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La chute des anges rebelles, Peter-Paul Rubens
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Le mot
latin « modernus » est dérivé du mot latin « modus »
(mesure), qui a pris le sens de « mode ». Ce qui est moderne est le/la
« mode » ou la « mesure » d’une certaine époque, sur laquelle
s’exprime de façon positive ou négative un groupe, qui peut se considérer moderne
ou traditionnel. Le mot « traditionnel » est d’ailleurs souvent donné
comme l’antonyme du mot « moderne ».
La première
conscience de « modernité » daterait de la Renaissance, et marquerait
une évolution par rapport au « mode » de l’antiquité et du Moyen-Âge.
Selon International
Encyclopedia of Social and Behavioral Sciences, le mot « modernus »
est utilisé depuis le Vème siècle, pour discerner ce qui est « nouveau »
et « actuel » de ce qui est « ancien » et « antique »
(du latin antiques), et « pour décrire et légitimer de nouvelles institutions,
de nouveaux codes ou de nouvelles assomptions scientifiques ».
Parallèlement,
ce qui est qualifié d’ « à la mode » ou « moderne » peut
être considéré comme un progrès (ou « progressif ») par rapport à ce
qui était « moderne » auparavant. La « modernisation » est alors
la transformation de sociétés etc. « traditionnelles » en sociétés « modernes ».
Toute évolution semble dans ce cas par définition être « moderne ». Même
le rétablissement imaginaire d’un « ancien monde » est dans ce cas « moderne »,
voire l’établissement d’un « nouveau monde », qui ressemble à deux
gouttes d’eau à une représentation du monde du XIXème siècle… Les « progressistes »
d’antan deviennent du coup ceux qui voudraient continuer à vivre dans un monde ancien,
et les traditionalistes d’antan deviennent « modernes ». En combinaison
avec la Novlangue tout devient possible. En fait, ce sont ceux qui vivent un
moment donné, en dominant leur époque, qui décident de ce qui est « moderne »
ou « à la mode ».
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La descente des modernistes, William Jennings Bryan |
Il en va un
peu autrement pour le terme « modernisme », apparu à la fin du XIXème
siècle, auquel l’affixe « -isme » donne une inclinaison péjorative. Ce
terme désigne dans divers domaines (en pouvant prendre un sens spécifique dans
chacun) un dépassement, voire un rejet, de l’ancien et/ou du traditionnel. En
premier dans le monde de l’art. A l’époque industrielle, les choses s’accélèrent,
et certains considèrent avec inquiétude des changements multiples et rapides qui
les dépassent, et que d’autres peuvent même regretter. Pour ceux-là, les mots « modernisme »
et « modernistes » (ceux qui pratiquent le modernisme) ont un sens
péjoratif.
C’est notamment
le cas dans la religion, et plus particulièrement dans
le catholicisme au début du XXème siècle. Le terme « modernisme » est
officialisé en 1907 dans l'encyclique de Pie X, sous-titrée « Lettre
encyclique du pape Pie X sur les erreurs du modernisme ». Les « modernistes »
visés sont des « progressistes », que l’on trouve parmi les philosophes,
les croyants, les théologiens, les historiens, les critiques, les apologistes et
les réformateurs ».
« Ce qui
exige surtout que Nous parlions sans délai, c'est que les artisans d'erreurs,
il n'y a pas à les chercher aujourd'hui parmi les ennemis déclarés. Ils se
cachent et c'est un sujet d'appréhension et d'angoisse très vives, dans le sein
même et au cœur de l'Église, ennemis d'autant plus redoutables qu'ils le sont
moins ouvertement. Nous parlons, Vénérables Frères, d'un grand nombre de
catholiques laïques, et, ce qui est encore plus à déplorer, de prêtres, qui,
sous couleur d'amour de l'Église, absolument courts de philosophie et de
théologie sérieuses, imprégnés au contraire jusqu'aux moëlles d'un venin
d'erreur puisé chez les adversaires de la foi catholique, se posent, au mépris
de toute modestie, comme rénovateurs de l'Église ; qui, en phalanges serrées,
donnent audacieusement l'assaut à tout ce qu'il y a de plus sacré dans l'œuvre
de Jésus-Christ, sans respecter sa propre personne, qu'ils abaissent, par une
témérité sacrilège, jusqu'à la simple et pure humanité. » Pie X.
L’encyclique
vise à extirper le mal à la racine (dans son propre sein comme ailleurs selon ses possibilités) avec des méthodes
radicales (privation de sacrements, excommunication, condamnation d’oeuvres « modernistes »
et de leurs auteurs, exclusion de séminaires et d’universités catholiques, sermon
antimoderniste, réseau de renseignement antimoderniste, …).
L’usage du
mot « modernisme », « carrefour de toutes les hérésies », ne
se réserve cependant plus au seul catholicisme. Des docteurs en études
religieuses, des bouddhologues, anthropologues etc. l’ont adopté depuis, pour
stigmatiser les bouddhistes natifs et nouvellement reconvertis, qui depuis le
XIX-XXème siècle, font des tentatives pour « moderniser » ou « reformer »
les aspects jugés trop « traditionnels » du bouddhisme. Les « réformes »
c’est très bien pour les domaines social, économique et politique, etc., mais les
religieux, très souvent, n’en veulent pas. Leurs sources de vérités et de
révélations se situent dans le passé (parfois un âge d’or), et les doctrines canoniques
sont à pratiquer fidèlement et conformément ad vitam æternam.
Le
bouddhisme est désormais une religion avec pignon sur rue, aumôniers de prison,
émissions le jour du Seigneur, et dons déductibles. Les bouddhistes qui s’éloignent
du dogme bouddhiste hardcore (karma personnel linéaire et réincarnation),
par une interprétation « lénifiante » ("Lite") seront des bouddhistes
« modernistes » ou « protestants » (le point de vue catholique
semble fournir des arguments à la bouddhologie), et par conséquent des hérétiques perdus
dans des « carrefour[s] de toutes les hérésies ».
Que des bouddhistes
pieux ou des chefs bouddhistes fondamentalistes adoptent le terme « moderniste », cela peut se comprendre, mais je ne vois pas pourquoi des universitaires étasuniens et
français, tenus à une certaine objectivité, l’utiliseraient pour disqualifier terminologiquement
des bouddhistes natifs « modernes » (toujours aussi modernes depuis le XIXème siècle …), les bouddhistes
occidentaux, ou néobouddhistes, quand ceux-ci s’éloignent trop du dogme « bouddhiste » figé,
tels que le définissent (ou pas, le plus souvent) ces universitaires.
« Le bouddhisme »
a évolué à chaque étape de « son » histoire, déjà au Magadha, du
vivant du Bouddha, selon la tradition. Il s’est adapté (« modernisé »)
dans chaque nouvelle aventure spatio-temporelle. Le dogme du karma personnel linéaire et de la réincarnation, avec l’éthique qui en découle, a été officiellement
« mis à mal » dès Nāgārjuna et le Madhyamaka, ainsi que dans des
formes de bouddhisme ésotérique. Pour une raison qui m’échappe, les
universitaires anitimodernistes ne semblent avoir comme critère (moderniste/traditionnaliste)
qu’une interprétation littérale du karma et de la réincarnation. Les actes, les
causes, la maturation des causes, leurs fruits respectifs au moment opportun, les mondes cosmographiquement localisés, les individus et les vies y sont réifiés. Ce qui semble être demandé implicitement des « bouddhistes modernistes » est d’aimer « le bouddhisme »
(tel qu’il est défini, ou non, par les universitaires anitimodernistes) ou de
le quitter, ou sinon de se taire en subissant les multiples contradictions en
silence, sans déranger les bouddhistes traditionalistes, sous peine d'être taxé de modernisme, orientalisme, colonialisme spirituel etc. Pie X n’est pas tout
à fait mort… Il est légitime de faire cette association avec l'intégrisme catholique, car pourquoi choisir cette
terminologie très marquée traditionaliste, pour disqualifier les « bouddhistes
modern(ist)es », qui souhaitent pratiquer un bouddhisme compatible avec
leur époque, au même titre que leurs frères et sœurs chrétiens, qui ne croient
peut-être pas non plus de façon littérale à la création de la terre en sept
jours, Adam et Eve, ou en la résurrection des corps ? Sont-ils pour autant
des « chrétiens modernistes », des hérétiques, des néochrétiens ? Les universitaires qui utilisent
cette terminologie disqualifiante seraient-ils au fond des traditionalistes qui
s’ignorent ? Veulent-ils choquer ou effrayer les uns, tout en faisant
plaisir à d’autres ? Veulent-ils garder les leaders bouddhistes traditionalistes en amis ? Leurs
recherches seraient-elles financées par des organisations bouddhistes (qui d'autre financerait encore des recherches dans ce domaine) ? Pourquoi
aiment-ils autant le terme « modernisme », pour l’utiliser si généreusement ?
Il n’y a pas de « modernisme » sans « traditionalisme »,
aurait d’ailleurs pu dire Nāgārjuna.
« According
to International Encyclopedia of Social and Behavioral Sciences, “the term
‘modern’ (Latin modernus) has been in use since the fifth century AD to
distinguish ‘new’ or ‘current’ from the ‘old’ or ‘antique’ (Latin antiques),
especially as a means of describing and legitimizing new institutions, new
legal rules, or new scholarly assumptions”. »