jeudi 20 juin 2019

En attendant la pluie...

Rainy Night Buddha, Ginger Kenney
Le don est un acte positif (kuśala) et méritoire quel que soit celui qui reçoit le don, mais l’effet positif ou méritoire (puṇya) est renforcé ou diminué en fonction de celui qui reçoit le don (puṇyakṣetra). Tout est transitoire, douloureux et sans essence dans le bouddhisme, mais l’effet positif (kuśala-mūla) et méritoire (puṇya) d’un acte positif (kuśala) durera au-delà de la vie de l’individu qui en est l’auteur.

Pourquoi ce statut quasi-absolu du don ? Le bouddhismes'est développé dans la confrontation avec la société sacrificielle du brahmanisme. Le sacrifice et l’acte sacrificiel (karma) était ce qui permettait de maintenir l’ordre et la marche du monde. Le statut qu’avait le sacrifice a été accordé à l’acte (karma) individuel. En fonction de la nature de l’acte, positif (kuśala) ou négatif (akuśala), son effet était méritoire (puṇya) ou répréhensible (pāpa). L’acte était transitoire, mais son effet durait et s'amplifiait. La force du mérite attaché au don et au donateur était fonction du statut de celui qui recevait le don. Dans le cadre du bouddhisme, le “champ de mérite” (puṇyakṣetra) maximal était/est le Bouddha. Les dons/offrandes au Bouddha ont le plus grand retour sur investissement (ROI).

Aussi, quand le Bouddha est mort, celui-ci avait conseillé à Ananda de laisser les nobles, les brahmanes et les maîtres de maison s’occuper des restes du Tathāgata. Au moment de sa mort, le Bouddha avait accepté, à l’avance, tous les dons faits aux stūpa, aux caitya et aux lieux de pèlerinage (Histoire, Lamotte, p. 81). Ce type de don présentait donc le plus grand retour sur investissement, le plus grand mérite (puṇya).

Pourquoi le Bouddha laissa-t-il cette opportunité de mérite maximal aux élites et aux bourgeois de l’époque et non à ses propres moines ? Le don (le soutien de la communauté du Bouddha) était la pratique par excellence des laïcs. Relativement tôt dans le bouddhisme, et du moins à l'époque de Nâgârjuna (IIème s.), un individu pouvait poursuivre deux objectifs : son bonheur individuel (s. abhyudaya t. mngon mtho) ou le bien ultime (s. naiḥśreyasa t. legs pa), qui n'est autre que la libération (s. mokṣa). Les moines du Bouddha étaient en mesure d'atteindre le deuxième objectif de la libération par leur travail spirituel individuel (ascèse). Le culte des reliques du Bouddha et des autres champs de don approuvés par le Bouddha était la pratique réservée aux laïcs. C'est ce culte là, de type tout à fait religieux, qui est devenu la pratique de l'accumulation de mérite (s. puṇya-saṃbhāra), dont les formes ont varié avec le temps.

On voit déjà que tout “mérite” ne se vaut pas. En considérant un mérite, un Bouddha omniscient pourrait sans doute dire de quel type de produit méritoire il s’agissait. Sa force, la position méritoire du donateur, le statut du champs de mérite qui l’avait reçu, les courbes de maturation, son retour sur investissement etc.

Un autre développement important fut l’introduction de la notion du transfert du mérite (s. pariṇāmanā) à des membres de famille décédés, aux divinités, à tous les êtres… Il est possible que ce développement soit initialement une réponse du bouddhisme au culte des ancêtres brahmane. Par la suite il fut également possible de dédier (tib. bsngo ba) le mérite à des causes spécifiques, l’éveil de tous les êtres etc. Initialement (Tirokudda Sutta[1]), ce “transfert” avait lieu indirectement. La souffrance des pretas était allégée par leur réjouissance de l’acte du don de leur familles.

Tout cela a pour effet d’essentialiser le mérite (puṇya) et les “racines vertueuses” (kuśala-mūla). L’individu meurt, mais son mérite et ses racines vertueuses (ainsi que son mauvais karma) continuent leur évolution. Le mérite peut être transféré et dédié, ou sinon rester la propriété de son auteur dans sa nouvelle existence. Cela semble d’ailleurs être une exclusivité du mérite et des “racines vertueuses”. Les actes négatifs, les effets négatifs et le démérite ne se transfèrent et ne se dédient pas…

Les versets d’ouverture du Dhammapada semblaient plus logiques de ce point de vue.
Si, avec un mental impur, quelqu’un parle ou agit, alors la douleur le suit comme la roue suit le sabot du boeuf" 
Si, avec un mental pur, quelqu’un parle ou agit, alors le bonheur le suit comme l’ombre qui jamais ne le quitte”.
On peut considérer que c’est un langage imagier, à ne pas trop prendre à la lettre, et je serais d’accord, mais dans ce cas, faisons pareil avec les métaphores sur le “mérite” associé aux actes (notamment à l’acte de donner) et à leur transfert.

Comme c’est souvent le cas dans le bouddhisme, des petites brèches axiologiques permettent l’engouffrement de pratiques religieuses qui risquent de tout dominer. Le mérite devient une sorte de monnaie immatérielle, une matière d’échange, qui devient la raison d’être de nombreux rituels bouddhistes permettant d’accumuler du mérite en échange de dons.

Bouddha mourant période Kamakura 
Le Mahāyāna Mahāparinirvāṇa Sūtra raconte comment les disciples laïcs du Bouddha ont accouru à la nouvelle de la mort imminente du Bouddha. Ils étaient sur le point de perdre leur champs de mérite maximal et donc la source de leur bonheur futur. Ils avaient amené de très nombreuses richesses afin de pouvoir les offrir au Bouddha, avant que celui-ci ne meure.[2] Le Bouddha resta cependant silencieux et n’accepta pas les offrandes que chaque groupe lui présenta, jusqu’à celles de Śakra, le chef des dieux. Toutes les assemblées furent déçues et découragées par la perte de leur mérite potentiel. Les asuras proposèrent même de déposer les armes. Une crise de mérite sans envergure s’annonça. Les demandes de Shiva, Brahma et Indra restèrent sans effet. Devant la panique générale, le Bouddha Ākāśasama d’un paradis à l’est envoya son principal disciple Anantakāya en mission. Ce dernier demanda au Bouddha de n’accepter que la nourriture. Le Bouddha refusa toujours.

C’était finalement Cunda, le fils d’un artisan, un disciple laïque, qui arriva à faire changer d’avis le Bouddha. Cunda se lança dans une parabole sur l’agriculture, qui parlait en fait de la pratique religieuse. Mais on pourrait même l’interpréter dans un sens économique. Cunda assura le Bouddha que tout le monde avait fait son devoir et qu’il ne resta plus qu’au Bouddha de donner son aval en faisant tomber sa pluie. Tout était là pour transformer tout ce qui avait été entrepris en mérite, il suffisait que le Bouddha dise qu’il en était ainsi. La Parole du Bouddha vaut de l’or. Et il accepta finalement, mettant fin à la crise.
Excellent ! Excellent ! Je vais en effet vous enlever cette pauvreté [sens de manque]. La pluie du dharma insurpassable tombera sur votre champs karmique, produisant des pousses de dharma. Ce que vous cherchez en moi, c’est la vie, la forme (?), le pouvoir, la sérénité et la lucidité. Je vous donnerai en effet une vie éternelle, la forme, le pouvoir, la sérénité et la lucidité. Comment Cunda ? En me donnant de la nourriture [comme vous venez de le faire], vous aurez deux récompenses karmiques indifférenciables. Lesquelles ? D’abord, du fait que le don est accepté, [le donateur] atteint le parfait éveil (anuttarā samyaksaṃbodhi). Deuxièmement, du fait que le don est accepté, [le donateur] entre dans le nirvāṇa. Présentement, j’accepte ce dernier don de votre part et par conséquent, je vous amène au parachèvement de la perfection du don (dāna-pāramitā).”[3]
L’explication de ce propos a lieu dans la dialogue qui suivait entre Cunda et le Bouddha. Cunda faisait une distinction entre l’instant avant et après l’acceptation du don par le Bouddha. Avant les passions n’étaient pas épuisées, la sagesse pas acquise et la capacité de conduire les autres à la perfection du don n’était pas présente. Après l’acceptation du don par le Bouddha, c’est le contraire. Avant, on est un être ordinaire, après on est un dieu parmi les dieux. Avant, un corps impur, après un corps indestructible (vajra), “un corps de dharma, un corps permanent, un corps sans limites”.

Le Bouddha répond par ce qui est parfois considéré comme l’origine du concept de la nature de Bouddha (tathāgatagarbha). “L’après” était déjà présent en “l’avant”. Le corps indestructible du Bouddha n’avait jamais été soutenu par la nourriture, ni affecté par les passions. C’est pour ceux qui n’avaient pas vu cette nature de Bouddha, que le Bouddha parla d’un corps nourri par les aliments et affecté par les passions. Mais les bodhisattvas qui après l’acceptation du don de nourriture entrent la concentration indestructible (vajrasamādhi), verront dès l’ingestion de la nourriture la nature de Bouddha et atteindront le parfait éveil. C’est pour le Bouddha la raison de leur indifférenciation, même si les bodhisattvas (laïques) n’étaient pas en mesure d’expliquer les écritures etc.

C’est l’acceptation du don par le Bouddha qui fait tomber la cloison entre “l’avant” et “l’après”. Quelle que soit la nature du donateur (être ordinaire ou bodhisattva) et sa perception du don (réel ou symbolique à un corps ordinaire ou à un corps indestructible), le moment de basculement est l’acceptation du don, la pluie que fait tomber le Bouddha. Le Bouddha avait montré que cette acceptation (et les deux “récompenses karmiques” qui s’en suivent) n’allait pas de soi.

Dans le Mahāyāna Mahāparinirvāṇa Sūtra, le don (les offrandes) est associé à la sagesse et les réalisations, qui dépendent de l’acceptation du Bouddha et seront alors aussitôt acquises. Cette acceptation n’est pas automatique, même si on a fait tout ce qu’il fallait faire (propos de Cunda). Le résultat ne dépend donc pas du chercheur spirituel/du donateur, mais du Bouddha : la pluie tombera-t-elle ou non ? Même s’il n’y a pas de différence entre “l’avant” et “l’après”. Si notre générosité et nos innombrables dons ne conduisent pas au parfait éveil et au nirvāṇa, c’est que nos dons n’ont pas été acceptés par le Bouddha. Lisez le Mahāyāna Mahāparinirvāṇa Sūtra pour voir les illustres donateurs dont les dons avait été refusés, y compris le bodhisattva envoyé par le Bouddha du paradis dans l’est.

Moine remplissant les bols d'offrandes d'eau (Ghum, photo Munjal)
Qu’est-ce qui fait que le Bouddha accepte ou non notre don et fasse tomber sa pluie ? Mystère. Les mystiques optimistes diront sans doute que cette pluie tombe déjà depuis des lustres et que nous nageons dedans. Tout ce que peuvent faire les malheureux qui sont dans “l’avant” c’est de continuer de donner, d’accumuler du mérite, jusqu’à ce qu’ils voient tomber la pluie. Est-ce la pluie qui les ouvre les yeux, ou est-ce que ce sont leurs yeux ouverts qui font qu’ils voient la pluie ? 

Le Mahāyāna Mahāparinirvāṇa Sūtra met (habilement ?) l’accent sur le don, et fait dépendre le parfait éveil et le nirvāṇa de l’acceptation du don par le Bouddha, tout en enseignant l’indifférenciation entre “l’avant” et “l’après”. C’est un propos principalement destiné au laïcs (Cunda, bodhisattvas incapables d’expliquer les écritures, etc.) dont l’accès à la perfection du don, à l’éveil et au nirvāṇa passe par le don.

En fait, l’activité (karma) principale de la société sacrificielle brahmaniste est reprise dans les rituels et la liturgique du bouddhisme mahāyāna et vajrayāna sous la forme du don et du mérite associé. Dons qui sont présentés à des représentations du Bouddha sous tous ses aspects et que le Bouddha aurait acceptés à l’avance avant sa mort. Le don et les offrandes sont l’accès principal à l’éveil au nirvāṇa, que ce soit pour les laïcs ou pour les moines. L’approche ascétique, plus volontariste, des débuts du bouddhisme est en quelque sorte dévalorisée. Que la pluie tombe ou pas, dépend du Bouddha. Il existe aussi des approches où c’est la sagesse (prajñā) qui prime et peut même remplacer l’accumulation de mérite.
Aucune idée de ce que cela représente (Saga des Shadocks)

Je suis fier de moi, pas une seule fois dans ce blog je n’ai mentionné le culte du gourou où celui-ci prend la place du Bouddha... Sinon, toute allusion fortuite à la théorie du ruissellement dans ce blog est involontaire de ma part.


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[1] “One of the five suttas included in the Khuddaka-Pātha. Departed spirits haunt their old dwelling places and their compassionate kinsmen should bestow on them in due time, food, drink, etc. and also give gifts to the monks in their name. Thus will they be happy (Khp., p.6).

The Sutta was preached on the third day of the Buddha's visit to Rājagaha. On the previous night, Petas had made a great uproar in Bimbisāra's palace. In the time of Phussa Buddha, they had been workmen entrusted with the task of distributing alms to the Buddha and his monks, but they had been negligent in their duties and had appropriated some of the gifts for themselves. As a result, they suffered for a long period in purgatory and became Petas in the time of Kassapa Buddha. Kassapa told them that in the future, Bimbisāra, who had once been their kinsman, would entertain the Buddha Gotama and make over the merit to them. They had long waited for this occasion and when Bimbisāra failed to fulfil their expectations, they made great outcry.

The Buddha explained this to Bimbisāra, who thereupon gave alms in the name of the Petas, thus making them happy. It was on this occasion that the Sutta was preached. KhpA.202ff; cp. PvA.19ff.” Source


[2] “They then threw themselves before the Tathāgata, and blurted out: “All we ask, O Tathāgata, is that you have pity on us and accept our final offerings.” The World-Honored One, understanding the occasion, remained silent and did not accept their offerings. They beseeched him in the same way three times, but each time they were all refused. Their wishes unfulfilled, the laymen felt dejected and anxious, remaining in silence. It was as if a loving father had only one child who suddenly fell ill and died, and after the remains were buried, that father returned home in disappointment, grief, and pain.

The male lay followers were grieved and upset in much the same way. They then took what they had brought and put it all in one place, withdrew, sat off to one side in silence.“ Traduction de Mark L. Blum


[3] Traduit de l’anglais :
“Excellent! Excellent! I will now indeed remove this poverty for you. The rain of the unsurpassed dharma will fall upon your karmic field, bringing forth a dharma sprout. What you seek in me is life, form, power, serenity, and lucidity. I will indeed provide you with continual life, form, power, serenity, and unimpeded lucidity. How? Cunda, donating nourishment [as you have done] will have two karmic rewards that are indistinguishable. What are these two? First is that after the donation is accepted, [the donor] attains anuttarā samyaksaṃbodhi. Second is that after the donation is accepted, [the donor] enters nirvāṇa. I now accept this last offering from you, and [thereby] bring you to the completion of the perfection of charity (dāna-pāramitā).“ Traduction de Mark L. Blum

Version tibétaine :

37/38 /legs so legs so/ ngas khyod kyi dbul phongs pa med pa dang bla na med pa’i chos kyi char khyod kyi lus la dbab cing chos kyi myu gu skye bar bya’o/ /khyod ni da lta tshe dang*/ mdog dang*/ stobs dang*/ bde ba dang*/ thogs pa med pa’i so sor yang dag par shes pa thob par ‘dod de/ ngas khyod la tshe dang*/ mdog dang*/ stobs dang*/ bde ba dang*/ thogs pa med pa’i so sor yang dag par shes pa rtag tu sbyin no/ /de ci phyir zhe na/ tsunda zas kyi sbyin pa byin pas khyad par med pa’i ‘bras bu rnam pa gnyis thob par ‘gyur ro/ gnyis gang zhe na/ bzhes nas bla na med pa yang dag par rdzogs pa’i byang chub thob pa dang*/ bzhes nas yongs su mya ngan las ‘da’ bar ‘gyur ba’o/ ngas kyang khyod kyi mchod pa nang gi tha ma ‘di bzhes pas khyod kyi sbyin pa’i pha rol tu phyin pa yongs su rdzogs par gyur te/

Ce que Blum traduit en anglais par "form" correspond à mdog en tibétain. Ce mot signifie couleur, apparence, y compris dans le sens de caste. 

lundi 17 juin 2019

Retraditionaliser, le meilleur des deux mondes ?

Réintroduction du système de riziculture intensive par SJI à Menchari village,
pour réduire l'importation de riz aux pesticides de l'Inde 

Le bouddhisme tibétain n’est pas une religion monolithique. On y trouve à peu près les mêmes tendances et les mêmes tension que dans les religions chrétiennes. Le XIVème Dalai-Lama et son ami Samdhong Rinpoché[1] déclarent ouvertement que le monde a besoin de valeurs universelles, prônent une éducation moderne conforme aux sciences ainsi qu’une éthique laïque.

Il n’y a cependant pas que des lamas occidento-compatibles dans le bouddhisme tibétain, certains se déclarent ouvertement hostiles aux valeur universelles, qu’ils considèrent surtout être celles de l’occident et progressistes, hostiles aux traditions. Ce que le bouddhisme tibétain a de plus traditionnellement tibétain se trouve sans doute dans l’école des Anciens (et Bön), qui fait remonter ses lignées de transmission aux rois tibétains et à Gourou Rinpoché, qu’elle considère être la source de sa tradition. Les principaux lamas réincarnés de sa lignée sont souvent considérés comme des descendants ou des réincarnations du roi et de son entourage, qui auraient été les premiers disciples de Gourou Rinpoché. Il est normal que la religion et l’état, main dans la main, est sans doute un des meilleurs formes de gouvernement d’un peuple pour un nyingmapa.

Comme pour beaucoup d’autres bouddhismes, les bouddhismes tibétain et bhoutanais sont des bouddhismes ethniques et nationaux. Quand le bouddhisme tibétain est arrivé en occident, c’étaient plutôt ses aspects “universels”, “non-nationaux” et “non-ethniques” qui ont été mis en avant. Certains maîtres tibétains avaient réussi à rendre digeste leur forme spécifique de bouddhisme tibétain en les “universalisant”. L’école nyingmapa doit sa popularité notamment à une forme de Dzogchen épuré, où seul le pan sur l’état naturel de l’esprit était accentué. Les aspects “ethniques” et “nationaux” étaient des moyens habiles spécifiques au Tibet (et au Bhoutan). Avec le temps, et l’avènement de véritables maîtres occidentaux, le bouddhisme occidental développerait sans doute ses propres spécificités se disait-on. Ce fut la période de la lune de miel.

Dans les années 80 et 90, cela allait changer progressivement. Des maîtres tibétains qui furent initialement un peu surpris par les méthodes de Chogyam Trungpa, commencèrent à admirer en public sa transformation de hippies anarchiques en bouddhistes hiérarchie-philes et propres sur soi, voire à le prendre pour modèle. En même temps, Chogyam Trungpa augmentait la teneur en bouddhisme “ethnique” et “national” de sa propre méthode.

Thinley Norbu Rinpoché (1931-2011), fils de Dudjom Rinpoché (1904-1987), et le père de Dzongsar Khyentsé Rinpoché (1961) est le premier à ouvrir les hostilités dans Words for the West (1998), où il regrette l’absence de foi des occidentaux et où il critique les valeurs occidentales[2]. Son fils Dzongsar Khyentsé Rinpoché a pris la relève et malgré son amour pour certains côtés du matérialisme occidental, travaille au retour des valeurs “ethniques” et “nationales” et non seulement au Bhoutan. Il est un porte-parole important de cette tendance traditionaliste, anti-démocratique et gourou-centrée. Dautres le suivent dans cette direction, notamment dans l’école Nyingmapa.

Contrairement aux années 70-80, et plus particulièrement depuis les cas d’abus, le mot d’ordre actuel semble être le vajrayana est notre bouddhisme ethnique, s’il ne vous plait pas, vous n’avez qu’à partir. Sinon, acceptez ses règles, mêmes si elles sont contraires à vos valeurs occidentales. Finies les noces spirituelles, finie la lune de miel, finie même l’habileté en moyens, finis les efforts. C’est à prendre ou à laisser. La nature de l’esprit, la mahamudra, le dzogchen cool étaient des produits d’appel. Le véritable travail attend.

Generation Gap in Bhutan (Vimeo)

Au Bhoutan, c’est un autre type de combat. Le pays s’est modernisé et tente de suivre le cours d’un pays moderne. Avec tous les problèmes d’un pays moderne[3]. La jeunesse se désintéresse de la religion et est confrontée à des problèmes de chômage, d’addiction, de criminalité, de violences entre gangs et de suicide. Le gouvernement a décidé de réagir en développant des programmes de Valeurs Humaines Universelles (Universal Human Values - UHV) enseignées dans les universités bhoutanaises, selon le modèle du programme de Vivre ensemble Jeevan Vidya” (JV) de Shree A. Nagraj. Des exemples en anglais ici.


Les étudiants du Chökyi Gyatso Institute

Un article critiquant la mise en oeuvre de ce projet fut publié par Yangse Drubgyud Tenzin dans la version anglaise du journal bhoutanais Kuensel. Le programme ne serait pas adapté aux principes bouddhistes du Bhoutan. Il demande à ce que l’on vérifie si c’est le cas et il met en avance que le vajrayana au Bhoutan a tout ce qu’il faut pour aider la jeunesse.[4] Il regrette l’enseignement de ce programme dans des universités où l’enseignement de la philosophie bouddhiste est déjà minimal. L’auteur admet que “nous, soi-disant maîtres bouddhistes” “sommes partiellement responsables de la situation”. C’est aux maîtres bouddhistes de montrer que les enseignements du bouddha (lisez “vajrayana”) sont pertinents pour le monde moderne, et que si le Bhoutan ne fait pas attention, la jeunesse bhoutanaise s’éloignera davantage des valeurs, traditions, patrimoine et culture bhoutanais. La réponse, selon Drubgyud Tenzin, le Bhoutan l’a déjà. Il suffit de l’étudier et de la pratiquer, comme “nos ancêtres l’avaient fait pendant des siècles, à partir de l’époque de Gourou Rinpoché”.[5]

Yangse Drubgyud Tenzin, l'auteur de l'article, est probablement Drubgyud Tenzin Rinpoché (DTR), la réincarnation de Lama Sonam Zangpo, le grand-père de Dzongsar Khyentsé Rinpoché (DKR). Il fait partie de la fondation Khyentsé et il fut nommé en 2015 comme abbé de Chökyi Gyatso Institute (Bhoutan oriental) par DKR. DTR est marié et le père d’un enfant. Les 150 moines de l’institut apprennent les arts traditionnels : de nombreux rituels, droupchens, et ils pratiquent les enseignements de Jamyang Khyentse Wangpo (source). L’institut est un des projets de Lhomon Education (LME)[6] de la Lhomon Society (LMS 2012), qui s’inscrit dans l’initiative de Samdrup Jongkhar (Samdrup Jongkhar Initiative). C’est un projet-pilote de DKR, qui veut développer un modèle pour le Bhoutan en son intégralité, et qui s’inscrit dans le développement du “Bonheur National Brut”. Respect des traditions bhoutanaises, partage de connaissance et des pratiques traditionnelles, et approche écologique (zéro déchets, culture biologique...). Cela permettra de sauver la jeunesse bhoutanaise ? ...

Pratiquantes Throma ramassant des déchets pendant la retraite Krodikali
Concrètement, quand des écolières bhoutanaises (plus de 5000) participent à la retraite Krodikali de 3 jours sous la direction de Dungsé Garab Rinpoché (frère de DKR, fils de Dungsé Trinlé Norbu, et petit-fils de Dudjom Rinpoché) pour pratiquer le rituel de Throma/"Throema" composé par Dudjom Rinpoché, une action "zéro déchet" est organisée entre les sessions de pratique. Quand des lamas traditionalistes comme DKR disent que le vajrayana a beaucoup à offrir à l'occident (et à sa jeunesse ?), est-ce que c'est à ce type de programme qu'il pense ?



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[1] Samdhong Rinpoché, Lobsang Tenzin, était l'ancien premier ministre du gouvernement tibétain en exil et un membre de bureau de la Fondation pour la Responsabilité Universelle (Foundation for Universal Responsibility T. kun phan bde rtsa). Il était aussi un ami personnel de longue date de Krishnamurti et membre du Directoire de la fondation Krishnamurti en Inde.

[2] “Many people want to know about Buddhism, but they are not interested in faith because they don’t want to surrender anything. Since they think the sangha is like a group of friends so it is not necessary to respect them, this makes them feel safe.
This conception originally comes from some kind of modern superficial democratic idea of equal rights, based on a nihilist point of view and not on wisdom. Spiritual ideas are totally different from worldly political ideas, but they try to put these worldly political ideas into spiritual ideas without considering pure dharma. These democratic ideas are supposed to be kept as worldly political ideas, and not misused as if they were spiritual.”

[3] “In the past 20 years, our small country has been bombarded with modern influences from television to cell phones, the Internet, celebrities, fashions, superhero models, advertising, and news sound-bites.
The changes are not all bad – Bhutanese now have electricity, better medical care and less poverty, are living longer, and are more literate. But some changes are less savoury. Modernization has brought pollution, environmental destruction, unprecedented rural-urban migration, and challenges for youth that have led to widespread youth unemployment, drug abuse, crime, gang violence, and even suicide.” Time for a closer look at universal human values, July 29, 2017, Yangse Drubgyud Tenzin

[4] “In stark contrast, we Buddhists adhere firmly to the view that lineage is of paramount importance to a spiritual path, and aim always to follow the example of our awakened forebears. Moreover, for Buddhists, lineage is our ultimate guarantee of authenticity and reliability. Because of lineage, we know that teachings we receive and practice have been thoroughly examined, tested and practiced over hundreds of years.”

[5] “Part of the blame definitely rests with us so-called Buddhist teachers who, closeted in our monasteries and cut off from the modern world, sometimes become so lost in our ancient texts and rituals that we fail to relate to the people’s most pressing needs.
But the challenges we face in Bhutan today are so serious that, if not properly addressed right now and in a very real way, not only will we be led astray as individuals, but our unique Bhutanese values, tradition, heritage and culture – of which we are so proud – will be undermined.
We all bear responsibility. We Buddhist teachers have the responsibility to demonstrate the direct relevance of the Buddha’s teachings to modern life and needs, and those with power and authority in society also have a responsibility to examine closely the ideas they want to impose on our youngsters.
A good place for us all to start is simply to recognize, value and take pride in the treasure we already have right at our fingertips, and then to study and practice diligently in order to achieve what our forefathers and mothers achieved down the ages, all the way back to Guru Rinpoche.”

[6] “Lhomon Education (LME) is a grassroots initiative fostering the development of innovative curricula designed specifically for Bhutanese students. The basis of the LME initiative is an alternative model of teacher training and curriculum development that integrates principles of Gross National Happiness (GNH) in the truest sense of the term. Based on the overarching mission of Dzongsar Khyentse Rinpoche's Lhomon Society, and on the values and principles laid out in this document, Lhomon Education is helping teachers create unique GNH-based curricula for use in a variety of education environments. LME curriculum development workshops and teacher training seminars are open to a wide range of education institutions, including government schools, monasteries, women's organizations, rural education centers, and other formal and non-formal education institutions and initiatives in Bhutan.” Source

mardi 4 juin 2019

Viens Saint Esprit Créateur ?

Veni, Creator Spiritus

Petit historique de l’enseignement (non-exhaustif) de la méditation dans les écoles françaises

L’idée de former les cerveaux des enfants dans les écoles depuis leur tout jeune âge quand la plasticité cérébrale est au maximum (pédagogie) est évidemment très ancienne. L’introduction du principe de laïcité dans les écoles publiques a pour but de garantir un enseignement en toute indépendance par rapport aux groupes de pression religieux ou idéologique, ce qui n’a pas empêché ces derniers de vouloir entrer dans les écoles afin de faire profiter les enfants des divers bienfaits qu’ils auraient à offrir. Ci-dessous quelques acteurs, la liste est sans doute loin d'être complète.


Association Méditation dans l'Enseignement

PEACE et AME


Il y a sans doute eu des initiatives individuelles à petite échelle, mais il semblerait, en faisant une recherche rapide, que la première à avoir mis en place une structure plus durable dans le domaine de la méditation à l’école en France soit Candice Marro[1], parrainé par Mathieu Ricard et Christophe André[2]. En novembre 2014, elle lance le programme P.E.A.C.E. (Présence, Ecoute, Attention et Concentration dans l’Enseignement). “Le programme PEACE réussit à mener les élèves d’une découverte d’eux-mêmes et de leurs ressources intérieures vers une découverte de l’autre et de la relation aux autres.” La médiation (scan corporel, etc.) en est l’outil principal.
Suite à la réussite de la phase pilote de 10 semaines dans 3 établissements initiaux (2 en Midi-Pyrénées, 1 en Ile-de-France en zone ZEP+) qui a concerné 390 enfants et collégiens, les intervenants du début ont constitué l’association A.M.E. afin de répondre aux demandes émanant de nouveaux établissements, des enseignants, des enfants et parents.” (site AME)
L’association AME (Association Méditation dans l’Enseignement) regroupe tous les enseignants et praticiens du programme PEACE.

L’association AME travaille ensemble avec la société FeelVeryBien, éditeurs des applications “Méditer avec Petit Bambou”. Elle compose les programmes de méditation (PEACE) pour les nombreuses applications Petit Bambou, permettant aux petits et aux grands (“de 7 à 77 ans”) de méditer à l’aide de leurs smartphones. Il existe évidemment un risque d’asservissement aux écrans, que le parrain Christophe André accepte « [...] si cela peut permettre à un public jeune de commencer et d’aller plus loin…».[3] L’association AME vient de lancer un Fonds de soutien pour les enseignants, qui compte comme sponsors Bleu Blanc Zèbre, Petit Bambou, Monsieur Mindfulness (l’application anglophone Insighttimer) et Émergences d’Ilios Kotsou, également parrainé par Christophe André et Mathieu Ricard.




Yupsi le dragon

Un autre projet pédagogique spirituel voit le jour avec la publication en janvier 2016 de Yupsi le dragon, une initiation pour la méditation des enfants, dès 3 ans. Ce livre, préfacé par Mathieu Ricard, a été composé par Marie-Christine Champeaux-Cunin, diplômée Sciences Po et gérante de l'entreprise ETOILE-VINCI et Dominique Butet, disciples de Gyalwang Droukpa Rinpoché. Ce livre sera plus tard complété par un livre de méditation destiné aux ados. Invitées dans l’émission Sagesses Bouddhistes, MC Champeaux-Cunin explique avoir été inspirée par un cours de méditation donné dans une école de banlieue difficile de la côte Ouest américaine, qui avait eu des résultats spectaculaires, y compris une baisse de criminalité spectaculaire dans la région. Elle ne donnait pas les détails (qui, où, quand) de ce programme, mais comme l’affaire avait fait les médias (en décembre 2014), c’était assez facile à retrouver.

Il s’agissait en fait d’un programme de méditation transcendantale “Quiet Time” de la fondation David Lynch dans l’école secondaire Visitacion Valley middle school à San Francisco (article 1 et article 2). Le buzz semble passé et on voit très peu de références à ce projet sur le site actuel de l'école.

Voici les objectifs des deux livres :

Petite enfance : “Laissez vous guider par Yupsi, le petit dragon, à travers cette initiation pour la méditation des enfants, dès 3 ans. Une introduction destinée aux parents permet de comprendre les multiples bénéfices de la méditation, dès le plus jeune âge.
Des contes mettent en pratique l’apprentissage théorique et un test de mise en situation permet de voir l’évolution de la pensée de votre enfant et son ouverture aux autres et à l’altruisme
.”

Adolescence : “Accompagnez votre ado dans cette période de changement grâce à la méditation !
Vous souhaitez désamorcer les conflits avec votre ado ? L’aider à gérer son stress, sa colère et toutes les émotions négatives qui le fragilisent ? L’adolescence est une période charnière : c’est le moment idéal pour apprendre à souffler et à se relaxer.
Améliorez le quotidien de votre ado grâce à la méditation qui va lui permettre de réduire son stress, mieux se concentrer, maîtriser ses émotions, prendre confiance en lui, mieux communiquer et s’ouvrir aux autres
.“

Bien que ces livres sont plutôt destinés à un usage domestique, Dominique Butet, enseignante en maternelle et journaliste “a testé avec succès la méthode de ce livre et les apologues auprès de classes maternelles à Paris dont elle a la responsabilité.” 




FeelVeryBien et Petit Bambou (fondée en 2014)

Ludovic Dujardin, serial créateur de start-up, et Benjamin Blasco, polytechnicien et ex-directeur de la stratégie de la multinationale américaine PayPal créent en 2014 la société FeelVeryBien (établie au Luxembourg), qui servira de rampe de lancement à l’application de méditation «méditer avec Petit BamBou». Depuis ils sont leader sur le marché de la méditation en France.”

Depuis avril 2019, Petit Bambou s’est associé avec Kartable (révisions scolaires en ligne 6,99€/mois) pour que nos petits choux puissent booster les révisions scolaires sur leurs smartphones en faisant un peu de pleine conscience et de bienveillance entre les devoirs.” Petit Bambou est un sponsor de l’AME, qui écrit ses programmes de méditation pour smartphones. Pour la suite voir le blog L'impitoyable marché de la méditation.





SEVE et la philo-méditation (fondé en 2016)

Comme j’ai déjà écrit un blog sur cette initiative (à l’origine de mes recherches), vous verrez les détails dans celui-ci (L'entrepreneuriat attentionnel). SEVE (Savoir Être et Vivre Ensemble) est un projet du philosophe Frédéric le Noir, auteur de Philosopher et méditer avec les enfants, et de Martine Roussel Adam de l’Association Chemins d’enfances, financé par Ashoka France (Bill Drayton et McKinsey and Company).



Headspace, le grand concurrent américain

Les deux entrepreneurs de Petit Bambou, leaders sur le marché français semblent craindre particulièrement ce concurrent américain, qui a des sponsors et des partenaires redoutables tels que Amazon, Google, NBA, New York Times, Spotify, Teach for America, Nike, toutes les grandes entreprises aériennes, Médecins sans Frontières etc. Leur portefeuille est très fourni : méditations pour le travail, pour les enfants, pour le sommeil, pour la concentration, contre le stress et l’anxiété, etc. Leur toute dernière initiative “Philantropy” s’adresse particulièrement aux enseignants et se limite “pour l’instant” aux enseignants (K12 maternelle->collège) aux Etats-Unies.


Une fois que les entrepreneurs attentionnels spirituels et philo-méditatifs sont admis dans l’école républicaine, le principe de libre échange et de libre concurrence en fera un marché ouvert. Et pourquoi se limiter aux programmes de méditation ?


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La référence au Viens Saint Esprit Créateur est utilisée ici comme une allusion à la nouvelle tendance entrepreneuriale de "Sérendipité", la coïncidence heureuse.... Ci-dessous Mathieu Ricard parlant de la sérendipité lors du TED Global 2014.


[1] “Formatrice, psychothérapeute, ostéopathe crânienne et maman, Candice Marro a découvert la pratique du yoga et de la méditation à 17 ans. Elle a étudié et pratiqué auprès d’enseignants de diverses traditions, a fait des retraites en Inde, au Bouthan et au Népal auprès de grands maitres du bouddhisme tibétain. Elle a vécu et travaillé 10 ans à Londres, et c’est naturellement que la Mindfulness, ou pratique de la pleine conscience s’est intégrée à sa profession dans le domaine de la santé intégrative et de la psychothérapie. Elle poursuit son chemin de compréhension et de pratique de la Mindfulness grâce aux enseignements du Village des Pruniers. Elle a initié et développe le programme pionnier P.E.A.C.E (Présence, Écoute, Attention et Concentration dans l’Enseignement) en France, grâce à un protocole adapté à la vie de classe. Également chef d’entreprise associée, elle développe des formations à destination des professionnels, étudiants en management et pour le grand public.” Biographie sur le site des éditions Guy Trédaniel.


[2] Ainsi que Dr Elena Antonova (qui travaille avec la « Mind and Life Organisation »), Jacques Brodeur et Ilios Kotsou, le fondateur d’Emergences.org en Belgique.


[3] Libération 23 avril 2017.

lundi 3 juin 2019

L'impitoyable marché de la méditation



Ludovic Dujardin, serial créateur de start-up, et Benjamin Blasco, polytechnicien et ex-directeur de la stratégie de la multinationale américaine PayPal créent en 2014 la société FeelVeryBien (établie au Luxembourg), qui servira de rampe de lancement à l’application de méditation «méditer avec Petit BamBou». Depuis ils sont leader sur le marché de la méditation en France.
L’élan est là, propagé en France par le sympathique moine bouddhiste Matthieu Ricard et, donc, le psychiatre Christophe André qui rassure par son statut de médecin et se sert de la méditation - notamment - au sein de l’hôpital Sainte-Anne à Paris. «A partir de ce moment-là, c’est devenu contagieux. On s’en sert à l’école, dans les entreprises, en politique…» explique-t-il. Dans ce désir montant de mieux gérer son dur sort, Petit BamBou fait le buzz.” Libération 23 avril 2017.
Benjamin Blasco explique que «l’idée est aussi de toucher les gens là où ils sont. D’où la possibilité de méditer avec son smartphone” et que le projet avait été lancé sans aucun business plan[1]… Le serial créateur de start-up et l’ex-directeur de la stratégie chez Paypal se sont fait dépasser par le succès. C’est l’intuition, la sérendipité ou encore le hasard créateur qui les avait inspiré, le nouveau buzz des grandes entreprises. Car c’est "la pratique de la méditation [qui] infuse notre démarche d'entrepreneur.” LExpress 15/10/2018

Dix minutes de pratique avec un smartphone suffisent pour avoir accès aux nombreux bénéfices de la méditation en pleine conscience. Il ne s’agit pas de s’asservir au smartphone, mais de l’utiliser intelligemment. Il y aurait 4000 nouveaux inscrits par jour qui paient 6,99€ par mois. Une mutuelle rembourse dores et déjà 25€ sur le montant annuel de l’application, tellement ce serait bon pour la santé. Petit Bambou devance largement ses concurrents francophones Mind, Zenfie et Namatata et se lance désormais à l’attaque des marchés anglais, allemand et espagnol.
Nous avons pris [cette décision] par goût de l'aventure, mais aussi pour nous défendre face aux mastodontes américains, comme Headspace [avec des partenaires B2B redoutables], qui devrait bientôt investir les marchés européens. Il faut se diversifier pour continuer à exister." LExpress 15/10/2018
C'est désormais chose faite. Comme léducation française semble souvrir au phénomène de la méditation et de la bienveillance à l’école, de nouvelles opportunités s’ouvrent dans ce domaine. Depuis avril 2019, Petit Bambou sest associé avec Kartable (révisions scolaires en ligne 6,99€/mois) pour que nos petits choux puissent booster les révisions scolaires sur leurs smartphones en faisant un peu de pleine conscience et de bienveillance entre les devoirs. Un asservissement aux écrans est évidemment à éviter, mais comme le dit le psychiatre Christophe André : « [...] si cela peut permettre à un public jeune de commencer et d’aller plus loin…»[2]




Petit Bambou fournit des programmes de méditation pour des enfants 5-12, des ados 12-18 et pour des étudiants. Il soutient l’Association Méditation dans l'Enseignement (AME) et aide le jeune public à aller plus loin. L'aventure méditative se poursuit après la période de formation avec une gamme Travail B2B aux déclinaisons nombreuses ("Joie au travail, "Décisions et créativité", "Tabac et pleine conscience", "Digital detox", "Stress", "Sommeil serein" etc.)
 


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[1] “Bilan ? Petit BamBou, qui emploie désormais une équipe de huit à neuf personnes installée à Roubaix, est rentable depuis un an et demi. Prête à conquérir d’autres aspirants à la méditation avec une version allemande en préparation. Un fichu business plan ? «Ah ! non, nous nous sommes lancés sans objectif», assure le polytechnicien.” Libération 23 avril 2017

[2] Christophe André : «Je passe mon temps à dire aux gens "lâchez vos écrans petits ou grands". S’en passer, c’est trouver un espace dans lequel on décroche de ses petites addictions. Alors fournir une application de méditation sur écran, c’est un peu tenter le diable. Pour autant, si cela peut permettre à un public jeune de commencer et d’aller plus loin…» Libération 23 avril 2017.

Aller bien en pensant autrement


Des enfants travaillant dans une mine de cobalt au Congo (photo Fairplanet).
Le cobalt sert à stocker l'énergie renouvelable dans des batteries. 

Facebook continue de présenter des publicités qui me ressemblent, bien que je lui ai demandé de ne pas le faire (RGPD). Je reçois régulièrement des annonces sponsorisées par Psychologies. La dernière en date me proposait un article par Béatrice Millêtre (Fondatrice et Directrice du Groupe Francophone d’Echange sur la Pratique des TCC),  membre de l’Association Française de Thérapies Comportementales et Cognitives et auteure de "Prendre la vie du bon côté, pratiques du bien-être mental".

L’article avait pour titre “2 exercices pour vous regarder avec bienveillance. Les Thérapies Comportementales et Cognitives (TCC) proposent des thérapies brèves pour un bien-être permanent. Extrait du site de Béatrice Millêtre :
 Une thérapie ComportementaleLes thérapies comportementales trouvent leurs fondements dans une démarche scientifique. La science comportementale part du fait que l’inconscient est, par définition, inobservable, mais que le comportement inadapté l’est et peut donc être décrit.Le comportementaliste considère que le comportement problème a été « appris » dans certaines situations et maintenu au cours du temps. Il peut donc être «désappris».et Cognitive à la foisLes thérapies comportementales ont été enrichies par l’approche cognitive qui considère que les comportements inadaptés entraînent des « mauvaises » pensées. En effet, pour comprendre ce qui se passe dans son environnement, et agir en conséquence, l’être humain effectue un traitement des informations qui lui parviennent. Les troubles du comportement entraînent ainsi une lecture erronée de l’environnement conduisant à des perceptions négatives.La thérapie cognitive va permettre à l’individu de prendre du recul par rapport aux idées qu’il se fait de lui-même et du monde, et va également conduire à une restructuration de ces pensées.”
Pour résumer, à cause de “comportements problèmes” “appris” dans “certaines situations” les personnes aux “comportements inadaptés” peuvent éprouver des gènes en vivant en société, qui empêchent leur “bien-être permanent”. Les TCC peuvent les accompagner à désapprendre les “comportements inadaptés” et à “restructurer leur “mauvaises” pensées.

Les 2 exercices permettent à ceux qui veulent bien s’y soumettre à dépasser leurs peurs et à se parler comme un ami. Pour dépasser les peurs, les TCC conseillent d’envisager les conséquences si l’événement sur lequel porte notre peur avait vraiment lieu et de l’échafauder aussitôt par des solutions de secours.

Un exemple donné par Béatrice Millêtre :
 “et si je perdais mon emploi ? Je serais obligé de vendre mon appartement, mes enfants seraient privés d’études, etc.” “je peux dès maintenant demander une formation pour ajouter une corde à mon arc ; de nombreux étudiants ont des petits jobs pour financer partiellement leurs études, pourquoi pas mes enfants ?…” “Vous prendrez ainsi conscience que, quelles que soient les circonstances, vous pouvez toujours rester acteur de votre existence et vous adapter à la réalité du moment.” [texte mis en gras par moi]
Si deux jobs ne suffisent pas pour survivre, ou si vous en perdez un, faites une formation et prenez un troisième job, sans oublier de prendre la vie du bon côté

Il existe bien des comportements problèmes, des événements traumatisants d’ordre individuel, familial etc. qui demandent un accompagnement réel. L’exemple donné est en revanche très politique, avec des causes et des conséquences politiques évidentes. Pour être réellement un “acteur de son existence” il faudrait agir de façon politique, au lieu de traiter les inconvénients éprouvés comme les conséquences de “comportements problèmes” individuels, que l’on est invité à désapprendre en s’adaptant à la réalité du moment. Tout en se voulant apolitique et “scientifique”, le docteur en psychologie est tout à fait compatible avec le néolibéralisme et l’extrême centre. S’il a besoin de fonds pour ses projets, il n’aurait pas de mal à les trouver, à mon avis. Restructurer les “mauvaises” pensées dans ce sens devrait les intéresser.

Si ce genre de conseil est en effet scientifique et universel, essayez d’imaginer son application au Bangladesh, en Chine, au Congo etc. “Je peux dès maintenant demander à mon patron s’il a une place pour mes enfants dans son usine. De nombreux enfants ne vont pas à l'école pour des petits jobs, pourquoi pas mes enfants ?” Ils trouveront sans doute d’autres solutions TCC dans “Petit atelier du mieux-être au travail : Pour salariés de tous horizons”, “Le livre des bonnes questions à se poser pour avancer dans la vie” ou dans “Aller bien” et “Penser autrement”.

Détail poster Nouvelle Loi sur la pauvreté en Angleterre (1837)