En général, les traditions tibétaines considèrent le système des tantra supérieur aux autres systèmes bouddhistes. Les raisons que l'on donne pour cette supériorité sont souvent des reprises des arguments de Tripiṭakamāla, plus précisément ceux de sa "Lampe des trois méthodes" (S. Nayatrayapradīpa T. tshul gsum gyi sgron ma) (D 3707, P 4530).
"Même si l'objectif est le même, le véhicule des mantra est supérieur à cause de l'absence d'obscurcissement, les nombreuses techniques, l'absence de difficulté et le fait qu'il soit destiné aux gens de capacités supérieures."[1]Le lama nyingmapa contemporain Tulku Thondup donne cinq raisons pour la supériorité des Tantra[2].
1. Le sūtrayāna affirme certes que la nature ultime est libre des élaborations des huit extrêmes, mais ne réalise pas cette nature comme étant l'union de l'Elément ultime (S. dhātu) et de la connaissance principielle (S. jñāna) contrairement aux Tantra.Tripiṭakamāla ajoute que le véhicule des Tantra utilise le désir pour réaliser la félicité (S. sukha) de l'éveil et établit une hiérarchie de pratiquants de tantra réussissant à l'atteindre. Les pratiquants de capacités inférieures réaliseront la félicité analogique à l'aide d'une partenaire réelle (S. karmamudrā ou samayamudrā). Ceux de capacité intermédiaire la réaliseront à l'aide d'une partenaire imaginée (S. jñānamudrā) et les meilleurs, dores et déjà libérés du désir, réaliseront la connaissance principielle de la non-dualité, autrement dite la Mahāmudrā. Selon ces perspectives, la Mahāmudrā est donc uniquement accessible aux pratiquants des Tantra.
2. Le sūtrayāna affirme certes que les phénomènes, les productions de la vérité empirique, ont pour nature la coproduction conditionnée et sont de ce fait comme des apparences magiques (S. Māyā), mais ne les reconnaît pas comme le jeu des corps éveillés (S. kāya) et des connaissances principielles (S. jñāna). Il n'arrivera pas à transformer les cinq poisons en les cinq familles éveillées.
3. La culture dans les Tantra est supérieure à cause de la mise en oeuvre des deux phases : les expédients (S. upāya) de la phase de création (S. utpattikrama) et la connaissance principielle (S. jñāna) de la phase de perfection (S. saṃpanna-krama).
4. Le sūtrayāna est au fond une voie de renoncement et ne dispose pas de méthodes conduisant à l'éveil sans l'abandon des plaisirs sensoriels, tandis que dans la voie des Tantra, ceux-ci sont intégrés dans le chemin, ce qui permet d'arriver sans difficulté et sans déconfort à l'état de Vajradhara en une seule vie.
5. La voie des Tantra est destinée à des personnes exceptionnelles dotées de capacités supérieures au nombre de cinq. Ils ont en outre comme qualité de réaliser la vue profonde des Tantra, d'avoir une foi solide et d'être intrépide.
Ceux qui suivent le hīnayāna auraient une méconnaissance quant à la nature de la réalité. Ils affirmeraient l'absence de soi dans l'individu, mais pas dans les phénomènes. Walpola Rahula écrit cependant :
"d'après l'enseignement du Theravāda, […] il n'y a pas de Soi, ni dans l'individu (P. puggala), ni dans les dhamma. La philosophie bouddhiste du Mahāyāna soutient exactement sur ce point la même position sans la moindre différence, mettant l'accent sur dharma-nairātmya aussi bien que sur pudgala-nairātmya."[3]Toujours selon Tripiṭakamāla, les adeptes du mahāyāna auraient une méconnaissance quant aux méthodes (S. upāya). Enfin, les adeptes des tantra n'ont aucune méconnaissance et peuvent par conséquent même commettre des actes qui feraient chuter d'autres dans des destinées malheureuses.
En parlant de chute, Saraha leur a adressé le message suivant dans son Dohākośagīti :
"Ils mangent, ils boivent et éprouvent la joie de l'unionAdvayavajra ajoute pour unique commentaire entre le 3ème et 4ème vers : "mais s'ils ne le concrétisent pas…"
Leurs cercles [divins] se remplissant constamment
Par cette instruction ils concrétiseraient l'autre monde
Les têtes de ces être naïfs [4] seront écrasées sous les pieds [du Seigneur du monde] "[5].Pour Tshongkhapa tous les arguments de Tripiṭakamāla ne sont pas recevables et oppose que les caractéristiques que Tripiṭakamāla attribue aux Tantra peuvent aussi être trouvées dans le système des sūtra et que certaines caractéristiques (notamment celles relatives aux quatre mudrā) sont exclusives aux yogatantra supérieurs (S. anuttarayogatantra) et ne s'appliquent donc pas aux trois autres classes de tantra : krīya, caryā et yoga. Pour Tshongkhapa la marque distinctive d'un système tantrique est la réintégration du divin (S. devayoga T. lha'i rnal 'byor), où la vacuité est développée en la divinité.[6] .
Voici le point de vue de Gampopa.
"Le précieux seigneur de Dwags po disait qu'il existe trois chemins différents.Ces trois chemins différents sont :
1. le chemin de l'inférence.
On analyse tous les phénomènes à l'aide des arguments qu'ils ne sont ni identiques, ni multiples et en se disant qu'il n'y ait plus d'autres possibilités, on affirme qu'ils sont tous vides [d'être propre]. Voilà l'inférence.
2. le chemin de la consécration.
En créant un corps divin, on le consacre grâce aux canaux (S. nādī), gouttes (S. bindu), les souffles (S. prāṇa) et la récitation du mantra etc. Voilà le chemin de la consécration.
3. le chemin de l'immédiat.
Un guide authentique nous dit quelque choses du genre "la connaturalité de l'être propre de l'esprit est la Lumière rayonnante du Corps factuel (S. dharmakāya)". Comme cela est une instruction véridique de sens définitif, une fois que l'on ait vérifié la part connaturelle (S. sahaja) de la conscience, on prend la simple conscience pour chemin sans distinction entre la vue, la culture et l'observance. Voilà le chemin de l'immédiat.
Deux types de personnalités peuvent suivre ces trois chemins :1. les gradualistes et 2. les simultanistes.
2. les simultanistes.
Ce sont ceux qui se sont déjà entraînés (T. sbyangs pa) à avoir peu d'associations (S. vāsāna) passionnelles etc. et de nombreuses associations spirituelles. Cela est très rare.
Moi-même, je suis un gradualiste."[7]
***
[1] Elaborations on emptiness: Uses of "The Heart Sutra".p. 89 Par Donald S. Lopez
[2] THE PRACTICE OF DZOGCHEN by Longchen Rabjam Introduced, translated and annotated by Tulku Thondup Edited by Harold Talbott http://www.scribd.com/doc/11431304/The-Practice-of-Dzogchen
[3] L'Enseignement du Bouddha, Walpola Rahula, p. 83
[4] T. rmongs pa S. baḍha
[5] Peking Tg. n° 3120, Vol. 69, rgyud 'grel XLVII, pages 111-127, folios 97a – 127. Dege D2268. TBRC W23702-1038-eBook.pdf) (p232)
[6] Lopez p. 90
[7] Extrait de tsogs chos yon tan phun tshogs
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