jeudi 28 octobre 2021

A quoi rêve un bouddhiste ?

Couronnement du roi thai Rama II

Puissé-je devenir un sauveur pour ceux qui n’en ont pas,
Un guide pour ceux qui s’engagent sur le chemin,
Une barque, un navire, un pont,
Pour ceux qui désirent traverser [la grande rivière].

Que je devienne un parc pour qui cherche un parc,
Une lumière pour qui désire une lumière,
Un lit pour qui cherche un lieu de repos ;
Pour les êtres qui désirent un serviteur, que je devienne le serviteur de tous
.”

Ainsi Shantideva.

Les jatakas et les hagiographies des grands personnages bouddhistes devraient alors être pleins d’histoires de barques, ponts, parcs, lits et serviteurs, et les fidèles bouddhistes faire le culte de ces bodhisattvas-barques, -lits et -serviteurs.

Mais c’est plutôt le contraire, les barques, lits et serviteurs ont toujours été au service des clercs bouddhistes, et les bodhisattvas choisissent de naître dans de bonnes familles (descendance royale de préférence) tant qu’à faire, et en tant que mâles de surcroît. Pourtant, ils connaissent par coeur ces vers de Shantideva, qu’ils récitent tous les jours. Les prières à souhaits ne se réaliseraient-elles pas alors ?

Il suffit de lire les hagiographies des plus grands bouddhistes, ou des bouddhistes les plus illustres, ce qui revient au même, à commencer par le Bouddha. S’il n’avait pas été un fils de roi, s’il n’avait pas été l’égal des dieux, puis même leur supérieur, mais une barque ou un serviteur, aurait-il pu avoir un culte à son nom ? Et ce culte porte évidemment la marque de la grandeur du fondateur, et de tous les grands bouddhistes après lui. Asaṅga et ceux qui le suivaient en étaient bien conscients. Seuls les bien-nés peuvent être des bodhisattvas, dignes de ce nom. Pour être respecté et écouté, disent-ils, il faut d’abord être respectable, et le monde ne respecte pas les lits et les serviteurs.
J’ai donné ce corps (les agrégats impurs) à tous les êtres,
Pour qu’ils l’utilisent selon leur bon plaisir.
Même si les autres toujours me tuent, me critiquent,
me rouent de coups et tant d’autres choses ;
Qu’ils fassent ce que bon leur semble
.”
Écoute Shantideva, t’es bien gentil, mais on essaie de gérer une religion ici ! Les bouddhistes n’aspirent pas à devenir des barques et des serviteurs ! Il faut les faire rêver, il faut qu’ils puissent devenir des bodhisattvas comme sur les jolis icônes, des Bouddhas en corps de gloire, des tulkous, des clercs et des maîtres à leur tour. Des objets de dévotion et des champs de mérite, pas une barque !

Tu les a entendus quand ils parlent de la réincarnation, qui est leur rêve américain spirituel à eux, “The sky is the limit” ? Ils pensent avoir été untel ou untel, que des noms illustres, dans une existence précédente, et leurs ambitions pour les vies futures n’ont pas de limite. D’accord, si pour que ces ambitions se réalisent, il faut réciter parfois “que je devienne le serviteur de tous”, pourquoi pas, mais il n’est pas question que cela se réalise !

CT et Perks

Et une fois “réalisé” et revenu uniquement pour le bien de tous, quand il s'agit d’adopter “des apparences nirmanakaya à travers des modalités culturelles” ("pour offenser le politiquement correct") pourquoi ne pas choisir celles qui en mettent plein les yeux : aristocrate, chef des armées, magnat de pétrole, homme d’affaires réussi, maître de l’univers (sakyong) ou autre mâle alpha. Et du point de vue de l’accumulation de mérite, servir les êtres au mieux, n’est ce pas leur donner loccasion de servir un grand bodhisattva, en les utilisant selon votre bon plaisir ? Ah Shantideva, tu n’es vraiment pas un meneur d'homme !

Ce n’est pas en leur proposant de devenir un serviteur qu’ils te suivront. C’est en les attrapant par leurs ambitions non-avouées que tu feras d’eux tes serviteurs, parole de Trungpa ! Evidemment, dans une autre vie ils guerroieront à tes côtés dans les remakes des batailles de Ling Gésar ou de Shambala, mais en attendant ils aspirent d’abord à devenir des maîtres à l’image de leur maître, le Sakyong, et de permettre à d’autres de leur servir, pour qu’eux aussi puissent un jour rejoindre le rang des maîtres. C’est cette ambition là qui est le moteur derrière leurs ambitions bouddhistes et de leur croyance en le karma, c’est cela qu'il faut leur mettre devant les yeux.

Une barque, un lit, … Mais un puits de pétrole pourquoi pas ?


DJKR au Bhoutan, Puissè-je devenir une chaise à porteurs

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