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Rudolf Steiner en 1912 |
Steiner est l’auteur d’un livre Réincarnation et Karma (Reinkarnation und Karma, Vom Standpunkte der modernen Naturwissenschaft notwendige Vorstellungen 1903 ), dont une traduction anglaise est disponible en ligne dans les archives RS sous le titre « Reincarnation and Karma, Their Significance in Modern Culture ».
J’ai repéré au moins une traduction française sous le titre relativement simple « Réincarnation et Karma », publié en 1990 par les Ed. Anthroposophiques. En couverture, on voit en filigrane les notions « science de l’homme, science de l’esprit ». Un autre livre est le fruit de notes prises[1] lors des conférences données par Steiner sur la réincarnation et le karma. Elles furent publiées en anglais, sans être révisées par l’auteur des conférences, sous le titre « Reincarnation and Karma — Two Fundamental Truths of Human Existence ».
Il s’agit de cinq conférences données en 1912.
Conférence I : Comment obtenir une conception directe du noyau interne (inner kernel) de l’être de l’homme qui passe par de nombreuses existences sur la terre ? 23 janvier 1912
Conférence II: L’éventuel besoin de développer une ‘mémoire sensitive’ (feeling-memory) avant l’expérience directe de la réincarnation. 30 janvier 1912
Conférence III: La connaissance de la réincarnation et du karma à travers des exercices de pensée. 20 février 1912
Conférence IV: Des exemples d’opérations karmiques entre deux incarnations. 21 février 1912
Conférence V: Réincarnation et karma : les idées fondamentales de la conception du monde anthroposophique. Le renforcement de sa vie morale. 5 mars 1912
Pour Steiner, il est indispensable de développer la conviction de la réalité de la réincarnation.
« L’incarnation suivante fera totalement sens pour ceux qui ont acquis la conviction que leur vie, telle qu’elle est maintenant, n’est pas complète en soi, mais contient les causes de la suivante. La vie de ceux qui croient que la réincarnation est un non-sens sera dépourvu de sens et morne, puisqu’ils auront rendu leurs vies stériles et vides. »[2]Steiner était en contact avec la société théosophique depuis 1899 et y donna régulièrement des conférences diverses, très appréciées. En 1904, Steiner est nommé chef des sections allemandes et autrichiennes de la société par Annie Besant. Le titre allemand de son livre sur la réincarnation suggère qu'il présente un point de vue moderne et scientifique de l’idée de la Réincarnation et du Karma, tout comme ceux de la fondation August Jenny. Selon son article Wikipédia, Steiner se serait (depuis 1907) plutôt basé sur les traditions philosophiques et ésotériques occidentales, à la différence de la société théosophique, et aurait développé une terminologie différente de celle de Madame Blavatsky, sans doute davantage celle de la philosophique et ésotérique occidentales. Il se sépara de la société théosophique en 1912/1913, quand Leadbeater et Besant présentèrent Jiddu Krishnamurti comme le véhicule (avatar) de Maitreya, le nouveau chef spirituel du monde. En 1912, la société anthroposophique fut fondée.
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Kafka en 1911 |
C’est vrai que Steiner se considéra lui-même comme un chef spirituel, voire un gourou, plus adapté à l’occident. L'écrivain Franz Kafka l’avait rencontré pendant quand Steiner était encore un Théosophe. Kafka avait suivi ses conférences en 1911 à Berlin. Il en parle dans ses Tagebücher 1910-1923, tout en donnant des détails intimes sur sa propre façon d’aborder l'écriture. Kafka disait à Steiner qu'il pensa qu’un écrivain peut entrer dans des états voisinant la clairvoyance ("hellseherischen Zuständen"), mais que ce n’était pas dans ces états qu’il écrivait le mieux. On peut trouver ici la traduction française de son entretien avec Steiner (qui a alors 50 ans) le 28 mars 1911.
« Il m’a écouté avec la plus grande attention, sans jamais avoir l’air de m’observer, entièrement concentré sur ce que je disais. Il a hoché la tête de temps en temps, ce qu’il semble considérer comme un moyen permettant de développer une forte concentration. Au début un rhume silencieux l’a gêné, son nez coulait et il le travaillait sans cesse avec un mouchoir qu’il y enfonçait profondément, un doigt dans chaque narine. » trad. Laurent MargantinUn autre passage du Journal de Kafka montre Steiner sous les lumières d'un gourou (très drôle et assassin, surtout en allemand). Exemples.
Frau F. « Ich habe ein slechtes Gedächtnis. »
Dr. St. « Essen Sie keine Eier. »
– Madame Fanta : J’ai une mauvaise mémoire.
Dr. St. Ne mangez pas d’œufs. trad. Laurent Marganten
Autre extrait de l'édition critique du Journal de Kafka (I,32) : Le Dr. Steiner
« Fin atlantique du monde, fin lémurienne et maintenant fin par l’égoïsme. – Nous vivons à une époque décisive. »Phrase très elliptique, en allemand :
« Atlantischer Weltuntergang, Lemurischer Untergang und jetzt der durch Egoismus. – Wir leben in einer entscheidenden Zeit. »La succession de la liste est drôle, et rend bien le grand mélange de la théosophie (et de leurs rejetons), avec des éléments très différents et des objectifs pas très réalistes, voire imaginaires. Est-ce c'est à cela que Kafka fait allusion ici ?
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L'Atlantide et la Lémurie |
La fin des Atlantides, la fin des lémuriens et maintenant celle de l'égoïsme. Fait-il peut-être référence à des articles de ce genre, où Steiner mentionne « l’abolition de l’égoïsme » («Die Abschaffung des Egoismus» Das Wesen des Egoismus). Est-ce peut-être le début de l’idée de tuer l’ego ? Après la destruction des Atlantides et des lémuriens, le moment est venu d’en finir avec l’ego ? « Nous vivons à une époque décisive. »
Le Messie cosmoplanétaire (Gilbert Bourdin) parlant de ses batailles
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Trêve d'anecdotes et de plaisanteries. Ce que j'essaie de démontrer dans ces recherches sur les origines de l'idée de la réincarnation en occident, c'est que cette idée (voire l'envie) précède l'avènement du bouddhisme. Autrement dit, avant d'aimer le bouddhisme en Occident, on semblait avoir aimé l'idée de la réincarnation. Au point que même Steiner, qui avait opté pour une voie plus occidentale (contrairement à la théosophie davantage tournée vers l'Orient) dit que la croyance en la réincarnation est indispensable et enseigne des exercices de sensitivité et de pensée, pour développer cette croyance. C'est l'idée du Purgatoire (et d'une purification graduelle) qui avait idéologiquement rendu possible cette greffe. Éventuellement aidée par l'espoir d'une âme immortelle que l'idée de réincarnation satisfait implicitement. J'y reviendrai.
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[1] Par D. S. Osmond, C. Davy et S. et E. F. Derry.
[2] « The next incarnation will be full of meaning for those who have acquired the conviction that their life, as it now is, is not only complete in itself but contains causes for the next. Meaningless and desolate will be the life of those who, because they believe reincarnation to be nonsense, have themselves rendered their own lives barren and void. »