mercredi 20 octobre 2021

Le prix à payer pour Shangri-La

L'abbé Shechen Rabjam Rinpoché entouré de moines de Shechen (photo FB)

Shechen est le monastère bouddhiste tibétain au Népal fondé par Dilgo Khyentsé Rinpoché, et est actuellement géré par Shechen Rabjam Rinpoché. Shechen Kathmandou est la maison-mère. Il y a des antennes à Bodhgaya et au Tibet. Il y a au total 1.000 moines[1] dans ces monastères. Le monastère de Shechen accepte des jeunes moines à partir de l’âge de 8 ans, mais il y a aussi entre 8 et 15 jeunes moines entre 4 et 8 ans, principalement des orphelins ou des cas particuliers (vidéo). Sur ce lot de 1000 moines, on pourrait s’attendre à environ 30 “psychopathes”...[2]

Vidéo Youtube The Shechen School

Les jeunes moines sont scolarisés dans l’école de Shechen, une école où l’on apprend à la fois des disciplines séculières (science, mathématiques, informatique,...), artistiques (fabrication de tormas, danses religieuses, musique rituelle, peinture de thangkas ...) et traditionnelles (religion, liturgie, etc.). Ces enfants sont pris en charge par le monastère au niveau logement, habits, nourriture, soins médicaux etc.
Tarifs des rituels et des prières (en $)

Le monastère finance cette activité principalement par des dons (déductibles des impôts[3]) au monastère, le sponsoring d’un enfant, ou d’une nonne, des dons à l’école d’art, le sponsoring d’artistes en formation, et aussi par un Service des prières. Les fidèles partout dans le monde peuvent demander au monastère de faire des prières et des rituels à des fins spécifiques[4]. Les rituels du Service des prières permettent aux enfants de mettre en pratique ce qu’ils ont appris à l’école, un peu comme dans un stage en entreprise chez nous. 

Atelier Tormas (Kathog Centres Canada)

Il en va de même pour la fabrication de tormas nécessaires pour tous ces rituels. Comme toutes les demandes de prières et de rituels sont tarifées, et créent des revenus supplémentaires pour le monastère, les enfants peuvent dès leur plus jeune âge apprendre le métier de moine de façon ludique, tout en mettant la main à la pâte. D’autant plus que cela fait de très belles photos appréciées par les touristes assistant au rituels dans le temple. Les enfants ont en plus la chance qu’un de leurs instructeurs est à la fois un docteur en génétique cellulaire et un moine bouddhiste tibétain, féru de neuroscience, et instructeur de Pleine conscience.

L’école Shechen leur permet d’apprendre aussi bien les sciences exactes, les mathématiques, la biologie, que les sciences traditionnelles, l’astrologie, la divination, les divers rituels à faire en cas de maladies spécifiques, pour une longue vie, pour obtenir la naissance d’un fils, pour dissiper des obstacles (la mauvaise renommée[5], "pacifier" les problèmes juridiques, etc.), protéger les jeunes enfants contre des démons spécifiques, etc., cette double culture leur permettant de devenir des êtres humains à la fois modernes et ancrés dans une tradition millénaire.

Temple des enfants à OKC

Ce savoir-faire éducatif, où science et Tradition se complètent, était depuis 1974 également accessible en France, à Ogyen Kunzang Choling, centre qui “depuis le départ de Kyabjé Dilgo Khyentsé Rinpotché en 1991 [...] s’est placée sous l’autorité spirituelle de [...] de Shétchen Rabjam Rinpotché, abbé du monastère de Shétchen, ainsi que de Péma Wangyal Rinpotché”. Des jeunes enfants européens ont pu ainsi être éduquésà la tibétaine”, tout en suivant un programme détudes classique.
Après une trentaine d’années d’expérience, on peut constater que l’apprentissage du bouddhisme a été un apport considérable dans le développement des enfants. De plus, la vie du centre ayant été organisée autour d’eux, ils bénéficiaient d’une attention accrue sur tous les plans.

La valeur de cette éducation se reflète dans le rapport d’enquête sociale qui avait été effectuée à l’occasion de la demande d’ouverture de l’école privée. Ce rapport souligne le niveau de scolarité, jugé au-dessus de la moyenne, les conditions de vie, considérées comme «privilégiées», le grand degré d’épanouissement et de sérénité des enfants et leur ouverture vers le monde (plus d’informations sur notre page « Dossier »)

Nous sommes très reconnaissants envers tous les maîtres tibétains qui nous ont visités et qui nous ont toujours encouragée dans cette voie.”

“Ces activités incluent aussi le soutien à d’autres centres bouddhistes et monastères. Un accent particulier a été mis dans les années 1990 sur le développement d’infrastructures éducatives religieuses au Népal et des liens privilégiés ont été noués en ce sens avec le monastère de Shétchen
.” Source
Consécration de stupa à OKC (2019), présence de Matthieu Ricard et son abbé.

OKC contribue ainsi à financer aussi les activités de Shéchen. Le savoir-faire traditionnel va vers la France, en échange d’aide financière. Voilà pour ce qui concerne le devant du décor.

Pour que les dons affluent, il faut évidemment éviter de parler de ce qui fâche (silence et deni). Notamment de l’éducation des enfants au centre, qui ne s’est pas du tout bien passé ces trente dernières années. Pour l’envers du décor, lexpérience racontée par les enfants de la communauté OKC au Château de soleil à Castellane a été toute autre. Lama Kunzang alias Robert Spatz a fait l’objet d’une condamnation (deuxième appel en cours), ethuit plaintes ont été déposées contre un ancien « éducateur » de Château-de-Soleilsen France. Cela n'empêche pas que Lama Kunzang soit dûment authentifié par les hiérarques tibétains. 

Comment se fait-il que lorsque le bouddhisme tibétain s'installe en Occident, les statistiques sur les abus semblent plutôt correspondre à ce que l’on pourrait attendre, tandis qu’au Népal, en Inde et au Tibet, ce genre de problème ne semble pas exister dans "un bouddhisme tibétain enraciné", ou bien on n'en parle pas, y compris les convertis occidentaux qui connaissent bien ces communautés.

Shechen nous fait miroiter une culture tibétaine traditionnelle en exil en pleine vigueur comme un message d’espoir. La culture monastique traditionnelle, avec des très jeunes moines, des écoliers, des adolescents (la relève), et des moines adultes. Une école de monastère où l’on apprend les sciences et les arts traditionnelles, ainsi qu’un programme plus scolaire plus adapté aux temps modernes. Les mêmes profs peuvent-ils enseigner à la fois les sciences, l’histoire, etc. et la doctrine de Padmasambhava, le karma, la réincarnation, le bardo, etc. ? Ces enfants seront-ils capables de produire une pensée libre et critique, et de bien faire la part des choses séculières et religieuses ?

Ils participent aux rituels qui se déroulent à Shechen, dont une partie importante est financée par les requêtes de prières à toutes fins utiles, par les dons, le sponsoring, par des centres antennes en Occident et ailleurs, par le tourisme (visiteurs, Guest House). Cette “culture tibétaine traditionnelle en pleine vigueur” a un prix. Elle doit faire rêver, elle doit entretenir la vision de Shangri-la et de l’exceptionnalisme bouddhiste. Et dans sa communication, menée de main de maître, cette vision est soigneusement entretenue. D’abord, on ne parle jamais de l’envers du décor. Les abus, les 3% de “psychopathes”. Puis, on montre des moines et des moinillons heureux et souriants, grâce à vos dons. 

Centième anniversaire de Dilgo KR 5 mars 2010 à Shechen (Népal) (photos Jurek Schreiner)

De beaux grands rituels avec la présence de grands maîtres, des festivals avec des danses tibétaines, des artistes à l'œuvre, etc. Tout cela est filmé, photographié, raconté, publié, … Cette “culture tibétaine traditionnelle en pleine vigueur” a l’air si heureuse, et si en décalage avec la laideur du matérialisme, la perte des racines, et le consumérisme en Occident, et aime se proposer comme une solution.

Certains convertis occidentaux ont rêvé de faire la même chose ici, et de pouvoir ainsi offrir la même chance à leurs enfants en les confiant dès leur plus jeune âge aux lamas et leurs représentants. Les mêmes méthodes, le même programme, les mêmes rituels, les visites des grands lamas, et puis sont arrivés ces fichus abus et 3% de “psychopathes”. Pourquoi ici, et pas là-bas ? Pas de chance, ou mauvais karma ? 

C’est à se demander si plus on continue à faire miroiter la beauté, Shangri-La, d’un côté, et plus cela donne envie de l’autre, en créant une demande forte et une générosité forte. Placer des bémols à cette vision risquerait de faire s’effondrer cette demande et cette générosité dans l'exceptionnalisme bouddhiste, et à mettre en danger la “culture tibétaine traditionnelle en pleine vigueur”.

MàJ 28102021 Vice Wordl News For These Buddhist Monks, Sex Ed Starts With Safe Masturbation

It is very crucial for religious leaders to engage in topics about sexuality because they are very effective agents of change in altering behavior and attitudes of people.”


***

[1]Shechen Monasteries provide a complete education, food, shelter, and medical care for over 1000 monks in Nepal, Tibet, and India.” Source

[2](2:15) Journaliste : Mais ce qu’on comprend est que quand ce vœu de chasteté est subi très jeune et comme une contrainte, ça devient un problème.

MR : Si c’est une contrainte, c’est un poids qui se traduit par ce qu’on voit, et ce n’est malheureusement pas l’apanage des communautés chrétiennes, le bouddhisme ne fait pas exception, et dans toutes les communautés humaines, il y a 3% de psychopathes. On voit ça dans l’éducation, dans les familles, en fait le pire c’est presque dans les familles, dans le sport, le spectacle, on en voit en n’en plus finir. Ce qu’il faut, c’est accueillir les victimes, qu’elles ne soient pas laissées pour compte, des structures qui permettent de les guider, de les écouter, en temps utile, pas qu’elles aient besoin d’attendre 20 ans, 30 ans.
” Voir blog Matthieu Ricard sur l'accueil des victimes d'abus sexuel (C à vous).

[3]Your tax-deductible annual contribution of only $250 goes towards the support of a young monk or a nun and also helps to sustain the community as a whole.”

[4]The Shechen Monastery Prayer Request Service offers the opportunity to request prayers and special practices for you, your friends, or relatives who may be ill, experiencing difficulties, or who have died. Donations can also be made for specific drupchens and ceremonies and for the annual summer retreat (Yarne).” Source

[5] "17 Gyanag Kagdog (For Dispelling Obstacles of Life), 18 Mikha Dradog (Recitation for reversing infamy), 24 Dorjee Dermo (For Pacifying legal problems), 29 Jhi-pa'i Donchen Cho-nga (Dispelling the 15 Obstacles for Babies), 52 Drolma Yuldog (Tara Ceremony to Pacify Wars)," etc.

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