Gampopa à Dvags lha sgam po, tel qu'il ne l'a jamais connu... |
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Les neveux de Gampopa, Gomtshul (sGom pa tshul khrim snying po 1116-1169) et Gomchung (sLob dpon sgom chung shes rab byang chub 1127-1171) se joignirent également à lui. Gomtshul aurait eu une expérience de mahāmudrā à l’âge de 18 ans, donc en 1134. On peut donc assumer qu’il fut en compagnie de son oncle autour de cette année. Quand Gomtshul avait 35 ans, donc en 1151, Gampopa lui confia (tib. gdan sar dbang bskur) la charge de Gampo. Gampopa se retira et se mit en retraite, jusqu’à sa mort en 1153.
Ceux qui rencontrèrent Gampopa vers la fin de sa vie furent aussitôt introduits (tib. ngo sprod) à la nature de l’esprit (sct. citattva) et invités à approfondir leur expérience en retraite. Même si on était un grand érudit accompli comme Pamodroupa (1110-1170), qui n’avait connu (à partir de 1150) Gampopa que pendant les dernières années de sa vie. Il reçut le même traitement et les mêmes instructions. Quand Pamodroupa lui raconte sa vie passée à Sakya, ses études et expériences, Gampopa lui montra une boule de farine d’orge grillée et lui disant que cette boule valait mieux que la réalisation de Pamodroupa. Il lui aurait demandé par la suite de s’installer sur un rocher, et de se concentrer sur son esprit sans créer aucune forme.[3]
Quelle que soit la réalité de ce genre d’anecdotes, elles nous apprennent quelque chose sur l’approche directe de Gampopa. Il semblait vouloir aller directement à l’essentiel, pas de temps à perdre. Et pour lui l’essentiel n’était pas de « créer des formes », ni l’upāya-marga. C’est pour cette raison sans doute que les lignées descendant de Gampopa aimaient à s’appeler la « lignée de pratique » (tib. sgrub brgyud) en y opposant une « lignée d’exégèse » (tib. bshad brgyud).
Après leur formation, les grands disciples de Gampopa repartirent pour se mettre en retraite et furent rapidement entourés de leurs propres cercles de disciples. Pamodroupa s'installa dans une hutte à Gdan sa mthil dans la vallée du Ngam shod. Dusum Khyenpa fut d’abord envoyé à Kampo Nenang (tib. skam po gnas nang) (BA p 479) et aurait ensuite été envoyé par Gampopa pour « fonder de nombreux monastères » (BA 479). Drigoungpa Jigten Sumgön (tib. skyob pa 'jig rten gsum mgon 1123-1217) rejoignit Pamodroupa en 1148 à Gdan sa mthil, avant de fonder son propre monastère à Drigoung en 1179.
Il semblerait qu’au temps de Gampopa, le « siège » Daklha Gampo, n’était qu’un ensemble d’ermitages avec une hutte qui servit de temple. Après la mort de Gampopa, Gomtshul, le deuxième « abbé », fit construire un dortoir pour les moines, et encore plus tard un temple légèrement plus grand. Le quatrième abbé (de 1173 à 1213), et le premier à se faire appeler ainsi, fut le "maître du Vinaya" Duldzinpa (tib. 'dul ba 'dzin pa S. vinayadhara), personnage contesté par les autres moines, qui tentèrent même de l’empoisonner. Contesté par les moines, il se serait enfui à Tshurpu (le monastère fondé par Karmapa Dus gsum mkhyen pa en 1189). Drigoungpa Jigten Sumgön, le fondateur de la lignée Drigoung l’aide à le réinstaller comme abbé à Daklha Gampo et à construire une véritable salle de réunion à quarante piliers. Dusum Khyenpa envoya des offrandes substantielles à Gampo (BA, p. 479) ainsi que des textes : quatre volumes du Śatasāhasrikā-Prajñāpāramitā et le mdo mangs[4] en 108 volumes. Et en 1209, Drigoungpa Jigten Sumgön y avait déménagé toute la bibliothèque de Pamodroupa qui se trouva encore à Gdan sa mthil.
Situation géographique de Gampo et Densathil |
Un phénomène similaire eut lieu au siège de Pamodroupa après sa mort (voir Dan Martin, The Book moving Incident). Les moines quittèrent le siège, pour s’installer ailleurs. Surtout après que deux de ses principaux disciples Jigten Sumgön et Tagloungpa (Stag lung thang pa bkra shis dpal 1142-1210) avaient fondé leurs propres monastères. Les habitants de la région (Ngam shod) et Tagloungpa furent très mécontents du transfert de la bibliothèque de Pamodroupa à Daklha Gampo. Peut-être la raison de leur transfert fut aussi partiellement pour donner un certain attrait à Daklha Gampo, après la disparition des grandes lumières de ce lieu et les problèmes qui s'en étaient suivis.
Mais cela n’explique toujours pas pourquoi on avait tenté d’empoisonner Duldzinpa. ‘Gos l’historien ne lance aucune accusation, mais il est évident qu’il aurait préféré voir un autre successeur à Daklha Gampo, notamment Sho sgom ‘phags pa (BA p. 464), dont ‘Gos dit ultérieurement (BA p. 467) que des hommes comme lui auraient fait un très bon détenteur du siège, à l’instar de Duldzinpa, qui eut une différence de vue avec ācārya sGom pa sur la non-tenue de gaṇacakras avec des bienfaiteurs (BA p. 466-467). Pour l'anecdote : un jour, lors de la tenue d’un gaṇacakra, deux bienfaiteurs se disputèrent et firent du vacarme. Gompa fut très mécontent et dit à Duldzinpa, que désormais, il s’abstiendrait de la tenue de gaṇacakra, et qu’il lui confessa[5] la tenue de gaṇacakra jusqu’alors. Mais Duldzinpa ne donna pas suite à la demande de Gompa. Il lui demanda encore : "Désormais, tu devras t’occuper du siège"[6]. ‘Gos insinue : Duldzinpa réfléchissait à comment il pourrait devenir abbé, et voilà que quelques années plus tard, sGom pa meurt à l’âge de 54 ans. Son frère, qui le succède, meurt deux ans plus tard à l’âge de 44 ans. La suite des événements étonne un peu…
Gampopa et ses neveux sont présentés comme des abbés malgré eux, la gestion du siège leur est une charge. Gampopa s’était installé à sGam po dar pour méditer. D’autres s’étaient joints à lui. A un certain moment, pour entretenir le lieu et ses contemplatifs, il fallait bien des bienfaiteurs. Ceux-ci aiment la cérémonie (gaṇacakra). Mais il fallait un lieu pour héberger ce beau monde, et donc de l'immobilier. Ces réunions venaient apparemment avec leurs lots de tensions. Gompa demanda à Duldzinpa d'arrêter les gaṇacakra et il n'y donna pas suite. Gompa lui demanda de prendre en charge le siège, et il y réfléchit. Quand Duldzinpa tient finalement les rennes avec l'aide de Drigoungpa, le monastère se développe en s’éloignant progressivement de son objectif initial de lieu de retraite. Comme dans la nouvelle de Tolstoi, Le père Serge.
Serait-il possible que les ermites rebelles de Daklha Gampo aient pu tenir Duldzinpa en quelque sorte rigueur de son refus d'arrêter les gaṇacakra, voire responsable de la mort des deux neveux, pour vouloir l’empoisonner ? L’histoire des trois hommes du Kham fait-il suite à l'épisode du gaṇacakra ? Leur départ aurait-il un lien avec cet événement ? Quoi qu’il en soit, après la mort de Gomchung, Jigten Sumgön se manifeste et investit dans le lieu : construction d’un grand temple, transfert des thankas du vieux temple (de gDan sa thil ?) au nouveau temple, transfert de la bibliothèque de gDan sa thil à Daklha Gampo (BA, p. 468). Tout cela avec le soutien également de Karmapa Dusum Khyenpa. Jigten Sumgön fit les louanges de Duldzinpa en le désignant comme le fils spirituel du vénérable oncle et les deux neveux et en l’adressant comme géshé. Drigoungpa le recommanda de rester en charge du siège, puisque personne ne serait mieux en cette fonction que lui. Duldzinpa sera brièvement succédé (en 1218) par "le neveu" de Drikhoungpa, Drikhoung Lingpa Shérab Dyoungné ('bri gung gling pa shes rab 'byung gnas, 1187-1241).
Après la disparition de « l’oncle et des deux neveux » (Gampopa et ses neveux), la contemplation en solitaire semblait avoir perdu de son importance, pour laisser place à la poursuite d’autres intérêts.
Selon Gene Smith, ensemble avec Chag lo tsāva Chos rje dpal, Jigten Sumgön s’impliqua énormément dans le réveil culturel du Tibet central, où la pureté sociologique de la pratique et l’authenticité des lignées avec preuves à l’appui devenaient d’importance vitale.[7]
Serait-il possible que les ermites rebelles de Daklha Gampo aient pu tenir Duldzinpa en quelque sorte rigueur de son refus d'arrêter les gaṇacakra, voire responsable de la mort des deux neveux, pour vouloir l’empoisonner ? L’histoire des trois hommes du Kham fait-il suite à l'épisode du gaṇacakra ? Leur départ aurait-il un lien avec cet événement ? Quoi qu’il en soit, après la mort de Gomchung, Jigten Sumgön se manifeste et investit dans le lieu : construction d’un grand temple, transfert des thankas du vieux temple (de gDan sa thil ?) au nouveau temple, transfert de la bibliothèque de gDan sa thil à Daklha Gampo (BA, p. 468). Tout cela avec le soutien également de Karmapa Dusum Khyenpa. Jigten Sumgön fit les louanges de Duldzinpa en le désignant comme le fils spirituel du vénérable oncle et les deux neveux et en l’adressant comme géshé. Drigoungpa le recommanda de rester en charge du siège, puisque personne ne serait mieux en cette fonction que lui. Duldzinpa sera brièvement succédé (en 1218) par "le neveu" de Drikhoungpa, Drikhoung Lingpa Shérab Dyoungné ('bri gung gling pa shes rab 'byung gnas, 1187-1241).
Après la disparition de « l’oncle et des deux neveux » (Gampopa et ses neveux), la contemplation en solitaire semblait avoir perdu de son importance, pour laisser place à la poursuite d’autres intérêts.
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Selon Gene Smith, ensemble avec Chag lo tsāva Chos rje dpal, Jigten Sumgön s’impliqua énormément dans le réveil culturel du Tibet central, où la pureté sociologique de la pratique et l’authenticité des lignées avec preuves à l’appui devenaient d’importance vitale.[7]
[1] D’abord deux amis de bien, Géshé Gyalwa Cungtsang et Géshé Nyanak Marpo, puis soixante autres, puis des disciples de partout, de U, Tsang, Khams et ailleurs. The Life of Gampopa, traduit en anglais par Jampa Mackenzie Stewart, p. 91
[2] rje dwags po'i zhal gdams dang / rje sgom tshul gyi zhu lan. Dus gsum mkhyen pa'i zhu lan. rJe phag mo gru pa'i zhus lan. rNal 'byor chos 'byung [i.e., chos g.yung] gi zhus lan.
[3] The Life of Gampopa, p. 92
[4] « Sur ce principe, plusieurs monastères, mais aussi plusieurs maisons royales composèrent des collections de textes canoniques qui formaient un proto-kanjur. Il ne s'agissait pas de collections complètes au sens du Kanjur tel qu'on le connait aujourd'hui, mais plutôt de collections partielles (soit que des sutras (mdo mangs) ou alors des textes de la prajnaparamita principalement). » Wikipédia
[2] rje dwags po'i zhal gdams dang / rje sgom tshul gyi zhu lan. Dus gsum mkhyen pa'i zhu lan. rJe phag mo gru pa'i zhus lan. rNal 'byor chos 'byung [i.e., chos g.yung] gi zhus lan.
[3] The Life of Gampopa, p. 92
[4] « Sur ce principe, plusieurs monastères, mais aussi plusieurs maisons royales composèrent des collections de textes canoniques qui formaient un proto-kanjur. Il ne s'agissait pas de collections complètes au sens du Kanjur tel qu'on le connait aujourd'hui, mais plutôt de collections partielles (soit que des sutras (mdo mangs) ou alors des textes de la prajnaparamita principalement). » Wikipédia
[5] Cela fait écho au vœu de Gampopa de ne plus enseigner les sādhana et les six yoga, et uniquement la mahāmudrā. Voir l’hagiographie de Mogchokpa. « Ensuite Gampopa dit : "Etudiez plutôt le cycle des six yogas (T. chos drug tshar gcig) avec Gomtshul (T. sgom pa tshul khrim snying po 1116-1169) . J'ai personnellement fait le vœu de ne pas enseigner les sādhana et les six yogas. » ngas sgrub thabs dang chos drug 'di mi bshad pa'i dam bca' gcig byas yod gsungs pas p. 182
[6] De nas nya mo khar slob dpon sgom pas tshogs shig mdzad pa’i thse/ mdo sde dkar dang srad ma dkar po bya ba’i yon bdag gnyis ‘thabs nas ku co chen po byas pas/ slob dpon sgam po thugs skyo ste/ ‘dul ba ‘dzin pa la shog gsung nas/ da phyin chad tshogs mi byed/ sngar byas pa rnams kyang khyod kyi mdun du bshags/ nga’i gdan sa yang khyod kyis gyis gsung ba las/ tshogs mi shol bar gsol ba btab kyang ma gnang*/ gdan sa dang ga la ‘ong snyam yod pa’i lo mang po ma lon par slob dpon sgam po gshegs/
[7] Ṥata-Piṭaka series, Indo-Asian Literatures volume 80, Gene Smith, The shes bya kun khyab and its place in the ris med tradition
Articles :
Gdan sa chen po dpal dwags lha sgam po’i ngo mtshar gyi ’bod pa dad pa’i gter chen [The Great Treasury of Faith: Exclaiming the Marvellousness of the Great Seat Daklha Gampo] (text G), in Sørensen and Dolma, Rare Texts, 206 (folios 32a3-33a3).
The Significant Leap from Writing to Print: - Editorial Modification in the First Printed Edition - of the Collected Works of Sgam po pa Bsod nams rin chen, Leiden University
[6] De nas nya mo khar slob dpon sgom pas tshogs shig mdzad pa’i thse/ mdo sde dkar dang srad ma dkar po bya ba’i yon bdag gnyis ‘thabs nas ku co chen po byas pas/ slob dpon sgam po thugs skyo ste/ ‘dul ba ‘dzin pa la shog gsung nas/ da phyin chad tshogs mi byed/ sngar byas pa rnams kyang khyod kyi mdun du bshags/ nga’i gdan sa yang khyod kyis gyis gsung ba las/ tshogs mi shol bar gsol ba btab kyang ma gnang*/ gdan sa dang ga la ‘ong snyam yod pa’i lo mang po ma lon par slob dpon sgam po gshegs/
[7] Ṥata-Piṭaka series, Indo-Asian Literatures volume 80, Gene Smith, The shes bya kun khyab and its place in the ris med tradition
Articles :
Gdan sa chen po dpal dwags lha sgam po’i ngo mtshar gyi ’bod pa dad pa’i gter chen [The Great Treasury of Faith: Exclaiming the Marvellousness of the Great Seat Daklha Gampo] (text G), in Sørensen and Dolma, Rare Texts, 206 (folios 32a3-33a3).
Dan Martin, “The Book-Moving Incident of 1209,” in
Edition, éditions: l’écrit au Tibet, evolution et devenir, edited by Anne
Chayet, Cristina Scherrer-Schaub, Françoise Robin, and Jean-Luc Achard,
Collectanea Himalayica 3 (Munich: Indus Verlag, 2010): 197-217.
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