samedi 4 mai 2013

L'Amitié et la Haine, facteurs de transition



Certains philosophes grecs comme Aristote et d’autres comme Jean Philopon (5-6ème s.) notent une incohérence chez Empédocle, car souvent chez lui « l’Amitié dissocie et la Haine rassemble. » L’Amitié et la Haine sont le dynamisme nécessaire aux choses.
« Empédocle semble dire que le fait que l’Amitié et la Haine commandent et mettent tour à tour en mouvement, est un attribut nécessaire des choses, et que dans l’intervalle elles se reposent <alternativement>. »[1] 
Jean Philopon enchaîne : 
« Il déclare que, lorsque la Haine à son tour commande, toutes les choses deviennent un et forment le Sphairos qui est sans qualité, de telle sorte que la propriété aussi bien du feu que de n’importe quel autre élément, n’est pas conservée en lui, vu que chacun des éléments perd sa forme propre. »[2] 
Ce serait donc la Haine qui associe et l’Amitié qui dissocie, rendant ainsi possible la transition, le passage de l’unité à la multiplicité et ainsi de suite.
« Telle est la neige qui a comme propriété le froid et ne peut donc coexister d’aucune manière avec le chaud . Or qu’en est-il de la neige alors qu’elle fond ? Platon, on le constate, n’est pas en mesure de penser la neige en train de fondre - qui devient eau. La phrase à nouveau se brouille, parce qu’empêtrée dans l’Être : «jamais étant neige, ayant reçu en elle le chaud, elle ne sera encore ce que précisément elle est, étant neige avec chaud». «Mais, poursuit-il, le chaud s’approchant, ou bien elle lui cédera la place ou bien elle cessera d’exister. » Platon - faut-il s’en étonner? - a manqué derechef le phénomène de la transition. Ou bien cet instant de la transition, où l’un se hâterait de céder la place à l’autre, serait-il si court, « soudain », pur entre-deux, sans extension et par suite sans existence, qu’on pourrait à bon droit le passer sous silence ? Mais nous le constatons pourtant en regardant par la fenêtre : à peine tombée, ou même en tombant, ou même quand elle tournoie encore, la neige n’est-elle pas déjà si couramment - imperceptiblement (mais interminablement, dirait- on) - en train de fondre sous nos yeux ? »[3] 
Sans doute Platon avait-il manqué le phénomène de transition, mais peut-être pas Empédocle...

***


[1] Aristote, Physique, VIII, 1 252 a 7.)

[2] Jean Philopon, Commentaire sur De la génération et de la corruption d’Aristote. Les écoles présocratiques 151

[3] François Jullien, Les transformations silencieuses, p. 36-37

2 commentaires:

  1. Bonjour Joy,

    Comme le dit Whitehead : « la philosophie occidentale n'est qu'une suite de notes de bas de page aux dialogues de Platon" donc en cherchant bien on trouvera ce "phénomène de transition" dans le corpus platonicien. ;)

    (Le passage mentionné du Phédon n'est juste pas pertinent pour ce phénomène).
    Par exemple ici, de manière fulgurante, dans la seconde partie du Parménide :
    "L'instant. En effet, l'instant semble désigner quelque chose comme le point de départ d'un changement dans l'un et l'autre sens. En effet, ce n'est certes pas à partir du repos encore en repos que s’effectue le changement, ce n'est pas non plus à partir du mouvement encore en mouvement que s'effectue le changement.
    Mais l'instant, qu'on ne peut situer, est sis entre le mouvement et le repos, parce qu'il ne se trouve dans aucun laps de temps. Et tout naturellement, c'est bien l'instant et à partir de l'instant que ce qui est en mouvement change d'état pour se mettre au repos, et que ce qui est au repos change son état pour se mettre en mouvement." (156 c-e, trad. Luc Brisson).

    Amicalement.

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  2. Merci Space. Je pense que Jullien a voulu être très schématique, pour montrer la différence. C'est-à-dire que la transformation continue est l'idée centrale d'un Livre des mutations, tandis que la philosophie classique s'intéresse plus à l'être et le non-être, les rapports entre ces deux et la transition de l'un à l'autre. Les transitions font alors événement...

    Pour les footnotes de Whitehead, je crains que ce ne soit pas seulement vraie pour la philosophie occidentale ;-) A suivre.

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