Patrick Carré avait publié une partie de sa traduction du pavillon de l’Essentiel des Ornements de Vairocana sur son blog. Cela m'avait inspiré le blog Le château endormi, qui en faisait une lecture angoissée ou "bouchée" comme écrit Patrick dans ses Notes pour vous saluer, très riches et intéressantes.
Le recueil de distiques (S. Dohākośanāma Mahāmudropadeśa) attribué à Śavaripa/Saraha explique que plusieurs réactions sont possibles à l'énonciation de la vérité :
15. Le lait de la lionne ne peut être digéré tousChoisissez votre camp, lionceaux ou couards ? Peut-être les deux ?
Le rugissement de la lionne dans la forêt
Effraie le petit gibier,
Mais fait accourir les lionceaux avec joie.
16. Quand il est révélé que la béatitude universelle est depuis toujours sans production
Les être confus aux concepts erronés seront effrayés
Tandis que les êtres fortunés auront les poils hérissés de joie.[1]
L'imagerie du Pavillon tout comme la phase création (S. utpattikrama T. bskyed rim) n'est pas dangereuse, car elle est faite de lumière. C'est vrai. La pensée est naturellement lumineuse (S. cittaṃ prabhāsvaram), qu'elle soit pure ou impure. C'est vrai pour l'imagerie du Pavillon, c'est vrai pour nos angoisses, nos cauchemars et pour nos souffrances. Mais le fait que celles-ci soient lumière ne met apparemment pas "à l'abri", s'il n'y a pas reconnaissance. En revanche, si la lumière est reconnue, qu'importe ce qu'elle éclaire ?
D’où vient la phase de création ? McMahan avait remarqué que l’imagerie dans les soûtras du Grand Véhicule ont sans doute un lien avec l’imagerie des rituels tantriques. Un passage à un niveau de concrétisation encore plus poussée de l’imagerie, pour envahir l’expérience ordinaire et pour la remplacer. Remplacer de la lumière par de la lumière. Quelle était au fond la nécessité de cet élément rituel et comment s’articule-t-il au travail spirituel ? Les réponses habituelles à cette question ne me satisfont pas trop. Je laisserai donc répondre ceux qui préconisent cette solution.
Selon Mc Mahan, l’imagerie des soutras était un développement des métaphores de la doctrine. L’imagerie est donc un aide pour purifier l’esprit, c’est-à-dire pour éliminer les affections (S. kleśa) et leurs causes, et en attendant, éventuellement, les encercler progressivement et les écraser sous des émotions nobles et conductibles à l’éveil. Pour éviter que l’esprit soit rempli par du négatif, on le bourre avec du positif, du pur, ...ou de leurs représentations ? Le véritable Éveillé, c’est l’ensemble de ces qualités, bien déterminées et énumérées. Pour aider à remémoriser les qualités du Bouddha (S. buddhānusmṛtayah), les moines utilisaient des représentations, qui ont connu leur propre évolution par la suite, en passant par les soûtras du Grand Véhicule et les tantras.
Mais l’esprit n’est pas un dépôt où l’on peut entasser des qualités à volonté. La pointe de l’esprit, sa partie vive, est l’attention, qui choisie sa compagnie. Elle n’est pas à mettre « sous toutes les mains ». Elle est précieuse. C'est pourquoi il est souvent recommandé de monter la garde aux portes.
Alors, à mon avis très personnelle, c’est dommage de surconsacrer l’attention à de l’imagerie sous conserve, ou à quoi que ce soit d’autre par ailleurs. La création de l’imagerie est sans doute la meilleure partie de celle-ci. La « lecture » ou autre transmission de l’imagerie ainsi créée peut encore être l’occasion d’une ouverture d’esprit (par reconnexion à la métaphore, à la doctrine…). Mais était-il nécessaire de l'exploiter encore davantage par la suite ? Cela ne ressemble-t-il pas un peu à une logique de merchandising (avec ou sans son aspect mercantile) ? J’ai du mal avec la réanimation artificielle de cette imagerie sous forme de rituel en l’attelant à l’attention.
Nous avons tous nos points faibles.
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[1] 15. seng ge'i 'o ma snod ngan phal par min//
ji ltar nags na seng ge'i nga ro yis//
ri dwags phra mo thams cad skrag 'gyur yang*//
seng phrug rnams ni dga' bas rgyug pa ltar/
16. gdod nas ma skyes bde chen 'di bstan pas//
rmongs pa log rtog can rnams skrag 'gyur yang*//
skal ldan rab tu dga' bas spu zing byed/
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