dimanche 29 novembre 2015

Le refuge ultime


Le mot dharma (tib. chos) est souvent traduit en français par phénomène, « ce qui apparaît, ce qui se manifeste aux sens ou à la conscience, tant dans l'ordre physique que dans l'ordre psychique, et qui peut devenir l'objet d'un savoir » (Atilf). Dans la culture bouddhiste indienne, tout dharma est l’objet de la faculté mentale (sct. manas tib. yid), tout comme les objets sensoriels sont les objets de leurs facultés sensorielles (sct. indriya tib. dbang po) respectives. Afin de pouvoir traiter et organiser les objets sensoriels, le mental doit les rendre intelligibles, en faire un objet mental, un dharma. Le mot dharma vient de la racine dhṛ qui signifie porter, soutenir.

« On l’appelle « dharma » parce qu’il porte (sct. dhṛ) les particularités (sct. nimitta) ».[1]

Un dharma apparaît à la conscience et puis disparaît, pour être succédé par un autre dharma, et ainsi de suite. Chaque dharma a trois particularités (sct. trilakṣana tib. mtshan yid gsum) en tant que dharma. Comme ils apparaissent et disparaissent constamment à la conscience, ils sont transitoires (P. anicca), et de ce fait douloureux (P. dukkha) et sans essence ou « soi » (P. anatta). Ces trois particularités prennent déjà en compte que la faculté mentale attribue une réalité, une essence, aux objets mentaux que ceux-ci n’ont pas. C’est le décalage entre leur réalité et l’essence imaginaire que projette le mental sur eux qui produit un effet de « manque » de permanence, d’essence et de satisfaction.

L’essence projetée est double et à la fois dirigée sur l’objet mental (objet) et sur ce qui le perçoit (sujet). En essentialisant un objet, un sujet se voit essentialisé du même coup et vice versa.
« Si le soi existe, l’autre est connu
Du soi et de l’autre [se produisent] l’adhésion et l’aversion
Celles-ci, se mêlant à tout,
Sont la source de tous les défauts. » (Le Pramāṇavarttīkā de Dharmakīrti)
C’est l’essence projetée sur les dharma et sur ce qui les perçoit qui leur donnent une réalité qu’ils n’ont pas, et c’est cette fausse réalité qui est le facteur d’asservissement, et par conséquent simultanément de libération. La fausseté de cette réalité consiste en les trois particularités que l’on fait porter aux objets mentaux (sct. dharma). Il suffit donc de s’abstenir de les attribuer. Et cette triple abstention constitue la triple porte à la libération (sct. trivimokṣa-mukha), qui se résume en la vacuité (sct. śūnyatā) comme remède à l’essence (sct. ātman) projetée, l’absence de particularités (sct. animitta ou nirlakṣana) et le désintéressement (sct. nirpranidhāna). Garder constamment ces trois à l’esprit constitue le triple recueillement (sct. trisāmadhi).

Cela résulté en des « objets mentaux » (sct. dharma) libres des trois particularités. En n’attribuant pas d’essence etc. aux dharma, on ne les érige pas en objet, et en ne les érigeant pas en objet, aucun sujet n’émerge. Ces dharma libres constituent alors le dharmakāya, qui signifie littéralement, « l’ensemble de dharma ». Cet « ensemble de dharma » est le tathāgata.
« Ne considérez pas le tathāgata comme un corps formel (sct. rūpakāya) :
Le tathāgata est ‘l’ensemble de dharma’ (sct. dharmakāya). »[2]
Et comme « en vérité absolue, le seul refuge des êtres est le Bouddha »[3], la liberté de la souffrance consiste à prendre refuge dans ‘l’ensemble de dharma’. Cela permet à Śantideva de dire :
« Cet esprit qu’on ne trouve ni dedans, ni dehors,
Ni ailleurs non plus,
Qui n’est ni séparé ni mêlé à autre chose,
N’est absolument rien : c’est pourquoi
Les êtres sont naturellement en nirvāṇa. »[4]
Et au Discours de la production de la pensée d’éveil universelle[5] :
« Kāśyapa, tous les dharma ressemblent à l’espace : ils sont libres de particularités, toujours lumineux et totalement purs. Comprendre cela c’est produire la pensée d’éveil (sct. bodhicitta). »

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[1] Gampopa, Le précieux ornement de la libération

[2] Extrait du Prajñāpāramitā en huit mille stances, cité par Gampopa dans le Joyau ornement de la libération.

[3] Extrait du Ratnagotravibhāga (tib. rgyud bla ma). « Parce que le Muni possède le dharmakāya et parce qu’il est l’ultime Sangha ».

[4] Nang yang sems min phyi min zhing// gzhan du yang na rnyed ma yin// 'dres min logs su 'gar med de// 'di ni cung zad min de'i phyir// sems can rang bzhin mya ngan 'das

[5] Sems bskyed chen po’i mdo, cité par Gampopa.  'od srung chos thams cad nam mkha' ltar mtshan nyid med cing, ye nas 'od gsal ba rnam par dag pa de ni byang chub tu sems bskyed par bya'o

samedi 28 novembre 2015

"Les véhicules, c'est pour entraîner les sots"


Extrait du Concile de Lhasa (traduit par Paul Demiéville) : 

Question posée par la délégation indienne :

« — Quelqu’un pourrait dire que les sūtra parlent d’un ciel de Dhyāna nommé Grand Fruit[1]. Dans ce ciel, on est sans notions (sct. saṁjñā) de l’esprit ; cependant, il comporte encore (des objets) à examiner (sct. parīkṣya), ainsi qu’une orientation (sct. pratilambha). Chez ceux qui ont obtenu le recueillement (dit) «sans notions de l’esprit»[2], et qui ont accompli l’abolition des notions de l’esprit (sct. citta-vedita-nirodha), comment y aurait-il pareille différenciation ? (Et cependant) lorsqu’au commencement on accède à la pensée du sans-notion, c’est, tout d’abord, par cette méthode de différenciation que l’on examine la pensée du sans-notion; bien qu’une différenciation ne se manifeste pas (une fois qu’on est entré dans le recueillement ou dans le ciel dits sans notions), c’est (néanmoins) par elle qu’originellement l’on (y) accède : en ce sens, cette différenciation (y) existe. De ces deux (thèses), laquelle est la vraie? Que répondriez-vous à qui vous le demanderait?

Réponse. — Il est dit dans le Laṅkā-sùtra :
«Les exercices mystiques, les incommensurables, les recueillements supra-[sensibles,
Et le reste jusqu’à l’abolition (des perceptions et) des notions dans ce qui [n’est qu’esprit tout cela est introuvable
D’après ce texte de sūtra, le Véhicule céleste qui fait l’objet de votre question n’est absolument que fausse notion et différenciation de notre propre esprit : à deux reprises déjà, nous avons répondu à cette question. Selon ce texte de sūtra, c’est entièrement du fait des fausses notions de notre propre esprit, et en raison de la différenciation, due à ces fausses notions, (qui nous fait imaginer) des notions de l ’esprit, qu ’on naît dans ce ciel. C’est pourquoi un sūtra dit qu’ «on appelle Buddha ceux qui sont dégagés de toute notion ». Quant à ce que vous dites : «Laquelle est vraie?», nous répondons : Qu’il y ait soit du vrai, soit du faux, c’est là, dans le bouddhisme, indifféremment une vue hérétique.

Question. — Il pourrait se trouver quelqu’un pour dire : Puisqu’au début, lorsqu’on n’a pas encore aboli les notions de l’esprit, on examine (le sans-notion) par cette porte (de notion différenciée qu’est la notion du sans-notion), il y a donc différenciation : c’est en ce sens que, dans les sept volumes du Laṅkā, il est dit que c’est en examinant (le sans-notion) par cette porte (de notion différenciée) qu’on accède à la porte subite ; (c’est) aussi (de la même façon qu’) on accède au ciel du sans-notion différencié, où se manifeste l’absence de notions de l’esprit. Et si (l’objecteur supposé) disait que, puisqu’il y a (dans le ciel du sans-notion) orientation et différenciation, (ce ciel) comporte donc des notions de l’esprit et ne peut être dénommé « sans notions de l’esprit» : si l’on vous interrogeait ainsi, que répondriez-vous?

Réponse respectueuse. — À ce que vous dites, que « puisqu’au début, lorsqu’on n’a pas encore aboli les notions de l’esprit, on examine (le sans-notion) par cette porte (de notion différenciée qu’est la notion même du sans-notion), il y a donc différenciation; qu’en ce sens il est dit dans les sept volumes du Laṅkā que c’est en examinant (le sans-notion) par cette porte (de notion différenciée) qu’on accède à la porte subite», nous répondons : A cette idée, nous avons déjà répondu dans un texte antérieur, et voilà que vous posez de nouveau la même question ! Il y a plusieurs manières, pour les êtres, de posséder des pensées de fausses notions et de différenciation.

Question. — (En réponse à votre doctrine selon laquelle), lorsqu’on se dégage des fausses notions et des pensées de différenciation, tout est absolument insai­sissable, nous disons encore (une fois) que (par l’examen de cette notion différenciée qu’est la notion du sans-notion) on accède aussi au ciel du sans- notion différencié, (où l’absence de notion) se manifeste ; et nous disons à nouveau que, puisqu’il y a (dans ce ciel du sans-notion) orientation et différenciation, (ce ciel) comporte donc des notions de l’esprit et ne peut être dénommé « sans notions de l’esprit». Si quelqu’un vous posait pareille question, qu’auriez-vous à répondre?

Réponse. — Cette question est la même que la précédente. Que, dans ce Véhicule céleste, il y ait des notions ou qu’il n’y en ait pas, qu’il comporte différenciation ou ne la comporte pas, — tout cela n’est que fausses notions et différenciation de notre esprit. C’est pourquoi le Laṅkā-sūtra dit que le triple monde n’est qu’esprit et que, hors des notions de l’esprit, tout est insaisissable. »

Fin de l'extrait.

Je relève dans cet échange intéressant le terme « véhicule céleste » (sct. deva-yāna), que l’on trouve dans le Laṅkā-sūtra et qui y fait partie d’une série de cinq véhicules, à savoir les véhicules classiques : 1. śrāvaka, 2. prayeka-buddha, 3. tathāgata, 4. Le véhicule brahmanique (sct. brahma-yāna) et 5. Le véhicule céleste.

Demiéville présente et traduit le passage dont ils sont extraits :
« Véhicule de dieu, Véhicule de Brahma, et celui d'Auditeur,
Et de Tathāgata, et de Pratyeka — de ces Véhicules je parle.
Bien, quant aux Véhicules, qui soit définitif, tant que l’esprit est en travail;
Lorsque l’esprit s’est converti, plus de Véhicule ni de Véhiculé.
La non-institution d’aucun Véhicule, voilà ce que j’appelle le Véhicule Unique;
C’est afin d’entraîner les sots que je parle d’une multiplicité de Véhicules.»[3]
Ailleurs dans le même sūtra, il nous est présenté une série de cinq familles ou potentiels (sct. gotra), à savoir les trois que nous connaissons bien : 1. la famille des véhicules du śrāvaka, 2. la famille des véhicules du pratyeka-buddha, 3. la famille des véhicules du tathāgata, puis 4. le potentiel incertain et 5. l’absence de potentiel.[4]

Souvent, dans le cadre de la doctrine bouddhiste mahāyāna, on interprète le terme « véhicule » par « ce qui sert à transporter » ou une voie. Le véhicule ou la voie de l’auditeur (ou śrāvaka) conduirait alors à l’état d’auditeur etc. Il en va de même pour le terme « famille » que l’on interprète comme une sorte d’affiliation : p.e. quelqu’un fait partie de la famille des auditeurs. Le « véhicule » et la « famille » sont alors considérés comme une identité, qui nous incombe, que l’on pourrait choisir ou à laquelle on pourrait adhérer.

Mais les extraits du Laṅkā-sūtra semblent plutôt suggérer que ces séries désignent cinq sortes d’individus, qui sont eux-mêmes des véhicules. Il ne s’agit donc pas d’un individu qui choisirait ou s’installerait dans un véhicule qui le transportera à tel ou tel fruit. Par exemple, le véhicule céleste, n’est pas un véhicule ou une voie qui conduit à un état de dieu. Le « véhicule céleste » est la pensée qui évolue dans un des « cieux », le « véhicule de Brahma » est la pensée qui évolue dans le monde de Brahma. Il en va donc de même pour la pensée qui évolue dans la sphère du śrāvaka, du pratyeka-buddha, et du tathāgata. Ou encore pour la pensée qui évolue ou « se transporte » dans tel ou tel dhyāna ou « ciel de Dhyāna » (voir les questions ci-dessus).

Tant que la pensée est « en travail »[5], elle « se transporte » (sct. yāna) en tel ou tel état etc. et les « véhicules » sont multiples. Mais lorsque la pensée ne « se transporte » pas, « lorsqu’elle s’est convertie »[6], il n’y a « plus de Véhicule ni de Véhiculé ». « La non-institution d’aucun Véhicule, voilà ce que j’appelle le Véhicule Unique ». Quand il n’y a plus de « véhicule », il n’y a plus de « migrant (tib. 'gro ba)».[7]

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[1] Quatrième dhyāna (note de Paul Demiéville).

[2] Asaṁjñā-samāpatti (note de Paul Demiéville).

[3] « Deva-yānam brahma-yānaṁ śrāvakyam tathaiva ca | |
Tathāgataṁ ca pratyekaṁ yānān etān vadāmy aham | |
Yānānām nāsti vai niṣṭhā yāvac cittarn pravartate | |
Citte tu vai parāvṛtte na yānaṁ na ca yāninah | |
Yānar-vyavasthānaṁ naivāsti yānam ekaṁ vadāmy aham | |
Parikarṣanārthaṁ bālānāṁ yāna-bhedaṁ vadāmy aham | | »
lha yi theg dang tsangs pa'i theg/
nyan thos kyi'ang de bzhin te//
de bzhin gshegs dang rang rgyal gyi//
theg pa de dag ngas bshad do//
ji srid sems can 'jug pa'i bar//
theg pa dag la thug pa med//
sems ni shin tu gyur pa na//
theg pa med cing 'gro ba'ang med//
theg pa rnam par gzhag med kyang//
sems can rnams ni drang ba'i phyir//
theg pa tha dad ngas bshad de//
theg pa gcig tu ngas bstan to//

[4] gzhan yang mngon par rtogs par 'gyur ba'i rigs lnga yod de/ lnga gang zhe na/ 'di ltar nyan thos kyi theg pa mngon par rtogs par 'gyur pa'i rigs dang / rang sangs rgyas kyi theg pa mngon par rtogs par 'gyur ba'i rigs dang / de bzhin gshegs pa'i theg pa mngon par rtogs par 'gyur ba'i rigs dang / gang du'ang ma nges pa'i rigs dang / rigs med pa dang lnga'o/

[5] ji srid sems can 'jug pa'i bar//

[6] sems ni shin tu gyur pa na//

[7] theg pa med cing 'gro ba'ang med//

mardi 24 novembre 2015

La réintégration universelle de la contemplation du tathāgata


Dans un passage du manuscrit Dunhuang IOL Tib J 710, traduit et publié par Sam van Schaik dans Tibetan Zen, il est question de la contemplation du tathāgata (sct. tathāgataṃ dhyāna tib. de bzhin gshegs pa’i bsam gtan ch. rulai chan ou encore zuò chán, 坐禪). Cette contemplation (sct. dhyāna) est présentée dans le Sūtra de l’entrée à Laṅka, comme la quatrième et sans doute ultime contemplation. Shenhui (Chen-Houei 668-760), disciple de Huineng (Houei-Neng), aurait présenté la contemplation du tathāgata comme la seule contemplation authentique, tout en critiquant la « contemplation de la pureté ».[1]

On trouve également dans le Sūtra de l’entrée à Laṅka le terme « yoga universel » ou « grand yoga » (sct. mahāyoga tib. rnal ‘byor chen po, que je traduis par réintégration universelle) ainsi que le terme « adepte de la réintégration universelle » (sct. mahāyogayogin). Dans le passage du manuscrit Dunhuang IOL Tib J 710, ces deux termes, « contemplation du tathāgata » et « yoga universel » (sct. mahāyoga) sont considérés comme des synonymes.

Voici deux passages traduits en français par mes soins.

« Tout comme un homme très riche empêche les voleurs de pénétrer chez lui, tout comme un grand vent chasse les nombreux cumulus, les concepts erronés doivent être sans cesse être diminués et réduits. Celui qui entre dans la réintégration universelle (sct. mahāyoga) fait l’expérience directe de l’essence de la pensée qui est par nature libre d’engendrement et de corruption. Si l’on comprend que ces deux concepts erronés [d’engendrement et de corruption] ne sont que de simples réalités nominales, quel besoin de faire quoi que ce soit à l’aide d’autres concepts ? [A cet égard], la pensée ne s’entraîne pas graduellement, mais simultanément.

Les auditeurs bien disposés s’appuient sur des méthodes particularisantes, où l’on [fixe[2]] des squelettes ou des corps en décomposition. Les bodhisattvas s’appuient sur des méthodes non particularisantes, telles les trois portes de la libération.[3] Ils neutralisent toutes les particularités par un seul remède, mais n’arrivent pas à se débarrasser de celui-ci. En revanche, ceux qui entrent dans la réintégration universelle du tathāgata subordonnent tout à la connaissance salutaire (sct. jñāna) et ne se fondent pas sur les notions (sct. samjñā), qui sont semblables à des mirages, et ne génèrent donc pas de dharma imaginés (sct. parikalpita-dharma). Comme ils ne sont pas générés, ils ne sont pas non plus détruits.

Pour donner un exemple, la connaissance salutaire d’un auditeur ou d’un bouddha-par-soi est comme un miroir dans un étui. Celle d’un bodhisattva comme un miroir dans un filet et celle d’un éveillé comme un miroir sans aucun étui. Rien ne la perturbe, elle n’est obscurcie par rien, même par le recueillement (sct. samādhi), et ses qualités inhérentes se déploient sans fin dans l’intérêt de tous. » [4]

Autre extrait ;

« Dans l’entraînement simultané, toutes les apparences à l’extérieur sont reconnues comme étant la pensée. Et la pensée à l’intérieur consiste en des concepts imaginaires qui ne sont que des réalités nominales. Quand on a appris que les apparences et la pensée sont sans substance, on peut les transformer en vacuité. Ce qui ne veut pas dire que rien n’existe. l’Éveillé qui est la nature des phénomènes (sct. dharmatā) dépasse l’engendrement et la corruption et se connaît lui-même de façon immuable. [Cette autoconnaissance] s’étend simultanément de l’intérieur à toutes les apparences à l’extérieur. Elle est irréversible et ne déclinera pas.

De ce fait, si elle est faible, les idiots s’en saisissent en l’appréhendant par des particularités erronées[5] qu’ils conçoivent comme le mahāparinirvāṇa. La pensée (sct. citta) et les événements mentaux (sct. caitta) sont alors préjudiciables, car ils ne sont pas conformes à la réalité de l’adepte de la réintégration universelle. La contemplation du tathāgata sublime toutes les représentations (sct. kalpana) sans concevoir l’existence ou la non-existence des particularités, en s’appuyant sur l’expérience directe (sct. vidyājñāna), libre d’imprégnations résiduelles (sct. vāsanā). La grâce de l’Éveillé n’est pas progressive comme la croissance de la végétation ou le développement d’une mélodie, mais simultanée comme les reflets d’objets dans un miroir ou comme le soleil éclairant le monde dès qu’il se lève. Elle éclipse instamment toutes les imprégnations résiduelles. Cela est expliqué dans toutes les écritures. »[6]

***

[1] Source : Chronique sur le trésor de la Loi (Lidai fabao ji, 歷代法寶記), composé entre 774 et 779. Manuscrit retrouvé à Dunhuang (Pelliot 2125 et Stein 1635). Il s’agit d’un texte qui doit mettre en exergue les enseignements de Wuzhu (714-774), le fondateur de l’école Bao Tang de Sichuan.

[2] 'jig tsogs la lta ba = view of a transitory collection

[3] Sct. vimokṣamukham tib. rnam thar sgo gsum) : vacuité (śūnyatā), absence de particularités (animitta) et l'absence d'objectif (apranihita). Les absorptions des trois portes de la libération correspondent aux seize aspects des quatre vérités. (Vasubandhu, Lopez, p. 89)

[4] nor bdag chen po'i dung tu rkun pos myi chud pa dang rlung che pos sprin gyi chogs mang po gtor ba bzhin tu phyi na ci log gi rtog pa yang nas yang nas yang tu nyung zhing 'bri bar 'gyur ro// rnal 'byor chen po la 'jug pas//sems gyi ngo bo nyid rang bzhin gyis myi skye myi 'gog par rang gis rig ste// rtog pa 'di dag khrul pas brtags tsam du shes na// rtog pa'i lhag mas ji zhig byas te// sems rims gyis myi sbyong gi cig car sbyong ngo//

de la nyan thos dbang po rtul po ni mtshan ma'i thabs la rten te// keng rus dang bam ba la tsogs pa la'o// byang chub sems dpa' na mtshan ma myed pa'i thabs la rten te// rnam par thar pa'i sgo gsum la rtsog ste// gnyen po gcig gis mtshan ma thams can zil kyis gnon kyang//gnyen po de nyid da rung myi spong ngo// de bzhin gshegs pa'i rnal 'byor chen po la 'jug pa ni// ye shes gyi dbang du rgyas las na// 'du shes smig rgyu dang/'dra ba'i gnas myed de/brtags pa'i chos skye'o// myi skye bas na myi 'gog go// dper na nyan thos dang rang sangs rgyas gyi ye shes ni mye long shubs su bcug pa lta bu// byang chub sems dpa'i ye shes ni mye long dra bas bkris pa lta bu// sangs rgyas gyi ye shes ni mye long shubs myed pa dang 'dra ste// 'khrug pa 'ang myi mnga' la ting nge 'dzin gyis kyang ma bsgribs pas na rang gi yon tan yang myi 'gog la// sems can la phan ba'i don kyang lhun gyis grub bo/

[5] Car incomplètes ou partielles.

[6] cig car sbyong ba ni phyi rol gyi snang ba thams cad sems tsam du shes// nang gi sems log pa'i rtog pas brtags pa tsam du zad gyi// dngos po myed par mkhas nas de gnyis stong pa nyid du byas kyang/ / thams cad gyi thams cad du myed pa ma yin te// chos nyid gyi sangs rgyas ni skye ba dang 'gog pa las 'das pha myi 'gyur nyid du rang gis rig pa ni nang nas phyi rol gyi snang ba thams cad cig car sbyong bas na phyir myi ldog ste/ myar ba yin no// de lta bas na chung du na glen ba gang gis dmyigs pa'i log pa'i mtshan ma nas bzung ste// mya ngan las 'das pa chen po'i bar du spyir bsam nas// sems dang sems las byung ba'i chos thams cad skyon te// rnal 'byor chen po pa'i don ma yin no// de bzhin gshegs pa'i bsam gtan ni mtshan ma yod pa dang/ myed pa'i thabs la myi rtog par rtog pa thams cad zil gyignon pa 'phags par gis rig pa'i ye shes gyi rjesu 'gro bste gnas ngan pa'i bag chags dang/ bral ba / sangs rgyas gyi byin kyis brlabs pa la 'jig rten gyi rtsi shing skye ba dang rol mo rgyud sbyar bltar rims kyis ma yin gyi// mye long gi ngos gyi gzugs brnyan dang nyi ma'i dkyil 'khor 'dzam bu gling du snga phyi myed par 'char ba ltar bag chags cig char sbyong ba yod do zhes/ / lung kun las kyang gsungs pa yin te/

Le Mahāyoga selon le Soûtra de l'Entrée à Lanka

Extrait du Soûtra de l’Entrée à Lankâ, traduit par Patrick Carré, Fayard, pp. 108-110

Le bodhisattva Mahâmati interrogea une autre fois le Bouddha en considérant tous les êtres à venir :

— Pourriez-vous m’enseigner une méthode de méditation intégrale [tib. rnal 'byor chen po'i rnal 'byor can du 'gyur ba'i rnal 'byor mngon par rtogs pa] pour que les bodhisattvas grands êtres accomplissent la grande méditation [sct. mahāyogayogin] ?

— Mahâmati, répondit le Bouddha, c’est l’intégration de quatre méthodes qui permet aux bodhisattvas grands êtres d’ac­complir la grande méditation : 1. l’examen méditatif de leurs perceptions, 2. le renoncement à la croyance à la naissance, à la durée et à la cessation, 3. la parfaite connaissance de l’insubstantialité des objets extérieurs et 4. la recherche exclusive de la sublime sagesse de la réalisation intérieure : les bodhisattvas qui accomplissent ces quatre méthodes méritent le nom de « grands méditants ».

Qu’est-ce, Mahâmati, que «l’examen méditatif des percep­tions »? Il consiste à voir que les trois mondes ne sont que l’esprit de chacun, et qu’il ne s’y trouve ni soi ni possessions du soi, aucun mouvement, aucune création, ni aucune allée-venue. Pur effet des schémas habituels accumulés par les croyances et les attachements depuis l’absence de commencement, les trois mondes, où sont toutes les formes-couleurs, les activités, les dénominations et les langages, ne sont que des apparences qui obéissent aux idées de corps, de possessions et d’environne­ment auxquelles elles sont intimement liées. C’est bien ce que voit le bodhisattva grand être lorsqu’il observe ses perceptions.

Qu’est-ce, Mahâmati, que «se détacher de la croyance à la naissance, la durée et la cessation»? Cela consiste à voir que toutes choses sont pareilles aux produits de la magie et du rêve, parce qu’elles ne naissent ni d’elles-mêmes, ni d’autre chose, ni de la combinaison de ces deux possibilités, parce qu’elles obéissent aux perceptions de chacun, parce que [la méditation] montre que les objets extérieurs n’existent pas réellement, que leurs causes ne peuvent pas se réunir, et parce que, cependant, c’est en fonction de ces causes que nos idées fictives créent les trois mondes.

Quand on est plongé dans cette contemplation, il n’est rien que l’on puisse trouver à l’intérieur comme à l’extérieur [et qui aurait une réalité indépendante]. On sait alors que rien n’a de réalité substantielle et l’on se détache de la croyance à la naissance. A l’instant précis où l’on réalise la nature fantasma­gorique [de toutes choses], on atteint la patience à l’égard du néant de la naissance. Établi dans la huitième terre, on intègre le champ d’expérience de l’esprit, du mental et des consciences, des cinq catégories, des trois natures et de l’inexistence des deux soi. Alors la base se renverse et l’on obtient un corps de nature spirituelle.

— Vénéré des mondes, dit Mahâmati, pour quelle raison qualifiez-vous ce corps de « spirituel » ?

— Le corps spirituel, Mahâmati, est ainsi nommé par analo­gie avec la pensée car il peut se déplacer à grande vitesse sans que rien lui fasse obstacle. En effet, Mahâmati, de même que le souvenir de ce qu’on a vu à des centaines, des milliers, voire d’innombrables lieues [de l’endroit où l’on se trouve] peut se poursuivre d’instant en instant à la plus grande vitesse sans que le corps, les obstacles naturels ni les murs de pierre lui fassent obstacle, de même [le bodhisattva] absorbé dans l’extase du Tout-Illusoire, et pourvu d’un corps spirituel paré des forces, des pouvoirs extraordinaires et des libertés souveraines comme autant de bijoux, se rappelle qu’il faut accomplir le vœu fonda­mental [qu’il a formé pour le bien] des êtres. Il prend alors naissance dans toutes les assemblées des êtres sublimes. Et c’est cela que j’entends lorsque je dis que le bodhisattva grand être doit se défaire de la croyance à la naissance, la durée et la cessa­tion.

En quoi consiste alors, Mahâmati, l’« examen de l’insubstantialité des objets extérieurs»? À voir que toutes choses, à l’ins­tar des mirages, des rêves et des mouches volantes, ont pour causes toute la variété des croyances et des attachements nés de l’immémoriale prolifération des jugements qui forment des schémas habituels aussi vides qu’erronés. Quand on examine toutes choses sous cet angle, on se livre à la recherche exclusive de la sublime sagesse de la réalisation intérieure. Voilà comment, Mahâmati, le bodhisattva accomplit la grande méditation en maîtrisant ces quatre méthodes. Voilà comment tu devrais, en toute diligence, te pencher sur ta pratique.

Texte en tibétain

།དེ་ནས་བྱང་ཆུབ་སེམས་དཔའ་སེམས་དཔའ་ཆེན་པོ་བློ་གྲོས་ཆེན་པོས་མ་འོངས་པའི་སྐྱེ་བོའི་ཚོགས་ལ་བལྟས་ནས་ཡང་བཅོམ་ལྡན་འདས་ལ་གསོལ་བ་བཏབ་པ།་བཅོམ་ལྡན་འདས།་ཇི་ལྟར་བྱང་ཆུབ་སེམས་དཔའ་སེམས་དཔའ་ཆེན་པོ་རྣམས་རྣལ་འབྱོར་ཆེན་པོའི་རྣལ་འབྱོར་ཅན་དུ་འགྱུར་བའི་རྣལ་འབྱོར་མངོན་པར་རྟོགས་པར་བདག་ལ་བཤད་དུ་གསོལ།་

བཅོམ་ལྡན་འདས་ཀྱིས་བཀའ་སྩལ་པ།་

བློ་གྲོས་ཆེན་པོ།་ཆོས་བཞི་དང་ལྡན་པའི་བྱང་ཆུབ་སེམས་དཔའ་སེམས་དཔའ་ཆེན་པོ་རྣམས་རྣལ་འབྱོར་ཆེན་པོའི་རྣལ་འབྱོར་ཅན་དུ་འགྱུར་རོ།༌།བཞི་གང་ཞེ་ན།་འདི་ལྟ་སྟེ།་རང་གི་སེམས་སྣང་བ་རྣམ་པར་སྒོམ་པ་དང།་སྐྱེ་བ་དང།་གནས་པ་དང།་འཇིག་པའི་ལྟ་བ་རྣམ་པར་སྤོང་བ་དང།་ཕྱི་རོལ་གྱི་དངོས་པོ་དངོས་པོ་མེད་པར་རྟོགས་པ་དང།་འཕགས་པ་སོ་སོ་རང་གི་ཡེ་ཤེས་ཁོང་དུ་ཆུད་པར་མོས་པ་ཡིན་ཏེ།་

བློ་གྲོས་ཆེན་པོ།་ཆོས་བཞི་པོ་འདི་དག་དང་ལྡན་པའི་བྱང་ཆུབ་སེམས་དཔའ་སེམས་དཔའ་ཆེན་པོ་རྣམས་རྣལ་འབྱོར་ཆེན་པོའི་རྣལ་འབྱོར་ཅན་དུ་འགྱུར་རོ།༌།བློ་གྲོས་ཆེན་པོ།་དེ་ལ་ཇི་ལྟར་ན་བྱང་ཆུབ་སེམས་དཔའ་སེམས་དཔའ་ཆེན་པོ་རང་གི་སེམས་སྣང་བ་སྒོམ་པ་ལ་མཁས་པ་ཡིན་ཞེ་ན།་འདི་ལྟ་སྟེ།་འདི་ལྟར་ཁམས་གསུམ་འདི་ནི་རང་གི་སེམས་ཙམམ་སྟེ།་བདག་དང་བདག་གི་དང་བྲལ་བ་གཡོ་བ་མེད་པ།་བླང་བ་དང་དོར་བ་དང་བྲལ་བ།་ཐོག་མ་མེད་པའི་དུས་ཀྱི་སྤྲོས་པའི་གནས་ངན་ལེན་གྱི་བག་ཆགས་ལ་མངོན་པར་ཞེན་པས་བསྒོས་པ།་ཁམས་གསུམ་གྱི་གཟུགས་རྣམ་པ་སྣ་ཙོགས་ལ་ཉེ་བར་སྤྱོད་པས་འབྲེལ་པ།་ལུས་དང།་ལོངས་སྤྱོད་དང།་གནས་དང།་འགྲོ་བར་རྣམ་པར་རྟོག་པའི་རྗེས་སུ་སོང་བར་སྣང་ངོ་ཞེས་རབ་ཏུ་རྟོག་སྟེ།་

བློ་གྲོས་ཆེན་པོ།་དེ་ལྟར་ན་བྱང་ཆུབ་སེམས་དཔའ་སེམས་དཔའ་ཆེན་པོ་རང་གི་སེམས་སྣང་བ་རྣམ་པར་སྒོམ་པ་ལ་མཁས་པ་ཡིན་ནོ།༌།བློ་གྲོས་ཆེན་པོ།་ཇི་ལྟར་ན་བྱང་ཆུབ་སེམས་དཔའ་སེམས་དཔའ་ཆེན་པོ་སྐྱེ་བ་དང།་གནས་པ་དང།་འཇིག་པའི་ལྟ་བ་རྣམ་པར་སྤངས་པ་ཡིན་ཞེ་ན།་འདི་ལྟ་སྟེ།་དངོས་པོ་ཐམས་ཅད་ནི་སྒྱུ་མ་དང།་རྨི་ལམ་གྱི་གཟུགས་སྐྱེ་བ་དང་འདྲ་བར་བདག་དང།་གཞན་དང།་གཉིས་ཀ་མེད་པའི་ཕྱིར་མི་སྐྱེ་སྟེ།་རང་གི་སེམས་སྣང་བ་ཙམམ་གྱི་རྗེས་སུ་འབྲང་བ་དང།་ཕྱི་རོལ་གྱི་དངོས་པོ་མེད་པར་མཐོང་བས་རྣམ་པར་ཤེས་པ་རྣམས་འཇུག་པ་མེད་པ་དང།་རྐྱེན་རྣམས་ཀྱང་ཕུང་པོ་དང།་སྤུངས་པ་མེད་པར་མཐོང་ནས་ཁམས་གསུམ་རྣམ་པར་རྟོག་པའི་རྐྱེན་ལས་བྱུང་བར་མཐོང་ནས།་ཕྱི་ནང་གི་ཆོས་ཐམས་ཅད་མི་དམིགས་ཤིང་རང་བཞིན་མེད་པའི་རྗེས་སུ་མཐོང་བའི་ཕྱིར་སྐྱེ་བའི་ལྟ་བ་རྣམ་པར་ལོག་ནས།་སྒྱུ་མ་ལ་སོགས་པའི་ཆོས་ཀྱི་རང་བཞིན་དུ་རྗེས་སུ་རྟོགས་པས་མི་སྐྱེ་བའི་ཆོས་ལ་བཟོད་པ་རབ་ཏུ་འཐོབ་སྟེ།་ས་བརྒྱད་ལ་གནས་ནས་སེམས་དང།་ཡིད་དང།་ཡིད་ཀྱི་རྣམ་པར་ཤེས་པ་དང།་ཆོས་ལྔ་དང།་རང་བཞིན་དང།་བདག་མེད་པ་གཉིས་རྟོགས་པ་རབ་ཏུ་གྱུར་པ་ཁོང་དུ་ཆུད་པའི་ཕྱིར་ཡིད་ཀྱི་ལུས་ཀྱང་རབ་ཏུ་འཐོབ་བོ།༌

།བཅོམ་ལྡན་འདས།་ཅིའི་སླད་དུ་ཡིད་ཀྱི་ལུས་ཞེས་བགྱི།་བཅོམ་ལྡན་འདས་ཀྱིས་བཀའ་སྩལ་པ།་

བློ་གྲོས་ཆེན་པོ།་ཡིད་ཀྱི་ལུས་ཞེས་བྱ་བ་ནི་ཡིད་ལྟར་ཐོགས་པ་མེད་ཅིང་མགྱོགས་པར་འགྲོ་བའི་ཕྱིར་ཡིད་ཀྱི་ལུས་ཞེས་བྱ་སྟེ།་

བློ་གྲོས་ཆེན་པོ།་འདི་ལྟ་སྟེ།་ཡིད་ནི་རི་དང།་རཏཟིག་པ་དང།་འབབ་ཆུ་དང།་ཤིང་ལ་སོགས་པ་ལ་ཐོགས་པ་མེད་པར་དཔག་ཙད་བརྒྱ་སྟོང་དུ་མར་སྔོན་མཐོང་བ་དང།་མྱོང་བའི་ཡུལ་རྗེས་སུ་དྲན་ཞིང་རང་གི་སེམས་ཀྱི་རྒྱུན་མ་ཆད་པའི་ལུས་ཐོགས་པ་མེད་པའི་འགྲོས་ཀྱིས་འཇུག་གོ༌།བློ་གྲོས་ཆེན་པོ།་དེ་བཞིན་དུ་ཡིད་ཀྱི་ལུས་ཀྱང་ཐོབ་མ་ཐག་ཏུ་སྒྱུ་མ་དང་འདྲ་བའི་ཏིང་ངེ་འཛིན་གྱིས་སྟོབས་དང།་དབང་དང།་མངོན་པར་ཤེས་པ་དང།་ཡེ་ཤེས་དང།་མཙན་ཉིད་ཀྱི་མེ་ཏོག་རྒྱས་པ།་འཕགས་པའི་རིས་སུ་ལྷན་ཅིག་སྐྱེས་པ།་འགྲོ་བ་ལ་ཐོགས་པ་མེད་པ་སྔོན་གྱི་སྨོན་ལམ་གྱི་ཡུལ་རྗེས་སུ་དྲན་ཞིང་སེམས་ཅན་ཡོངས་སུ་སྨིན་པར་བྱ་བའི་ཕྱིར་ཡིད་བཞིན་དུ་འཇུག་སྟེ།་དེ་ལྟར་ན༏་བློ་གྲོས་ཆེན་པོ།་བྱང་ཆུབ་སེམས་དཔའ་སེམས་དཔའ་ཆེན་པོ་སྐྱེ་བ་དང།་གནས་པ་དང།་འཇིག་པའི་ལྟ་བ་རྣམ་པར་སྤངས་པ་ཡིན་ནོ།༌།བློ་གྲོས་ཆེན་པོ།་དེ་ལ་ཇི་ལྟར་ན་བྱང་ཆུབ་སེམས་དཔའ་སེམས་དཔའ་ཆེན་པོ་ཕྱི་རོལ་གྱི་དངོས་པོ་དངོས་པོ་མེད་པར་རྟོགས་པ་ལ་མཁས་པ་ཡིན་ཞེ་ན།་

བློ་གྲོས་ཆེན་པོ།་འདི་ལྟ་སྟེ།་དངོས་པོ་ཐམས་ཅད་ནི་སྨིག་རྒྱུ་དང༏་རྨི་ལམ་དང།་སྐྲ་ཤད་འཛིངས་པ་ལྟ་བུའོ།༌།དངོས་པོ་ཐམས་ཅད་ནི་ཐོག་མ་མེད་པའི་དུས་ཀྱི་སྤྲོས་པའི་གནས་ངན་ལེན་གྱི་རྣམ་པར་རྟོག་པའི་བག་ཆགས་རྣམ་པ་སྣ་ཙོགས་ལ་མངོན་པར་ཞེན་པའི་རྒྱུ་ལས་བྱུང་བ་ཡིན་ཏེ།་རང་བཞིན་མེད་པའོ་ཞེས་ཡང་དག་པར་མཐོང་ནས་འཕགས་པ་སོ་སོ་རང་གི་ཡེ་ཤེས་ཀྱིས་རྟོགས་པའི་ཡུལ་ལ་མངོན་པར་མོས་སོ།༌
བློ་གྲོས་ཆེན་པོ།་ཆོས་འདི་བཞི་དང་ལྡན་པའི་བྱང་ཆུབ་སེམས་དཔའ་སེམས་དཔའ་ཆེན་པོ་ནི་རྣལ་འབྱོར་ཆེན་པོའི་རྣལ་འབྱོར་ཅན་ཡིན་ནོ།༌།བློ་གྲོས་ཆེན་པོ༏་དེ་ལ་ཁྱོད་ཀྱིས་བརྩོན་པར་གྱིས་ཤིག༌

Texte en tibétain Wylie



de nas byang chub sems dpa' sems dpa' chen po blo gros chen pos ma 'ongs pa'i skye bo'i tshogs la bltas nas yang bcom ldan 'das la gsol ba btab pa, bcom ldan 'das, ji ltar byang chub sems dpa' sems dpa' chen po rnams rnal 'byor chen po'i rnal 'byor can du 'gyur ba'i rnal 'byor mngon par rtogs par bdag la bshad du gsol, bcom ldan 'das kyis bka' stsal pa,

blo gros chen po, chos bzhi dang ldan pa'i byang chub sems dpa' sems dpa' chen po rnams rnal 'byor chen po'i rnal 'byor can du 'gyur ro, ,bzhi gang zhe na, 'di lta ste, rang gi sems snang ba rnam par sgom pa dang, skye ba dang, gnas pa dang, 'jig pa'i lta ba rnam par spong ba dang, phyi rol gyi dngos po dngos po med par rtogs pa dang, 'phags pa so so rang gi ye shes khong du chud par mos pa yin te,

blo gros chen po, chos bzhi po 'di dag dang ldan pa'i byang chub sems dpa' sems dpa' chen po rnams rnal 'byor chen po'i rnal 'byor can du 'gyur ro, ,blo gros chen po, de la ji ltar na byang chub sems dpa' sems dpa' chen po rang gi sems snang ba sgom pa la mkhas pa yin zhe na, 'di lta ste, 'di ltar khams gsum 'di ni rang gi sems tsam ste, bdag dang bdag gi dang bral ba g.yo ba med pa, blang ba dang dor ba dang bral ba, thog ma med pa'i dus kyi spros pa'i gnas ngan len gyi bag chags la mngon par zhen pas bsgos pa, khams gsum gyi gzugs rnam pa sna tsogs la nye bar spyod pas 'brel pa, lus dang, longs spyod dang, gnas dang, 'gro bar rnam par rtog pa'i rjes su song bar snang ngo zhes rab tu rtog ste,

blo gros chen po, de ltar na byang chub sems dpa' sems dpa' chen po rang gi sems snang ba rnam par sgom pa la mkhas pa yin no, ,blo gros chen po, ji ltar na byang chub sems dpa' sems dpa' chen po skye ba dang, gnas pa dang, 'jig pa'i lta ba rnam par spangs pa yin zhe na, 'di lta ste, dngos po thams cad ni sgyu ma dang, rmi lam gyi gzugs skye ba dang 'dra bar bdag dang, gzhan dang, gnyis ka med pa'i phyir mi skye ste, rang gi sems snang ba tsam gyi rjes su 'brang ba dang, phyi rol gyi dngos po med par mthong bas rnam par shes pa rnams 'jug pa med pa dang, rkyen rnams kyang phung po dang, spungs pa med par mthong nas khams gsum rnam par rtog pa'i rkyen las byung bar mthong nas, phyi nang gi chos thams cad mi dmigs shing rang bzhin med pa'i rjes su mthong ba'i phyir skye ba'i lta ba rnam par log nas, sgyu ma la sogs pa'i chos kyi rang bzhin du rjes su rtogs pas mi skye ba'i chos la bzod pa rab tu 'thob ste, sa brgyad la gnas nas sems dang, yid dang, yid kyi rnam par shes pa dang, chos lnga dang, rang bzhin dang, bdag med pa gnyis rtogs pa rab tu gyur pa khong du chud pa'i phyir yid kyi lus kyang rab tu 'thob bo,

,bcom ldan 'das, ci'i slad du yid kyi lus zhes bgyi, bcom ldan 'das kyis bka' stsal pa,

blo gros chen po, yid kyi lus zhes bya ba ni yid ltar thogs pa med cing mgyogs par 'gro ba'i phyir yid kyi lus zhes bya ste,

blo gros chen po, 'di lta ste, yid ni ri dang, ratazig pa dang, 'bab chu dang, shing la sogs pa la thogs pa med par dpag tsad brgya stong du mar sngon mthong ba dang, myong ba'i yul rjes su dran zhing rang gi sems kyi rgyun ma chad pa'i lus thogs pa med pa'i 'gros kyis 'jug go ,blo gros chen po, de bzhin du yid kyi lus kyang thob ma thag tu sgyu ma dang 'dra ba'i ting nge 'dzin gyis stobs dang, dbang dang, mngon par shes pa dang, ye shes dang, matsan nyid kyi me tog rgyas pa, 'phags pa'i ris su lhan cig skyes pa, 'gro ba la thogs pa med pa sngon gyi smon lam gyi yul rjes su dran zhing sems can yongs su smin par bya ba'i phyir yid bzhin du 'jug ste, de ltar na, blo gros chen po, byang chub sems dpa' sems dpa' chen po skye ba dang, gnas pa dang, 'jig pa'i lta ba rnam par spangs pa yin no, ,blo gros chen po, de la ji ltar na byang chub sems dpa' sems dpa' chen po phyi rol gyi dngos po dngos po med par rtogs pa la mkhas pa yin zhe na,

blo gros chen po, 'di lta ste, dngos po thams cad ni smig rgyu dang, rmi lam dang, skra shad 'dzings pa lta bu'o, ,dngos po thams cad ni thog ma med pa'i dus kyi spros pa'i gnas ngan len gyi rnam par rtog pa'i bag chags rnam pa sna tsogs la mngon par zhen pa'i rgyu las byung ba yin te, rang bzhin med pa'o zhes yang dag par mthong nas 'phags pa so so rang gi ye shes kyis rtogs pa'i yul la mngon par mos so, , 139 , ,blo gros chen po, chos 'di bzhi dang ldan pa'i byang chub sems dpa' sems dpa' chen po ni rnal 'byor chen po'i rnal 'byor can yin no, ,blo gros chen po, de la khyod kyis b.rtson par gyis shig

lundi 23 novembre 2015

La contemplation du tathāgata



Extrait du Soûtra de l’Entrée à Lankâ, traduit par Patrick Carré, Fayard, pp. 123-124

Mahâmati, il y a quatre types de concentration :
1. la concentration pratiquée par les sots,
2. la concentration analytique,
3. la concentration sur l’ainsité, et
4. la concentration des ainsi-venus.

Mahâmati, la concentration pratiquée par les sots concerne les pratiquants des véhicules des Auditeurs et des bouddhas- par-soi. Ceux-là connaissent l’inexistence du soi individuel et considèrent leur corps et celui des autres comme des squelet­tes impermanents, douloureux et impurs. Leur analyse abou­tit à cela, auquel ils croient fermement sans jamais y renoncer. Et ainsi procèdent-ils jusqu’au recueillement de cessation où il n’est plus de pensées.Voilà ce qu’on appelle «concentration pratiquée par les sots ».

La concentration analytique concerne ceux qui, connaissant les caractères généraux et particuliers des choses, vont au-delà de l’inexistence du soi individuel. N’admettant pas non plus les thèses non-bouddhistes sur la production à partir de soi-même, d’autre chose ou des deux à la fois? Ils analysent tous les degrés de l’inexistence du soi des choses sous tous les aspects, et ce faisant ils s’adonnent à la concentration dite «analytique».

La concentration sur l’ainsité consiste en ceci : la distinction en deux types d’inexistence du soi n’est qu’une idée illusoire. Quand la connaissance est telle qu’au réel, cette idée n’a plus lieu, [et demeurer dans cet «état»,] cela s’appelle «concentra­tion sur l’ainsité ».

[Enfin,] la concentration des ainsi-venus consiste à accéder à la bouddhéité et à s’établir dans la triple félicité de la sublime sagesse de la réalisation intérieure en œuvrant au bien de tous les êtres sur un mode inconcevable : c’est cela que l’on appelle « concentration des ainsi-venus »

Le Vénéré des mondes reprit en stances :
Dans la concentration pratiquée par les sots,
La concentration qui analyse le sens [des choses],
La concentration sur l’ainsité
Et la pure concentration des ainsi-venus, 
Les pratiquants en extase contemplent
Les formes du soleil et de la lune,
Des lotus [rouges] au fond des précipices,
L’espace [vide], des flammes et des images. 
Or toutes ces visions sont juste bonnes
A vous précipiter dans les croyances non bouddhistes
Ou, encore, dans le champ d’expérience
Des Auditeurs et des bouddhas-par-soi. 
Renoncez à toutes ces [visions]
Pour vous établir dans l’absence d’objet
De méditation, et vous accéderez
A l’Apparence réelle, l’ainsité. 
Les innombrables bouddhas
Des univers des dix horizons
Tendront tous leurs mains de claire lumière
Pour les poser au sommet de votre tête
.


Texte tibétain

བློ་གྲོས་ཆེན་པོ།་གཞན་ཡང་བསམ་གཏན་རྣམ་པ་བཞི་སྟེ།་རྣམ་པ་བཞི་གང་ཞེ་ན།་འདི་ལྟ་སྟེ།་ཕྱིས་པ་ཉེ་བར་སྤྱོད་པའི་བསམ་གཏན་དང།་དོན་རབ་ཏུ་འབྱེད་པའི་བསམ་གཏན་དང།་དེ་བཞིན་ཉིད་ལ་དམིགས་པའི་བསམ་གཏན་དང།་དེ་བཞིན་གཤེགས་པའི་བསམ་གཏན་དང་བཞིའོ།༌

།བློ་གྲོས་ཆེན་པོ།་དེ་ལ་བྱིས་པ་ཉེ་བར་སྤྱོད་པའི་བསམ་གཏན་གང་ཞེ་ན།་འདི་ལྟ་སྟེ།་ཉན་ཐོས་དང་རང་སངས་རྒྱས་ཀྱི་རྣལ་འབྱོར་ལ་རྣལ་འབྱོར་པ་རྣམས་ཀྱི་གང་ཟག་ལ་བདག་མེད་པ་དང།་དངོས་པོ་རྣམས་ཀྱི་རང་དང་སྤྱིའི་གཟུགས་དང༌།་ཀེང་རུས་དང།་མི་རྟག་པ་དང།་སྡུག་བསྔལ་པ་དང།་མི་སྡུག་པའི་མཙན་ཉིད་ལ་མངོན་པར་ཞེན་པ་སྔོན་དུ་བཏང་སྟེ།་འདི་ནི་མཙན་ཉིད་འདི་ལྟ་བུ་ཡིན་ཏེ།་གཞན་དུ་མ་ཡིན་ནོ་ཞེས་བལྟས་ནས་དང་པོ་ནས་གོང་ནས་གོང་དུ་འདུ་ཤེས་འགོག་པའི་བར་དུ་བྱིས་པ་ཉེ་བར་སྤྱོད་པ་ཡིན་ནོ།༌

།དེ་ལ།་བློ་གྲོས་ཆེན་པོ།་དོན་རབ་ཏུ་འབྱེད་པའི་བསམ་གཏན་གང་ཞེ་ན།་འདི་ལྟ་སྟེ།་གང་ཟག་ལ་བདག་མེད་པ་དང།་རང་དང་སྤྱིའི་མཙན་ཉིད་དང།་ཕྱི་རོལ་གྱི་མུ་སྟེགས་བྱེད་པ་བདག་དང་གཞན་གཉིས་ཀ་མེད་པར་བྱས་ཏེ།་ཆོས་ལ་བདག་མེད་པའི་མཙན་ཉིད་ཀྱི་དོན་རབ་ཏུ་འབྱེད་པའི་གོ་རིམ་ཅན་ནི་དོན་རབ་ཏུ་འབྱེད་པའི་བསམ་གཏན་ཡིན་ནོ།༌

།དེ་ལ།་བློ་གྲོས་ཆེན་པོ།་དེ་བཞིན་ཉིད་ལ་དམིགས་པའི་བསམ་གཏན་གང་ཞེ་ན།་འདི་ལྟ་སྟེ།་ཀུན་བརྟགས་པ་བདག་མེད་པ་གཉིས་ཀྱི་རྣམ་པར་མི་རྟོག་པ་ལ་ཡང་དག་པ་ཇི་ལྟ་བ་བཞིན་དུ་གནས་པས་རྣམ་པར་རྟོག་པ་མི་འབྱུང་བའི་ཕྱིར་དེ་བཞིན་ཉིད་ལ་དམིགས་པ་ཞེས་བཤད་དོ།༌།

བློ་གྲོས་ཆེན་པོ།་དེ་བཞིན་གཤེགས་པའི་བསམ་གཏན་གང་ཞེ་ན།་འདི་ལྟ་སྟེ།་དེ་བཞིན་གཤེགས་པའི་སའི་རྣམ་པ་ལ་འཇུག་པ།་འཕགས་པ་སོ་སོ་རང་གི་ཡེ་ཤེས་ཀྱི་མཙན་ཉིད་གསུམ་གྱི་བདེ་བ་ལ་གནས་པས་སེམས་ཅན་གྱི་དོན་བསམ་གྱིས་མི་ཁྱབ་པ་བྱེད་པའི་ཕྱིར་དེ་བཞིན་གཤེགས་པའི་བསམ་གཏན་ཞེས་བཤད་དོ།༌།

དེ་ལ་འདི་སྐད་ཅེས་བྱ་སྟེ།༌།

དོན་རབ་འབྱེད་པའི་བསམ་གཏན་དང།༌།
བྱེས་པ་ཉེར་སྤྱོད་བསམ་གཏན་དང།༌།
དེ་བཞིན་ཉིད་དམིགས་བསམ་གཏན་དང།༌།
དེ་བཞིན་གཤེགས་པའི་དགེ་བསམ་གཏན།༌།

རྣལ་འབྱོར་ཅན་གྱིས་བརཏཟོན་བྱས་ན།་
ཉི་མ་ཟླ་བའི་དབྱིབས་འདྲ་དང།༌།
འོད་དང་པདམོ་ལྟ་བུ་དང།༌།
རི་མོ་ནམ་མཁའི་མེ་འདྲ་མཐོང༌།༌།

མཙན་མ་སྣ་ཙོགས་དེ་དག་ནི།༌།
མུ་སྟེགས་ཅན་ལམ་ཁྲིད་པར་བྱེད།༌།
ཉན་ཐོས་དག་དང་རང་རྒྱལ་གྱི།༌།
སྤྱོད་ཡུལ་དུ་ཡང་ལྷུང་བར་བྱེད།༌།

འདི་དག་ཐམས་ཅད་རྣམ་སྤངས་ཤིང།༌།
སྣང་བ་མེད་པར་ནམ་གྱུར་པ།༌།
དེ་ཙེ་སངས་རྒྱས་ལྷ་ཡི་ཕྱག༌།
ཐམས་ཅད་ཞིང་ནས་བྱུང་བ་ཡིས།༌།
དེ་ཡི་མགོ་ལ་ཉུག་མཛད་དེ།༌།
ཡང་དག་རྗེས་སུ་འགྲོ་བའི་ལྟས།



Texte tibétain en Wylie

(bam po gsum pa)

blo gros chen po/ gzhan yang bsam gtan rnam pa bzhi ste/ rnam pa bzhi gang zhe na/ 'di lta ste/ phyis pa nye bar spyod pa'i bsam gtan dang/ don rab tu 'byed pa'i bsam gtan dang/ de bzhin nyid la dmigs pa'i bsam gtan dang/ de bzhin gshegs pa'i bsam gtan dang bzhi'o/

blo gros chen po/ de la byis pa nye bar spyod pa'i bsam gtan gang zhe na/ 'di lta ste/ nyan thos dang rang sangs rgyas kyi rnal 'byor la rnal 'byor pa rnams kyi gang zag la bdag med pa dang/ dngos po rnams kyi rang dang spyi'i gzugs dang / keng rus dang/ mi rtag pa dang/ sdug bsngal pa dang/ mi sdug pa'i mtshan nyid la mngon par zhen pa sngon du btang ste/ 'di ni mtshan nyid 'di lta bu yin te/ gzhan du ma yin no zhes bltas nas dang po nas gong nas gong du 'du shes 'gog pa'i bar du byis pa nye bar spyod pa yin no/

de la/ blo gros chen po/ don rab tu 'byed pa'i bsam gtan gang zhe na/ 'di lta ste/ gang zag la bdag med pa dang/ rang dang spyi'i mtshan nyid dang/ phyi rol gyi mu stegs byed pa bdag dang gzhan gnyis ka med par byas te/ chos la bdag med pa'i mtshan nyid kyi don rab tu 'byed pa'i go rim can ni don rab tu 'byed pa'i bsam gtan yin no/

de la/ blo gros chen po/ de bzhin nyid la dmigs pa'i bsam gtan gang zhe na/ 'di lta ste/ kun brtags pa bdag med pa gnyis kyi rnam par mi rtog pa la yang dag pa ji lta ba bzhin du gnas pas rnam par rtog pa mi 'byung ba'i phyir de bzhin nyid la dmigs pa zhes bshad do//

blo gros chen po/ de bzhin gshegs pa'i bsam gtan gang zhe na/ 'di lta ste/ de bzhin gshegs pa'i sa'i rnam pa la 'jug pa/ 'phags pa so so rang gi ye shes kyi mtshan nyid gsum gyi bde ba la gnas pas sems can gyi don bsam gyis mi khyab pa byed pa'i phyir de bzhin gshegs pa'i bsam gtan zhes bshad do//

de la 'di skad ces bya ste//

don rab 'byed pa'i bsam gtan dang//
byes pa nyer spyod bsam gtan dang//
de bzhin nyid dmigs bsam gtan dang//
de bzhin gshegs pa'i dge bsam gtan//

rnal 'byor can gyis b.rtson byas na/
nyi ma zla ba'i dbyibs 'dra dang//
'od dang padmo lta bu dang//
ri mo nam mkha'i me 'dra mthong //

mtshan ma sna tsogs de dag ni//
mu stegs can lam khrid par byed//
nyan thos dag dang rang rgyal gyi//
spyod yul du yang lhung bar byed//

'di dag thams cad rnam spangs shing//
snang ba med par nam gyur pa//
de tse sangs rgyas lha yi phyag /
thams cad zhing nas byung ba yis//
de yi mgo la nyug mdzad de//
yang dag rjes su 'gro ba'i ltas/

dimanche 22 novembre 2015

Identités religieuses et moyens habiles



L’histoire de Bhadrapa raconte la conversion d’un brahmane, pour qui son identité religieuse et les préceptes de sa religion venaient avant le bien d’autrui, et l’empêchaient de pratiquer par exemple la simple générosité. La thérapie que lui propose le yogi est la transgression des mêmes préceptes, afin de s’en libérer, tout en embrassant une cause plus vaste : le bien d’autrui, le véhicule universaliste (mahāyāna). Dans son cas très spécifique qui est celui d’un brahmane orthodoxe, la thérapie libératrice consiste à se rendre dans un lieu impur (le charnier), pour y absorber une nourriture impure (alcool, viande de porc), en compagnie d'un membre de caste (varṇa = couleur) impure, et même d’inverser les statuts sociaux (svadharma) en nettoyant (acte de basse caste) le lieu impur d’un impur et à la demande de cet impur.

Cette thérapie lui permet de couper avec « l’orgueil » (= identité) de son statut social, et du même coup de s’en libérer. C’est dans un monde ou a cours le système de castes, que la thérapie libératrice proposée à un brahmane, un champion de la pureté, consiste à chercher activement l’impur. Il s’agit d’une thérapie ad hoc, valable uniquement dans la situation d’un brahmane orthodoxe. Si cette thérapie ad hoc est érigée par la suite en méthode universelle, en faisant abstraction de ce que la situation du brahmane orthodoxe avait de singulier, on ferait fausse route.

L’histoire des 84 mahāsiddhas montre bien la singularité de chaque individu candidat à la libération, mais est néanmoins un texte qui fait l’apologie de la voie des méthodes ésotériques (upāyamārga). Chaque société, voire chaque individu, peut avoir ses propres notions de ce qui est pur et impur. Proposer comme thérapie de chercher activement l’impur tel qu’il est conçu par un brahmane orthodoxe à un individu qui n’adhère pas du tout à ces notions, serait contreproductif. Proposer à un individu pour qui manger du porc, boire de l’alcool, fréquenter des femmes « impures » etc. n’est pas un tabou, et qui d’ailleurs n’a aucune notion de l’impur comparable à celle du brahmane, serait un acte totalement anodin, voire irresponsable qui pourrait le réconforter dans un comportement qu’il avait peut-être déjà. En plus de cela, et en "pratiquant" tout cela, il aurait conscience de pratiquer les tantras les plus éminents et de passer pour un tantrika ou un heruka ! La « thérapie » n’aura alors plus aucun effet bénéfique et ne serait plus un upāya.

Il ne s’agit pas d’échanger une méthode, la recherche de la pureté, contre une autre, la recherche de l’impureté, et d’ériger cette dernière en upāya ou en méthode infaillible, mais de se détacher de toute méthode, de toute identification artificielle. Nous sommes ce que nous sommes et ce que notre passé a fait de nous ainsi que les rêves qui nous portent. Mais nous le sommes déjà, quel que soit notre degré d’identification artificielle à ce que nous sommes. Ne soyons pas plus royalistes que le roi, ne soyons pas plus nous-mêmes que nous le sommes déjà en affichant une identité artificielle, et par là en nous éloignant de ce que nous sommes réellement.

Il en va de même de l’habileté bouddhiste à émuler des pratiques shivaïstes ou païennes (tib. grong gi chos), telle qu’expliquée par Āryadeva (Cittaviśuddhiprakaraṇa), Indrabḥuti (Sahajasiddhi) ou Lakṣmīṅkārā (Sahajasiddhipaddhati). L’intégration de telles pratiques en leur donnant un sens conforme au bouddhisme est habile dans une situation où des individus sont déjà attachés à ces pratiques, comme Bhadrapa était attaché à son statut et pratique de brahmane. Mais si la version émulée et intégrée de ces pratiques est ensuite érigée en méthode infaillible et présentée à des individus qui ne connaissent ce genre de pratiques ni d’Ève ni d’Adam, et n’est donc simplement plus adaptée, elle perd son côté thérapeutique et habile. Elle n’est plus un upāya.

Le bouddhisme ou le Dharma n’est pas une religion toute faite, il est constamment en devenir et doit s’adapter à toute situation nouvelle. Il l'a toujours fait au cours de son histoire, il s’est toujours adapté aux situations qu’il a trouvées, sa seule constante étant la bienveillance et la sagesse.

Se détacher de son identité, trouver la liberté


Le mahāsiddha Bhadrapa

Histoire de gourou Bhadrapa (extrait de l'Histoire des 84 mahāsiddhas).

Dans le pays de Maṇidhar, entouré de sa famille et de ses serviteurs, vivait un brahmane extrêmement riche dans un divertissement constant. Un jour, quand tout son entourage était parti faire leurs ablutions rituelles, il était resté seul à la maison. Un yogi authentique se pointa alors chez lui pour demander de la nourriture.

Le brahmane lui dit: "Comme tu es impur, ta présence vas polluer [cette demeure]. Si mon entourage rentre, il va t'expulser."
Le yogi lui demanda : "Comment serais-je impur ?"
Le brahmane : "Tu ne laves pas ton corps, tu es nu et te promènes avec une crâne en guise d'écuelle. Tu manges de la nourriture impure et tu es de caste inférieure. Sors vite de chez moi !"
Le yogi répliqua : "L'impur n'est pas tout cela, agir de façon négative en acte, en parole et en pensée, voilà ce qui est impur !" Ce n'est pas par des bains rituels qu’on lave les impuretés de la pensée, mais c'est en suivant les instructions d'un gourou que l'on s’en débarrasse. "

Il ajouta :
"La caste du véhicule universaliste (mahāyāna) est la meilleure
Point les castes de Seigneurs (kṣatriya) et de brahmanes
Les véritables impuretés du corps etc., ce sont les actes négatifs
Suivre les instructions d'un guide authentique
C'est les laver et trouver une pureté insurpassable
Ce n'est pas l'eau qui puisse laver [ces impuretés]
L'absence d'attachement est la meilleure écuelle et la meilleure nourriture
Point le lait, le fromage et le lait caillé (les trois substances blanches prescrites)."
Le brahmane adhéra à ces paroles et dit : "Pourrais-tu alors me donner ces instructions ?"
Le yogi répondit : "D'accord, mais donne-moi alors à manger."
Le brahmane opposa : "Si tu m'instruis ici, mon entourage ne vas pas apprécier. Ce serait mieux d'aller chez toi et de le faire là-bas."
Le yogi fit "D'accord, j'habite le charnier, va là-bas et apporte de l'alcool et de la viande de porc."
Le brahmane rétorqua : "Nous brahmanes, nous ne pouvons même pas prononcer les noms "alcool" et "viande de porc", alors pour ce qui est de "charnier"..."
Le yogi insista : "Si tu veux vraiment ces instructions, il faudra pourtant les y apporter."
Le brahmane : "D’accord, mais je ne veux pas venir le jour, seulement la nuit."

Le brahmane se déguisa pour acheter de l'alcool et de la viande de porc et se rendit au charnier pour les offrir au yogi. Le yogi en mangea et en but une partie, et les partagea ensuite avec le brahmane. Il l'initia et demanda au brahmane de lui présenter l'offrande du maṇḍala.

Afin de briser sa fierté d'appartenir à la caste de brahmanes, il ordonna au brahmane de balayer chez lui. Ce fut en guise d'enseignement de la vue symbolique. Lui faire replâtrer ensuite toute sa cabane fut en guise d'enseignement de l'observance (caryā) symbolique, et la couleur du plâtre celui de la méditation. Le fait que ces trois étaient uns, fut son enseignement symbolique du fruit.

Le brahmane saisit le sens de ces enseignements symboliques et comprit la nature illusoire des illusions du monde. Il rejeta le concept des castes et s'engagea dans ce yoga et le cultiva. Au bout de six ans, il trouva l'accomplissement de la mahāmudrā et fut désormais partout connu sous le nom de yogi Bhadrapa. Il consacra toute sa au vie bien des êtres et partit au khecara ensemble avec 500 disciples.

Ce fut l'histoire de gourou Bhadrapa.


Texte tibétain en Wylie :

gurubhadrapā'i lo rgyus ni/

de'i yul ma ṇi dhar zhes bya ba la/ yul de na bram ze zhig la 'khor dang longs spyod kyi 'byor pa dpag tu med pas de dus rtag tu sems g.yeng ba dang bcas te gnas so

dus gcig gi tshe 'khor kun phyir khrus la song nas rang nyid gnas khang na 'dug pa'i gam du legs par sbyangs pa'i rnal 'byor pa zhig 'ongs nas zan bslangs pas/ bram ze na re/ khyod mi gtsang bas bdag gi gnas 'bags 'gro zhing/ bdag la 'khor dang mi kun gyis 'phya 'ong bas phyir song zhig zer ba la/ rnal 'byor pas mi gtsang ba ci la zer gsungs pas/ bram ze na re/ lus khrus ma byas pa gos med pa snod thod pa thogs pa/ zas 'bags par za ba rigs ngan pa la zer bas myur du song zhig zer ba la/ rnal 'byor pas mi gtsang ba de ma yin/ lus dang ngag dang yid rnams mi dge ba dang bcas pa mi gtsang ba yin la/ lus la khrus byas pas sems kyi dri ma dag pa ma yin/ bla ma'i gdams ngag gis sems kyi dri ma bkrus na gdod dag pa yin no

yang gsungs pa/ 

theg chen rigs ldan mchog yin la
rgyal dang bram ze de lta min
lus sogs dri ma mi dge ba
brgyud ldan bla ma'i gdams pa yis
bkrus na gtsang ba bla na med
chu yis bkrus pa de lta min
zhen med snod dang kha zas mchog
dkar gsum la sogs de lta min

zhes sogs gsungs pas dad par gyur nas/ bram ze na re/ khyod kyis bdag la de'i gdams ngag cig byin cig zer bas/ rnal 'byor pas 'o na bdag la zan byin cig

de ltar bya'o smras pas/ bram ze na re/ 'dir bdag chos nyan na 'khor dang mi kun mi dad pas/ khyod gang du bzhugs pa der bdag mchis na/ nyid gang du bzhugs/ zer bas/ nga dur khrod na 'dug gi der chang dang/ phag sha khyer la shog

byas pas/ bram ze na re/ nged bram ze rnams chang dang phag sha'i ming yang 'don mi rung na 'khur du ga la rung/ zer bas/ rnal 'byor pas gdams ngag dgos na khyer la shog gsungs pas/ bram zes smras pa/ nyin par mchir mi 'tshal bas mtshan ma de ltar mchi'o zhes zer te/ bram ze des rang rtags bsgyur nas tshong dus su phyin te/ chang dang phag sha nyos nas dur khrod du phyin nas rnal 'byor pa la drangs pas/ rnal 'byor pas rang gis kyang gsol/ bram ze la yang byin nas byin rlabs 'pho ba'i dbang bskur mdzad de/ bram ze la maṇḍyal 'bul du bcug

bram ze de'i rigs kyi nga rgyal bcag pa'i don du phyag dar byed du bcug nas lta ba'i brda bstan la/ gnas der zhal zhal byed du bcug nas spyod pa'i brda bstan/ zhal zhal de'i kha dog ni sgom pa'i brda' yin/ de gsum gcig tu gyur pa ni 'bras bu'i brda yin no

gsungs pas/ gong gi brda de rnams kyi don yang rtogs/ snang srid 'khrul pa'i rnam 'phrul du shes/ rigs kyi rnam rtog thams cad dor te/ rnal 'byor la zhugs te bsgoms pas/ lo drug na phyag rgya chen po'i dngos grub thob ste/ rnal 'byor pa bha dra pā zhes phyogs thams cad du grags so

'gro don mdzad de mthar 'khor lnga brgya dang bcas te lus de nyid kyis mkha' spyod du gshegs so

gurubhadrapā'i lo rgyus rdzogs so/

samedi 21 novembre 2015

Transmissions contemplatives (dhyāna)

Transmissions contemplatives (dhyāna)
Laṅkāvatara

Samādhi seul (yixing sanmei)
Huichou (480-560)



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1.Bodhidharma (VIème s. ?)




2. Huike (487-593)






3. Sengcan (VIIème s.)



Jiang Mozang ?


4. Daoxin (580-651)



Ardasīr (tib. A rdan hwar) ?


5. Hongren (601-674)






6. Shenxiu (605-706)
École du Nord

Vajracchedikā
6. Huineng (638-713)
École du Sud


Kim/Wuxiang (684-762)
(Corée)
Sources : Testament du clan dBa’et Zongmi



7. Shenhui (670-762 ou plutôt 684-758)
Heze ou Ho-tse
7. Nanyue Huaraing (677-744)

7. Qingyuan Xingsi (660—740)

Wuzhu 714-774) Bao Tang (Sichuan)



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Guifeng Zongmi
(780-841)
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Mazu Daoyi (709-788)
Hongzhou

8. Shitou Xiqian (700-790)

Heshang Moheyan (fin VIIIème s.) (Dunhuang)


Fusion avec Huayan
(Avataṃsaka)
Culte de grands bodhisattvas
Baizhang Huaihai (720-814)
Nanquan Puyuan (748-835)





Huangbo Xiyun (mort en 850)
Zhàozhōu Cōngshěn (778-897)
_




Linji Yixuan (mort en 866)

Rinzai au Japon





Sōtō au Japon


Dates de Kamalaśīla :740–795

Tableau généalogique de la première école du Chan selon Bernard Faure (Traité de Bodhidharma p. 51


mardi 17 novembre 2015

Identité et violence


Les événements du 13 novembre à Paris sont en train de créer des nouvelles lignes de partage. Il y a une tendance à (re)serrer les rangs, à se rabattre sur le connu. Cela se traduit par des replis identitaires d’ordre différent. Comme le souligne Amartya Sen dans Identité et violence, nous ne sommes pas seulement citoyen d'un pays, membre d'une religion, homme ou femme, travailleur, chômeur ou sans emploi, nous sommes aussi urbain ou citadin, riche ou pauvre, etc. Et c'est ce complexe d'identités qui définit la singularité de chacun de nous.[1] Notre véritable identité est multiple. C’est lorsque nous choisissons d’adhérer à une seule de ces identités ou de la considérer prioritaire à toutes les autres, qu’elle peut devenir un facteur de violence.
« Violence is fomented by the imposition of singular and belligerent identities on gullible people, championed by proficient artisans of terror. »
Sen montre qu’une telle identité dominante est une question de choix et non de simple « découverte », contrairement à ce que veulent faire croire les penseurs communautaristes, comme s’il s’agissait d’un attribut naturel. Nous choisissons nos loyautés et priorités[2].

Si une appartenance identitaire requiert de nous, que nous sacrifions d’autres identités, elle ne respecte pas notre identité multiple, qui est véritablement naturelle, et elle irait également à l’encontre de notre intelligence, qui est tout aussi naturelle.
« La foi consiste à croire ce que l’entendement ne saurait croire; et c'est en cela qu’est le mérite.
Mais, monsieur, en étant persuadés, par la foi des choses qui paraissaient absurdes à notre intelligence, c'est-à-dire en croyant ce que nous ne croyons pas, gardons-nous de faire ce sacrifice de notre raison dans la conduite de la vie.
Il y a eu des gens qui ont dit autrefois : Vous croyez des choses incompréhensibles, contradictoires, impossibles, parce que nous l’avons ordonné; faites donc des choses injustes parce que nous vous l’ordonnons. Ces gens-là raisonnaient à merveille. Certainement qui est en droit de vous rendre absurde, est en droit de vous rendre injuste. Si vous n’opposez point aux ordres de croire l'impossible, l'intelligence que Dieu a mise dans votre esprit, vous ne devez point opposer aux ordres de malfaire, la justice que Dieu a mise dans votre cœur. Une faculté de votre âme étant une fois tyrannisée, toutes les autres facultés doivent l’être également. Et c’est là ce qui a produit tous les crimes religieux dont la terre a été inondée
. »
Voltaire, Questions sur les miracles
Si une de nos appartenances identitaires requiert donc de nous de renoncer à d’autres identités ou à notre intelligence, il serait prudent de s’en méfier.

***

[1] Denis Clerc, Alternatives Economiques n° 260 - juillet 2007

[2] « Many communitarian thinkers tend to argue that a dominant communal identity is only a matter of self-realization, not of choice. It is, however, hard to believe that a person really has no choice in deciding what relative importance to attach to the various groups to which he or she belongs, and that she must just “discover” her identities, as if it were a purely natural phenomenon (like determining whether it is day or night). In fact, we are all constantly making choices, if only implicitly, about the priorities tobe attached to our different affiliations and associations. The freedom to determine our loyalties and priorities between the different groups to all of which we may belong is a peculiarly important liberty which we have reason to recognize, value, and defend. »

dimanche 15 novembre 2015

Les scénaristes du Bouddha s'amusaient beaucoup



Parler d’apocryphes ou de pseudépigraphes dans le cadre d’une religion est faire preuve de mauvaise foi. Il faut en avoir une sacrée dose pour attribuer certains textes à Dieu, à Jésus, au Bouddha…, tout en stigmatisant d’autres de pseudépigraphes. Les sūtra ne sont évidemment pas les paroles du Bouddha (buddhavacana), mais de leurs auteurs anonymes, qui doivent sans doute se considérer comme les fidèles défenseurs de sa Parole.
« Tout ce que le Bouddha a dit, est bien dit » disaient les Hinayanistes. Les Mahayanistes retournèrent ainsi l’axiome « Tout ce qui est bien dit, le Bouddha l’a dit » implicitement, virtuellement, écrit Léon Wieger.[1]
Les bouddhistes, connaissant la relativité de la parole, ont souvent un bon sens d’humour. On sent qu’ils se sont bien amusés en écrivant certains sutta, sūtra ou tantra.

Ainsi, le Bouddha s’amuse dans L'aggañña-sutta (A propos du début des choses), quand il tourne en dérision la théorie des brahmanes qui seraient nés de la bouche de Brahma. Qué ! la bouche de Brahma ? « car nous pouvons voir des femmes brahmanes, les femmes de brahmanes, qui ont des règles, qui tombent enceinte, qui mettent au monde des bébés qu’elles nourrissent au sein. Ces brahmanes mésinterprètent Brahma, racontent des mensonges et agissent mal. »

On entend presque rire le Bouddha dans sa barbe gréco-bouddhiste quand Vimalakīrti tourne en dérision tous les héros du « petit véhicule », transforme Śāriputra en femme etc. et inverse absolument toutes les valeurs du petit véhicule. Les auteurs de Paroles de Bouddha réagissent aux œuvres de leurs prédécesseurs. Quand ils reconnaissent de la Buddhavacana bien faite, ils la reprennent à leur compte. Quand ils l’apprécient moins, ils la réinterprètent, l’ignorent ou la parodient. Ils sont très moqueurs. Et la parodie des uns peut être reprise par d’autres et exploitée sous toutes les coutures ou poussée au bout.

L’auteur du très baroque Buddhakapāla-yoginī-tantra-rāja raconte le commencement du tantra dans le tantra même, comme une régression à l’infini. Nous assistons au nirvāṇa du Bienheureux après qu’il a enseigné tous les tantras et mantras. Il se repose alors dans le vagin de la Déesse. Vajrapaṇi le maître ésotérique s’inquiète alors et questionne la yoginī Citrasenā. Le Bouddha a enseigné toutes les innombrables méthodes diverses destinées à des individus de grand, moyen et petit mérite. Mais quid des individus sans aucun mérite du tout, les libidineux, les idiots, les médisants, les sauvages ? Quel mantra ceux-ci pourraient-ils bien réciter pour être sauvé ? La yoginī lance alors des regards lascifs à Śakyamuni, dont la tête s’ouvre et qui produit un mantra (Oṃ buddhe siddhe susiddhe amṛta arje buddha kapāla sphoṭanipātaya trāsaya hūṃ ho phaṭ). Le mantra fuse, réduit les nāgas en-dessous de la septième sphère en cendres, retourne, entre par la bouche de Citrasenā, et resort de son vagin pour finalement retourner dans le crâne du Bouddha. Le mantra est alors confié à Vajrapaṇi.

Ce tantra est comme une parodie de tantra en particulier et de la production de Buddhavacana en général. Les ficelles sont tellement grosses, qu’on ne peut pas ne pas les voir. Vous vouliez un mantra ? En voilà un ! semble-t-il vouloir dire.

Peut-être que l’auteur du Buddhakapāla-yoginī-tantra s’est inspiré de celui du Sūtra de la concentration de la Marche héroïque (Śūrāṅgamasūtra, Taishô n° 945) ? Son introduction vaut également le déplacement. Ananda était parti avec son bol d’aumônes, pour permettre à tous, quel que soit leur rang, d’accumuler du mérite. Il s’est donc aussi rendu dans le quartier des prostitués, mais « il tomba au piège d'un puissant sortilège. Par la force du mantra de Kapila, qui venait du ciel de Brahma, la fille de Matangi l'attira sur une couche impure. » Le Bouddha se trouva ailleurs au même moment, mais fut conscient du danger imminent.
« 97 Alors, l'Honoré du Monde, du sommet de son crâne, émit des centaines de rayons de lumière précieuse qui dispersent toute crainte. Au coeur de la lumière apparût un lotus aux mille pétales, sur lequel était assis un Bouddha au corps de transformation en posture de lotus complet, proclamant un mantra spirituel.
100 Le Bouddha Çakyamuni ordonna à Manjusçrì de prendre le mantra et d'aller fournir protection, et, lorsque le mauvais mantra fut dissipé, d'aider Ananda et la fille de Matangi et de les encourager à retourner là où se trouvait le Bouddha. »
Ce texte appartient au système des sūtra, dont le gardien est Mañjuśrī. C’est donc à ce dernier qu’est confié le mantra, qui doit sauver le libidineux Ananda.

L’auteur fait attention à inclure tous les ingrédients d’un sūtra, tels qu’ils furent en vogue à l’époque donc avec un mantra, mais donnera ensuite la parole au Tathāgata pour déconstruire ce type de sūtra, qui s’appuie sur la remémoration des qualités/marques du Bouddha. Le corps de transformation produit par le Bouddha pour sauver Ananda n’est pas le véritable corps du Bouddha, bien qu’il ait pu sauver Ananda… Ananda a pu être sauvé par ce qu’il avait vu de ses yeux charnels ou ses yeux de l’esprit. Mais qu’avait-il vu au juste ? S’ensuit un dialogue intéressant sur ce que c’est vraiment de voir et de voir le Bouddha ou la Pureté, et où le Bouddha montre comment retourner la vision vers l’intérieur, pour se libérer.
« 114 Ananda dit au Bouddha: «J'ai vu les trente-deux marques spécifiques de l'Ainsi-Venu, qui étaient si suprêmement merveilleuses et incomparables que son corps tout entier en avait une translucidité luisante juste comme celle du cristal.
«J'ai souvent pensé que ces marques ne pouvaient avoir été le fruit du désir et de l'amour. Pourquoi donc? Les vapeurs du désir sont fortes et enivrantes. De la copulation infecte et putride sort une trouble mixture de pus et de sang qui ne peut donner une concentration aussi magnifique, pure et brillante de lumière pourpre et or. Alors j'ai passionnément regardé en l'air, j'ai suivi le Bouddha, j'ai laissé tomber mes cheveux de ma tête» »
Le corps aux trente-deux marques du Bouddha, son sambhogakāya, est un corps pur, où le « pus et le sang » du corps impur sont une « lumière pourpre et or ». Mais il ne s’agit pas de voir l’aspect impur, ni l’aspect pur, mais de retourner la vision sur ce qui voit, et ce qui voit est également vide.
«Le Yogin versé dans les défauts (doṣa-kuśala), pour se libérer de tout développement (prapañca), s’efforce de méditer sur la vacuité (śūnyatā-bhāvanā). Par l’ampleur de cette méditation sur la vacuité, il recherche (paryeṣate) la nature propre (svabhāva) de tous ces points d’appui (āśraya) où la pensée se porte et où elle se complaît (abhiramate), et il les trouve vides (śūnya). Puis, considérant la pensée elle-même, il la trouve vide. La pensée d’où provient un tel jugement, il en recherche aussi la nature propre et la trouve vide. En comprenant ainsi, il entre dans le Yoga sans caractère (animitta). » (l’Ārya-ratnamegha, cité par Kamalaśīla dans les Etapes de la méditation)
MàJ 15072017 HUMOUR IN PALI LITERATURE. BY WALPOLA RAHULA (page 156)

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[1] BOUDDHISME CHINOIS TOME I VINAYA MONACHISME et DISCIPLINE HINAYANA, VÉHICULE INFÉRIEUR