« Celui qui me suit ne marche pas dans les ténèbres, dit le Seigneur. Ce sont les paroles de Jésus-Christ, par lesquelles il nous exhorte à imiter sa conduite et sa vie, si nous voulons être vraiment éclairés et délivrés de tout aveuglement du cœur. »[1]
Il ne s’agit pas d’imiter les actes et la conduite
extérieure du Christ, mais de marcher dans la lumière en méprisant les vanités
du monde, qui constituent les ténèbres. Tout le livre parle de la vie
intérieure, de l’entrée et du progrès dans celle-ci.
« Appliquez-vous donc à détacher votre cœur de l’amour des choses visibles, pour le porter tout entier vers les invisibles, car ceux qui suivent l’attrait de leurs sens souillent leur âme et perdent la grâce de Dieu. »[2]
Les symboles et les actes symboliques sont souvent utilisés
dans les religions. Un symbole « est un objet sensible, fait ou élément
naturel évoquant, dans un groupe humain donné, par une correspondance
analogique, formelle, naturelle ou culturelle, quelque chose d'absent ou
d'impossible à percevoir » (Atilf). Un symbole peut être utilisé pour représenter
le divin, l’amour, une vertu… dans des actes symboliques. Ils sont du visible
qui pointe vers de l’invisible. Prendre les symboles et les actes symboliques pour
la chose vers laquelle ils pointent est évidemment une erreur. Le fameux doigt
qui pointe vers la lune. Dans les symboles, il ne s’agit pas de leurs signes visibles, comme de simples choses visibles (dharma), mais de l’invisible (dharmatā) vers lesquels
ils pointent.
Dans l’imitation d’un modèle spirituel, il ne s’agit pas d’imiter
les signes visibles qui lui sont propre, mais de « détacher son cœur de
l’amour des choses visibles » et de développer ses qualités spirituelles
invisibles. D’ailleurs, malgré tout ce qui a été dit et écrit au sujet de leurs vies, nous ne savons rien ou pas grand-chose sur la vie du Bouddha ou du Christ.
Leurs vies, du moins telles qu’elles ont été transmises, foisonnent d’éléments et d’actes
symboliques. Les hagiographes d'autres saints bouddhistes aiment d’ailleurs s’inspirer
de la vie légendaire du Bouddha (douze actes) pour en faire des copies quasi
conformes. Il n’est d'ailleurs pas toujours besoin d’un personnage historique, une figure
mythologique peut très bien faire l’affaire. Les siddha, vidyādhara, yoginī, ḍākinī… mythologiques
ont inspirés des êtres humains pour devenir à leur tour des siddha, vidyādhara, yoginī, ḍākinī…
En écrivant les hagiographies des siddhas ou mahāsiddhas, ayant réellement vécu ou non, les
hagiographes ont pris soin d’y faire figurer des éléments et des actes
symboliques, caractéristiques des êtres mythologiques d’origine, dont leurs protagonistes auraient
réalisé les pouvoirs (siddhi) et dont ils seraient devenus les égaux.
Beaucoup de mouvements importants du passé ont connus un
nouvel essor, une renaissance, à des époques ultérieures. Inspirés par des maîtres charismatiques
du passé ou par leurs idées, les « néos » fabriquent du neuf avec du
vieux, en le faisant quelquefois passer pour un retour aux sources, à une intention originelle,
à la pureté de la doctrine. Ainsi le néo-pythagorisme, le néo-platonisme, le néodarwinisme, le
néolibéralisme etc. qui ont l’avantage de la clarté du préfixe néo-. D’autres « néo-ismes »
se cachent sous des noms qui n’en laissent rien paraître ou qui cachent même leurs origines. Ce phénomène de "renaissance" existe
aussi dans le bouddhisme.
On pourrait voir Buddhaghoṣa comme l’instigateur d’un néo-« bouddhisme
ancien ». Quelle école s’appellerait « l’école des anciens » (P.
theravāda S. sthaviravāda),
s’il n’y a pas d’école nouvelle de laquelle on aimerait se démarquer ?
Idem pour l’école nyingmapa (rnying ma = ancien) qui suivrait des tantras
anciens, anciens par rapport aux tantras nouvellement apparus à partir du 11ème
siècle. En fait ce sont plutôt des néo-anciens. L'école de la forêt est un autre mouvement néo, initié au début du 20ème siècle par Ajahn Sao Kantasilo Mahathera, prônant le retour à la forêt comme cadre propice à la vie monastique. Cette tradition renoue avec les pratiques préconisées dans les corbeilles des Sutta et du Vinaya.
Tout retour à l'autorité des ressources anciennes dans le but de ranimer la flamme, ou une flamme spécifique, n'est pas sans risque de fondamentalisme. Quelquefois, voire peut-être même toujours, une tradition a évolué pour de "bonnes" raisons. La situation change, l'époque change, les mentalités changent et il faut bien s'adapter. On ne peut pas simplement ignorer tous les facteurs qui ont conduit à ces changements progressifs et vouloir retourner à une pureté originelle, qui a sans doute seulement existé dans les écritures, où toutes les aspérités ont été gommées, qui ont été homogénéisées, sacralisées en y incorporant des éléments symboliques, mythologiques, des prédictions réalisées... Bref, retourner à une fiction et la prendre au premier degré.
Tout retour à l'autorité des ressources anciennes dans le but de ranimer la flamme, ou une flamme spécifique, n'est pas sans risque de fondamentalisme. Quelquefois, voire peut-être même toujours, une tradition a évolué pour de "bonnes" raisons. La situation change, l'époque change, les mentalités changent et il faut bien s'adapter. On ne peut pas simplement ignorer tous les facteurs qui ont conduit à ces changements progressifs et vouloir retourner à une pureté originelle, qui a sans doute seulement existé dans les écritures, où toutes les aspérités ont été gommées, qui ont été homogénéisées, sacralisées en y incorporant des éléments symboliques, mythologiques, des prédictions réalisées... Bref, retourner à une fiction et la prendre au premier degré.
Quand le personnage de Cervantès, Don Quichotte, lit des romans chevaleresques d’époques
longtemps revolues, il rêve de raviver la flamme de la chevalerie et s’imagine
être un chevalier qui se donne la mission de redresser les torts. Il rêve de
reformer la société en réinstaurant les valeurs chevaleresques.
C’est probablement en entendant ou en lisant les
hagiographies de mahāsiddhas,
que les adeptes du mouvement des yogis fous (smyon pa) du 15ème
siècle au Tibet ont eu l’idée de réformer leurs écoles en accordant une plus
grande place à ce qu’ils croyaient être les enseignements originaux de leurs
écoles et en imitant le modèle du heruka ou du yogi ascète répa (ras pa). gTsang-smyon,
le fou du Tsang, comme Don Quichotte, est allé jusqu’au bout de son rêve. Lui
et ses disciples, ont réinventé et exploité le genre de l’hagiographie, qu’ils
affectionnaient particulièrement, probablement parce qu’ils connaissaient son
pouvoir inspirateur.
De nombreux tibétains, ayant lu leurs hagiographies, s’en sont inspirés pour imiter l’exemple de Milarepa, Rechungpa, et d’autres yogis célèbres. Et cela est toujours vrai de notre époque et en occident, avec des résultats variables et incertains. Tulku Urgyan Tenpa Rinpoche et David Dubois ont écrit des billets sur la mésaventure de la yoginī /lama Chistie McNally.
Toutes les hagiographies baignent dans la fiction et le
symbolisme. Nous ne connaissons pas les figures historiques à l’origine du
bouddhisme. Ce que nous en connaissons est basé sur des légendes, dont les
hagiographies des saints bouddhistes se sont inspirées à leur tour. En outre, les
vies des mahāsiddha
foisonnent d’éléments mythologiques. Et les vies de nombreux maîtres tibétains
contiennent des éléments des vies de mahāsiddhas.
Tout cela est hautement symbolique. Prendre modèle sur des éléments fictifs n’est
sans doute pas très prudent, prendre ce qui est symbolique à la lettre non
plus. Il est important de faire la part des choses.
L’invitation à imiter le Bouddha, le Christ, un Heruka, une yoginī… n’est
évidemment pas une invitation à imiter leurs signes, actes et comportements extérieurs et visibles.
« Le Bovarysme (d'après le roman Madame Bovary de Flaubert) est la faculté départie à l'homme de se
concevoir autre qu'il n'est, en tant que l'homme est impuissant à réaliser
cette conception différente qu'il se forme de lui-même." (Jules de Gaultier)
MàJ06092013 Shinzen Young sur l'utilisation d'archétypes dans le vajrayana
[1] L’imitation
de Jésus-Christ, traduction de F. de Lamennais, Seuil, p. 12
[2] L’imitation
de Jésus-Christ, traduction de F. de Lamennais, Seuil, p. 12
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