mercredi 19 octobre 2022

"Pas une coutume tibétaine"

Extrait traduit en français [Deepl retravaillé] de l'article 'Not The Tibetan Way' : The Dalai Lama’s Realpolitik Concerning Abusive Teachers, par Stuart Lachs & Rob Hogendoorn

Chogyam Trungpa Rinpoché

"Ce n'est pas une coutume tibétaine de confronter la mauvaise conduite des lamas. Nous préférons qu’ils apprennent de leurs erreurs par eux-mêmes", avait déclaré le Dalaï Lama à John Steinbeck IV et à sa femme Nancy. Nous sommes en 1989 et le fils journaliste du lauréat américain du prix Nobel et son épouse font pression sur le leader tibétain pour qu'il introduise un système de contrôle et d'équilibre, afin de contrecarrer l'abus de pouvoir des lamas, très répandu en Occident. Leurs efforts ont été vains, comme on peut le constater. Cela apparaît clairement dans les mémoires de John et Nancy Steinbeck, The Other Side of Eden : Life with John Steinbeck (2001). [1]

Au cours des années précédentes, le couple américain avait été témoin de près, du comportement destructeur de leur propre gourou bouddhiste, Chögyam Trungpa Rinpoché (né en 1939 et mort en 1987). [2] John Steinbeck IV avait rencontré Trungpa pour la première fois en 1971, et Nancy Steinbeck avait fait sa connaissance en 1975. Alors que l'alcoolisme de Trungpa était évident et bien connu, son usage de la cocaïne, du somnifère Seconal et, au moins à une occasion, du LSD, était caché à la majorité de ses disciples. Sa toxicomanie incessante et sa promiscuité prédatrice, y compris avec des mineurs, ont fait des ravages dans sa communauté de Vajradhatu à Boulder, Colorado, mais ont également servi de modèle à des abus qui ont eu lieu dans ses autres centres à travers le monde occidental. [3]

Gesar Mukpo, "Tulku" (Festival Media, 2011)

Les propres enfants de Trungpa n’ont pas été épargnés. En 1963, quatre ans après s'être évadé du Tibet à l'âge de 20 ans, Trungpa s'installa au Royaume-Uni. Il avait abandonné son fils d'un an avec la mère de l'enfant, une nonne tibétaine, dans un camp de réfugiés en Inde, où le garçon passa ses années de formation. [4] Trungpa abandonne à nouveau ce garçon en 1970, peu après l'avoir fait venir au Royaume-Uni. Trois ans plus tard, lorsque le garçon arriva aux États-Unis, Trungpa l'avait mis dans un pensionnat. [5]

Son deuxième fils fut abandonné par Trungpa quand il avait l'âge de quatre ans. C’était le premier enfant qu'il a eu avec Diana, son épouse britannique de dix-sept ans. Surnommé Taggie, il est autiste et épileptique. Taggie avait été laissé aux soins d'un groupe d’adeptes américains, sans formation et, plus tard, sous le régime "curatif" de moines tibétains aux mains dures au Sikkim, en Inde. Le troisième fils de Trungpa, fut lui aussi confié à plusieurs reprises à des gardes d'enfants occasionnels, et avait connu dix-sept écoles dans différents pays. [6] On pourrait dire que, même si les trois garçons, comme le Dalaï Lama lui-même, avaient été reconnus comme des tülkus de grands maîtres tibétains, Trungpa s'est, avec ce style d'éducation, exposé à plusieurs reprises à des accusations de mise en danger et de négligence criminelle d'un enfant. [7]

Même les animaux n'étaient pas en sécurité avec Trungpa. Des anciens adeptes ont témoigné " de sa haine étrangement superstitieuse et des mauvais traitements qu'il infligeait aux chats, de toute évidence parce qu'ils n'étaient pas suffisamment affligés par la mort du Bouddha Shakyamuni "[8]. L'ancien "maître d'hôtel" de Trungpa avait écrit au sujet des mauvais traitements infligés à un chien :
Un soir, après le dîner, Rinpoché a dit : "Prends Myson et amène-le ici." J'ai traîné le chien tremblant dans la cuisine et, suivant les instructions de Rinpoché, je l'ai assis sur le sol et lui ai couvert les yeux d'un bandeau. J'ai installé des supports avec des bougies allumées de chaque côté de sa tête. Myson ne pouvait pas bouger sa tête sans être brûlé. Rinpoché prit une pomme de terre et frappa Myson sur la tête avec. Quand le chien bougea, la fourrure de son oreille prit feu. J'éteignais les flammes. De temps en temps, Rinpoché faisait crisser sa chaise sur le sol carrelé et le frappait à nouveau sur la tête avec une pomme de terre. "Monsieur", ai-je commencé en hésitant, essayant de l'arrêter. "Taisez-vous", me dit Rinpoché, "et donnez-moi une autre pomme de terre". J'ai commencé à avoir de l'empathie pour le chien. En fait, je suis devenu le chien. On m'avait bandé les yeux et on m'avait frappé sur la tête avec une pomme de terre. Si je tournais la tête, mes oreilles se brûlaient et on entendait les crissements de la chaise sur le sol. Je pissais dans mon pantalon, j'étais ce chien qui ne pouvait pas bouger, j'étais terrifié et en même temps excité. Finalement, les crissements de la chaise et le lancer de pommes de terre ont cessé et nous avons libéré le chien tremblant, qui a couru à l'étage dans la chambre vide de Max. "C'est comme ça qu'on forme les disciples", m'a dit calmement Rinpoché. "Bon sang", ai-je pensé, "c'est plutôt barbare". Rinpoché m'avait fait changer le numéro de téléphone pour que Max [le propriétaire du chien] ne puisse pas nous appeler avant son retour. Il arriva, ses bagages à la main, inquiet de ne pas avoir pu nous joindre. Avant qu'il n'ait pu dire quoi que ce soit, Myson s'est précipité et lui a sauté dessus avec un plaisir exubérant. Rinpoché fit alors délibérément crisser la chaise de la cuisine sur le sol carrelé. Le chien terrifié sortit aussitôt de la maison et s'enfuit à travers le champ. Max était choqué et demanda : "Rinpoché, qu'avez-vous fait à mon chien ?". "Je ne vois pas de chien", avait-il répondu en me regardant. [9]
Le successeur de Trungpa

Bien que Trungpa ait certainement eu des centaines, voire plus, de disciples, il n'a désigné qu'un seul successeur, Thomas Rich, appelé Ösel Tendzin par Trungpa, qui lui donna le titre Régent Vajra. Comme son maître Trungpa, le Régent était d'une grande promiscuité. Malheureusement, il était séropositif, ce qu'il avait gardé secret, à l'exception de deux membres du conseil d'administration, risquant ainsi de transmettre le VIH aux adeptes - hommes et femmes - qu'il avait forcés. En fait, un jeune de vingt ans, le fils d'un adepte, avait contracté le SIDA à cause du Régent et en est mort. Le Régent a également eu des rapports sexuels non protégés avec des prostitués péripatéticiens. [10]

Dyan Zaslowsky, "Buddhists in U.S. Agonize on AIDS Issue"
(New York Times, 21 février 1989)

Selon le Régent, Trungpa avait discuté avec lui de sa séropositivité avant sa mort. Le régent ajouta qu'il était sorti de cette conversation avec Trungpa ayant le sentiment qu'il pouvait "changer le karma". ''Je pensais avoir des moyens de protection extraordinaires,'' aurait déclaré Tendzin lors d'une réunion de la communauté stupéfaite, qui eut lieu à Berkeley, Californie, à la mi-décembre, ''j'ai continué mes activités, comme si quelque chose allait s'en charger pour moi.''[11]

Malgré les années d'abus d'alcool, de drogue et de sexe de Trungpa et d’Ösel Tendzin, le régent qu'il s'était choisi, Kalu Rinpoché, un maître de méditation très recherché de l'école Kagyü, et Dilgo Khyentsé Rinpoché, hiérarque de l'école Nyingma du bouddhisme tibétain, et maître, érudit et poète reconnu, ainsi que d'autres grands lamas tibétains ont continué à soutenir Trungpa et son régent Ösel Tendzin - jusqu'à la mort prématurée de leurs protégés, due à l'alcoolisme et au VIH/SIDA respectivement. [12] Le Dalaï Lama les avait également soutenus.

Il y a là une certaine ironie, dans la mesure où Trungpa, son régent ainsi que les hiérarques tibétains qui les ont soutenus, en tant qu'intercesseurs et défenseurs, sont censés être tous des maîtres sages et même éveillés. Pourtant, ils semblent ignorer les limites humaines communes : la dépendance à l'alcool, aux drogues, au sexe, à l'argent et au pouvoir. Il semble également que le maintien de la bonne réputation de l'institution bouddhiste tibétaine et de celle de ses éminents maîtres était plus important pour les principaux hiérarques, y compris le Dalaï Lama, que la protection du public non averti.

Déshabillés par la force

Couverture de "The Party" (1977)

John Steinbeck IV était devenu un disciple de Trungpa au début des années 1970. [13] En tant que l'un des premiers disciples de Trungpa, John Steinbeck IV connaissait la coterie américaine de poètes et d'auteurs qui se réunissaient occasionnellement à la Jack Kerouac School of Disembodied Poetics, un département de l'Institut Naropa naissant, à Boulder, Colorado. [14] Un membre bien connu de ce groupe était le poète W.S. Merwin. [15] En 1975, lors d'une soirée d'Halloween bien arrosée, organisée dans le cadre d'un " séminaire " bouddhiste de trois mois destiné aux étudiants avancés, Merwin et sa petite amie poète Dana Naone ont été agressés physiquement et déshabillés de force, sur ordre de Chögyam Trungpa. [16]

Couverture du "Boulder Monthly" (mars 1979)

L'affaire Merwin avait fait l'objet d'une enquête et avait été rendu public au printemps 1979, juste avant la première visite historique du Dalaï Lama aux États-Unis d'Amérique. [17] Cet été-là, le magazine Tibetan Review, qui fait autorité et qui est cofinancé par l'administration en exil du Dalaï Lama à Dharamsala, avait reproduit l'article " Buddha-Gate Scandal and cover-up at Naropa publié dans “Berkeley Barb”. [18] Ce qui est sans doute encore plus important, le numéro de juillet contenait également une lettre déconcertante de Karl Springer, le responsable des affaires extérieures de Trungpa. La lettre de Springer avait été distribuée à la fin de 1978, et alléguait une prise de pouvoir et un complot de meurtre contre le 16e Karmapa par les principaux partisans du Dalaï Lama. [19]

Couverture de "Berkeley Barb"
(29 mars - 11 avril 1979)

A la recherche de bienfaiteurs

Il est inconcevable que Springer ait commencé cette campagne sans le consentement de Trungpa, car la rhétorique était clairement incendiaire. Le 16e Karmapa était le chef de la secte Kagyü, à laquelle appartenait Trungpa, tandis que le 14e Dalaï Lama est le membre le plus éminent de la secte Gelougpa. [20] Comme on pouvait s'y attendre, il s'ensuivit une vive polémique sur les conflits inter-sectaires tibétains. En effet, le brouhaha provoqué par Springer créa une diversion qui avait retenu l'attention des lecteurs de la Tibetan Review, tout au long de l'été 1979 - tandis que la conduite violente et licencieuse de Trungpa, alimentée par l'alcool et dirigée vers ses disciples occidentaux, n'était pas un sujet.
Recherche de mécènes

Le Dalaï Lama avait réagi à la bagarre et aux violences arrosées dans le cadre du "séminaire" Vajrayana de trois mois en 1975, en annulant une visite prévue à Vajradhatu, le centre de Trungpa à Boulder, lors de sa tournée aux États-Unis. Il avait ainsi échappé aux questions des journalistes sur le scandale sectaire du "Buddha-gate", et sur le prétendu complot d'assassinat contre le Karmapa. [21]

Couverture de la "Tibetan Review" (juillet 1979)

Après tout, c'était sa toute première visite en Amérique et les enjeux étaient élevés. [22] En courtisant le président Mao au début des années 1970, le président Richard Nixon avait ordonné à la Central Intelligence Agency de cesser de financer le dalaï-lama et les forces de guérilla tibétaines dans le cadre du processus de normalisation exigé par la Chine. [23] Les administrations américaines consécutives avaient alors refusé à plusieurs reprises de délivrer un visa au Dalaï Lama. Ainsi, en 1979, il était impatient de prendre pied dans la politique américaine et de chercher de nouveaux mécènes pour le Tibet.

De plus, à cette époque, la peur des chefs de sectes religieux était encore toute fraîche dans l'esprit des gens. Les meurtres-suicides de Jonestown, en Guyane, en 1978, où 918 personnes sont mortes, la plupart après avoir consommé du kool-aid contenant du cyanure, remontaient à un an à peine. [24] Si l'on interrogeait le Dalaï-Lama sur les violences et la consommation d'alcool survenues lors de la retraite Vajrayana, il ne pourrait guère éviter de rejeter sans équivoque les addictions, les allégations d'assassinat sans fondement, et le comportement violent de Trungpa, sans perdre le soutien espéré des bienfaiteurs américains à la cause tibétaine. Un rejet public du Dalaï Lama aurait également pu causer des dommages collatéraux : ses commentaires très médiatisés sur une bacchanale violente d'inspiration religieuse, dans la nudité auraient pu mettre en péril l'accréditation académique et le financement public tant recherchés de l'Institut Naropa. [25]

De toute évidence, le Dalaï Lama n'a pas voulu désavouer Trungpa et sa communauté. Les raisons en sont légion. Lui et Trungpa avaient au moins un gourou en commun : Dilgo Khyentsé Rinpoché. Ce seul fait aurait conduit le Dalaï Lama à faire preuve de retenue. [26] Mais Trungpa et lui avaient également des liens personnels, remontant aux premières années d'exil. [27] De plus, le réseau de centres bouddhistes de Trungpa à travers les États-Unis, parmi les premiers du genre, pouvait servir de "base opérationnelle" pour les futures visites du Dalaï-Lama.

Le Dalaï Lama et Chögyam Trungpa
(Dharmadhatu, New York, 1979) [photo : Jan Andersson].

Ainsi, le Dalaï Lama évita complètement Boulder, le centre d'activités de Trungpa à l'époque. Il avait donné la préférence à plusieurs rencontres privées avec Trungpa, Ösel Tendzin, et leur conseil d'administration dans leur centre Dharmadhatu à New York. De plus, la milice pseudo-militaire de Trungpa, Dorje Kasung, fournissait au Dalaï-Lama des cortèges de voitures et un service de sécurité. [28] En 1981, après que l'agitation suscitée par la mauvaise conduite de Trungpa se soit calmée, le Dalaï Lama rattrapa le temps perdu et passa une semaine avec lui et sa communauté Vajradhatu à Boulder, ce qui fut considéré comme une "grande bénédiction" par Trungpa et ses disciples. [29]

Abandonnés dans le froid

Couverture de "The Other Side Of Eden :
Life With John Steinbeck' (2001)

Lorsque John et Nancy Steinbeck demandèrent l'aide du Dalaï Lama en 1989, celui-ci était parfaitement au courant du comportement abusif de Chögyam Trungpa et de son successeur, le régent Vajra, qu’il avait tolérés pendant dix ans ou plus. En réponse à la demande des Steinbeck, il s'était contenté d'une mise en garde générale aux Occidentaux contre la conversion religieuse et leur avait conseillé "d'examiner l'enseignant avec le plus grand soin. Il existe de nombreux charlatans". Après que John Steinbeck IV ait rappelé au Dalaï Lama ce qu'il savait déjà, il lui parla de l'alcoolisme et des abus sexuels de Trungpa, et du fait qu'Ösel Tendzin avait transmis le VIH/SIDA à un jeune adepte masculin. Le Dalaï Lama répondit :
Je dirais que si vous allez suivre un maître, vous devez examiner son comportement très attentivement. Dans votre cas, avec Trungpa Rinpoché, vous aviez un lama qui buvait de l'alcool. Nous disons, dans notre tradition, qu'un lama n'est jamais censé boire. Il est arrivé que des enseignants boivent de l'alcool et prétendent le transformer en élixir. Si j'envisageais de suivre un enseignant qui boit de l'alcool et prétend pouvoir le transformer en élixir, ou des excréments en or, j'insisterais pour lui demander des preuves. S’il en fournissait la preuve, je pourrais peut-être suivre ce maître. Sinon, je ne le suivrai jamais. L'étudiant doit prendre la responsabilité d'examiner très attentivement le comportement du maître, sur une longue période. Vous ne pouvez pas vous précipiter dans ces choses. [30]
La position du Dalaï Lama projette clairement une distribution plutôt douteuse des responsabilités et des obligations de rendre des comptes entre un irréprochable Trungpa, et ses disciples supposés moins prudents. En suggérant que lui-même - le Dalaï Lama, entre tous - pourrait un jour devenir un disciple de Trungpa, il avait en fait débouté les victimes et les survivants comme ayant été "hâtifs" et irresponsables dans le choix de leur gourou. Le plaidoyer des Steinbeck pour que le Dalaï Lama prenne l'initiative pour établir un minimum de surveillance tomba dans l'oreille d'un sourd, comme en témoigne sa réponse à leur appel à l'action en 1989 :
"Je suis un adepte du non-sectarisme. J'essaie de fournir autant de motivations que possible. Je n'ai aucun intérêt à faire ma propre promotion. Il n'y a pas de centre Dalaï Lama, pas de monastère Dalaï Lama. Partout où je peux aider, je suis prêt à le faire." À notre grand désarroi, il poursuit : "Ce n'est pas une coutume tibétaine de confronter la mauvaise conduite des lamas. Nous préférons qu’ils apprennent de leurs erreurs par eux-mêmes. [31]
Après leur échanges, le couple s'est clairement senti laissé pour compte, sans le soutien que l'autorité morale du Dalaï Lama aurait pu lui apporter. Les Steinbeck étaient loin d'être des adolescents crédules à cette époque. John et Nancy avaient tous deux passé des années dans le groupe de Trungpa, et étaient donc très conscients des abus qui avaient lieu. John s'était engagé dans l'armée en 1965 et avait servi au Vietnam. Avec Sean, le fils du célèbre acteur Errol Flynn, il avait fondé Liberation News Service, un service d'information indépendant qui rendait compte de la situation au Vietnam, où John était retourné après avoir été libéré de l'armée. Il avait révélé l'histoire du massacre de Mai Lai de Seymour Hersh, et avait témoigné devant le Sénat américain de la consommation de drogues parmi les soldats au Vietnam. À la même époque, Nancy travaillait dans une clinique de désintoxication pour alcooliques.
 
En quoi leur silence est-il différent ? 

Les Steinbeck ne pouvaient en aucun cas être considérés comme des naïfs à cette époque, en 1989. Pourtant, nous les voyons prendre à cœur les paroles souvent répétées du Dalaï Lama, qui prône la tolérance, le respect, la gentillesse et la compassion. Ils pensaient donc que si lui, le bouddhiste tibétain le plus éminent et le plus respecté, savait ce qui se passait dans le bouddhisme tibétain en Amérique, lui, le Dalaï Lama, interviendrait et ferait preuve d’une certaine supervision pour remettre les choses sur le droit chemin. Malheureusement, cela ne s'est pas produit. Leur déception à l'égard du Dalaï Lama et leur appel public au Dalaï Lama et aux autres grands hiérarques du bouddhisme tibétain sont évidents dans les mots mordants des Steinbeck :
"En quoi leur dissimulation est-elle différente des décennies de secret de l'Église catholique concernant les abus sexuels de leurs prêtres sur des enfants de chœur ?" J'ai rétorqué. John et moi avons continué à être déçus car le Dalaï Lama et les autres chefs de lignée ont maintenu leur silence et n'ont pas rappelé à l’ordre les lamas renégats. En ignorant délibérément la situation, dans ce qui semble être un stratagème politique effrayant, ces divinités titulaires, ces soi-disant rois-dieux ajoutent à la confusion, au lieu de définir des directives morales claires. Leur crainte de voir la vérité éclater, ce qui pourrait vider leurs coffres monastiques, va à l'encontre de tous les enseignements et vœux qu'ils prononcent concernant "l'action juste". Ne sera-ce qu'une question de temps avant qu'ils ne suivent l'exemple des catholiques en présentant des excuses ? '[32]
En 1993, lors de la conférence des enseignants bouddhistes occidentaux qui s'était tenue dans sa résidence en Inde, le Dalaï Lama, figure centrale de la conférence, avait déclaré aux enseignants bouddhistes occidentaux à propos de Trungpa :
J'ai entendu les deux côtés. Une fois, j'ai abordé ce sujet avec mon défunt gourou Dilgo Khyentsé Rinpoché, et Khyentsé Rinpoché m'avait dit : "Il est vrai que certaines des choses qu'il avait faites sont scandaleuses et difficiles à comprendre. Mais en même temps, c'était quelqu'un qui semblait avoir un certain degré de réalisation." C'est tout ce que Khyentsé Rinpoché avait dit. L'une des choses que j'avais remarquées, c'est que la structure de son organisation semblait avoir été modelée sur les organisations japonaises. L'une des choses tristes que j'ai remarquées à propos de cette organisation particulière, c'est que j'ai rencontré des personnes qui en faisaient partie et qui semblaient vivre dans une peur et une anxiété constantes. Je ne sais pas pourquoi. Pourquoi de telles choses se produisent-elles ? Il s'agit d'une organisation bouddhiste. Elles ne devrait pas susciter une quelconque forme de peur. Mais une personne m'avait dit que lorsqu’elle faisait partie de cette organisation, elle avait ressenti de la peur. Pourquoi, je ne le sais pas. Qu'est-ce que c'était ? Je n'en sais rien. Je pense que c'est triste. [33]
Chögyam Trungpa en 1987, peu avant sa mort

De toute évidence, les paroles rassurantes de son gourou Dilgo Khyentsé Rinpoché avaient empêché le Dalaï Lama d'examiner plus en profondeur le danger, dont il avait été averti dès le début, ou la raison de la peur et de l'anxiété de certains étudiants. Peut-être insinuait-il que le problème était que l'organisation de Trungpa était calquée sur les organisations japonaises, et non tibétaines. Pourtant, sa prétendue préoccupation n'avait pas empêché le Dalaï Lama de fréquenter les centres de Trungpa dans les années 1980 à 2000. En fait, au moins jusqu'en 1993, il avait confié aux disciples américains de Trungpa la tâche d'assurer sa propre sécurité.

Avant que le gouvernement américain ne confie aux services secrets la protection du dalaï-lama lors de ses visites, les membres de la "milice" Dorje Kasung de Trungpa lui servaient de chauffeurs et d'agents de sécurité. Le Dorje Kasung ou Protecteurs du Dharma, un groupe au sein de Shambhala, avait été formé en 1977 par Trungpa. Il portait des uniformes et avait un style inspirés de l'armée britannique. Ils étaient formés pour protéger l'espace où se déroulaient les enseignements. Ainsi, au lieu de prendre ses distances, le Dalaï Lama avait choisi de dépendre de Trungpa pour sa sécurité, et d’avoir une certaine mobilité lors de ses visites aux États-Unis. [34]

***

1. Steinbeck IV, John & Nancy Steinbeck. (2001). The Other Side of Eden: Life with John Steinbeck. Amherst : Prometheus Books pp. 316-331. John Steinbeck IV (né en 1946 et mort en 1991) est un correspondant de guerre, essayiste et auteur américain, marié à Nancy Lenn Steinbeck. Il était le deuxième enfant de l'auteur John Ernst Steinbeck, lauréat du prix Nobel. Il est important de noter que la remarque du Dalaï Lama en 1989 n'avait été rendue publique qu'en 2001, lors de la sortie de The Other Side of Eden.

2. Chögyam Trungpa (Wyl. chos rgya drung pa, THLib. Chögya Drungpa) est né à Kham, au Tibet, en 1939. Il est mort d'alcoolisme aux Etats-Unis, en 1987. Katy Butler a écrit à propos de sa mort : "Lorsque Trungpa Rinpoché était mourant en 1986 à l'âge de 47 ans, seul un cercle restreint connaissait les symptômes de sa dernière maladie. Peu de gens pouvaient supporter de reconnaître que leur maître bien-aimé et brillant était en train de mourir d'un alcoolisme terminal. Même lorsqu'il gisait incontinent dans sa chambre, le ventre distendu et la peau décolorée, hallucinant et souffrant de varices, de gastrite et de varices œsophagiennes, un gonflement des veines dans l'œsophage causé presque exclusivement par une cirrhose du foie. "Rinpoché n'était certainement pas un homme ordinaire, mais il est mort comme tous les alcooliques que j'ai vus boire sans interruption", avait déclaré Victoria Fitch, un membre de son personnel de maison ayant des années d'expérience en tant qu'infirmière. "Le déni était profond", poursuit-elle. "J'ai vu sa démence alcoolique expliquée par le fait qu'il se trouvait dans le royaume des dakinis (gardiennes des enseignements, visualisées sous forme féminine). Lorsqu'il demandait de l'alcool, personne ne pouvait se résoudre à ne pas lui en apporter, même si on essayait de diluer sa bière ou de lui en apporter un peu moins. Dans cette dernière période de sa vie... il ne pouvait plus marcher de manière autonome.'' Butler, Katy. (1990). Encountering the Shadow in Buddhist America. The Common boundary, (8), pp. 14-22. Voir également : Varvaloucas, Emma. (2018). Same Old Story in a New World. Tricycle : The Buddhist Review. Consulté le 17 avril 2021 ; Remski, Matthew. (2018). Pema Chödrön à propos de Trungpa en 2011 : " Pema Chödrön on Trungpa in 2011: “I Cant Answer the Relative Questions". Consulté le 17 avril 2021. Pour des discussions sur la mort de Trungpa, voir Fields, Rick. (1991). The Changing of the Guard. Tricycle : The Buddhist Review, hiver 1991 ; Remski, Matthew. (2020). Survivors of an International Buddhist Cult Share Their Stories. Consulté le 8 avril 2022.

3. Vajradhatu et son organisation sœur, l'Institut Naropa, ont été fondées et constitués en société à Boulder, Colorado, aux États-Unis d'Amérique, en 1974. Légalement distinctes, les organisations avaient des dirigeants et des conseils d'administration communs. John et Nancy Steinbeck notent spécifiquement que Chögyam Trungpa est " très dépendant (une dépendance à la cocaïne coûtant 40 000 dollars par an, un penchant pour le [somnifère] Seconal et des litres de saké) ". Ibid. Leslie Hays était l'une des sept sangyum (Wyl. gsang yum, "consort secrète") que Trungpa a "épousées" en cinq mois en 1984. Elle a corroboré la consommation présumée de cocaïne - nom de code "tabi" - et les relations sexuelles de Trungpa avec des mineurs dans plusieurs publications sur Facebook. Hays, Leslie. (2018). Tabi. Facebook. Consulté le 3 avril 2021 ; Hays, Leslie. (2019). Ciel. Facebook. Consulté le 3 avril 2021. Andrea Winn, de même, a corroboré la consommation de cocaïne de Trungpa : Winn, Andrea M. (2019). How I decided to end my guru relationship with Trungpa Rinpoche. Andreamwinn.com. Consulté le 3 avril 2021. Vajradhatu a été renommé Shambhala en février 2000. En 2018, le fils de Chögyam Trungpa, Sakyong Mipham Rinpoché (né en 1962, voir note de fin de texte 52), avait démissionné au milieu d'allégations d'abus sexuels qui ont été corroborées par le Buddhist Project Sunshine d'Andrea Winn. Ce projet souligne, entre autres problèmes, l'abus généralisé d'enfants par des hommes plus âgés en position de pouvoir dans l'organisation Shambhala. Winn, Andrea M. (2018). Le Buddhist Project Sunshine. Consulté le 3 avril 2021. Voir aussi : Newman, Andy. (2018, 11 juillet). TheKingof Shambhala Buddhism Is Undone by Abuse Report. The New York Times Consulté le 3 avril 2021.

4. Selon le code de conduite disciplinaire Mulasarvastivadin pour les moines novices et pleinement ordonnés, les rapports sexuels constituent une "défaite" irrémédiable. Par la suite, il est impossible de revenir au statut de moine. Voir : Auteur inconnu. (2010). Ordination in the Tibetan Buddhist Tradition. Dalailama.com. Consulté le 3 avril 2021. Trungpa, par conséquence, avait perdu son statut de moine en 1962 en engendrant un fils avec Könchok Päldron, une jeune nonne tibétaine : Ösel Rangdrol Mukpo. Cependant, Trungpa conserva les apparences comme s'il était toujours moine jusqu'en 1970. En janvier 1970, il épouse la fille d'un avocat de 16 ans, Diana Judith Mukpo (née Pybus le 8 octobre 1953). Flintoff, John-Paul. (2012). Did I know you in a past life? The Guardian. Consulté le 3 avril 2021. Trungpa et Diana ont eu des relations sexuelles lors de sa toute première visite dans sa chambre, fin octobre 1969, alors qu'il se remettait d'un accident de voiture. Elle venait d'avoir seize ans. Mukpo, Diana J. et Carolyn R. Gimian. (2006). Dragon Thunder : Ma vie avec Chögyam Trungpa. Boston : Shambhala. p. 16.

5. À la fin de 1969, Trungpa fit venir Ösel Mukpo au Royaume-Uni et laissa le garçon à la dure - ou selon l'euphémisme de Diana Mukpo : "archaïque" - garde des moines de son centre Samye Ling dans le Dumfriesshire, en Écosse. Lorsque Trungpa et Diana déménagent aux Etats-Unis d'Amérique en mars 1970, ils laissent Ösel à Samye Ling. Il rejoindra la maison de son père deux ans plus tard, pour être envoyé en pension à Ojai, en Californie, jusqu'en 1976. Mukpo, Diana J. et Carolyn R. Gimian. (2006). Dragon Thunder: My Life with Chögyam Trungp. Boston : Shambhala. pp. 45, 87, 95, 116-120. Ösel Mukpo s'est ensuite fait connaître sous le nom de Mipham Rinpoché, le Sakyong (Wyl. sa skyong, " roi ") de l'organisation Shambhala. Il a démissionné en 2018, suite aux allégations d'abus sexuels (voir note de fin de texte 52).

6. Après leur mariage, Diana tomba rapidement enceinte et donna naissance au deuxième fils de Trungpa, Tendzin Lhawang Tagdrug David Mukpo, surnommé "Taggie" ou "Tagi", le 9 mars 1971. Un autre fils, Gesar Tsewang Arthur Mukpo, est né le 26 avril 1973. Quelques semaines plus tard, Dilgo Khyentsé Rinpoché détermine en rêve que Gesar est le trülku de Sechen Jamgön Kongtrul. Pendant son mariage avec Diana, Trungpa avait régulièrement des relations sexuelles avec un grand nombre de jeunes femmes et entretenait un harem de concubines.

7. Finalement, chacun des garçons avait été reconnu trülku, c'est-à-dire une (ré)incarnation ou une émanation de maîtres bouddhistes décédés. En 1979, le fils de Trungpa, Ösel Rangdrol Mukpo (voir notes 52 et 54), fut rétroactivement reconnu comme trülku par Penor Rinpoché (contraction wylique de pad+ma nor bu, né en 1932 et mort en 2009), chef de la tradition Nyingma. Peu de temps après la naissance de Taggie Mukpo, le 16ème Karmapa Rangjung Rikpé Dorjé (Wyl. karma pa rang byung rig pa'i rdo rje, né en 1924 et mort en 1981) envoya à Trungpa une lettre du Sikkim pour lui dire qu'il avait reconnu le garçon comme un trülku, c'est-à-dire non vu. Le Karmapa avait déterminé plus tard que le garçon - qui est autiste et épileptique - souffrait de la "maladie du trülku" parce qu'il n'était pas formé de manière traditionnelle. Le Karmapa avait insisté sur le fait qu'il guérirait par son intronisation et une éducation monastique à Rumtek, au Sikkim. Taggie avait été envoyé vivre dans un monastère du Sikkim entre 1977 et 1987, après quoi les moines l'avaient remis aux soins des étudiants de Trungpa, c'est-à-dire qu’il ne fut pas soigné de façon adéquate. Il est aujourd'hui pupille de l'État du Vermont.

8. Montgomery, Dan. (2018). Samaya and the World of Shambhala.. Tricycle : The Buddhist Review. Consulté le 3 avril 2021.

9. Perks, John R. (2004). The Mahāsiddha and His Idiot Servant. Putney : Crazy Heart. pp. 60-61. Leslie Hays a raconté une histoire similaire impliquant un chat. Hays, Leslie. (2018). The cat story. Facebook. Consulté le 3 avril 2021.

10. Zaslowsky, Dyan. (1989, 21 février). Buddhists in U.S. Agonize on AIDS Issue. The New York Times, p. A14. Consulté le 3 avril 2021 ; Butler, Katy. (1990). Encountering the Shadow in Buddhist America. The Common Boundary, (8), pp. 14-22. Ösel Tendzin (anciennement connu sous le nom de Thomas Rich) est né dans le New Jersey, aux États-Unis, en 1943. Il est mort du VIH/SIDA en 1990.

11. Zaslowsky, Dyan. (1989, 21 février). Buddhists in U.S. Agonize on AIDS Issue. The New York Times, p. A14. Voir également Lachs, Stuart. (2019). Tibetan Buddhism Enters the 21st Century: Trouble in Shangri-la. Openbuddhism.org Consulté le 3 avril 2021.

12. Pour une biographie de Kalu Rinpoché (Wyl. kar lu rin po che, né en 1905 et mort en 1989), voir Gardner, Alexander. (2021). Kalu Rinpoché Karma Rangjung Kunkhyab : b.1905 - d.1989. Treasury of Lives. Consulté le 14 avril 2021. Pour une biographie de Dilgo Khyentsé Rinpoché, voir : Gardner, Alexander. (2009). Dilgo Khyentsé Tashi Peljor : en 1910 - mort en 1991. Treasury of Lives. Consulté le 14 avril 2021. Pour des discussions sur leurs approbations de Chögyam Trungpa, voir : Auteur inconnu. (Date inconnue). Kalu Rinpoches Instructions to the Sangha of Trungpa Rinpoche—1988. Consulté le 3 avril 2021 ; Kalu Rinpoché. (1988). Talk to the LA Dharmadhatu: 22 December 1988. Consulté le 28 août 2022 ; Auteur inconnu. (Date inconnue). Letters of the Current Situation. Chroniques de Chögyam Trungpa Rinpoché. Consulté le 3 avril 2021. Krupnick, Robert. (Date inconnue). Vajra Regent Ösel Tendzin Library & Archives: About Us. Consulté le 3 avril 2021. Selon Alexander Gardner, Dilgo Khyentsé Rinpoché a tardivement ordonné à Ösel Tendzin de " battre en retraite, bien qu'il ait refusé d'abandonner le contrôle de l'organisation ". Gardner, Alexander. (2021). Le onzième Trungpa, Chogyam Trungpa : en 1939, mort en 1987. Treasury of Livess. Consulté le 3 avril 2021. Le 16e Karmapa est mort en 1981, mais il n'a jamais pris publiquement ses distances avec Chögyam Trungpa non plus.

13. Steinbeck IV, John & Nancy Steinbeck. (2001). The Other Side of Eden: Life with John Steinbeck. Amherst : Prometheus Books. pp. 27-32.

14. Les Steinbeck écrivent : " Le département de poésie de Naropa, la Kerouac School of Disembodied Poetics, a organisé un festival Kerouac d'une semaine cet été-là [1982]. Tous les poètes du premier été à Naropa étaient de retour et cette fois, Ginsberg et Corso, Ferlinghetti, William Burroughs, Kesey et Norman Mailer traînaient chez nous. Une société de production vidéo les filmait quotidiennement dans notre salon. Steinbeck IV, John & Nancy Steinbeck. (2001). Le festival Kerouac. Dans The Other Side of Eden : Life with John Steinbeck. Amherst : Prometheus Books pp. 188-194. Les poètes les plus importants de ce groupe étaient Robert Bly, William Burroughs, Gregory Corso, Allen Ginsberg, W.S. Merwin, Ed Sanders, Gary Snyder et Anne Waldman.

15. William Stanley Merwin (né en 1927 et mort en 2019) a été deux fois poète lauréat. Auteur inconnu. (Date inconnue). About W.S. Merwin. Merwinconservancy.org. Consulté le 3 avril 2021.

16. Pour des discussions approfondies sur ce que l'on a appelé " l'affaire Merwin " ou " les guerres poétiques de Naropa ", voir : Investigative Poetry Group. (1977). The Party: A Chronological Perspective on a Confrontation at a Buddhist Seminary. Woodstock: Poetry, Crime, & Culture Press. En 1977, John Steinbeck IV a été interviewé au sujet de l'affaire par Al Santoli du Investigative Poetry Group. Steinbeck a rencontré Merwin pour la première fois à l'automne 1974 au centre Dharmadhatu de Chögyam Trungpa à New York. Ibid. p. 17, 18, 20. Voir aussi : Clark, Tom. (1980). The Great Naropa Poetry Wars : With a copious collection of germane documents assembled by the author. Santa Barbara : Cadmus Editions ; Steinbeck IV, John & Nancy Steinbeck. (2001). Introduction. Dans The Other Side of Eden : Life with John Steinbeck. Amherst : Prometheus Books. pp. xix-xxviii. Après que Merwin et Naone eurent quitté le séminaire de 1975, peu avant sa fin, un jeune garçon mourut dans la chambre qu'ils occupaient. Avec le recul, Diana, la femme de Trungpa, place cette tragédie dans le contexte de l'affaire Merwin et de la lutte contre le handicap de leur propre fils Taggie : D'une certaine manière, cet incident était lié pour moi à ce qui se passait avec Taggie. C'était une période tellement difficile dans nos vies. D'une certaine manière, Rinpoché était confronté à une énergie extrême et apparemment irréalisable au séminaire, tandis que je me heurtais à un mur de folie (selon son expression) en ce qui concerne Taggie et notre vie de famille. En fait, dans un scénario sans rapport avec les énergies sombres que j'ai décrites, un enfant est mort à la fin du séminaire de 1975 de complications d'asthme alors qu'il dormait dans la chambre de l'hôtel où Merwin et Dana avaient séjourné. (Bien qu'ils soient restés pour la dernière conférence du séminaire, ils étaient partis un peu plus tôt que les autres)'. Mukpo, Diana J. & Carolyn R. Gimian. (2006). Dragon Thunder: My Life with Chögyam Trungpa. Boston: Shambhala. pp. 192, 211.

17. Le conférencier invité Ed Sanders et sa classe à l'Institut Naropa ont enquêté sur la question et ont rédigé un rapport détaillé en septembre 1977. Des copies de ce rapport ont largement circulé à Boulder jusqu'en août 1978, date à laquelle Sanders et sa classe ont décidé de le publier. Un long extrait est paru dans le Boulder Monthly en mars 1979. Investigative Poetry Group. (1979). The Party: A chronological perspective on a confrontation at a Buddhist seminary. Boulder Monthly, 1 (5), pp. 24-40. Le même numéro contenait une longue interview d'Alan Ginsberg sur le scandale : Clark, Tom. (1979). When the Party's Over : An interview with Alan Ginsberg. Boulder Monthly, 1 (5), pp. 41-51. Le même mois, Tom Clark, rédacteur en chef du Boulder Monthly, fait un reportage sur l'affaire et sa dissimulation dans le Berkeley Barb sous le pseudonyme de Robert Woods. Woods, Robert. (1979). “Buddha-Gate” Scandal and cover-up at Naropa revealed. Berkeley Barb, 28 (13), pp. 1, 4. Voir aussi : Spaed, Sam. (1979). Buddha-Gate Revisited. Berkeley Barb, pp. 1, 6. En 1980, Clark a publié une histoire complète des événements : Clark, Tom. (1980). The Great Naropa Poetry Wars : With a copious collection of germane documents assembled by the author. Santa Barbara : Cadmus Editions. Voir aussi : Goldman, Sherman. (1976). Robert Bly on Gurus, Grounding Yourself in the Western Tradition, and Thinking For Yourself : An Interview. East/West Journal, pp. 10-15 ; Marin, Peter. (1979). Spiritual Obedience: The transcendental game of follow the leader. Harper’s Magazine, pp. 43-58 ; Reed, Ishmael. (1978). American Poetry : A Buddhist Take-over ? Black American Literature Forum, 12 (1), pp. 3-11.

18. Voir note de fin de document 66. Le Dalaï Lama a visité les États-Unis entre le 3 septembre et le 21 octobre 1979.

19. Auteur inconnu. (1979).The Nadir of Sectarian Squabbles. Tibetan Review, 14 (7), pp. 10-14. Voir aussi : Auteur inconnu. (Date inconnue). Le Seizième Karmapa : Rangjung Rigpe Dorje. Kagyuoffice.org. Consulté le 3 avril 2021.

20. Chögyam Trungpa était affilié à la fois aux sectes Kagyü et Nyingma du bouddhisme tibétain.

21. Vajradhatu était le nom de l'organisation faîtière de Trungpa de 1973 à 1990. Le terme a une riche signification dans le bouddhisme Vajrayana ou tantrique. Bernie Simon écrit que Karl Springer a ensuite présenté ses excuses au Dalaï Lama au nom de la communauté Vajradhatu de Trungpa : "Le Dalaï Lama avait demandé des excuses et n'était pas satisfait des demi-excuses que Karl Springer avait écrites au nom de Vajradhatu. Le Dalaï Lama avait donc annulé son projet de visite à Boulder, ce qui était un énorme embarras pour Vajradhatu et Karl Springer personnellement". Quelques années plus tard, selon M. Simon, M. Springer avait critiqué la visite du Dalaï Lama au centre Vajradhatu de Washington, D.C., après le départ du leader tibétain. Simon, Bernie. (2003). The Dalai Lama's Plumber. Carelesshand.nfshost.com. Consulté le 3 avril 2021. Pour les réponses à la lettre de Springer par le représentant du Dalaï Lama à New York et son secrétaire à Dharamsala, voir Author unknown. (1979). The Nadir of Sectarian Squabbles. Tibetan Review, 14 (7), pp. 10-14.

22. Jeffrey Hopkins, qui était l'interprète du Dalaï Lama lors de cette tournée, écrit que Tenzin Tethong, ancien chef du Bureau du Tibet à New York, "avait constitué un comité pour organiser les détails de la visite, qui s'est concentré sur le contenu des conférences et a évité tout battage médiatique". Gyatso, Tenzin (le quatorzième Dalaï Lama). (2006). Kindness, Clarity, and Insight: The Fourteenth Dalai Lama, His Holiness Tenzin Gyatso (Revised and updated ed.). Ithaca: Snow Lion Publications. p. 8.

23. Pour des discussions approfondies sur la collaboration militaire des exilés tibétains avec la Central Intelligence Agency, voir : Mullin, Chris. (1975). Tibetan Conspiracy. Far Eastern Economic Review, 89 (36), pp. 30-34 ; Mullin, Chris. (1978). The Question of Tibet: Tibet and the I.C.J. China Now, May-June 1978, pp. 12-13; Author unknown. (Date unknown). The Shadow Circus: The Cia in Tibet. Retrieved April 3, 2021; Sonam, Tenzing & Ritu Sarin. (2001). The Shadow Circus. Dharamsala: White Crane Films; Conboy, Kenneth & Morrison, James. (2002). The CIA’s Secret War in Tibet. Lawrence: University Press of Kansas; Dunham, Mikel. (2004). Buddha’s Warriors: The Story of the CIA-backed Tibetan Freedom Fighters, the Chinese Invasion, and the Ultimate Fall of Tibet. New York: Jeremy P. Tarcher/Penguin; McGranahan, Carole. (2006). Tibet’s Cold War: The CIA and the Chushi Gangdrug Resistance, 1956-1974. Journal of Cold War Stories, 8 (3), pp. 102-130; McGranahan, Carole. (2010). Arrested Histories: Tibet, the CIA, and Memories of a Forgotten War. Durham: Duke University Press; Vivas, Maxime. (2012). NGOs and the CIA. In Behind the Smile: The Hidden Side of the Dalai Lama (Kindle ed.). San Francisco: Long River Press.

24. Dans son interview sur l'affaire Merwin dans le Boulder Monthly de mars 1979, Alan Ginsberg fait référence à plusieurs reprises au massacre de Jonestown, en Guyane. Clark, Tom. (1979). When the Party's Over : An interview with Alan Ginsberg. Boulder Monthly, 1 (5), pp. 41-51 ; Clark, Tom. (1980). The Great Naropa Poetry Wars : With a copious collection of germane documents assembled by the author. Santa Barbara : Cadmus Editions. pp. 52-67.

25. Hunter, Ann. (2008). The Legacy of Chögyam Trungpa Rinpoche at Naropa University: An Overview and Resource Guide. Boulder : Naropa University. p. 8. Daniel Seitz écrit : " L'obtention d'une accréditation régionale était un objectif précoce : en 1978, Naropa avait obtenu le statut de candidat auprès de la North Central Association of Schools and Colleges (aujourd'hui la Higher Learning Commission), et avait reçu l'accréditation en 1985. En 1999, l'Institut Naropa changea de nom pour devenir l'Université Naropa afin de refléter l'expansion de ses programmes académiques". Seitz, Daniel. (2009). Integrating Contemplative and Student-Centered Education: A Synergistic Approach to Deep Learning. University of Massachusetts, Boston. pp. 184-185. Le Parti parle d'Allen Ginsberg, cofondateur de l'Institut Naropa : "Ginsberg, craignant de perdre une subvention de 4 000 dollars accordée à l'école Kerouac par le National Endowment for the Arts, a réagi en lançant le "Merwin cover-up" (connu plus tard sous le nom de "Buddha-gate"). Il contacta à la fois [Robert] Bly et Merwin et leur demanda d'informer le NEA qu'il n'y avait aucun lien entre la mauvaise conduite présumée de Trungpa et Naropa ou l'école Kerouac ". La demande de subvention a été rejetée. Groupe de poésie d'investigation. (1977). The Party: A Chronological Perspective on a Confrontation at a Buddhist Seminary. Woodstock: Poetry, Crime, & Culture Press. p. 26.

26. Il semble probable que Chögyam Trungpa et le 14e Dalaï Lama aient tous deux reçu occasionnellement les mêmes enseignements, initiations ou transmissions de pouvoirs tantriques de Dilgo Khyentse Rinpoché et d'autres maîtres tantriques. Dans ce cas, leur relation aurait été régie par l'interdiction tantrique de critiquer un "frère vajra" ou leur gourou tantrique commun.

27. En 1960, le Dalaï Lama nomma Chögyam Trungpa conseiller spirituel des étudiants de la Young Lamas' Home School en Inde. Pendant cette période, Trungpa eut un enfant avec Könchok Päldron, une jeune nonne tibétaine (voir note 53). Trungpa garda le silence sur cette grossesse et occupa cette fonction jusqu'en 1963, date à laquelle il reçut une bourse pour étudier à l'Université d'Oxford au Royaume-Uni. Revenant sur les événements de l'époque, Diana Mukpo, la veuve de Trungpa, écrit : "À cette époque, Rinpoché reçoit une bourse Spaulding pour étudier à l'Université d'Oxford. Cette bourse lui a été accordée grâce à l'intercession de Freda Bedi et de John Driver, un Anglais qui a enseigné l'anglais à Rinpoché en Inde et l'a aidé à poursuivre ses études à Oxford. La Tibet Society du Royaume-Uni l'a également aidé à obtenir la bourse. Pour aller en Angleterre, Rinpoché avait besoin de la permission du gouvernement du Dalaï Lama. Ils ne l'auraient jamais autorisé à partir, s'ils avaient eu connaissance de son indiscrétion sexuelle, et je ne pense pas que cela aurait été très bien perçu par la Tibet Society ou ses amis anglais à New Delhi. Konchok Paldron et lui ont gardé leur relation secrète, et il a fallu attendre longtemps avant que l'on sache que Rinpoché était le père de son enfant. Cela lui a causé beaucoup de peine, même si je pense aussi qu'il n'avait pas encore totalement pris conscience des implications de la direction qu'il prenait dans ses relations avec les femmes. À cette époque, malgré les incohérences de son comportement, il semblait encore penser qu'il pouvait réussir sa vie en tant que moine'. En 1971, le Dalaï Lama avait donné son nom aux deuxième fils de Trungpa, Taggie Mukpo (voir notes 55 et 56). Mukpo, Diana J. & Carolyn R. Gimian. (2006). Dragon Thunder: My Life with Chögyam Trungpa. Boston: Shambhala. pp. 72, 132.

28. Diana Mukpo, la veuve de Chögyam Trungpa, écrit : "En septembre 1979, Sa Sainteté le Dalaï Lama a effectué sa première visite en Amérique. Les membres du Dorje Kasung [les gardes du corps de Chögyam Trungpa] ont été très impliqués dans cette visite. Ils ont organisé des cortèges pour le groupe de Sa Sainteté partout où il se rendait en Amérique du Nord, et ils ont travaillé avec les forces de l'ordre locales dans les grandes villes pour aider à contrôler la foule et, en général, assurer la sécurité de Sa Sainteté et de son entourage. Trungpa a demandé à Karl Springer d'accueillir Sa Sainteté au nom de Rinpoché lorsque le Dalaï Lama est arrivé à New York le 3 septembre. M. Springer a voyagé dans de nombreuses villes avec Sa Sainteté afin de s'assurer que le protocole approprié était respecté. Au début du mois d'octobre, lorsque Sa Sainteté est revenue à New York, Rinpoché, le Régent et l'ensemble du conseil d'administration de Vajradhatu se sont rendus à New York pour le rencontrer. Rinpoché estimait qu'il était extrêmement important pour ses étudiants les plus âgés de rencontrer le Dalaï Lama, qu'il n'avait pas vu depuis plus de dix ans. Sa Sainteté et Rinpoché ont eu plusieurs entretiens privés pendant la visite. Rinpoché était très heureux que cette grande figure spirituelle et le leader du monde tibétain posent enfin le pied sur le continent américain. J'étais malheureusement absent pendant une grande partie de cette visite, mais j'ai pu rencontrer et passer du temps avec Sa Sainteté à New York juste avant son départ d'Amérique du Nord. J'arrivais d'Europe pour assister à l'Assemblée Kalapa et passer du temps avec Rinpoché. Bien que Sa Sainteté n'ait pas pu s'arrêter à Boulder lors de sa première visite, lorsqu'il est revenu à l'été 1981, il a passé environ une semaine avec notre communauté, ce qui fut une grande bénédiction pour tous." Mukpo, Diana & Carolyn Gimian. (2006). Dragon Thunder: My Life with Chögyam Trungpa. Boston: Shambhala (pp. 320-321). For an extensive discussion of the Dalai Lama’s first visit to the US, see Andersson, Jan. (1980). The Dalai Lama and America. The Tibet Journal, 5 (1/2), pp. 48-63.

29. Mukpo, Diana & Carolyn Gimian. (2006). Dragon Thunder: My Life with Chögyam Trungpa. Boston: Shambhala (pp. 320-321). Tom Clark suggère que les disciples de Trungpa ont acheté en masse le numéro de mars 1979 du Boulder Monthly, afin de retirer de la circulation autant de numéros que possible. Clark, Tom. (1980). The Great Naropa Poetry Wars : With a copious collection of germane documents assembled by the author. Santa Barbara : Cadmus Editions. p. 38. En 1981, le Dalaï Lama a enseigné à l'Institut Naropa et à l'Université du Colorado à Boulder. Gyatso, Tenzin (le quatorzième Dalaï Lama). (2006). Kindness, Clarity, and Insight: The Fourteenth Dalai Lama, His Holiness Tenzin Gyatso (Revised and updated ed.). Ithaca: Snow Lion Publications. p. 207-216.

30. Steinbeck IV, John & Nancy Steinbeck. (2001). The Other Side of Eden: Life with John Steinbeck. Amherst: Prometheus Books. pp. 316-331.

31. Ibid. Une fois encore, notez que la remarque du Dalaï Lama a été faite en 1989 et est restée inédite jusqu'en 2001.

32. Ibid.

33. L'intégralité de la conversation peut être regardée en ligne : Auteur inconnu. (1993). The Western Buddhist Teachers Conference with H.H. the Dalai Lama Frome : Meredian Trust.

34. Voir note de fin de document 77. Mukpo, Diana J. & Carolyn R. Gimian. (2006). Dragon Thunder: My Life with Chögyam Trungpa. Boston: Shambhala. p. 320 ; Shepherd, Harvey. (1993, 3 juillet). Le Dalaï Lama avait plus à dire que l'espace ne le permettait. The Gazette, p. H6 ; Smith, Kidder. (2001). Transmuting Blood and Guts: My Experiences in the Buddhist Military. Tricycle : The Buddhist Review. Consulté le 3 avril 2021.





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