lundi 21 novembre 2016

Les Instructions sur le Mahāyāna Uttaratantra

Maitreya enseigne les traités à Asaṅga et Vasubandhu

Klaus-Dieter Mathes
mentionne dans son article The Pith Instructions on the Mahāyāna Uttaratantra (Theg chen rgyud bla’i gdams pa)[1] la présence de ces instructions dans la Collection des écrits kadampa (tib. bKa’ gdams gsung ’bum KSB). Il s’agit d’une collection évolutive gérée par Alak Sengkar Rinpoché. Cette collection en 120 volumes de pétcha a apparemment fait l’objet d’une réédition en quatre volumes (format de livre) par l’éditeur Si khron mi rigs dpe skrun khang en 2006[2].

Le titre du texte est très évocateur ; il s’agit des instructions pour mettre en pratique le traité Mahāyāna Uttaratantra attribué au futur Bouddha Maitreya, qui fait partie d’un ensemble de cinq traités. Ce traité avait été introduit au Tibet par Rngog blo ldan shes rab (1059-1109) avec son commentaire. Cette traduction et sa transmission sont celles du « Système dialectique » (tib. mtshan nyid lugs). À cette transmission et à ce système sont opposés un autre système, dit « Système méditatif » (tib. sgom lugs), qui descendrait de bTsan Kha bo che (né en 1021). Ce ne sont pas des termes neutres, comme un simple lecteur des Chants de Milarepa pourrait le savoir. Les termes opposent une approche intellectuelle « sèche » (tib. rtog ge skam po) à une approche méditative se basant sur l’expérience directe. Il est très probable, que l’inventeur des noms des deux systèmes appartenait au « Système méditatif », et que ce système soit postérieur au système de Rngog. Celui qui dresse la classification et qui invente les catégories est logiquement celui qui a accès à l’ensemble des approches, et se situe dans une époque ultérieure.

Les traductions du « Système méditatif » furent transmises ensemble avec des « instructions » (tib. gdams pa) selon ‘Gos lotsāwa Gzhon nu dpal (1392-1481). D’après Mathes, les « Instructions sur le [Mahāyāna] Uttaratantra » ([Theg chen] rgyud bla’i gdams pa » mentionnées par ‘Gos lotsāwa correspondraient en fait au titre même du texte faisant partie du KSB. Jamgoeun Kongtrul (1813-1899) le classe dans sa description du « Système méditatif » de bTsan Kha bo che (Mathes). On prend note de ces références, mais rien ne nous indique si les Instructions sur le Mahāyāna Uttaratantra datent en effet du XIIème siècle.

Je passe outre les passages dans l’article sur le système gzhan stong qui font suite à la mention d’une liste de transmission à la fin des Instructions sur Mahāyāna Uttaratantra. Il s’agit en gros d’une tentative de faire remonter le « Système méditatif » à Maitrīpa, par le biais de bTsan Kha bo che, qui aurait été un disciple de Sajjana (le Cachemirien), à qui Maitrīpa aurait transmis le Ratnagotravibhaga (RGV), un autre nom pour le Mahāyāna Uttaratantra. Les hagiographies tibétaines présentent Maitrīpa comme le maître indien qui aurait redécouvert le RGV ensemble avec le Dharmadharmatāvibhāga. Ces éléments hagiographiques ne peuvent pas être pris au sérieux. Ils ont pour but de faire remonter les Instructions sur le Mahāyāna Uttaratantra et la vue gzhan stong (de Dolpopa) à Sajjana, Maitrīpa et finalement (et c’est l’objectif) au futur Bouddha Maitreya, pour en faire un Buddhavacana.

Les Instructions sur le Mahāyāna Uttaratantra comportent des éléments qui s’accordent mal avec l’approche et les thèmes que l’on trouve dans le Commentaire des distiques de Saraha (DG 2268) attribué à Maitrīpa/Advayavajra, et qui pourraient être indicateurs de révisionnisme hagiographique.

Voici quelques exemples en vrac :

Dans ce texte (Instructions sur le Mahāyāna Uttaratantra), Maitrīpa se nomme Maitreyanātha, sans doute pour accentuer son lien particulier avec Maitreya. Ce Maitreyanātha était très fier et se prenait pour le plus grand érudit du monde. Cela décida Bouddha Maitreya de lui donner un coup de main et lui apparut en son rêve pour lui indiquer où trouver les deux traités perdus. Cette partie est un exemple classique d’hagiographie tibétaine. Quelques éléments potentiellement anachroniques : on y trouve le terme « Introduction » (tib. ngo sprad), des multiples références aux yoga énergétique (tib. rtsa rlung), la gnose autoengendrée (tib. rang byung ye shes) en tant que élément éveillé présent dans tous les êtres comme leur nature, le mot gnose autoengendrée comme synonyme de nature de Bouddha, des éléments de guruvāda généralement plus tardifs et leur présence dans un texte plutôt mahāyāna, la mention « le guru qui montre que la Luminosité est la gnose autoengendrée, est un Bouddha », les points-vajra (que l’on retrouve plus tard chez Longchenpa), « la sagesse spontanée sera un Bouddha », le dharmadhātu en tant que l’élément lumineux parfaitement pur » (tib. chos dbyings ‘od gsal ba’i khams rang bzhin rnam par dag pa », etc. qui sont des termes qui ne correspondent pas à leur époque (XIIème s.). À creuser davantage. Le texte termine d’ailleurs en véritable hagiographie, y compris des prédictions.

On ne peut pas faire l’économie de véritables recherches philologiques sur l’authenticité des sources tibétaines, en faisant des recoupements, en étudiant la terminologie et les concepts utilisés dans certains textes et en déterminant s’ils s’accordent avec l’époque à laquelle ils sont censés avoir apparu et avec les auteurs auxquels ils sont associés. Ce qui n’est clairement pas le cas pour ces Instructions sur le Mahāyāna Uttaratantra.

On ne peut pas faire, comme le fait Mathes dans sa conclusion, comme si ces Instructions sont en effet (tout comme les cinq traités) une œuvre de Maitreya, qui remontent à Sajjana et donc à Maitrīpa, faire l’impasse sur une note critique, et prendre les éléments hagiographiques simplement comme des éléments historiques.

J’aimerais bien en savoir plus sur la Collection des écrits kadampa (tib. bKa’ gdams gsung ’bum KSB). Comment s’est-elle constituée, quand et par qui ? Admettons qu’il s’agit d’une transmission orale, qui avait été mise par écrit plus tard. Ce serait intéressant à savoir.

***

[1] The Pith Instructions on the Mahāyāna Uttaratantra (Theg chen rgyud bla’i gdams pa) – A Missing Link in the Meditation Tradition of the Maitreya Works, publié dans The Illuminating Mirror, Contributions to Tibetan Studies Edited by David P. Jackson and Franz-Karl Ehrhard, Volume 12

[2] bKa’ gdams gsung ’bum phyogs sgrig (dpe cha)
1–30. bKa' gdams gsung ’bum phyogs sgrig thengs dang po. 30 vols. (dpe cha) and 1 vol.dkar chag (book format), Si khron mi rigs dpe skrun khang, 2006. ISBN 978-7-5409-3249-X. Facsimile edition of the original manuscripts.

31–60. bKa’ gdams gsung ’bum phyogs sgrig thengs gnyis pa. 30 vols. (dpe cha) and 1 vol.dkar chag (book format), Si khron mi rigs dpe skrun khang, 2007. ISBN 978-7-5409-3431- 6. Facsimile edition of the original manuscripts.

61–90. bKa’ gdams gsung ’bum phyogs sgrig thengs gsum pa. 30 vols. (dpe cha) and 1 vol. dkar chag (book format), Si khron mi rigs dpe skrun khang, 2009. ISBN 978-7-5409-4283-0. Facsimile edition of the original manuscripts.

91–120. bKa' gdams gsung 'bum phyogs bsgrigs thengs bzhi pa. 30 vols. (vols. 91-120). Si khron mi rigs dpe skrun khang, 2015. ISBN 978-7-5409-6135-0. Facsimile reproduction of the original manuscripts.

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