mercredi 21 février 2024

"Connaissance spéciale" et rivalités : cause et effets

Illustration du site Dominus est

M. David Litwa explique dans une vidéo sur History Valley que le terme “gnostique” ne peut pas être utilisé pour classer les groupes de premiers chrétiens, ou pour désigner un groupe de chrétiens éclairés qui se serait appelé ainsi pour se distinguer des autres chrétiens, à partir de Paul. Le terme signifie simplement “ceux qui connaissent” (gnostikoi), connaissent quoi ? Une connaissance spéciale, éclairée, confidentielle, secrète, … reçue de façon spéciale… Ils connaissent quelque chose que le commun des mortels ne connaît pas, et ils prétendent avoir reçu cette connaissance spéciale d’individus ayant une certaine réputation ou autorité parmi les chrétiens, ou qui les auraient à leur tour reçu de tels individus. Des “transmissions secrètes”, que l’on pourrait appeler “āmnāya” en sanskrit ou man ngag” en tibétain dans le bouddhisme ésotérique. Ceux qui les avaient reçues pouvaient s’estimer être en possession de cette “connaissance”, contrairement aux autres chrétiens.

Cela crée une certaine effervescence. Une connaissance secrète (sur Jésus) circulait, et si on était chrétien, cela pouvait être intéressant d’y avoir accès. De connaître quelqu’un qui connaissait, ou qui connaissait quelqu’un qui connaissait… Tous ceux en possession d’une telle connaissance, ou courant derrière cette connaissance, pouvaient être appelés avec un peu d’humour et un peu péjorativement “les connaissants”.

Et ce depuis Paul, qui avait bien parlé de “connaissance”, de “gnose”, mais sans se considérer “gnostique”. Paul était le modèle de tous les chrétiens. Comment Paul avait-il reçu sa connaissance de Jésus, et comment avait-il reçu sa mission de Jésus ? Cela est raconté dans ses Épîtres aux Corinthiens. Dans sa première lettre, nous apprenons qu’il y avait des rivalités parmi les premiers chrétiens.
“11 Il m’a été rapporté à votre sujet, mes frères, par les gens de chez Chloé, qu’il y a entre vous des rivalités.
12 Je m’explique. Chacun de vous prend parti en disant : « Moi, j’appartiens à Paul », ou bien : « Moi, j’appartiens à Apollos », ou bien : « Moi, j’appartiens à Pierre », ou bien : « Moi, j’appartiens au Christ ».
13 Le Christ est-il donc divisé ? Est-ce Paul qui a été crucifié pour vous ? Est-ce au nom de Paul que vous avez été baptisés ?

“17 Le Christ, en effet, ne m’a pas envoyé pour baptiser, mais pour annoncer l’Évangile, et cela sans avoir recours au langage de la sagesse humaine, ce qui rendrait vaine la croix du Christ.” Première lettre aux Corinthiens
Les rivalités perdurent, car dans sa deuxième lettre aux Corinthiens :
“20 Car je crains qu’en arrivant, je ne vous trouve pas comme je voudrais, et que vous ne me trouviez pas comme vous voudriez ; je crains qu’il n’y ait rivalité, jalousie, emportements, intrigues, médisance, dénigrement, insolence, désordre ;” Deuxième Lettre aux Corinthiens
Les chrétiens avaient l’air perdu. Comment remettre de l’autorité, comment réarmer la chrétienté ? Si seulement Jésus était encore là. Paul avait trouvé la solution et il explique comment dans sa deuxième lettre aux Corinthiens. Paul y raconte comment il y a 14 ans auparavant, il avait “été emporté jusqu’au troisième ciel”, où il avait vu Jésus, qui lui donna des “révélations” “ tellement extraordinaires”... (07). Grâce à ces révélations et à la mission qui lui fut confiée par Jésus, au troisième ciel, il ne se sentait plus inférieur aux “super-apôtres” (11).

C’est ainsi que l’on obtient une “connaissance spéciale”, une transmission (s. āmnāya, t. man ngag) et que les autres chercheront sans doute à obtenir de vous. Qui l’as reçue, qui l’a, qui ne l’a pas, et pourquoi pas moi ? Et cela peut en effet donner lieu à la “rivalité, jalousie, emportements, intrigues, médisance, dénigrement, insolence, désordre”.

Après Paul, d’autres chrétiens sont montés au troisième ciel, ont eu des visions, ou ont reçu une connaissance spéciale d’autres manières spéciales. Et cela ne se limite pas au monde chrétien… Voir mon blog Versions de "yogācārabhūmi" et Tuṣita-nautisme pour le même phénomène dans le bouddhisme, quelques siècles après Paul.

Peut-on appeler “gnostique” tous ceux qui se réclament d’une “connaissance spéciale” obtenue de façon spéciale, et qui se sentent privilégiés à cause de cette connaissance ? Cela ferait beaucoup de “gnostiques”.

Voir aussi mon blog La précieuse étoffe uniquement visible aux connoisseurs (vaijñānika) du 2 mars 2021

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