David Dubois nous avait signalé le documentaire allemand (2011) Le Cerveau et ses Automatismes : Le Pouvoir de L'inconscient, qui était passé sur Arte et que l'on peut voir sur Youtube.
On y voit entre autres Stephen Macknik (Barrow Neurological Institute) qui parle d' "images pré-évaluées" et qui explique que si notre champ de vision était de 360° et qu’un angle équivaut à 1°, ce dernier correspondrait à la taille de la fauvéa (partie centrale) de la rétine, c’est-à-dire, la zone de la rétine où l’acuité visuelle est la meilleure. Partout ailleurs, l’acuité visuelle est bien moins bien. Ce passage est suivi (à 20 :53) d’une intervention de Gerhard Roth (université de Bremen, Allemagne) : « Dans la perception (Wahrnemung), notre mémoire (Gedächtnis) est généralement notre organe sensorielle la plus importante. Nous voyons à 99% ce qui est déjà présent dans notre mémoire (Gedächtnis). Seul 1% vient s’ajouter par l’intermédiaire des organes de sens. »
Alors, la part du Réel vrai (tathātā) qui est accessible seulement à notre perception directe (S. pratyakṣa T. dbang gi mngon sum), ne représenterait que 1% de l’expérience totale[1]. La perception yoguique (S. yogipratyakṣa T. rnal ‘byor mngon sum) qui connaît la nature du Réel est-elle d'ailleurs prise en compte ? :-) Et tout le reste (T. yid & rang rig) est occupé par des fonctions du mental ?
Advayavajra en parle dans son commentaire sur les Distiques de Saraha :
« Par exemple un crocodile Kumbhakarṇa inexpérimenté voit l'ombre d'un oiseau qui se déplace dans le ciel. Pensant que [l'ombre] est l'oiseau, il la poursuit et se fatigue ainsi lui-même. Un crocodile Mākāra expérimenté voit bien l'ombre de l'oiseau, mais sachant que ce n'est qu'une image sur l'eau, il ne poursuit pas [l'ombre] et ne se fatigue pas. »Le crocodile Kumbhakarṇa poursuivrait donc les « 99% » de son mental (?) et s’épuise pour rien, tandis que le crocodile Mākāra ne traite qu’avec ce qui est concrètement là (pratyakṣa), et n’agit que quand il faut, quasi spontanément.
Rongzompa (rong zom chos kyi bzang po, 11ème siècle) ressort un exemple très similaire en parlant du reflet du serpent noir dans un court texte (Sbrul nag po’i stong thun réf. TBRC W27479).
« 1. Quand le reflet d’un serpent noir apparaît dans l’eau, certaines personnes lui attribuent une réalité (T. mngon par zhen). Elles en auront peur et resteront à l’écart. »D’autres reconnaîtront le reflet pour ce qu’il est, mais en réagissant de façon diverse. Puis,
« 5. Finalement, il y a ceux qui sauront que c’est un reflet, mais comme ils n’auront aucune idée/volonté (T. blo) de le rejeter ni de l’accueillir, ils n’entreprendront rien. »Connaissant la nature du reflet comme de toute chose, ils resteront dans le non-agir (T. byar med), ou « sans affaires » comme dirait Paul Demiéville.
« Quant à ma manière d'agir à moi, celle que j'emploie aujourd'hui, elle est, en vérité, à la fois créative et destructive. Je me joue dans les transformations spirituelles ; j'accède à tous les objets, mais en restant sans affaires où que ce soit. Les objets ne sauraient me faire dévier. »[2]
« Toute délibération fait manquer le but ; tout mouvement de la pensée va à fin contraire. »[3]
« Transformations de fantasmes, fleurs dans l’air [nam mkha'i pad ma] :
Pourquoi se fatiguer à vouloir les saisir ?
Le gain et la perte, le oui et le non,
Qu’on les rejette en même temps ! »[4]
« Adeptes, ne prenez pas le Buddha pour un aboutissement suprême. Je le vois moi comme un trou de latrine,… »[5]
« Chercher le Buddha, c’est perdre le Buddha ; chercher la Voie, c’est perdre la Voie ; chercher les patriarches, c’est perdre les patriarches. »[6]
« Vénérables, quand je dis qu'il n'y a pas de Loi à chercher au-dehors, les apprentis ne me comprennent pas et en déduisent qu'il faut la chercher au-dedans d'eux-mêmes. Alors ils s'asseoient, appuyés contre un mur, et restent sans bouger, plongés dans la méditation, la langue collée au palais ; et c'est cela qu'ils prennent pour la méthode des patriarches et la Loi du Buddha. Quelle grande erreur ! Tenir pour vraie la pureté immobile, c'est reconnaître pour seigneur et maître l'inscience. »[7]
«Je vous le dis : il n'y a pas de Buddha, il n'y a pas de Loi ; pas de pratiques à cultiver, pas de fruits à éprouver. Que voulez-vous donc tant chercher auprès d'autrui ? Aveugles qui vous mettez une tête sur la tête ! Qu'est-ce qui vous manque ? C'est vous, adeptes, qui êtes là devant mes yeux, c'est vous-mêmes qui ne différez en rien du Buddha-patriarche ! Mais vous n'avez pas confiance, et vous cherchez au-dehors. Ne vous y trompez pas : il n'y a pas de Loi au-dehors ; il n'y en a pas non plus qui puisse être obtenue au-dedans de vous-mêmes. Plutôt que de vous attacher à mes paroles, mieux vaut vous mettre au repos et rester sans affaires. Ce qui s'est produit, ne le laissez pas continuer ; et ce qui ne s'est pas encore produit, ne le laissez pas se produire. Cela vaudra mieux pour vous que dix années de pérégrinations. »[8]
Le mental jette comme un ombre, comme un double sur le réel, aussi bien sur l’extérieur que sur l’intérieur... C’est comme ajouter une tête sur une tête. Le Buddha n’est pas extérieur, il n’en est pas moins intérieur ! « C'est vous, adeptes, qui êtes là devant mes yeux, c'est vous-mêmes qui ne différez en rien du Buddha-patriarche ! »
Dans le bouddhisme, toute identification est une mésidentification.
Dans le bouddhisme, toute identification est une mésidentification.
La « tête sur une tête » est une référence à l’histoire de Yajñadatta dans le Sūtra Shūrangama (4:101). Un certain Yajñadatta tombe amoureux de son reflet dans le miroir et en admire les détails. Mais quand il regarde son propre corps, il ne voit plus sa tête. Ne la trouvant plus, il panique et court dans la rue en demandant à tous ceux qu’il rencontre, s’ils n’avaient pas vu sa tête… « L'image, explique le sûtra, c'était le produit de sa fausse imagination, auquel il a eu le tort de s'attacher ; la vraie tête, c'est "l'éveil merveilleux", notre face véritable mais invisible, que Yajñadatta a méconnue. »[9]
[1] 1. དབང་མངོན། 2. ཡིད་མངོན། 3. རང་རིག་མངོན་སུམ། 4. རྣལ་འབྱོར་མངོན་སུམ།
(1) perception sensorielle directe (2) perception mentale directe (3) aperception directe (4) perception yoguique
[2] Entretiens de Lin-Tsi, p. 140
[3] Entretiens de Lin-Tsi, p. 134
[4] Entretiens de Lin-Tsi, p. 135
[5] Entretiens de Lin-Tsi, p. 161
[6] Entretiens de Lin-Tsi, p. 163
[7] Entretiens de Lin-Tsi, p. 131
[8] Entretiens de Lin-Tsi, p. 120-121
[9] La Science Expérimentale: Suivi de Explications Schématiques - Essai de Kitarô Nishida, p. 349
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[1] 1. དབང་མངོན། 2. ཡིད་མངོན། 3. རང་རིག་མངོན་སུམ། 4. རྣལ་འབྱོར་མངོན་སུམ།
(1) perception sensorielle directe (2) perception mentale directe (3) aperception directe (4) perception yoguique
[2] Entretiens de Lin-Tsi, p. 140
[3] Entretiens de Lin-Tsi, p. 134
[4] Entretiens de Lin-Tsi, p. 135
[5] Entretiens de Lin-Tsi, p. 161
[6] Entretiens de Lin-Tsi, p. 163
[7] Entretiens de Lin-Tsi, p. 131
[8] Entretiens de Lin-Tsi, p. 120-121
[9] La Science Expérimentale: Suivi de Explications Schématiques - Essai de Kitarô Nishida, p. 349
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