South Park (2002) "A Ladder to Heaven" |
Quand un Bouddha se met au niveau de ses disciples pour les enseigner la coproduction conditionnée, et que de nombreux disciples appartiennent aux classes moyennes des commerçants, il n’est pas étonnant que ceux-ci soient particulièrement attentifs quand il utilise des images de dettes (karma), de mérite (puṇya), de promotion ou de mise au placard (transmigration), de positionnement (chemins, bhūmi, ...), etc.
La coproduction conditionnée est la voie du milieu bouddhiste entre être et non-être. Cette théorie[1] dit ni éternité (essence), ni anéantissement (néant), mais changement perpétuel. Au lieu de se fixer sur la transmigration, qui est un aspect (spéculatif) spécifique du changement, l’adepte pourrait se focaliser sur le changement perpétuel de la coproduction conditionnée, à la façon d’un Livre des changements (Yi Jing) par exemple.
“La vie qui engendre la vie, c’est cela le changement”
“Le Yi Jing n’édifie aucun système explicatif de l’univers, il n’explore pas la cause de son existence ou la finalité de son devenir, il ne révèle rien qui doive être l’objet d’une croyance, il ne fait que constater une évidence que ne rejette aucune foi, que ne contredit aucune science : le changement est la vie même[2].”
Illustration (Jaina) d'un marchand médiéval indien |
L’idée de transmigration (avec son modèle cosmologique associé) peut être greffée sur la coproduction conditionnée, mais cela n’intéresse que des comptables spirituels intéressés par des investissements en l’au-delà, et qui croient en l’immortalité de l’âme et de son bilan indestructible de mérites et de dettes (avipraṇāśa). Quand au fond, “la seule chose qui ne changera jamais, c’est que tout est toujours en train de changer” (Yi Jing), que peuvent bien valoir ces “acquis” dans la durée ? Si on se dit que tout cela, au fond, on le fait pour le bien des êtres, et qu’une fois arrivé au terme, on en fera profiter les autres (ruissellement), on risque de se noyer dans des spéculations de tout genre.
Certains disent que oui, ce qu’un Nāgārjuna dit sur le Karma métaphysique est vrai en absolu, mais c’est un dogme qui aiderait l’adepte à progresser, et qu’une fois Bouddha, l’adepte "réalisé" en verrait la relativité et en serait affranchi. Pourquoi ne pas prendre en compte dès maintenant ce qu’en dit Nāgārjuna, en réduisant le rôle du karma à des proportions plus raisonnables ? Pourquoi la voie du milieu (ni être, ni non-être) ne s’appliquerait-elle pas au dogme révélé du Karma, qui semble devoir provisoirement être traité comme étant “permanent” (extrême de l’être), jusqu’à ce qu’arrive l’état de Bouddha (comment ?), où la relativité du Karma serait soudainement “réalisée” ? Il me semble que Nāgārjuna nous explique de dores et déjà aborder la doctrine du bouddhisme du point de vue de la voie du milieu, et que c’est justement en cela que consistent les positions provisoirement adoptées (skt. vyavasthā) et l’habileté en la méthode (skt. upāya) du bouddhisme, qui est sa singularité de voie de milieu entre des extrêmes, qui le met à l’abri d’une attitude dogmatique et/ou fétichiste.
[1] “17,20 [Avec notre théorie] il y vacuité, non pas anéantissement ; transmigration, non pas éternité. L’entité indestructible [avipraṇāśa] de l’acte est la doctrine enseignée par le Bouddha”. Stances du milieu par excellence, Guy Bugualt, p. 218
Ce vers représente la vue des Sāṃmitīya du Karma, où l’entité est comparée à une feuille de dette (débit).
[2] Yi Ying, le livre des changements, Cyrille J.-D. javary et Pierre Faure, Albin Michel, p.1.
[3] Conseils au roi, Nāgārjuna, traduction de Georges Driessens. La citation est du commentaire (tib. rnam bshad snying po’i don gsal bar byed pa) de Guièlstap Dharma Rintchen.
Certains disent que oui, ce qu’un Nāgārjuna dit sur le Karma métaphysique est vrai en absolu, mais c’est un dogme qui aiderait l’adepte à progresser, et qu’une fois Bouddha, l’adepte "réalisé" en verrait la relativité et en serait affranchi. Pourquoi ne pas prendre en compte dès maintenant ce qu’en dit Nāgārjuna, en réduisant le rôle du karma à des proportions plus raisonnables ? Pourquoi la voie du milieu (ni être, ni non-être) ne s’appliquerait-elle pas au dogme révélé du Karma, qui semble devoir provisoirement être traité comme étant “permanent” (extrême de l’être), jusqu’à ce qu’arrive l’état de Bouddha (comment ?), où la relativité du Karma serait soudainement “réalisée” ? Il me semble que Nāgārjuna nous explique de dores et déjà aborder la doctrine du bouddhisme du point de vue de la voie du milieu, et que c’est justement en cela que consistent les positions provisoirement adoptées (skt. vyavasthā) et l’habileté en la méthode (skt. upāya) du bouddhisme, qui est sa singularité de voie de milieu entre des extrêmes, qui le met à l’abri d’une attitude dogmatique et/ou fétichiste.
“La causalité existe conventionnellement mais n’est pas établie en soi. La considérer sous l’angle d’un être en soi est une vue de permanence”[3].Comment le Karma (et la Transmigration), traité en dogme révélé, pourrait être une vue juste de la voie du milieu, et conduire à la libération, à l’union des deux vérités, est pour moi un énigme.
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[1] “17,20 [Avec notre théorie] il y vacuité, non pas anéantissement ; transmigration, non pas éternité. L’entité indestructible [avipraṇāśa] de l’acte est la doctrine enseignée par le Bouddha”. Stances du milieu par excellence, Guy Bugualt, p. 218
Ce vers représente la vue des Sāṃmitīya du Karma, où l’entité est comparée à une feuille de dette (débit).
[2] Yi Ying, le livre des changements, Cyrille J.-D. javary et Pierre Faure, Albin Michel, p.1.
[3] Conseils au roi, Nāgārjuna, traduction de Georges Driessens. La citation est du commentaire (tib. rnam bshad snying po’i don gsal bar byed pa) de Guièlstap Dharma Rintchen.
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