Charya Nritya |
La structure sociale de la vallée de Katmandou fut codifiée pour la première fois dans le Nepalarastrasastra, à la demande du roi Malla d’origine Maithili Jayasthithi Malla (1354–1395). Le système des castes Newar est « à double tête » : hindou et bouddhiste. Du côté hindou la plus haute place est occupée par les brahmanes Rājopādhyāya (ou Déva-bhāju). Du côté bouddhiste, cette place est occupée par les Vajrācārya (ou Guru/Gu-bhāju) non-célibataires (gṛhastha). Ce statut leur donna accès à la mise en œuvre des rituels de type śakta ou kaula. « On pourrait donc dire que les Newar pratiquent un amalgame des deux religions qui se sont fortement imbriquées pour constituer un ensemble religieux unique en Asie. »[1] Gayādhara, était un prêtre non-célibataire, qui aurait persuadé Drokmi lotsāwa à renoncer à son statut de moine[2]. Tipoupa (Des histoires à coucher debout (âmes sensibles s'abstenir)) était un Vajrācārya, qui vivait avec sa femme et ses servantes, susceptibles de donner un coup de main pour les initiations. Quoiqu’en disent les hagiographies tibétaines, le Népal était le plus grand fournisseur de bouddhisme tantrique du Tibet. Son modèle n’était pas le moine contemplatif, mais le tantrika vajrācārya, proche du pouvoir.
Quand les Malla arrivèrent au pouvoir, les quelques riches Licchavi qui restèrent devinrent les « Bhāro », de riches marchands puissants. C’est à ce clan qu’appartenait la famille dont le grand-père d’Asu le newar fut le prêtre domestique (tib. mchod gnas). » (Les Bharo de Kathmandou dans les hagiographies tibétaines)
La très aisée famille Bharo faisait aussi de la prospection d’or au Tibet, et avait ses propres prêtres domestiques (tib. mchod gnas). Le grand-père d’Asu le newar (qui s’établit au Tibet en mariant une tibétaine) fut un de leurs prêtres domestiques non-célibataires. Le Népal était la plus grande source de bouddhisme vajrayāna pour le Tibet. Ceux qui l’enseignaient et donnaient les initiations aux tibétains étaient souvent des Vajrācārya (Guru/Gu-bhāju) non-célibataires. Il y eut pendant la Renaissance tibétaine un double apport de bouddhisme : celui de maîtres monastiques comme Atiśa, et un bouddhisme davantage tantrique et non-monastique (gu-bhāju, yogi, répa, ngakpa, lcang lo can, …). Et c’est ce dernier bouddhisme qui selon les hagiographes de Milarépa aurait fait s’exclamer ce dernier qu’il « aurait rempli le Tibet tout entier de saints ! » (Blue Annals, p. 455-456, Deb sngon p. 396-397).
Ce que l’on apprend des éléments hagiographiques du prêtre domestique du clan Bhāro, Avadhūtipa, c’est que ceux qui reçoivent des transmissions tantriques comme le cycle de Vajravārahī, ne sont pas des moines, mais des laïcs appartenant aux élites népalaises. Sur ce point, les hagiographies disent la vérité à leur manière. Les moines-siddha considérés comme étant à l’origine de ces transmissions ne restèrent pas dans leurs monastères et rendirent leurs vœux. Maitrīpa dans sa cellule de moine avec une femme et de l’alcool, Nāropa quittant sa vie monastique pour chercher Tailopa, Virūpa jetant son rosaire dans les latrines en quittant son monastère etc. Si ça se trouve, ils étaient des rājagurus ou des prêtres domestiques des élites népalaises, hagiographiquement transformés en siddhas.
Reprenons le cas d’Avadhūtipa le mineur, que l’on trouve quand-même au service d’une famille aristocrate newar au Népal, faisant des rituels quotidiennement, quel que puisse être par ailleurs son éventuel passé siddha.
Avadhūtipa (tib. bsod nyoms pa) (Painḍapātika) le majeur fut un disciple de Virūpa (AB p. 390) et aurait reçu un cycle de Vajravārahī (Phag mo gzhung drug) de Virūpa, que ce dernier aurait reçu de Lakṣmīṅkārā d’Oḍḍiyāna. Ce cycle fut passé ensuite à un certain siddha indien du nom de lDong ngar ba, qui le transmit à Avadhūtipa le mineur (alias Jinadatta, tib. rgyal bas byin). Avadhūtipa le mineur partit pour le Népal, où il fut accueilli par le clan Bhāro de Kathmandou et dont il devint le prêtre domestique.
Toute "vision pure" (tib. dag snang) à part, et contrairement à la description de son corps de gloire par l’hagiographe Tsangnyeun Héruka dans la Vie de Marpa, voici comment Nag tsho Tshul khrims rgyal ba (1011 -1064) décrit sa rencontre avec Nāropa.
« Puisque j'étais parti seul comme un moine insignifiant pour inviter le Seigneur Atiśa et que celui-ci devait rester encore un an à Magadha, j'avais eu l'intention de visiter le Seigneur Nāropā, dont la réputation était immense. Je voyageais vers l'est de Magadha pendant un mois, comme j'avais appris que le Seigneur demeurait dans un vihara connu sous le nom de Phullahari. J'étais très chanceux de le rencontrer. Le jour de mon arrivée, on disait qu’un prince féodal était arrivé pour lui rendre hommage. J'y suis donc allé et voyais qu'un grand trône avait été érigé. Je m'asseyais en face. La foule commença à s'exciter "Le Seigneur arrive !"Je regardais et voyais que le Seigneur était assez corpulent, aux cheveux blancs teintés en rouge (avec du henné) et portant un turban vermillon. Il était porté (sur un palanquin) par quatre hommes et mâcha du bétel. Je saisis ses pieds en pensant "Il faut que j'entende ce qu'il dit". Mais les gens me poussaient de plus en plus fortement et de plus en plus loin de son siège et finalement j'étais éjecté hors de la foule. Alors j'ai pu voir la face du Seigneur, mais je n'ai pas pu l'entendre. » (Tibetan Renaissance, Ron Davidson p. 317, p.412 note 44 Rnal 'byor byang chub seng ge'i dris lan, SKB III.277.4.5-278.2.2).La réalité semble être que les « vajrācārya » étaient plutôt des prêtres non-célibataires d’un statut social élevé, fréquentant les élites, et sans doute leur donnant des transmissions en échange d’or etc. Pour avoir accès à ces transmissions, des aventuriers lotsāwa tibétains devaient également leur offrir de l’or. Généralement, et presque par définition, seules les classes sociales supérieures ont accès à de l’or (crédit ou autre). Il s’agit donc sans doute au départ de transmissions destinées à des élites, qu’elles soient népalaises ou tibétaines. Ce qui n’empêche pas que les membres de clans élitistes puissent avoir envie de partager un certain temps la vie d’un siddha, d’un avadhūta ou d’un heruka. Marie-Antoinette avait bien son Trianon.
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[1] Source Zone Himalaya
[2] Ron Davidson, Tibetan Renaissance. « From the beginning, Gayadhara was clearly depicted as a dubious figure who retained his lay status and apparently influenced Drokmi in this direction. As with all our hagiographical subjects, Gayadhara’s story becomes more elaborate over time, and the later sources give him an extensive background of questionable veracity. »
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