Soyons
fous une nouvelle fois, puisque c’est la Pentecôte, la descente des langues de
feu !
Le site très intéressant de Dorji Wangchuk, professeur à l’Université de Hambourg, examine les liens
étymologiques potentiels entre les mots mots tibétains. Si, en m’inspirant de
lui, j’examine les mots klu (S. nāga), klung (rivière, lit d’une rivière, vallée),
lung pa (vallée, région, pays), lung (transmission d’une écriture) et klong
(centre et milieu de l’espace, gouffre, tourbillon), on pourrait spéculer sur
leurs liens éventuels. Le son KL- peut être considérée comme une onomatopée pour
reproduire le bruit d'un liquide. Comme par exemple en français le mot « glouglou ».
La voyelle « u » (prononcé « ou ») et qui est la seule
voyelle qui s’attache en bas des lettres, peut exprimer un sens de « descente »,
dans tous les sens du terme. Il est utilisé pour les descendants (bu –fils et
bu mo - fille) ou encore pour former des diminutifs (p.e. bya – bye’u oiseau,
petit oiseau).
Les klu
(S. nāga) sont des esprits aquatiques, qui sont considérés vivre sous la terre. Klung
est une rivière (S. nadī), le lit ou la vallée d’une rivière, bref un cours d’eau
qui descend. Le suffixe -NG, une nasalisation exprimant peut-être une
prolongation, une continuité. Lung est la transmission (sens d’écoulement) d’une
écriture par la lecture. Lung pa est une vallée/région, le point le plus bas
dans les montagnes, où peut couler une rivière. On peut ajouter encore le mot
rlung, air, vent, prāṇa, le souffle qui descend (u) dans le corps à travers,
justement, les nadī…
Tout cela
est évidemment très spéculatif (surtout la partie sur la voyelle u).
Maintenant, le mot klong qui est à l’origine de ma réflexion. Klong est le
centre, le milieu (S. madhya), le centre de l’espace, un tourbillon, vortex…
Il y a un élément fluide (KL-) et une continuité (-NG), cette fois-ci la voyelle
utilisée est O. Je manque d’inspiration ici. C’est dejà pas mal. Klong est
souvent traduit par expansion, espace, dimension, mais le dictionnaire bod rgyatshig mdzod chen mo donne comme premier sens dbus et dkyil, le milieu, le
centre, le moyeu…
Klong
est le milieu (S. madhya) entre le Ciel et la Terre. Dans le Taoïsme, ce Milieu
est appelé la Vallée (Tao Te King VI), un lieu bas et vide mais loin d'être inerte (KL-), la Voie. Marcel
Conche a des choses intéressantes à dire à ce sujet.[1]
Pour lui la Voie est la Nature. La Vallée est encore appelée « la porte de
la Femelle obscure », et comme nous sommes fous, nous pensons évidemment
immédiatement à la Nature primordiale (S. prakṛti) et à la śakti de Śiva. Elle est « obscure »
car nous savons par Héraclite que la Nature aime se cacher.
Revenons
à Śiva, dont l’émission créatrice est comparée à un mouvement ondulatoire (KL-),
un débordement de l’être, représenté par l’écoulement de sa chevelure d’un
fleuve, le Gange (Gaṅgā). Au départ une rivière céleste, qui coulera ensuite sur
la terre. De quelle nature est une
rivière celeste (comment fait-elle pour ne pas descendre (u) et rester « céleste » ?)
et comment une rivière céleste peut-il par la suite descendre sur la terre ?
Tournons-nous vers Héraclite.
« Sans cesse le non-feu devient feu et le feu non-feu, avec avantage tantôt à l’un tantôt à l’autre. » « Le monde est un ; il naît du feu et de nouveau se résout en feu, selon les cycles réguliers, dans une alternance éternelle. »[2]
Il y a des conversions du feu :
« d’abord mer, de mer, la moitié terre, et la moitié souffle brûlant » (Fragment 82, Diels 31).
Tout
naît du feu (G. keraunos) et y retournera. Pour nous rappeler cela, Śiva porte
dans sa main le feu de la fin du temps. Ce jeu cosmique (S. līlā) éternel se joue
entre le ciel et la terre, dans la fameuse Vallée au Milieu (T. klong), qui n’est
autre que la Nature ou la Voie.
« L’origine primordiale de toutes choses, ce d’où tout vient, à quoi tout revient, ce sur quoi tout ce qui est déterminé s’inscrit, est l’infini, à la fois comme indéterminé (T. med pa) et comme sans fin. Telle est la Voie. Or, si la Voie est aussi ancienne que le Temps, elle n’est pourtant pas plus ancienne qu’actuelle, car elle n’est pas soumise au Temps. Si l’on se place à l’Origine, qui aussi bien que dans un lointain passé, est dans la profonduer actuelle du présent – car la naissance du monde est chose de tous les instants - , on est à la source de ce qui a lieu aujourd’hui, et l’on domine tout par l’intelligence. Car, pouvoir connaître ce qu’il y a à l’origine de tout ce qui se montre, c’est avoir en main ce qui peut s’appeler le « fil », et saisir tout au long le déroulement de la Voie. »[3]
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