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Face à la montée du christianisme et à la répression croissante du paganisme, les néoplatoniciens ont réagi en accentuant le caractère religieux de leur philosophie, la présentant comme une tradition ancienne et vénérable, comparable au christianisme. Les néoplatoniciens tardifs, notamment Jamblique et Proclus, ont intégré la théurgie à leur système philosophique. La théurgie, en tant que pratique rituelle visant à l'union avec le divin, offrait une alternative aux sacrements chrétiens et permettait aux néoplatoniciens de se présenter comme les héritiers d'une tradition mystique ancienne et puissante, p.e. égyptienne et assyrienne (De mysteriis).
Proclus, dans sa Théologie platonicienne, affirme que la puissance théurgique est “meilleure (κρείττων) que toute sagesse et toute science humaine”. La théurgie propose justement ces rites, qui agissent comme des médiations permettant à l'âme de se purifier et de s'élever vers les réalités supérieures. La philosophie, bien qu'essentielle pour la compréhension intellectuelle du divin, ne peut à elle seule opérer cette transformation intérieure.
“[P]our Plotin, la vie selon l'Esprit consistait dans une vie philosophique, c'est-à-dire dans l'ascèse et l'expérience morale et mystique. Il en va tout autrement pour les néoplatoniciens postérieurs. Ils conservent sans doute la pratique philosophique de l'ascèse et de la vertu, mais considèrent comme également importante ou même, apparemment dans le cas de Jamblique, plus importante encore ce qu'ils appellent la pratique “théurgique”.” (Hadot, 1995[1])Jamblique, dans ses Mystères d’Égypte, va jusqu'à dire que ce ne sont pas les discours philosophiques, mais bien “des rites que nous ne comprenons pas qui seuls peuvent opérer notre union avec les dieux”.
En résumé, le néoplatonisme tardif accorde une importance croissante à la théurgie, qui devient une voie privilégiée pour la réalisation spirituelle. Cette importance s’explique par la conception de l'âme et du monde qui prévaut à cette époque, une conception qui met l'accent sur la nécessité d'une médiation pour accéder au divin. La philosophie, bien qu'insuffisante à elle seule, demeure néanmoins essentielle pour la compréhension des principes métaphysiques qui sous-tendent la pratique théurgique.
La pratique théurgique la plus avancée, réservée à l’élite spirituelle, est centrée sur ce que les néoplatoniciens tardifs appellent le "réceptacle de l'âme" (ὑποδοχή), auquel est associé un “véhicule de l'âme” (ὄχημα), considéré comme une entité matérielle subtile qui permet à l'âme de s'incarner et d'interagir avec le monde sensible. Le réceptacle agit comme un intermédiaire entre l'âme immatérielle et le corps physiologique et permet à l'âme de recevoir l'influence divine à travers des pratiques théurgiques. Le réceptacle est sujet à des impuretés accumulées lors de l'incarnation. La théurgie vise à purifier ce réceptacle pour faciliter l'ascension de l'âme vers le divin, voire la descente du divin dans le réceptacle[2].
La prière est décrite comme un moyen de "dilater" le réceptacle et de le rendre plus apte à recevoir la lumière divine. Les sources évoquent la concentration des "rayons" divins dans le réceptacle, possiblement au niveau du cœur. Cette concentration est réalisée par des pratiques de visualisation et de contrôle du souffle, comparables[3] au prāṇāyāma dans le yoga (Vachon, 2024).
Le "réceptacle de l'âme" et le “véhicule de l'âme” se situent dans le corps “animal”, physiologique et mortel, ou sont comme connectées à une réalité supérieure. Même dans le cas du mythe de “la chute” ou d'emprisonnement, cette connexion est brouillée, mais toujours opérationnelle. Le brouillage, ou l’interférence, est causé par ce qui relève du corps mortel et de ses interactions déformées. En éliminant les interférences, le signal noétique peut être retrouvé et reçu 5 sur 5. Pour les théurges et les bouddhistes ésotériques, la théurgie consiste à rendre le réceptacle et le véhicule totalement vide et réceptif à la Lumière divine.
“c’est dans le Silence en effet qu’on apprend les secrets de cette Ténèbre (κατὰ τὸν ὑπέρφωτον ἐγκεκάλυπται τῆς κρυφιομύστου σιγῆς γνόφον) dont c’est trop peu dire que d’affirmer qu’elle brille de la plus éclatante lumière au sein de la plus noire obscurité (ἐν τῷ σκοτεινοτάτῳ τὸ ὑπερφανέστατον ὑπερλάμποντα), et que, tout en demeurant elle-même parfaitement intangible et parfaitement invisible (ἐν τῷ πάμπαν ἀναφεῖ καὶ ἀοράτῳ), elle emplit de splendeurs plus belles que la beauté les intelligences qui savent fermer les yeux (τῶν ὑπερκάλων ἀγλαιῶν ὑπερπληροῦντα τοὺς ἀνομμάτους νόας).”Le bouddhisme généraliste, en principe non-essentialiste, partage cette stratégie de dépouillement[5], sans toutefois aucune appropriation ni identification. Ni même avec la réalité ou vérité absolue, voire la vacuité. Tout ce qui est produit est produit en dépendance[6], n’a pas d’essence et est ainsi comme “non-produit”, tout en apparaissant. Ce flux continu d' “apparences” peut être réifié et essentialisé.
“exerce-toi sans cesse aux contemplations mystiques (περὶ τὰ μυστικὰ θεάματα), abandonne les sensations, renonce aux opérations intellectuelles (ἀπόλειπε τὰς νοερὰς ἐνεργείας), rejette tout ce qui appartient au sensible et à l’intelligible, dépouille-toi totalement du nonêtre et de l’être, et élève-toi ainsi, autant que tu le peux, jusqu’à t’unir dans l’ignorance (ἀγνώστως) avec Celui qui est au-delà de toute essence et de tout savoir (ὑπὲρ πᾶσαν οὐσίαν καὶ γνῶσιν).” (Vachon, 2024[4])
Le bouddhisme Yogācāra et ésotérique ajoutent des éléments plus positifs à la vacuité, que l’on peut “réaliser” et “atteindre”, avec des méthodes que l’on pourrait qualifier de “théurgiques”. Tout comme pour les néoplatoniciens tardifs cette approche théurgique est indispensable, voire supérieure à la méthode généraliste. Il y a en fait comme trois vérités : la vérité conventionnelle, la vérité ultime qui concerne la nature de la vérité conventionnelle. Ces deux vérités sont interdépendantes.
La troisième, divine et lumineuse, va englober les deux autres, et est au fond la vérité fondamentale (t. gnas lugs), comme la sosie de l’Un. Toutes les apparences, tout ce qui apparaît, est d’abord “l’apparaître ultime”, pure Lumière divine (Noûs). Sans la perception noétique, “ce qui apparaît” est mal perçu, de façon obscurcie. C’est une vérité conventionnelle, qui est par nature vide, mais “impure”. La réalité lumineuse est, elle aussi, vide (cela ne mange pas de pain), mais surtout “pure”. La “vacuité”, que l’on ne peut de toute façon pas “réaliser” ou “atteindre” importe finalement peu. L’engagement d'un simple bodhisattva dans le monde, basé sur l’habile non-différenciation des vérités conventionnelle et ultime, ne suffit plus. Le langage étant manipulateur, si on peut choisir entre vacuité “pure” et vacuité “impure”, pourquoi ne pas s’engager durablement dans la pratique et la diffusion de la vacuité “pure” ? La lumière divine, “le pur” est comme un canal en permanence ouvert, mais non perçu ou mal perçu. En fermant le canal de “l’impur”, il n’y a plus d’interférence, et la Lumière divine éternelle est reçue 5 sur 5. Cela s’appelle la gnose, rig pa, etc., en gros une perception noétique directe. Pour les théurgistes, la perception simplement correcte, philosophique, directe et même “éveillée” de la vérité conventionnelle et de sa nature ne permet pas cela. La voie de la sapience (prajñā) ne permet pas cela. Il ne s’agit d'ailleurs pas de percevoir correctement une réalité naturelle, pourquoi s'arrêter à celle-ci, à si peu ? D’ailleurs, même cela est-il possible ?
Dans le passé, mais plus particulièrement et de façon concrète, pour les théurges et les yogis, le Coeur était/est le siège de l'âme noétique (Noûs), et l’organe de la perception noétique. Le crédo du bouddhisme ésotérique n’admet pas l’existence d’une âme, mais on y trouve bien les contours d’un “réceptacle” et d’un “véhicule”, ainsi que des méthodes “théurgiques”. Notamment dans ce qui est appelée “les lignées de Nāropa”, apparues au Tibet de diverses manières selon les récits hagiographiques. Dans le bKa'yang dag pa'i tshad ma zhes bya ba mkha' 'gro ma'i man ngag, attribué à Nāropa, celui-ci affirme :
“Pour présenter la nature du corps, il y a le grossier, le subtil et le très subtil. Ceux-ci sont inséparables de l'ordinaire, et il faut en connaître les étapes : De la luminosité (t. 'od gsal ba) viennent les [cinq] grandes vacuités. De là viennent les variétés de méthode et de connaissance, les cinq éveils manifestes (s. abhisaṃbodhi), et les canaux, les vents et la bodhicitta.[7]"Dans ce passage, les “grandes vacuités[8]” sont subordonnées à la Luminosité, et participent activement à la “création”. Les méthodes tantriques attribuées à Nāropa, et celles enseignées dans le cadre du Kālacakra Tantra, utilisent les mêmes “Lois” et technologies Lumineuses de la "création", pour remonter le courant, et faire retour à la Lumière. Au Tibet, la voie “théurgique” volontariste finira par détrôner la voie contemplative, dégradée en une méthode préparatoire de dépouillement, pour rendre le réceptacle réceptif au rayonnement de la Lumière divine, et à sa transformation définitive.
***
[1] Pierre Hadot, Qu'est-ce que la philosophie antique, Gallimard (1995)
[2] David Vachon, La théurgie et la mystagogie dans la philosophie de Proclus : statut, rôle, implications (J.Vrin 2024)
[3] “[P]roclus dit que « le véhicule plus divin [...] soit invisiblement purifié et retourne à son lot propre, attiré par les rayons (αὐγῶν) de l’air, de la lune et du soleil ».
C’est d’ailleurs ainsi qu’il faut comprendre la notion de canal (ὀχετός), c’est-à-dire un passage entre le monde physique grossier et celui plus subtil, par lequel l’âme s’incarne dans le corps et grâce auquel celle-ci peut en sortir lors d’opérations théurgiques :
« Cherche le canal (ὀχετόν) de l’âme : d’où elle est, en travaillant à gages pour le corps, descendue à un certain ordre, et comment tu la relèveras à son ordre en joignant l’acte (ἔργον) à la parole sacrée (ἱερῷ λόγῳ). »
Il s’agit ensuite de concentrer ces rayons, comme le disent à la fois les O[racles] C[Chaldéens]204 et la Liturgie de Mithras, en un point précis, probablement au niveau du coeur. “
[4] La théologie mystique du Pseudo-Denys, I, 1, 997b
[5] Dhammapada,
14. 183 “S’abstenir de tout mal, cultiver le bien, purifier son coeur (citta), voici l’enseignement du Bouddha.”
[6] “Ceci étant, cela devient ;
Ceci apparaissant, cela naît.
Ceci n'étant pas, cela ne devient pas ;
Ceci cessant, cela cesse [de naître].”
Le coeur du bouddhisme
[7] “To present the nature of the body, there is coarse, subtle, and very subtle. These are inseparable from the ordinary, and one should know the stages: From luminosity comes the great emptiness. From that come the varieties of method and knowledge, the five manifest awakenings, and channels, winds, and bodhicitta.”
lus kyi gnas lugs bstan pa ni// rags dang phra dang shin tu phra// thun mong dbyer med rim shes bya// 'od gsal ba las stong pa che// de las thabs shes sna tshogs 'byung// mngon par byang chub rnam lnga dang// rtsa dang rlung dang byang chub sems//
Willa Blythe Miller, Secrets of the Vajra Body: Dngos po’i gnas lugs and the Apotheosis of the Body in the Work of Rgyal ba Yang dgon pa, dissertation, Harvard University, 2013
[8] Voir aussi cet extrait texte du bLa ma'i thugs sgrub rdo rje drag rtsal de Jamyang Khyentse Wangpo (1820 - 1892) dans le Rinchen Terdzö.
Dri med 'od las/ stong pa chen po lnga las sku rdo rje la sogs pa sngags rab tu brjod pa'i chos can rnams 'byung ste/ rjes su nga ro dang*/ a yig gnyis dang*/ thig le gnyis dang*/ gzhom du med pa'i ha yig rnams las sku dang gsung dang thugs dang ye shes rdo rje rnams yang dag par 'byung bar gsungs pa bzhin/
En particulier, comme il est dit dans le Vimalaprabhā, des cinq grandes vacuités émergent les phénomènes dotés de mantra comme le Corps-vajra etc. Comme il est dit, du son (nāda), des deux lettres A, des deux gouttes (bindu) et de la lettre HA indestructible émergent véritablement le Corps-vajra, la Parole-vajra, l'Esprit-vajra et la Sagesse-vajra.
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