samedi 19 novembre 2011

La troisième absorption



Les trois absorptions (T. ting nge 'dzin rnam pa gsum) selon le Mahāyoga

Les rituels Mahāyoga consistent généralement en deux phases, qui sont comme l’inspir et l’expir, ou l’état émergent et quiescant de la réalité. La première s’appelle la phase de génération (T. bskyed rim S. utpannakrama) et la deuxième la phase de perfection (T. rdzogs rim S. saṃpannakrama). Les trois absorptions se rattachent à la phase de génération et constituent ses trois étapes. La première étape est l’absorption de la telléité (T. de bzhin nyid kyi ting nge ‘dzin). La deuxième est l’absorption de manifestation globale (T. kun tu snang gi ting nge ‘dzin) et la dernière est l’absorption causale (T. rgyu’i ting nge ‘dzin) qui est le départ des visualisations tantriques.

La tradition enseigne que la première absorption correspond à la bodhicitta ultime, la deuxième à la bodhicitta relative et la troisième à l’union des deux, comme la cause d’une manifestation divine spécifique selon un quelconque tantra. En termes de vajrayāna, la bodhicitta ultime et relative correspondent à l’être indestructible, le vajrasattva. « Ce qui est indestructible (vajra) est la vacuité. Et l’être est l’intuition pure ».[1] Ou encore « La vacuité est dit être l’indestructible (vajra) et ce qui se manifeste est l’être (sattva). Vajra-sattva est l’unité et l’identité des deux. »[2] La première définition d’Advayavajra pose l’intuition pure (jñāna-mātratā) comme l’être, tandis que dans la deuxième c’est tout ce qui se manifeste. C’est cet être indestructible (vajrasattva) qui s’engage ensuite dans une phase de génération spécifique à partir de la syllabe germe.

Les deux manuscrits de Dunhuang (PT626 et PT634) qui sont des commentaires Mahāyoga du petit traité  Ch’an (Stein 689-1) « Lung chung »[3] font commencer la série des trois absorptions par les trois syllabes Oṃ Aṃ (sic) Hūṃ visualisées au niveau du front, de la gorge et du cœur. Chaque syllabe purifie le corps, la parole et l’esprit.

Ensuite, l’adepte adopte la posture de méditation à cinq mudrā (phyag rgya lnga). La main droite posée dans la main gauche, la jambe gauche sur la jambe droite, le dos droit, les yeux fixés sur le bout du nez, et la langue touchant le palais. Dans cette posture on dirige l’attention vers l’intérieur pour « regarder l’esprit » (T. sems la lta ba). Cela conduit à la non discursivité (S. avikalpa), qui correspond ainsi à la première absorption.

La deuxième absorption est celle de la manifestation globale, la manifestation de l’être en tant qu’être indestructible, union de vacuité et d’être, l’être vide d’essence, pure intuition (jñāna-mātratā). Le commentaire PT 634 donne la métaphore suivante pour cette absorption :
« Quand les nuages s’ouvrent dans le ciel, la lune et les nombreuses étoiles deviennent visibles. L’absorption de la telléité est comme le ciel. Quand l’intuition omnisciente universelle sépare les nuages, la syllabe A du soi, qui est la cause du sujet connaissant, illumine le ciel. »[4]  
La troisième absorption est le début de la phase de génération du maṇḍala de la divinité. C’est à cette troisième étape que s’arrête l’approche simultanée (Stein 689-1), et où les commentaires (PT626, PT634 et PT699) font la transitions vers le mahāyoga en entrant une visualisation tantrique.

Mais cette transition, le Dzogchen primitif (p.e. de Rongzompa) et la Mahāmudrā de Śavaripa/Advayavajra ne le font pas non plus. Relire à cet égard le petit texte de Rongzompa sur le Reflet du serpent noir (sbrul nag po’i stong thun W27479), où les adeptes du Mahāyoga « sont semblables à ceux qui se remettent rapidement de leur première frayeur à la vue du reflet du serpent, et qui ensuite grâce à leur engagement spirituel (S. vrata) pourront le saisir. » Tandis que les adeptes du Dzogchen « comprennent qu’il n’y a pas lieu d’agir face à ce qui est semblable une illusion. [Les phénomènes] n’ont rien qui doit être arrêté ou accompli. Dans ce système, toute notion (T. blo), qui est [de toute façon] semblable à une illusion, est accédée (T. chud pa S. praveśa). Faisant l’expérience directe de l’absence d'attributs dans les apparences, ils sont débarrassés de la moindre saisie d’une réalité, quelle soit ultime ou superficielle, ainsi que de toute vue/doctrine (T. lta ba).

Ils affrontent la réalité comme une illusion, sans avoir besoin pour cela de s’identifier à un héro (S. vira) mahāyoguique. La troisième absorption est spontanée et ouverte. C'est la grande perfection.


Le Commentaire (sgyu ‘phrul dbang gi gal po’i don ‘grel, S. Māyābhiṣekavacyaka-mūlavritti, Narthang 78, rgyud 'grel (mu)) attribué à Buddhaguhya (et traduit par gNyags jñāna) donne trois absorptions, dont la dernière est « l’aboutissement de la perfection » (T. rdzogs pa’i rdzogs pa[1]), « l'intuition fondamentale (T. ye shes rang gnas pa) », « qui est la Grande perfection car à partir de ce point, il n’est plus besoin d’effort pour obtenir les qualités éveillées » (T. de phan cad sangs rgyas kyi yon tan kun brtsal mi dgos pas rdzogs pa chen po zhes smros so/)[5].



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[1] vajreṇa śunyatā proktā sattvena jñāna-mātratā/  tādātmyam anayoḥ siddhaṁ vajra-sattva-svabhāvataḥ/ Advayavajra-saṁgraha, p.24
[2][2] Śūnyatā vajram ityuktam ākāraḥ sattvam ucyate/ tādātmyam anayor aikyaṁ vajra-sattva iti smṛtaḥ// Jvālāvalī-vajra-mālā-tantra (Tantra de la guirlande vajra au [cercle de] flammes de cinq couleurs, c’est le cercle de flamme qui entoure Vajrayoginī).
[3] Where Chan and Tantra meet, Sam van Schaik et Jacob Dalton
[4] nam kha la sprin gis go phye nas gza' skar mang po go phye ba dang 'dra' bar de bzhin nyid ki ting nge 'dzin nam ka dang 'dra ba' la kun mkhyen gi ye shes chen pos sprin gis go phye nas bdag gi yi ge a dkar po shes pa rgyu can rgyur gnas pa nam ka la sal gis byung ngo.
[5] Narthang p. 370, Ce terme se trouve également dans deux tantras : (Commentaire sur Śrī nātha mahākāla)  DPAL NAG PO CHEN PO'I RGYUD DRAG PO'I BRTAG PA DUR KHROD CHEN PO ZHES BYA BA'I 'GREL PA (DG 1753) ainsi que (Rituel de Nīlāmbaradhara Vajrapāṇi)  GNOD SBYIN GYI SDE DPON CHEN PO LAG NA RDO RJE GOS SNGON PO CAN GYI SBYOR KA CHEN PO'I CHO GA (DG 2174).

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