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dimanche 26 septembre 2021

Monter vers l'Eveil par l'échelle du Karma et de la Réincarnation ?

South Park (2002) "A Ladder to Heaven"

Quand un Bouddha se met au niveau de ses disciples pour les enseigner la coproduction conditionnée, et que de nombreux disciples appartiennent aux classes moyennes des commerçants, il n’est pas étonnant que ceux-ci soient particulièrement attentifs quand il utilise des images de dettes (karma), de mérite (puṇya), de promotion ou de mise au placard (transmigration), de positionnement (chemins, bhūmi, ...), etc.

La coproduction conditionnée est la voie du milieu bouddhiste entre être et non-être. Cette théorie[1] dit ni éternité (essence), ni anéantissement (néant), mais changement perpétuel. Au lieu de se fixer sur la transmigration, qui est un aspect (spéculatif) spécifique du changement, l’adepte pourrait se focaliser sur le changement perpétuel de la coproduction conditionnée, à la façon d’un Livre des changements (Yi Jing) par exemple.
La vie qui engendre la vie, c’est cela le changement

Le Yi Jing n’édifie aucun système explicatif de l’univers, il n’explore pas la cause de son existence ou la finalité de son devenir, il ne révèle rien qui doive être l’objet d’une croyance, il ne fait que constater une évidence que ne rejette aucune foi, que ne contredit aucune science : le changement est la vie même[2].”
Illustration (Jaina) d'un marchand médiéval indien 
L’idée de transmigration (avec son modèle cosmologique associé) peut être greffée sur la coproduction conditionnée, mais cela n’intéresse que des comptables spirituels intéressés par des investissements en l’au-delà, et qui croient en l’immortalité de l’âme et de son bilan indestructible de mérites et de dettes (avipraṇāśa). Quand au fond, “la seule chose qui ne changera jamais, c’est que tout est toujours en train de changer” (Yi Jing), que peuvent bien valoir ces “acquis” dans la durée ? Si on se dit que tout cela, au fond, on le fait pour le bien des êtres, et qu’une fois arrivé au terme, on en fera profiter les autres (ruissellement), on risque de se noyer dans des spéculations de tout genre.

Certains disent que oui, ce qu’un Nāgārjuna dit sur le Karma métaphysique est vrai en absolu, mais c’est un dogme qui aiderait l’adepte à progresser, et qu’une fois Bouddha, l’adepte "réalisé" en verrait la relativité et en serait affranchi. Pourquoi ne pas prendre en compte dès maintenant ce qu’en dit Nāgārjuna, en réduisant le rôle du karma à des proportions plus raisonnables ? Pourquoi la voie du milieu (ni être, ni non-être) ne s’appliquerait-elle pas au dogme révélé du Karma, qui semble devoir provisoirement être traité comme étant “permanent” (extrême de l’être), jusqu’à ce qu’arrive l’état de Bouddha (comment ?), où la relativité du Karma serait soudainement “réalisée” ? Il me semble que Nāgārjuna nous explique de dores et déjà aborder la doctrine du bouddhisme du point de vue de la voie du milieu, et que c’est justement en cela que consistent les positions provisoirement adoptées (skt. vyavasthā) et l’habileté en la méthode (skt. upāya) du bouddhisme, qui est sa singularité de voie de milieu entre des extrêmes, qui le met à l’abri d’une attitude dogmatique et/ou fétichiste.
La causalité existe conventionnellement mais n’est pas établie en soi. La considérer sous l’angle d’un être en soi est une vue de permanence[3].
Comment le Karma (et la Transmigration), traité en dogme révélé, pourrait être une vue juste de la voie du milieu, et conduire à la libération, à l’union des deux vérités, est pour moi un énigme.

***

[1] “17,20 [Avec notre théorie] il y vacuité, non pas anéantissement ; transmigration, non pas éternité. L’entité indestructible [avipraṇāśa] de l’acte est la doctrine enseignée par le Bouddha”. Stances du milieu par excellence, Guy Bugualt, p. 218
Ce vers représente la vue des Sāṃmitīya du Karma, où l’entité est comparée à une feuille de dette (débit).

[2] Yi Ying, le livre des changements, Cyrille J.-D. javary et Pierre Faure, Albin Michel, p.1.

[3] Conseils au roi, Nāgārjuna, traduction de Georges Driessens. La citation est du commentaire (tib. rnam bshad snying po’i don gsal bar byed pa) de Guièlstap Dharma Rintchen.

lundi 13 juillet 2015

Religion-isation du bouddhisme : est-il en train d’être réduit à un acte de foi ?


Samson, Marc Chagall, 1958
La vue correcte (p. sammā-diṭṭhi) est une des huit branches de l’octuple voie bouddhiste, qui constitue la quatrième noble vérité de la voie qui mène à la cessation de la souffrance (p. dukkha).
« Et qu'est-ce que la vue correcte? Connaissance par rapport à la souffrance, connaissance par rapport à l'origine de la souffrance, connaissance par rapport à la cessation de la souffrance, connaissance par rapport à la Voie de la pratique qui mène à la cessation de la souffrance: C'est ce qu'on appelle vue correcte. » (Les grands cadres de Référence, Maha-satipatthana Sutta, Digha Nikaya 22)
Dans le Discours sur la vue correcte (Sammādiṭṭhi Sutta, Majjhima Nikāya 9), le Bouddha explique la vue correcte concernant différents éléments essentiels de sa doctrine à savoir le sain et le malsain, les aliments, les Quatre Nobles Vérités, et chacun des douze causes interdépendantes.

Par exemple, la vue correcte sur la vieillesse et la mort :
« Lorsqu'un noble disciple a ainsi compris la vieillesse et la mort, l'origine de la vieillesse et la mort, la cessation de la vieillesse et la mort, et le chemin menant à la cessation de la vieillesse et la mort, il abandonne complètement la tendance sous-jacente au désir, il abolit la tendance sous-jacente à l'aversion, il extirpe la tendance sous-jacente à la vue et la vanité 'Je suis,' et par l'abandon de l'ignorance et l'apparition de la vraie connaissance il met fin à la souffrance ici et maintenant. De cette façon un noble disciple est de vue correcte, de vue droite, d'une confiance inébranlable dans le Dhamma, et arrivé à ce vrai Dhamma. »
Le Bouddha avait invité tous de vérifier pour eux-mêmes la véracité de sa méthode : Ehipassiko, venez et voyez ! Et en effet, à travers la pratique du repos mental (śamatha) et de la perspicacité (vipaśyanā), chacun pourra vérifier par lui-même.

En revanche, on change de registre dans le Discours « Les grands Quarante » (Mahācattārisaka Sutta, Majjhima Nikāya 117). La vue correcte change de nature : la simple observation ne suffit plus. Le Bouddha y parle non seulement de la vue correcte, mais également de la vue incorrecte et il y fait une distinction entre la vue correcte « sans fermentations »[1] (sct. āsrava), transcendante et plutôt du domaine de la vérité ultime, et les vues correctes mondaines (p. lokiya) « avec fermentations », que l’on pourrait dire appartenir au domaine de la vérité apparente, et qui « vont de pair avec le mérite, et résultent en acquisitions ». Voici comment le Bouddha définit les vues correctes « mondaines » (avec fermentations) :
« Il y a ce qui est donné, ce qui est offert, ce qui est sacrifié. Il y a des fruits et des résultats des bonnes et des mauvaises actions. Il y a ce monde et le monde suivant. Il y a mère et père. Il y a des êtres renés spontanément; il y a des prêtres et des contemplatifs qui, se comportant correctement et pratiquant correctement, proclament ce monde et le suivant après l'avoir directement connu (abhiññā) et réalisé pour eux-mêmes. »[2]
Ce sont là, selon ce sutta, les vues correctes qui ont des « fermentations » (p. lokiya sammādiṭṭhi), vont de pair avec le mérite, et résultent en acquisitions. Ici sont introduits tous les éléments véritablement religieux, qui permettent aux individus d’accumuler du mérite par des actes religieux et d’obtenir ainsi une meilleure renaissance. Ces actes méritoires permettent aux pratiquants d’obtenir une meilleure existence prochaine et aux bénéficiaires des actes méritoires, la Sangha ou toute autre institution religieuse, d’avoir de meilleures conditions ici et maintenant. Le bonheur futur de l’un fait le bonheur actuel de l’autre.

Mais ce bonheur futur est toujours un bonheur « mondain » « avec fermentations », il n’est pas le bien-être et bonheur ultime (p. paramaṭṭha hita-sukha), et il n’est pas non plus le bien-être et le bonheur ici et maintenant (p. diṭṭha-dhamma-hita-sukha). Il est la récompense à venir (p. paramaṭṭha hita-sukha) pour les actes méritoires ici et maintenant. Cette récompense est garantie par la véracité de la vue juste « avec fermentations ». Ce n’est pas une « vérité » que l’on peut vérifier ici et maintenant, car ses effets ne seront obtenus que dans l’existence suivante. C’est une « vérité » à laquelle on adhère, en faisant confiance aux « prêtres et contemplatifs qui […] proclament ce monde et le suivant après l'avoir directement connu (abhiññā) et réalisé pour eux-mêmes. » Cette « vue correcte » est un acte de foi en les éléments religieux mêmes qui la constituent.

Ceux qui n’ont pas foi en les éléments qui constituent la « vue correcte » mondaine, sont considérés comme des nihilistes/matérialistes, tout comme Ajita Kesakambalin. Nier ces thèses-là n’est pas forcément nier toute croyance ou toute doctrine. Mais pour les bouddhistes qui considèrent la croyance en la renaissance et le karma, comme les piliers du bouddhisme[3], c’est la foi en cette croyance spécifique qui fait que l’on est ou pas un matérialiste/nihiliste. C’est cet acte de foi et les actes méritoires qui en procèdent qui sont la marque distinctive du bouddhiste orthodoxe, qui est conforme au dogme.

Voyons de près la doxa en question.

1. l’efficacité des dons (aumônes), des offrandes et des sacrifices (Il y a ce qui est donné, ce qui est offert, ce qui est sacrifié).
2. la réalité des effets des bonnes et mauvaises actions (Il y a des fruits et des résultats des bonnes et des mauvaises actions).
3. la réalité de la renaissance (Il y a ce monde et le monde suivant)[4].
4. la réalité des effets de la piété filiale (Il y a mère et père)[5]. Pour moi cela veut dire les effets des actes faits pour le bien de ses parents durant leur vie et après leur mort (rites, honorer leur souvenir…). Mais un moine theravāda Thaï m’a assuré que pour le theravāda, cela ne concerne, en Thaïlande, que les actes de piété filiale de leur vivant. Les rituels post-mortem étant des rites de type brahmaniste.
5. la réalité des êtres qui naissent spontanément, p.e. les mondes célestes et infernaux (Il y a des êtres renés spontanément)[6]
6. la réalité du rôle, de l’autorité et de la compétence du clergé (il y a des prêtres et des contemplatifs qui, se comportant correctement et pratiquant correctement, proclament ce monde et le suivant après l'avoir directement connu (p. abhiññā) et réalisé pour eux-mêmes).[7]

Selon l’interprétation orthodoxe de cette définition de la vue correcte « mondaine », l’invitation du Bouddha devrait donc être adaptée en « Venez et croyez ! », « Venez et voyez par clairvoyance » ou « Venez et voyez pour vous-mêmes après votre mort ! »

Quoi qu’il en soit, c’est ce passage canonique qui justifierait le point de vue des « bouddhistes classiques » d’un Dharma et d’une fondation morale qui s’écrouleraient sans les deux piliers que seraient le karma et la renaissance, et qui ne seraient pas uniquement des croyances existant de l’époque du Bouddha, mais qui feraient partie intégrale de son enseignement et sans lesquelles, celui-ci n’aurait plus de raison d’être.

Quand nous regardons de plus près l’histoire du bouddhisme, nous voyons que celui-ci avait adopté des formes, où la fertile combinaison « karma et renaissance » était de moindre importance, un simple expédient (sct. upāya), n’était pas un élément crucial de l’efficacité de la doctrine (Ch’an), où était même considéré comme contreproductif ! (Discours du roi pancréateur). Certes, il s’agit de formes de bouddhisme, qui ne sont pas forcément considérées comme orthodoxes par toutes les écoles bouddhistes. Ces formes de bouddhisme, millénaires, sont-elles cependant « classiques », dans le sens où l’entend un Bhikkhu Bodhi ?

Pourquoi des formes de bouddhisme « laxistes » ont-elles pu être possibles dans le passé et ne seraient-elles plus possibles aujourd’hui, au risque de faire s’écrouler non seulement le bouddhisme orthodoxe, mais aussi « le Dharma » ? Le Dharma serait-il si fragile ? Pourquoi certains bouddhistes semblent ne pas pouvoir concevoir un bouddhisme sans renaissance ? Cette croyance, qui semble avoir été la motivation principale de la conversion des premiers bouddhistes occidentaux et qui a nourri les intérêts ésotériques que l’occident porte à l’orient depuis le XIXème siècle, joue-t-elle un rôle indispensable dans la définition de la vue correcte ?
« Et qu'est-ce que la vue correcte? Connaissance par rapport à la souffrance, connaissance par rapport à l'origine de la souffrance, connaissance par rapport à la cessation de la souffrance, connaissance par rapport à la Voie de la pratique qui mène à la cessation de la souffrance: C'est ce qu'on appelle vue correcte. »
Pourquoi vouloir donner une si grande importance à une définition très spécifique d’une seule des huit branches de la voie octuple, en la transformant en une sorte de crédo ? Serait-ce peut-être parce que nous occidentaux avons grandi dans des cultures avec des racines monothéistes ? Dans une société en crise, le repli identitaire est un réflexe fréquent. Mais le bouddhisme, justement, a, théoriquement, toujours cherché à se libérer des réflexes, notamment identitaires. Et pourtant, il semble être en train de développer les mêmes réflexes que les religions monothéistes. Est-ce dû au fait qu’il soit désormais invité à toutes les réunions œcuméniques, qu’on lui a imparti un temps de diffusion le dimanche dans le cadre des émissions religieuses du service public audiovisuel, qu’on lui permet l’implantation d’aumôneries en milieu carcéral et en milieu hospitalier etc. etc. ? Quand on est considéré et traité comme une religion, y compris au niveau de l'état, ne doit-on pas se comporter comme une religion ? Sommes-nous en train de vivre, dans le bouddhisme, le grand partage dont parle Bhikhhu Bodhi ?

***

MàJ 27022017 Bodhgaya Finder App. Ma réaction sur facebook

[1] Voir le Sabbasava Sutta.

[2] Ce passage est censé prendre le contrepied de la vue incorrecte du matérialiste/nihiliste Ajita Kesakambalin. Source Thanissaro Bhikkhu.

[3] « S’ils sont écartés au profit d’un naturalisme matérialiste, il existe un réel danger que ces véritables piliers qui supportent le Dharma s’effondrent, en nous laissant en naufrage dans la jungle de nos opinions personnelles et en réduisant la pratique bouddhiste à une sélection de techniques thérapeutiques. » Facing the Great Divide de Ven. Bhikkhu Bodhi.

[4] « There is no such thing as the next world,’ i.e., being mentally established in this world he takes it that there is no next world. » The Expositor: Atthasalini: Buddhaghosa's commentary on the on the Dhammasangani, the first book of the Abhidhamma Pitaka. Pali Text Society.

[5] « There is no such thing as mother or father,’ i.e., he knows the existence of mothers and fathere, and takes it that there is no fruit, no ripening on account of anything done to them. » The Expositor

[6] « There are no such beings as spring into birth without parents,’ i.e., he takes it that there are no beings who after decease are reborn. » The Expositor

[7] « i.e., he takes it that there are in the world no righteous recluses and brahmins who have observed practice suitable [for Nibbâna]. 4 Who having understood and realized, by themselves alone, both this world and the next, make known the same,’ i.e., he takes it that there is no omniscient Buddha who, knowing this world and the next by his own spécial insight, is able to make them known. It is proper to take these Graspings in due order as Corrup- tions and of the Paths. In the former case sensual grasping is put away by the four Paths, the remaining three by the Stream-winning Path. In the latter case ail but the first are put away by the Stream-winning Path, sensual grasping by the Four Paths. » The Expositor

mardi 28 août 2012

La réincarnation de Steve Jobs



Pour ceux qui se sont posés la question "Où est Steve Jobs maintenant ?" (et pour ceux qui ne se la posent pas), plus besoin de clairvoyance, parce que la réponse se trouve désormais à la portée de vos tablettes tactiles, grâce à la secte bouddhiste Dhammakaya et son abbé actuel Phra Thepyanmahamuni. Selon ce dernier, Steve Jobs se serait réincarné en "un esprit de la terre de niveau intermédiaire appartenant à la branche des yakkhas  Vidhaydhara. Sa demeure céleste se situe dans un monde parallèle à la terre près de son ancien bureau." "Yakkha" est la forme pāli de "yakṣa". Il est donc un yakṣa vidyādhara, tout comme Vajrapāṇi au début de sa carrière.

Grâce à la secte, soucieuse du poids des mots et de la force des images, nous savons que les choses n'ont pas mal bougé dans les six mondes qui ont profité de progrès technologiques très similaires aux nôtres. Les yakkha ne se promènent plus en pagne et se sont faits refaire le visage. Ils utilisent désormais des armes high-tech dernier cri. Fini également les habitations sans le confort indispensable, digne des Sims. Voici où habite et travaille désormais le yakṣa Steve Jobs.


Cette réincarnation, Steve Jobs la doit évidemment avant tout à son bon karma accumulé grâce aux énormes progrès qu'il avait fait faire à l'humanité. Mais c'était aussi un patron colérique et cette colère aurait pu lui causer une renaissance bien moins heureuse, s'il n'y avait pas eu ce petit groupe de personnes, membres de la secte, qui avaient fait faire une statue de Dhammakaya à son nom. L'actuel mérite de Steve Jobs provient en fait de la lumière au centre de son corps, qui a son origine dans l'activité de ce petit groupe d'adeptes.



La secte bouddhiste Dhammakaya pratique la technique dite Dhammakāya, qui permet de développer cette lumière au centre et qui vous donne accès à des mondes comme celui des yakkhas vidhaydhara. Et franchement, qui ne meurt pas d'envie d'y aller après sa mort ?

MàJ170912 Une vidéo "namthar" de Steve Jobs (ཇོ་པོ་སི), sous-titré en tibétain. Partie 1, Partie 2.