époque d’Alexandre le Grand (356-323 av. J.-C. à Babylone) et de ses généraux prenant la suite, il y avait une forte volonté de fusionner les cultures grecque et orientale. Les Romains, qui ont inventé le mot religion, « avaient pour politique d'incorporer les dieux locaux des pays qu'ils conquéraient au panthéon romain ». (wiki). Les édits de l’empereur Ashoka (250 av. j.c.) prouvent qu’en Inde aussi le spirituel et le temporel sont intimement mêlés. Les rois indiens, les empereurs chinois, les empereurs et rois tibétains ont tous contribué à faire et à défaire des « religions » : il en allait souvent de leur survie.
Quand une religion est reconnue en tant que tel, elle défend ses patrimoines et ses intérêts. Elle se profile en se racontant. Elle se présente alors comme une loi divine, qui doit rester pure, c’est-à-dire telle qu’elle était au moment de sa révélation, conforme à sa doctrine, orthodoxe. Elle est peut-être le produit de syncrétisme (ce qu’elle tentera de dissimuler de toutes ses forces), mais du moment qu’elle est une « religion » elle refusera tout nouveau syncrétisme, pour se préserver. Entre « religions » on se respecte en tant que telle, afin de se préserver car « Tout ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le de même pour eux, car c'est la loi et les prophètes. » (Matthieu 7 :12)
Nous nous trouvons donc avec des religions qui veillent à leur orthodoxie en refusant tout « syncrétisme ». En dehors du syncrétisme (mimétisme) naturel que l’on trouve le long de l’histoire de chaque religion, il y a un syncrétisme intentionnel. Il peut être le fait du pouvoir temporel (voir ci-dessus les romains etc.), ou il peut être une initiative de prophètes illuminés. Certains on réussi et leurs efforts ont abouti à des « religions » et même de « grandes religions », d’autres ont échoués, souvent aux dépens de leur vie (Mani etc.).
Le manichéisme aurait été introduit en Chine en 694 et apprécié par l'impératrice Wu Tso-t'ien de la dynastie T'ang (618-907). Mais plus tard, un édit impérial de l'empereur 732 Hiuan-tsong la considéra comme une «doctrine hérétique » qui se fit passer pour du bouddhisme.
« En 731, l'empereur de Chine, Xuanzong (712-756), avait ordonné qu'on lui présentât un exposé de la doctrine avant d'autoriser, en 732, aux seuls étrangers, l'exercice de cette religion «perverse» qui était celle des Ouïgours. La pratique personnelle de cette religion était cependant tolérée. A partir de 843, le manichéisme fut interdit en Chine, avec toutes les autres religions étrangères, y compris le christianisme et le bouddhisme. »[3]La doctrine manichéenne fut également présente au Tibet, comme en témoigne un texte attribué au roi Khri song lde btsan (755–797), intitulé « bka' yang dag pa'i tshad ma'i mdo btus pa »[4]. Il y est exposé comment un imposteur perse Mar Mani, se rendit coupable d’une escroquerie intolérable, ayant fabriqué un culte à partir de cultes différents.[5] Le même roi établit d’ailleurs le bouddhisme comme religion d’état, à l’exclusion de toutes les autres, y compris le « Bön », qui n’existait pas encore en tant que tel... A tout roi qui gouverne en accord avec la loi bouddhiste et qui protège les bouddhistes, ces derniers ont accordé le titre Dharmarāja. Les dharmapala exerceront leur pouvoir à un niveau plus psychologique. Le premier ministre indien Modi est peut-être un nouveau candidat pour le titre de dharmaraja...
Afin de protéger la pureté de la foi, des inventaires d’écrits canoniques sont dressés. Et quand ce processus s’est terminé et que la liste des Paroles du Bouddha (buddhavacana) est désormais close, il faut se tourner vers d’autres moyens pour adopter, réformer et mettre à jour la Doxa, au rythme des innovations religieuses des concurrents qui jouissent d’une certaine popularité auprès des élites ou du public, et qu’il convient d’intégrer pour rester un acteur sur ce marché. C’est en quelque sorte encore un syncrétisme, malgré soi.
Quand les canons sont établis, c’est à travers des commentaires, des textes « redecouverts » (p.e. Maitrīpa qui avait redécouvert deux traités de Maitreya), des pseudépigraphes et des apocryphes, des transmissions aurales, des termas et des révélations visionnaires que la Doctrine est remise au goût du jour jusqu’au siècle dernier. Mais avec les progrès actuels de la science, l’informatique etc., les changements sociaux et politiques, il devient impossible de continuer à combler les écarts, il faudrait sans doute changer d’optique pour simplement survivre, voire plus si affinité.
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[1] Les communions humaines, Régis Debray, p. 48-49
[2] Source
[3] Filosofía de la India: Del Veda al Vedanta. El sistema Sāṃkhya, de Fernando Tola,Carmen Dragonett, pp. 520-524
[4] Il aurait même un titre en sanscrit : Samyagvakpramanoddhrtasūtra
[5] par sig g.yon chen mar ma ni/ g.yon mi bzod pas gtsug lag kun dang mi mthun pa gcig bya ba'i phyir gtsug lag kun nas drangs te/ byas pa lta bu ched du mi mthun par sbyar na/ gtsug lag gzhan gyis grub pa'i mtha' yod par gyur te/ ma grub pa la sogs pa'o/. gyon can = rogue, fornicateur, démon, intrigant, intrigue, escroc (S. dhūrtaka)
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