lundi 3 octobre 2022

Des "déviances" normatives ?

Nāropa, détail (site Drikung)

Il est rappelé sans cesse aux bouddhistes tibétains (BT) engagés dans le vajrayāna que la relation (samaya) qu’ils entretiennent avec leur maître initiateur devrait être selon le modèle de Tilopa et Nāropa, Marpa et Milarepa, ou encore Padmasambhava et Yeshe Tshogyal. Aucun de ses “modèles” n’est basé sur les relations réelles de ces personnages légendaires fictifs, créés dans des oeuvres hagiographiques, écrites plusieurs siècles après la mort des personnages (historiques ou non), dont ils portent les noms.

Le genre littéraire hagiographique

Les hagiographies (rnam thar) telles que nous les connaissons sont un genre qui est apparu au XV-XVIIème siècle au Tibet, notamment dans les milieux yogi dits “smyon-pa”, fous, dans le sens de “fous divins”. 
gTsang-smyon, ou le fou du Tsang, fut une des figures phares du mouvement smyon-pa. Les smyon-pa pourraient être considérés comme des yogi par excellence, qui abandonnent toutes les conventions, et se laissent aller à toutes les excentricités, acceptant l'existence sous toutes ses formes, pour mieux s'en détacher totalement. Ce phénomène smyon-pa fleurit au Tibet au XV° siècle, époque de réformes religieuses, et de systématisation doctrinale. Le but était de marquer une opposition aux Gelukpa et à la réforme de Tsongkhapa, le tout en tentant de remotiver les Kagyupa, contre les lignées héréditaires, et en faveur de la simple transmission de maître à disciple.” (site aaoarts[1])
L’opposition n’était pas uniquement extra-sectaire (Gelukpa), mais surtout intra-sectaire, adressée aux “amis spirituels” (tib. dge bshes skt. kalyāṇamitra) Kadampa, dont la lignée de Gampopa était issue[2]. On trouve des traces de cette opposition dans les Chants de Milarepa, notamment le chapitre 42, La conversion du moine scolastique Loteun. Il s’agissait pour les “yogis fous” hagiographes surtout de faire la promotion des pratiques de la lignée de Nāropa. Des hagiographies plus anciennes de Milarepa, Marpa et Nāropa (attribuées à Gampopa) étaient nettement plus sobres et ennuyeux...

Les hagiographies de Nāropa, Marpa et Milarepa que nous connaissons le mieux, sont en majorité des oeuvres (XV-XVIIème s.) de la mouvance des “yogis fous” smyon-pa et font la promotion de leurs pratiques emblématiques. Les yogis hagiographes ont réussi à imprimer leurs marques sur les lignées Kagyu[3] et à imposer avec talent leur genre de l’hagiographie “picaresque[4]” à toutes les écoles tibétaines. Ce genre cherche à marquer l’esprit du lecteur par des paroles et gestes inattendus, des comportements transgressifs, et de l’humour. En lisant ce type d’hagiographie, les faits et gestes ne correspondent pas toujours à celui d’un saint, ou d’un ami de bien, au contraire.

Les trois hagiographies mentionnées ci-dessus soulignent l’importance de la relation maître à disciple, le service au maître, la totale foi en le maître, quels que soient ses actes, ainsi que la sujétion à la lignée. Un des textes fondamentaux expliquant le service au lama est “Les Cinquante stances du service au Maître (skt. Gurupañcaśika tib. bla ma lnga bcu pa), un texte médiéval bouddhiste ésotérique attribué à Aśvaghoṣa. Les hagiographies montrent comment le service au lama devrait se traduire dans la vie de disciples illustres, qui grâce à leur maître sont devenus des maîtres à leur tour. Il se trouve que ce même maître médiéval, Aśvaghoṣa, serait également l’auteur d’un texte considéré comme une source importante pour les voeux principaux (sbom pa) et supplémentaires (yan lag) du vajrayāna, comme p.e. le Vajrayānapattimañjarī (tib. yan lag gi dam tshig, Tengyur Beijing Q3309).

Si ces hagiographies étaient simplement prises comme un genre littéraire hybride (contestataire de la voie monastique, picaresque, propagateur de la voie yogique antinomique) du XV-XVIIème siècle, et comme des fictions relatives à des modèles destinées à des sociétés théocratiques prémodernes, au lieu d’être présentés comme des manuels donnant des exemples de l’étiquette maître-disciple, elles n’auraient peut-être pas conduit à autant d’abus récurrents en Occident.

La référence tantrique (buddhavacana)

Nāropa est considéré comme un des grands exégètes du Kālacakra Tantra. Il serait notamment l’auteur du commentaire intitulé Glose du Sekoddeśa (Sekoddeśaṭīkā[5]), le Résumé de la consécration.

Dans ce qui suit, je vais me limiter aux aspects des phases de la consécration qui concernent la “pratique sexuelle”, qui correspond à l’engendrement d’un embryon spirituel, avec spirituel ici dans un sens plus substantiel. Le rituel de consécration combine des éléments de visualisation (imagination) et des actes concrets. C’est un engendrement en accord avec la Gnose, et pas sous l’emprise de la nescience (avidyā). Le maître représente à la fois Kālacakra (le “puruṣa”) et sa parèdre (śaktī Viśvamāta). Les sept premières consécrations sont appelées “l’entrée de l’enfant[6]. Elles sont précédées d’une visualisation, qui se répète avec des petites différences, qui précède les actes plus concrets, accompagnés de visualisations.
Avant de recevoir l'initiation de l'eau, la première des sept auto-entrées d'un enfant, nous visualisons de la lumière émanant du cœur de Guru Kālacakra, qui nous atteint, puis nous attire d’abord dans la bouche, puis dans le cœur de la déité. Nous nous transformons en une goutte et, sous cette forme, nous descendons du cœur dans le bhaga (utérus) de la Parèdre. Nous nous imaginons comme une goutte [bindu] dans le bhaga de la Parèdre et nous nous dissolvons dans la vacuité.[7]” (Transcending Time)
Dans le bouddhisme ésotérique, la conception est la réunion de la goutte blanche du père, la goutte rouge de la mère et la conscience du gandharva, l’être désincarné (“la conscience extrêmement subtile innée”) à naître. Les consécrations et les pratiques associées ont pour objectif de purifier/transmuter la conception et le développement de l’embryon, à travers la Gnose. Cela se passe par les mouvements des gouttes blanche et rouge dans les canaux des corps subtils, symboliquement représentés dans le corps de la divinité. Cela a pour effet de "purifier" et transmuter, la conception et les autres aspects de la naissance/vie humaine.
"La principale raison de faire la pratique avec une partenaire n'est pas la félicité sexuelle qui en découle, mais plutôt la pleine manifestation de la sagesse primordiale. Pour cette raison, un pratiquant recherche un karma mudra pleinement qualifié, et pratique progressivement avec un tel karma mudra afin de manifester pleinement la conscience innée extrêmement subtile.[8] "
Au niveau rituel, le guru/divinité a besoin d’une assistante-partenaire qui symbolise (mudrā) la parèdre, pour appuyer en geste, ce qui se passe en imagination. Le gandharva/l’initié, qui se trouve dans le bhaga de la Parèdre, initié par un va-et-vient de lumières (divinité, jñānasattva d’initiation), par la conception gnostique va naître comme un embryon spirituel. L’initié portant un bandeau rouge (bhaga) devant les yeux est présenté devant le maṇḍala, et le bandeau est enlevé.
"Alors dans un certain sens, [l’initié] est né. Il émerge de l'utérus de la Parèdre et il se présente à la porte sud du palais [du maṇḍala]. Cette phase de la pratique est préliminaire à l'étape réelle de la génération.[9]"
Dans les consécrations (supérieures) de la deuxième phase, l’initié, qui n’est plus “un enfant”, offre au guru/divinité une partenaire (vidyā, mudrā) qualifiée. Kālacakra/le guru lui rend la partenaire en disant : “Je vous retourne cette partenaire pour que vous fassiez l’expérience de l’union de félicité et de vacuité.[10]” L’initié saisit et caresse les seins de la partenaire, l’embrasse, et fait l’expérience de la grande passion (mahārāgā), ce qui fait fondre la bodhicitta blanche et suscite l’expérience de l’union de félicité et de vacuité. C’est l’initiation vase[11]. Pour l’initiation suivante, Kalacakra/le guru s’unit à la mudrā, une série de visualisations accompagne la descente de la bodhicitta blanche (guru) jusqu’au bout de son vajra, et de la bodhicitta rouge dans le lotus de la mudrā. Le guru place une goutte blanche sur la langue de l’initié, et la mudrā une goutte rouge. Par l’ingestion des substances secrètes, et en fixant du regard le bhaga de la mudrā, l’initié éprouve la grande passion. Il est alors prêt pour la consécration de la gnose de la prajñā (=parèdre), qui provoquera la fusion et la descente de sa propre bodhicitta. Le passage de la couronne au cakra génital, suscite la félicité, qui correspond à la conscience extrêmement subtile (sans la moindre parcelle “mentale”), et qui est ensuite mélangée à la vacuité. La consécration du mot qui suit, fait arriver la bodhicitta blanche au bout du vajra de l'initié, suscitant l’expérience de félicité et de vacuité. Cette série d’initiations permettrait à l’initié d’atteindre respectivement la 8ème, 9ème, 10ème et 11ème terre. Pour les détails, je vous réfère aux traductions en anglais des divers commentaires.

Ce qui m’intéresse ici, c’est l’offrande d’une mudrā au maître, et le partage de la mudrā par le maître et le disciple mâle dans le cadre de la consécration. Il est évident que pour une consécration “concrète” faite dans les règles de l’art, celle-ci n’est pas accessible à des disciples femmes. Elles n’ont donc pas accès au 8ème, 9ème, 10ème et 11ème terre, puis le parfait état de Bouddha. Elles pourront néanmoins assister un maître et son disciple mâle dans leurs projets respectifs. Une lama femme peut donner une consécration en version "édulcorée", mais pas de façon "concrète". 

Vajradhara et Tilopa, détail lignée Padma Karpo (Himalayan Art 362)

La vie de Nāropa


Passons maintenant à l’hagiographie de Tilopa et Nāropa, qui sert de modèle pour la relation entre un maître et son disciple mâle. Pour des raisons pratiques j’utiliserai la traduction française La Vie de Nāropa “Tonnerre de grande béatitude[12], puisqu’elle est plus facilement disponible dans le monde francophone.
A nouveau, le Grand et Vénérable Tilopa se leva et s'en alla en un autre lieu, suivi du Glorieux Naropa. Ce dernier, après avoir accompli l'offrande du maṇḍala et autres témoignages de dévotion, lui demanda un enseignement essentiel, ce à quoi le Vénérable Tilopa répondit: “Si tu désires recevoir un enseignement essentiel, eh bien, donne-moi ta compagne.” Naropa lui offrit la jeune fille. Comme celle-ci ne faisait que dévisager Naropa, lui sourire et lui lancer des oeillades, le Vénérable Tilopa lui lança : “Tu t'intéresses uniquement à Naropa et ne prêtes aucune attention à ma personne.” Et il frappa la moudra. Naropa ne perdit pas foi dans les actions de son lama et, alors qu'il demeurait assis, ravi à la pensée qu'il avait parfait ses accumulations, le Vénérable Tilopa lui demanda : “Es-tu heureux, Naropa ?”

“Source de béatitude est l'acte consistant de donner sans hésitation au lama, qui est un bouddha, celle qui possède la sagesse en tant que prix de l'enseignement” répondit-il.

Le Vénérable Tilopa déclara alors:

“ Il est bon que tu possèdes la félicité dans la grande voie du vaste dharma-en-soi. Regarde le miroir de l'esprit Mahamoudra, secrète demeure des dakinis.”

Et, sur ces mots, il lui transmit tous les enseignements essentiels mettant clairement en évidence la sagesse transcendante du Grand Symbole (Mahamoudra)
.”

Transmission aurale de Réchungpa (détail HA2954).
Notez l'absence de Gampopa

Les instructions dites de la félicité par la porte inférieure


La “secrète demeure des dakinis” correspond au tibétain “gsang ba’i gnas” qui est le sexe de la ḍākinī, de la mudrā, que l’initié doit fixer des yeux lors des consécrations. La compagne (mudrā) qu’offre Nāropa à son maître est celle qu’il avait trouvé auparavant pour pratiquer “les enseignements essentiels de la grande béatitude nommée ‘Entrée inférieure du rapide messager de la voie secrète des Dakinis”, considérée comme étant le plus excellent du Vajrayāna.[13]

Il fait référence ici aux “instructions sur la grande félicité par la porte inférieure” du "corps d’un autre" (gzhan lus). Chag Lotsāva (chag lo tsA ba chos rje dpal, 1197-1263/4) accusa certaines instructions attribuées à Rechungpa et à la Transmission aurale de Cakrasaṁvara (bde mchog snyan brgyud), d’être des inventions[14]. Le mouvement smyon-pa s’inscrit justement dans cette lignée et fait grand cas de ces instructions secrètes. Les hagiographes de la vie de Nāropa attribuent à Tilopa (parlant de lui-même) la citation suivante :
Je suis Khorlo-Dompa [Cakrasaṃvara] et mon disciple, cet être excellent, le grand paṇḍit nāropa, est vraiment un bouddha.[15]
Ces transmissions, ces instructions et comptes-rendu hagiographiques apparaissent bien longtemps après l’époque de Nāropa (XIème). Il s’agit sans doute d’attribuer à Tilopa/Cakrasaṃvara ce qui est probablement une invention plus tardive. L’insertion heureuse de “à l’image du grand pandit Nāropa” dans un chapitre qui concerne l’ami de bien (dge ba'i bshes gnyen), et non le guru tantrique, sert principalement à attribuer de façon suggestive à Gampopa des connaissances et des transmissions que celui-ci n’avait pas reçues. Pour commenter cette mention ajoutée dans Le Précieux ornement de la libération, il fallait forcément passer par les hagiographies des yogis smyon-pa, et notamment sa relation avec Tilopa. Depuis la publication des hagiographies de Nāropa, de Tilopa, de Marpa et Milarepa, les relations qu’avaient ces disciples avec leurs maîtres est devenu une référence, et la lecture de ces hagiographies est recommandée, y compris actuellement et en Occident.


Guruyoga, la relation maître à disciple dès les pratiques préliminaires

Cette recommandation se trouve également dans des livres expliquant le “guruyoga” dans des livres expliquant les “pratiques préliminaires” (sngon ‘gro), que des aspirants vajrayānistes doivent faire pour avoir accès à des instructions du vajrayāna. Ainsi Le Flambeau de la certitude composé par Jamgon Kongtrul Lodrö Thayé (1813 - 1899) utilisé dans les lignées Kagyu, ou Le chemin de la grande perfection, composé par Patrul Rinpoché (1808–1887), utilisé dans la lignée Nyingma. Dans le chapitre Guruyoga du Flambeau de la certitude, on peut lire :
Toutes les actions de ce précieux et parfait Lama,
Quelles qu’elles soient, sont bonnes.
Tout ce qu’il fait est excellent.
Entre ses mains le travail, maléfique d’un boucher
Est bon, et apporte des bienfaits aux bêtes,
Inspiré par la compassion pour toutes.
Quand il s’unit sexuellement de façon impropre,
Ses qualités s’accroissent, et s’élèvent comme renouvelées,
Montrant que les moyens et la sagesse ont été réunis.
Ses mensonges qui nous dupent,
Ne sont que les signes habiles par lesquels il nous
Guide sur le chemin de la liberté.
Lorsqu’il vole, les biens volés se changent en denrées nécessaires pour soulager la pauvreté de tous.
Quand un tel Lama réprimande
Ses paroles sont de puissants mantras
Pour faire disparaître la détresse et les obstacles.
Ses coups sont des bénédictions
Qui accordent les deux siddhis et réjouissent tous les hommes fervents et respectueux.
Ainsi qu’il est dit ci-dessus, apprécions les aspects bienfaisants de toutes ses actions
.”
Le guru n’est on seulement le Bouddha, mais aussi “notre compagnon principal, notre famille, notre mari, notre femme et notre enfant chéri[16]. Il devient l’unique référent. Les convertis occidentaux au bouddhisme tibétain ont aussi pu lire le livre Cutting through Spiritual Materialism (Pratique de la voie tibétaine, Au-delà du matérialisme spirituel) de Chögyam Trungpa, dont les chapitres (Surrendering, The Guru, Initiation, Self-Deception, The Hard Way, …) enseignent que la voie spirituelle tibétaine n’est pas un piquenique…

Ainsi préparés, les convertis occidentaux abordent la relation avec un maître spirituel tibétain. Dans la Vie de Nāropa, ils ont vu que lorsque Tilopa amène Nāropa dans un désert et lui demande une offrande maṇḍala (un anachronisme par ailleurs), et que Nāropa lui dit qu’il n’a pas d’eau pour faire cette offrande rituelle, Tilopa lui dit: “mais n’as-tu donc pas de sang dans les veines ?” Nāropa utilise son sang, et d'autres parties de son corps. En comparaison, offrir sa femme/son mari, son ami(e) au maître n’est rien.


Déviances ou comportements traditionnels ?

"Trungpa avait souvent des relations sexuelles avec les femmes et les petites amies de ses étudiants, et en un claquement de doigt, il pouvait faire déshabiller de force ses disciples, qu'ils y consentent ou non. Un proche disciple de Sogyal a déclaré que Sogyal couchait avec les épouses de certains de ses étudiants, c'est-à-dire qu'il séduisait d'autres femmes, mariées ou célibataires, qui venaient lui demander des conseils spirituels. Cela s'ajoute aux abus physiques et aux humiliations qu'il infligeait à ses dakinis. Le Sakyong que nous avons vu a également séduit de nombreuses jeunes femmes, certaines impliquées avec d'autres hommes, et les a fait disparaître quand il en avait fini avec elles. Le régent Vajra aimait les hommes hétérosexuels qui n'avaient pas d'expérience homosexuelle préalable, dans un cas c'était un jeune homme qui avait moins de la moitié de son âge qu'il a infecté avec le VIH.[17]"
Ces rapports sexuels pouvaient avoir lieu en présence du partenaire, qui croyait ainsi suivre l’exemple de Tilopa et Nāropa, et qui était censer travailler ainsi sur son ego et ses émotion, tout en se soumettant à la volonté du guru. The Hard Way
"Le viol ce n'est pas de la sexualité. Ce n'est pas à mettre du côté de la sexualité. C'est à mettre du côté de l'agression, de la torture, de la domination. Il faut absolument sortir ce jeu d'une dialectique où l'on ne consent jamais en fait. Ce n'est pas ça, c'est une effraction, c'est une atteinte au sujet qui est l'autre. C'est une réification, c'est une chosefication de l'autre. En plus, c'est une atteinte au plus intime de l'autre, à savoir ses organes les plus intimes, par ailleurs, son sexe, etc. Cela n'a rien à voir avec la sexualité, un jeu de séduction, etc." Cynthia Fleury, dans l’émission La Grande Librairie S15.

Rappels à l’ordre par des grands maîtres

En 1976, Thomas Rich, Ösel Tendzin, devint le premier détenteur occidental de lignées Karma Kagyu et Nyingma. Comme son maître Trungpa, il utilisait le sexe comme instrument de soumission et de domination. Il continuait même lorsqu’il savait quil était porteur du virus HIV, se croyant protégée par la Lignée. Cela causa des troubles dans les communautés trungpistes, au point où des grands maîtres Nyingma et Kagyu ont dû s’en mêler. 

Le jour avant, le 21 décembre 1988
(Youtube screen capture, "how to chose an authentic teacher")

Notamment Kalu Rinpoché I en décembre 1988 (voir lien youtube). 
Vous tous ici avez comme lama principal Trungpa Rinpoché. Et après lui, votre lama est le Régent Vajra Osel Tendzin. Dans le Vajrayana, notre samaya principale est celle de notre lama racine et ensuite celle de nos frères et sœurs vajra. Il y a de nombreuses façons de décrire le samaya au lama racine, mais en résumé, on peut dire que l'on doit considérer tout ce qu’il fait avec une vision sacrée, tout ce qu’il fait comme étant excellent. Et nous devons prendre pour vérité tout ce qu'il dit. Ces deux points résument brièvement le samaya que l'on a avec le lama racine.”
Quand c’est le moment de poser des questions, une femme pose la question suivante.
56:08 Question : Rinpoché, vous avez beaucoup parlé de l'attitude correcte que les étudiants doivent avoir envers le maître. Je me demande quelle est l'attitude appropriée que le maître devrait avoir envers les étudiants en ces temps précis, et envers les étudiants que le maître aurait pu offenser d'une certaine manière, physiquement, ou en leur faisant ressentir tant d'émotions négatives.

57:55 [Le traducteur (Richard Barron) soupir] Eh bien, vous savez, il donne l'exemple de Marpa et Milarépa [légers rires dans l'assistance]. Marpa était terrible avec Milarépa. Il l'a forcé à subir un nombre incroyable d'épreuves. Tout son corps, de dos et de face, n'était qu'une grande cicatrice. Marpa insistait et lui donna l'ordre de construire une maison à neuf étages, tout seul. Une tâche extrêmement difficile que Marpa fit accomplir à Milarépa. Rinpoché dit qu'il s'agit là d'un exemple d’un lama extrêmement dur avec son élève, lui causant beaucoup de difficultés. Il dit qu’un lama agit de différentes manières.

59:36 Ou, par exemple, dans le passé, Nāropa avait une femme. Il aimait sa femme très très fort. Tilopa demanda à Nāropa de lui offrir sa femme. Nāropa le fit avec la vision pure (tib. dag snang), et avec foi et respect envers son lama. Tilopa était très heureux de cette offrande particulière, et il était très content d'être avec la femme de Nāropa (rires). Cependant, à une occasion particulière, ils étaient en public et Nāropa eut l'occasion de revoir sa femme, qu’il regarda très longuement. Tilopa le remarqua et se mit en colère contre Nāropa en disant : "Comment oses-tu regarder cette femme avec désir ?" Tilopa avait alors battu Naropa, de sorte qu'il n'a pas pu bouger pendant quelques jours (rires).
L'anecdote sur Nāropa racontée par Kalu Rinpoché provient du passage de La Vie de Nāropa[18] racontée ci-dessus. Elle diffère de l'anecdote racontée par Kalu Rinpoché en ce que Tilopa bat la "fille", le consort sexuel de Nāropa (mudrā). De toute façon, Tilopa les battait tous les deux.

En 1992, c’était le tour à Gyatrul Rinpoché de rappeler à l'ordre la communauté trungpiste, notamment celles et ceux qui avaient eu "l’honneur" d’avoir été sexuellement approchés par les maîtres de la lignée.
N’ayez pas de pensée ordinaire à ce sujet, du type “Oh, il a couché avec moi, alors je suis son égal ; cela fait de moi quelqu’un de spécial, car il a couché avec moi”. Ce n’est pas la façon de penser qui convient à une sangyum. Il est de la responsabilité d’une sangyum de considérer qu’il voyait en vous une connexion karmique à cultiver. Et n’oubliez pas que c’était à cause de sa bonté qu’il avait reconnu votre karma de cultiver cette connexion et de l’actualiser. Si votre attitude en est une d’humilité et de dévotion, et que vous suivez ses instructions, cela pourra être très bénéfique pour vous à cause de la nature particulière de votre connexion avec lui. Si vous cultivez cette situation, vous pourrez progresser, et être très utile aux autres. Mais si vous ne reconnaissez pas le niveau de cette connexion et la percevez comme quelque chose d’ordinaire, en vous gonflant d’orgueil et d’ego, vous aurez réellement manqué cette opportunité. Ce serait plutôt comme coucher avec un roi, mais [votre maître] n’était pas un roi, mais un bodhisattva. C’est une grande différence[19].
Les rapports sexuels entre maîtres mâles et des partenaires (mudrā) et/ou disciples féminines sont considérés comme un privilège pour les "élus" dans le bouddhisme ésotérique tibétain. Ils sont la norme dans les yogatantras supérieurs et font partie des consécrations, des pratiques et observances (caryā) associées, même si les pratiques concrètes sont principalement réservés aux élites. Pour les autres, les consécrations et les pratiques associées sont imaginaires et yoguiques, ou à rabais dans un cadre moins orthodoxe. Dans le cadre d’une relation maître-disciple, le modèle reste celui de Tilopa et Nāropa, telle qu’elle avait été inventée par les hagiographes smyon-pa du XV-XVIIème siècles. Ce modèle est toujours valable, et ne vaut pas seulement pour les bouddhistes tibétains asiatiques, mais aussi en Occident. Selon ce modèle, il serait normal qu’un(e) disciple offre/prête sa femme, son amie ou son compagnon à un maître. En dehors du contexte initiatique, cela servirait à briser les concepts, à dompter l’ego, et à rendre docile (“workable”) le disciple, dans le propre intérêt d’éveil de ce dernier. 


Cela est en outre une "chance" et un "privilège" à accepter avec humilité selon Gyatrul Rinpoché (voir ci-dessus), et aussi selon le lama “moderne” et occidento-compatible Dzigar Kongtrul. Extrait du livre Bouddhisme, la loi du silence :
Les lamas invités à Lérab Ling venaient parce qu’ils étaient grassement payés, et parce qu’ils savaient qu’on leur “prêterait” une femme. J’ai entendu ces tractations avec ses visiteurs, lorsqu’il leur proposait de choisir une fille. J’ai aussi demandé à un maître qui était de passage ce que signifiait être une “consort”, j’étais en larmes, c’était un appel à l’aide. Il m’a répondu que j’avais beaucoup de chance et il a continué son chemin.[20]
***

MàJ Yangsi Kalu Rinpoché II :“11:32 The most important of the of the practice of the vajrayāna is to reduce the fixation on the ordinary level, so that over time we can experience the nature of the mind. Just because somebody says vajrayāna is very special doesn't make it that. Like e.g. Tilopa picking up his slipper and hitting on Nāropa. I think if you do that nowadays you will get into trouble. So trying to copy the great Masters method is not really going to work. Simply consider yourself never as a teacher, but as a practitioner and see the other person or individual as a practitioner.” Center for Bhutan & GNH Studies

MàJ "Talking about corruption in high places inevitably led to the subject of sexual misconduct. Someone brought up the practice of tantra, which teaches the marriage of masculine and feminine energies, and makes use of a symbolic wedding and sexual union. These tantric practices are depicted in paintings of men and women joined together, and there are stories of teachers who engage their students in such exercises. The Dalai Lama was asked about these stories, and if there was such a practice.

His Holiness replied that there were stories about gurus such as the great Tibetan teacher Tilopa who had sex with various students who were subsequently enlightened. Then he said that he didn’t know how to do this practice. He said, “People have asked me to do this practice with them, but I’m a monk so it is never appropriate. Truthfully, you can only do such practice if there is no sexual desire whatsoever. The kind of realization that is required is like this: If someone gives you a goblet of wine and a glass of urine, or a plate of wonderful food and a plate of excrement, you must be in such a state that you can eat and drink from all four and it makes no difference to you what they are. Then maybe you can do this practice.” Advice from the Dalai Lama (1993), by Jack Kornfield, Kate Lila Wheeler

Voir aussi : Tilopa et Naropa, modèle tibétain de la relation lama-disciple, blog du 9 août 2019.

[1] Textes et images de Marie-Catherine Daffos & Jean-Luc Etournel /aaoarts.com 1997 / 2015.

[2] Le colophon des "Guirlandes de joyaux du chemin éminent" (lam mchog rin po che’i phren ba), explique “ce texte est le trésor qui contient donc les instructions des transmissions Kadampa et Mahāmudrā. Il a été composé à Dwags po par le méditant de sNyi, bSod nams rin chen”.

[3] A un certain moment, dans le chapitre sur l’ami de bien, dans le Précieux ornement de la libération de Gampopa, un scribe a inséré “à l’image du grand pandit Naropa pour son ami de bien Tilopa. “

[4] En allemand “Schelmenroman”, un “Schelm” étant un pícaro, un voyou, un filou.

[5] On en trouve la traduction anglaise sur le site 84000.
L'introduction explique (traduction automatique DeepL) :
Les sept premières consécrations sont la purification du corps, de la parole, de l'esprit et de la gnose [jñāna]. Par groupes de deux, en commençant par les consécrations de l'eau et de la couronne, ils purifient respectivement le corps, la parole et l'esprit. La septième consécration, la consécration de permission [ rjes gnan], purifie la gnose (voir verset 11).

i.12
Dans la présentation plus élaborée qui suit (versets 12-14), ces consécrations sont liées à une purification progressive de certains aspects de l'existence, à savoir respectivement les cinq éléments, les cinq agrégats psycho-physiques, les dix perfections, la grande félicité immuable et la parole de bouddha, les objets et les facultés sensorielles, les quatre incommensurables et la bouddhéité complète
.”

[6]The seven self-entries of a child” pour Wallace et al., “introduce the childish”‍ pour le site 84000. Childish dans le sens de non-initiés.

[7] Transcending Time, An Explanation of the Kalachakra Six-Session Guruyoga, Gen Lamrimpa, B. Alan Wallace, His Holiness the Dalai Lama, Wisdom Publications (1999)

[8]The chief reason for engaging in consort practice is not for the sexual bliss that arises, but rather to bring about the full manifestation of primordial wisdom. For that reason, a practitioner seeks out a fully qualified karma mudra, and gradually practices with such a karma mudra in order to fully manifest the very subtle innate mind.“ Transcending Time

[9]Then you are, in a sense, born. You emerge from the womb of the consort and abide by the southern door of the palace. This phase of the practice is preliminary to the actual stage of generation.” Transcending Time

[10] "I give this consort back to you for the sake of your experience of the union of bliss and emptiness." Transcending Time

[11]Although in this initiation no vase is actually used, it is nevertheless called a vase initiation because the breast of the consort is likened to a vase, for it is called "a container of white milk." Transcending time

[12] Traduit en français par Marc Rozette, du texte tibétain bka' rgyud pa'i bla ma rgyud pa'i rnam thar composé par dBang phyug rgyal mtshan (XVème s.) 'brug pa bka' brgyud pa'i bla ma rgyud pa'i rnam thar. Le fil narratif suit cependant très précisément celui de

[13] Marc Rozette, pp. 104-105. rdo rje theg pa’i lam gyi mchog ‘og sgo bde ba chen po’i gdams ngag

Pour une description de cette pratique, qui conduit à l’obtention d’un “corps d’arc-en-ciel”, voir The Life and teaching of Nāropa, Herbert V. Guenther, Shambala 1995, pp. 77-78
'og sgo bde ba chen po'i man ngag

[14] « Ensuite Lama Rechungpa, motivé par un désir de diffamation et afin d’obtenir de nombreux disciples et serviteurs, écrit le Tantra roi qui revèle clairement le mystère de Bhagavan Vajrapāṇi, composé de 21 chapitres. Le sādhana de cette divinité révélatrice du mantra secret contient des compositions de l’indien Karmavajra. [Rechungpa] l’a perverti en y incluant des instructions d’Acala (T. mi g.yo ba) et de nombreuses instructions inventées par lui-même, qu’il a appelé « 20 cycles différents de la pratique de la Caṇḍālī (T. gtum mo, [l'équivalent de la kuṇḍalinī] ». Il a aussi perverti la Transmission aurale de Cakrasaṁvara, qu’il attribuait à Tipupa, et il rédigea un grand nombre de textes de la phase d’achèvement, qui présentent le défaut de contenir de nombreuses méthodes (sādhana) non-bouddhistes, et qu’il attribua au mahāsiddha Virūpa. Certains instructeurs tibétains ont fabriqué des pratiques (sādhana) d’une déesse à tête de truie tenant un couperet, dont ils disaient qu’elle était la ḍākinī d’un tantra d’antan [Selon Dan, Vajravārāhī-abhidāna tantra]. » Blog Du New Age tibétain ? 25 octobre 2012

[15] Marc Rozette, p. 19. Guenther, p. 4.

[16] Dzongsar JKR dans Not for Happiness: A Guide to the So-Called Preliminary Practices, en français “Pas pour le bonheur : Guide des pratiques dites préliminaires”.

[17] Traduction automatique DeepL. L'original :
Trungpa often had sex with the wives and girlfriends of students, and at the snap of a finger could have disciples forcibly stripped naked whether they agreed to it or not. A close disciple of Sogyal stated that Sogyal slept with the wives of some of his students, that is, aside from seducing other women, married or single who came to him for spiritual counseling. This is on top of the physical abuse and humiliation he dealt to his dakinis. The Sakyong we saw also seduced many young women, some involved with other men and ghosted them when he was finished with them. The Vajra Regent liked straight men who had no previous homosexual experience, in one case it was a young man less then half his age who he infected with HIV.Tibetan Buddhism Enters the 21st Century: Trouble in Shangri-la, Stuart Lachs, sur Open Buddhism.

[18] Dont la source première est mKhas grub kun gyi gtusg rgyan paN chen nA ro pa'i rnam thar ngo mtshar rmad byung, écrit par Lha'i btsun pa Rin chen rNam rGyal (1473 - 1557), un élève de Tsangnyön Heruka (1452-1507), 500 ans après la vie de Nāropa (XIe siècle).

[19] Gyatrul Rinpoche, Oral Commentary on the Natural Great Perfection by Dudjom Lingpa, given in Boulder, 1992, trans. Sangye Khandro, ed. Ian Villarreal, later published by (Ashland, Oregon: Mirror of Wisdom Publications, 2000), 58-59
So if you are doing the Shambhala training, and if you have faith in the place of Shambhala and in those great enlightened beings who have manifested in this place for our welfare, then the blessings that enter your mind will be very swift, and this will help increase your own understanding of your Buddha nature. … Shambhala is not to be mistaken with Shangri-la. Everyone thinks: ‘I want to go there.’ But that’s just made up, that’s a movie…. Now this is really not my business, but I want to mention anyway, to some of the women who are the sagyum, or the consorts, of Trungpa Rinpoche, you should be very careful about your attitude. Don’t have an ordinary mind about it, thinking in an ordinary sense: ‘Oh, he slept with me, so I’m equal to him; this makes me special, because he slept with me.’ This is not the way that a sagyum of someone like this should think. It’s the sagyum’s responsibility to consider that he saw in you a karmic connection that could be cultivated. And consider that it was because of his kindness in recognizing your karma that there was an ability to cultivate that and bring that out. If you have an attitude of him with humility and devotion, then if you follow whatever teachings he gave you, because of the special aspect of your connection with him this can be of tremendous benefit to you. If you cultivate your situation, you can then go ahead and be of tremendous benefit to others. But if you fail to see the level of the connection and think of it as being only ordinary, and elevate your pride and ego, you’ve really failed in that connection. That would be like sleeping with a king-but he was not a king, he was a great bodhisattva. There’s a difference."

[20] Voir aussi le passage correspondant dans le documentaire. Ci-après la transcription.

“(49:29) Mimi :“Sogyal m’a très clairement dit, sur le bord de son lit, que si j’en parlais à qui que ce soit, je briserai le “samaya” qui nous lie, donc le lien sacré qui nous lie, le devoir de fidélité et de loyauté à son maître, et qu’en résulteraient les pires conséquences karmiques sur moi et mes proches. Après le premier incident avec Sogyal, j’étais extrêmement choquée. J’étais très mal, je ne savais pas ce qui m’était arrivé, et comment je devais le prendre. Bien sûr j’avais retenu que j’avais l’interdiction absolue d’en discuter avec qui que ce soit. Pendant un enseignement de Sogyal, je croise Dzigar Kongtrul* dans la cour, à Lerab Ling, [...] un lama moderne occidentalisé. Je lui demande si je peux lui poser une question. Et, en pleurant je lui demande ce que ça veut dire que d’être “consort”, concubine. Et là, il y a un moment de silence. Je pense qu’il a très bien compris pourquoi je pleurais. Et il m’a simplement répondu : “c’est une très très grande chance quand on peut avoir une relation avec un maître”. Donc, encore une fois, c’était un maître qui a vu, qui a été témoin d’une souffrance et qui s’est complètement défaussé.

*Dzigar Kongtrul, disciple de Dilgo Khyentse R, est un frère cadet d’Orgyen Tobgyal.

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