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dimanche 13 décembre 2015

La non-méthode de non-représentation qui ne s'enseigne et ne se pratique pas (ELF ch. 6)


Amaterasu de Chris Murray
Ensuite Pensée fulgurante demanda : "Eh Bienheureux, explique la méthode pour pratiquer cela." Le Guide dit :

Eh, grand être (sct. mahāsattva),
Comme cela ne se pratique pas
On l'adopte par le mode de la non-adoptation :
Ne pas rejeter les apparences, être sans représentation (sct. nirvikalpa)
Sans s'investir dans la non-représentation
La non-représentation est vive
La vivacité n'est pas représentée
La Base (tib. gzhi) de l'essence non représentée
Est la simple Intelligence qui est entrée dans son état naturel (tib. klungs su zhugs pa)
La Lumière manifeste libre de représentation est la Descente (tib. klong) de l'Intelligence 
Toujours présente en l'ainsité (sct. tathatā)
Sans concevoir, sans remémorer, sans se mouvoir
C'est la concentration (sct. dhyāna) des qualités universelles
La concentration se fait d'elle-même ; il n'y a rien à penser
Mais ce rien n'est pas investi (sct. apratiṣṭhāna)
Et la représention n'est pas interrompue
Elle est appelée "la Reine de la représentation"
Enseignée parfaitement par tous les Vainqueurs 
L'ainsité (sct. tathatā) sans conception ni analyse
"De l'eau versée dans de l'eau"
Cet investissement dans le non-investissement (sct. apratiṣṭhāna)
Est appelé "l'investissement universel"
Enseignée parfaitement par l'héros de l'éveil Tout excellent (sct. Samantabhadra)
Ce principe qui ne s'enseigne pas
N'a jamais été enseigné par les Vainqueurs
Et ne sera jamais enseigné par les Vainqueurs
Il n'est même pas enseigné maintenant !


Extrait du Tantra de l'effusion de la lumière fulgurante de l'authentique pensée éveillée souveraine, le sixième chapitre sur la non-adaptation de la non-pensée.

Attribué à Vairocana.

***

Texte tibétain en Wylie

De nas rdo rje sems dpas/ Kye bcom ldan ‘das ‘di nyams su blang ba’i thabs bshad du gsol/ ston pa bka’ tsal pa/

Kye sems dpa’ chen po/
nyams su blang du med pas na//
blang du med pa’i tshul gyis blang*//
snang ba mi spang rtog pa med//
rtog pa med la gnas mi bya//
rnam par mi rtog sa le ba//
sa le bar yang rtog pa med//
ma brtags ngo bo [579] nyid kyi gzhi//
rig pa ji bzhin klungs su zhugs//
‘od gsal rtog bral rig pa’i klong*//
ji bzhin nyid du ye gsal khyab//
bsam med dran med mi gy oba//
yon tan chen po bsam gtan ni//
bsam gtan nyid pas bsam du med//
me dpa nyid la mi gnas shing*//
rtog pa nyid las mi ‘gog pa//
‘di ni rtog pa’i rgyal po zhes//
rgyal ba rnams kyis yang dag bshad//
mi bsam mi dpyad de bzhin nyid//
chu la chu ltar shes par bya//
mi gnas pa la gnas pa ni//
‘di ni gnas pa chen po zhes//
kun bzang sems dpas yang dag bshad//
bshad du med pa’i don ‘di ni//
rgyal ba rnams kyis ma bshad de//
rgyal ba phyis kyang gsung mi ‘gyur//
da ltar nyid kyang ma bshad do//

Byang chub sems rje btsan dam pa rdo rje ‘od ‘phro ba’i rgyud las/ bsam med nyams su blang du med pa’i le’u drug pa’o//

samedi 5 mai 2012

Mémoire, remémoration et oubli



La croyance en la transmigration des âmes (métempsycose), présuppose l’existence d’une âme qui transmigre. Chez les grecs, après la mort, l’âme passe dans les enfers, c’est ainsi que sont appelés les mondes souterrains du royaume d’Hadès où séjournent les morts. Ces enfers contenaient aussi bien les Champs-Élysées que le Tartare, la région la plus profonde. Les âmes vertueuses passent une existence heureuse aux Champs-Élysées, où règne le printemps éternel, au milieu de fleurs, de végétation et d'oiseaux, tandis que dans le Tartare les méchants subissent des souffrances rétributaires. Les enfers sont traversés par cinq fleuves, dont un est le Léthé (« oubli »). Les âmes (psychai) verteuses ou qui avaient purgé leurs peines, pouvaient reprendre une existence sur la terre, mais après avoir traversé le fleuve Léthé, où ils perdaient le souvenir de leurs vies antérieures. L’ingestion des eaux du Léthé provoquait l'amnésie. Aussi, il était appelé la rivière sans-souci (fleuve Amélès, Ameles potamos), dont aucun vase ne peut contenir l'eau et dont il faut boire une certaine quantité d’eau, au risque de perdre tout souvenir.[1]

Le Léthé fonctionne ainsi comme une véritable fontaine de jouvance. En tant que fontaine, ou source, le Léthé est souvent représenté ensemble avec la fontaine de Mnémosyne (mémoire). En buvant de la fontaine de Léthé, tout souvenir du passé est effacé, puis boire l’eau de la fontaine de Mnémosyne aide à conserver la mémoire de tout ce que l’on voit ou entend[2]. Mnémosyne est la mère des neuf Muses, de tous les arts (upāya)[3], Zeus étant leur père. Elle est omnisciente et sait tout ce qui a été, tout ce qui est et tout ce qui sera. Notamment par rapport aux origines et aux généalogies[4]. L’oubli précède et permet le souvenir, et donc la création. « Lorsque le poète est possédé des Muses, il s’abreuve directement à la science de Mnémosyne. » « Le passé ainsi dévoilé est plus que l’antécédent du présent : il en est la source. En remontant jusqu’à lui, la remémoration cherche, non à situer les événéments dans un cadre temporel, mais à atteindre le fond de l’être, à découvrir l’originel, la réalité primordiale dont est issu le cosmos et qui permet de comprendre le devenir dans son ensemble. »[5]

Pour les mystiques, l’oubli et le souvenir sont deux côtés de la même médaille. Ainsi, Plotin dit :  « Le souvenir est pour ceux qui ont oublié » (Ennéades, 4,6,7). Et Platon : « Pour ceux qui ont oublié, la remémoration est une vertu ; mais les parfaits ne perdent jamais la vision de la vérité et ils n’ont pas besoin de la remémorer. » (Phédon, 249 c,d).

Il y a donc deux cas de figure. Ceux qui oublient la « connaissance originelle » (« des origines ») et perdent la vision de la vérité s’engagent dans les filets du devenir, tout en en restant captifs. A leur mort, ils retournent « à l’état primordial et parfait, perdu périodiquement par la réincarnation de l’âme. »[6] Un genre d’état intermédiaire (T. bar do) qui est la substance des choses (T. chos nyid bar do). Et ceux qui retrouvent la « connaissance originelle » (mythologique) avec l’aide des Muses, ou qui l’ont définitivement acquise et qui se rappellent de leurs existences antérieures, comme Pythagore, Empédocle ou le Bouddha... Les initiés de la confrérie orphico-pythagoricienne sont instruits afin d’éviter la source Léthé sur la route de gauche, de prendre la route de droite qui conduit à la source issue du lac de Mnémosyne et d’implorer les gardiens de la source : « Donnez-moi vite de l’eau fraîche qui s’écoule du lac de Mémoire ». « Et d’eux-mêmes ils le donneront à boire de la source sainte et, après cela, parmi les autres héros tu seras le maître. »[7] On pourrait dire un genre de vīra (T. dpa' bo) ou « détenteur de connaissance originelle » (S. vidyā-dhara T. rig pa 'dzin pa).

Chez Advayavajra, les termes remémoration (S. smṛti T. dran pa) et non-remémoration (S. asmṛti T. dran med) sont les termes clé de son système. Pour lui, la remémoration est la rencontre avec les apparences (S. ābhāsa T. snang ba) et la non-remémoration la rencontre avec la vacuité. Dans le processus cognitif, tel que pensé par le bouddhisme, les objets sont connus par le biais d’images reçues et re-présentées (S. ākāra T. rnam pa). Mais dans le processus d’identification des objets, des informations parasites stockées avec des expériences précédentes peuvent être ré-activées. C’est ce qu’Advayavajra essaie d’éviter en accédant à la non-remémoration, qui est comme un sous-courant continu. Il est impossible d’empêcher des apparences d’apparaître, mais on peut éviter qu’elles soient altérées ou déformées par les traces sous-conscientes (S. vāsanā T. bag chags) d’expériences anciennes, en restant dans un non-agir et en n’appliquant aucun jugement sur elles, c’est-à-dire en les recevant telles qu’elles sont.

Deux conceptions s’opposent, une où il y a une connaissance des origines, une Science (S. vidyā) transmise de maître à disciple dans un cadre mythologique, et une autre où la connaissance du réel tel quel est l’absence d’erreur (T. thar pa nor ba zad tsam nyid/ extrait du Mahāyāna-sūtrālaṅkāra IX, 3). Ici aussi, différentes approches sont possibles et certaines puisent aussi dans un fond mythologique. Mais il n’y a pas de véritable transmission, plutôt une médiation. Le médiateur pointe (T. ngo sprod) vers le réel et l’élève voit (T. ngo ‘phrod) ou pas.

Illustration : John Roddam Spencer Stanhope, The Waters of Lethe by the Plains of Elysium, 1879-1880


[1] Comparer avec l’idée de la fonction du nāga Ananta-Śeṣa (résidu) dans le mythe du barratage de l’océan de lait, résidu de la création précédente, permettenat la nouvelle création du monde.  « Porter créance à ce conte, rappelle Platon, peut nous sauver, en nous faisant, dès cette vie, prendre l’habitude de la sagesse, qui nous sauvera lors du choix d’une vie prochaine. » 
[3] L’art s’oppose à la nature.
[4] Aspects du mythe, Mircéa Eliade, p. 152
[5] Aspects du mythe, Mircéa Eliade (citant J.-P. Vernant), p. 152
[6] Aspects du mythe, Mircéa Eliade (expliquant la vision de Platon), p. 157
[7] Mircéa Eliade, sur les initiations orphico-pythagoriciennes, p. 154

mardi 24 janvier 2012

Méditation, contemplation et oraison perpétuelle


Il faut distinguer la méditation de la contemplation :           
La méditation consiste dans des actes discursifs qui sont faciles à distinguer les uns des autres, parce qu'ils sont excitez par une espèce de secousse marquée, parce qu'ils sont variez par la diversité des objets auxquels ils s'appliquent, parce qu'ils tirent une conviction sur une vérité de la conviction d'une autre vérité déjà connue, parce qu'ils tirent une affection de plusieurs motifs méthodiquement rassemblez. Enfin parce qu'ils sont faits et réitérés avec une réflexion qui laisse après elle des traces distinctes et sensibles dans le cerveau. Cette composition d'actes discursifs et réfléchis est propre à l'exercice de l'amour intéressé, parce que cet amour imparfait qui ne chasse point la crainte a besoin de deux choses. L'une est de rappeler souvent tous les motifs interessés de crainte et d’espérance.           
L'autre est, de s'assurer de son opération par des actes bien marqués et bien réfléchis. Ainsi la méditation discursive est l'exercice convenable à cet amour mélangé d'intérêt. L'amour craintif et intéressé ne pourrait jamais se contenter de faire dans l'oraison des actes simples, sans aucune variété de motifs interessés. Il ne pourrait jamais se contenter de faire des actes dont il ne se rendrait à lui-même par réflexion aucun témoignage. Au contraire, la contemplation est selon les théologiens les plus célèbres, et selon les saints contemplatifs les plus expérimentés, l'exercice de l'amour parfait.
Le pur amour est l’amour désintéressé « toujours inviolablement attaché à toutes les volontés de Dieu, et particulièrement à sa volonté écrite fait tous les mêmes actes et exerce toutes les mêmes vertus distinctes que l'amour intéressé, avec cette unique différence qu'il les exerce d'ordinaire d'une manière simple, paisible, et dégagée de tout motif de propre interêt. »[1] N'oubliez pas l'upāya ! La contemplation est alors un état d’amour pur, « un état habituel, certes, mais pas toujours actuel »[2], quasi-inconscient. Une contemplation infuse, une oraison perpétuelle. « Elle est nommée un regard simple et amoureux, pour la distinguer de la méditation qui est pleine d'actes méthodiques et discursifs. » La contemplation pure est un acte continu.

« La nature inquiète et empressée voudrait se donner à la fois tous les plus saints désirs et tous les actes les plus distincts pour se consoler par la vue et par le sentiment de ces pratiques. On voudrait contempler comme les chérubins, quand il ne s'agit que de souffrir un délaissement sensible. On voudrait être toujours fervent, toujours occupé d'un amour vif, d'une foi explicite, d'une abondance de vertus distinctes, quoique la grâce ne demande de nous en certains moments qu'un amour presque insensible et obscurci par les nuages des tentations.           
On voudrait à toute heure s'exciter pour faire certains sacrifices et pour vaincre certaines tentations dont les cas sont éloignés et n'arriveront peut-être jamais. On veut trouver en soi à point nommé la volonté pleine et formelle de tous ces sacrifices dont il ne s'agit pas, et que la grâce ne doit pas donner hors de l'occasion. On s'inquiète, on se trouble, on se tourmente pour sentir ce qu'on ne sent pas. En voulant se donner ce que la grâce ne donne ni ne demande, alors on se distrait pour les choses qu'elle inspire actuellement, et on manque l'occasion d'y coopérer. Plus on veut tirer de son cœur ce que la grâce n'y met pas et n'y doit pas mettre alors, plus on se dessèche, on se distrait, et on se dissipe par ces efforts superflus. Ainsi ce contretemps a l'égard de l'attrait de la grâce nuit à notre progrès au lieu de le faciliter. Ce n'est pas un péché, car ce n'est qu'un empressement naturel que beaucoup d'auteurs ont nommé vertueux parce qu'il se mêle avec le principe de vertu surnaturelle et qu'il a pour objet des choses vertueuses. C'est l'inquiétude de Marthe qui est louable puisqu'elle ne s'agite que pour le service du fils de Dieu, mais qui est moins parfaite que l'amour paisible et efficace de Marie. »
Voir aussi dans ce contexte les trois types d'absorption chez Ramana Maharshi.



[1] Examen des maximes des saints sur la vie de Fénelon
[2] (Gouhier, 1977), p. 100