Après la paix et l’abondance du règne de Harṣavardhana (606-647), qui ne laissa pas d’héritier, l’empire qu’il avait créé s’écroula aussitôt. Les évènements politiques et les campagnes militaires qui s’ensuivirent conduisaient à la destruction des guildes et à un exode massif des villes. Les territoires tribaux sortaient de leur isolement. Une des conséquences était "l’hindouisation" agressive des peuples tribaux (S. śabara) par des Śaiva, des Śākta, des Vaiṣṇava et des Smarta et l’attribution d’une identité de caste à des peuples spécifiques. Cela se traduisait par la saisie de sites sacrés par les brahmanes, l’appropriation de divinités tribales par les Śaiva, Śākta et Vaiṣṇava et quelquefois la continuation de cultes locaux adoptés et conformément adaptés sous la charge de brahmanes, ou d’ascètes Śaiva ou Śākta[1].
Les peuples tribaux, vivant principalement de la chasse et de la cueillette, avaient droit à une attitude ambiguë de la part des nouveaux-venues. Ils étaient considérés comme des barbares (S. mleccha T. kla klo), pires que des voleurs, mais en même temps leur vie insoucieuse et naturelle (S. sahaja), des couronnes de fleurs sur la tête, passant leur vie à chanter et à danser (S. nṛtti-gīti), était une source d’inspiration littéraire, comme par exemple dans les Caryāgīti. Le terme śabara est associé plus particulièrement aux peuples vivant dans les provinces d’Orissa, de Chhattisgarh et du Madhya Pradesh[2]. Le maître de Maitrīpa/Advayavajra, est considéré comme un śabara, vivant à Śrī Parvata (T. dpal gyi ri), d’où son nom Śabaripa.
Il n’y a pas que les hindous qui se sont appropriés des sites (S. śākta-pīṭha), des divinités et des cultes tribaux. Sous la dynastie des Pāla au Baṅgala (Bengale et Bihar), le mahāsiddha Virūpa semble, selon les hagiographies[3], avoir été particulièrement actif en matière de « conversion/soumission » (T. 'dul ba) en Assam et au Bengale. C’est à l’époque de Virūpa que Devīkoṭṭa (Bangarh, Dinajpur district) devenait un des vingt-quatre haut-lieux (S. pīṭha T. gnas) de Cakrasaṃvara. Dans la partie qui le concerne dans les 84 vies, Virūpa se rend à Devīkoṭṭa, où les gens pratiquaient le culte de sorcières (S. veṭāla T. phra men) mangeuses d’homme, en fait des ḍākinī. A la recherche de viande humaine pour leur rituel, les sorcières capturent Virūpa quand il est endormi, mais celui-ci en se réveillant émet un rire de Heruka qui les subjugue. Les sorcières furent converties au bouddhisme. La pratique associée avec Viṛupa est celle de la ḍākinī Vajravārāhi.
Alexis Sanderson a publié un article[4] dans lequel il explique l’influence des ḍākinī tantras, connus pour leur apologie de meurtres rituels (T. sgrol ba), sur les yoginī tantras bouddhistes. Voir aussi à ce sujet les articles de David B. Gray accessibles librement.
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Illustration : Virūpa, (Rubin Museum of Art Collection).
[1] Ron Davidson, Indian Esoteric Buddhism, p. 225
[2] Ron Davidson, Indian Esoteric Buddhism, p. 227
[3] Les vies de 84 mahāsiddhas attribuées à Abhayadattaśrī
[4] History through Textual Criticism in the Study of Śaivism, the Pañcarata and the Buddhist Yoginitantras.
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