Le logos est dit être la raison divine, une raison
organisatrice ou explicatrice de l'univers (Atilf). Héraclite, qui ne croit pas en les
dieux, oppose au logos que « la divinité fait croître »[1]
le logos qui s’accroît lui-même.[2]
Conche explique que « ce qui appartient en propre à l’âme[3]
[…] animé (et animant) du feu[4]
de l’intelligence, c’est, selon Héraclite, un discours qui n’a pas besoin de la
divinité ou du poète pour croître, cela parce qu’il est le logos unique, et non
multiple, le discours vrai. La vérité donne un pouvoir qui abolit et qui
dépasse le pouvoir des dieux et des aèdes – des chantres du vrai, peut-être, ou
du faux qu’ils donnent pour vrai. »[5]
Le discours vrai est le discours universel, qui grâce au discours d’Héraclite et d’autres sages, et qui par l’intelligence et vivant dans l’intelligence devient
en nous comme un discours vivant. « La vérité est éternelle, mais cette
éternité est une éternité morte s’il n’y a pas les intelligences où cette
vérité revient à la vie. »[6]
Ce Discours (Logos) attire et agit alors comme un guide et un conseiller dans celui qui le recoit.
Il y a d’un côté le discours concret ("instructions") d’Héraclite et d’autres
sages, et de l'autre le Discours auquel ils tentent de rendre réceptifs les autres. C’est
le Discours vivant qui est le véritable Guide. Ne confondons pas le discours du
guide et le Discours comme Guide.
Dans les Distiques de Saraha et dans le commentaire d’Advayavajra,
ce point est abordé aussi.
Un guide médiateur parle, le guide immédiat est celui qui pénètre le cœur[7]
Herbert Guenther, auteur d’une traduction anglaise des trois
cycles de distiques de Saraha (Ecstatic Spontaneity), développe une théorie de trois types de guides
(guru)[8],
qu’il distingue du guide instructeur, et qu’il base sur les vies et les
distiques des 84 mahāsiddha
avec commentaire[9]. Le
Guide intérieur est quelquefois appelé « Seigneur » (S. nātha Apb. ṇāha T. mgon po) par
Saraha. Guenther fournit la définition « Le Seigneur primordial de la
lumière immuable » (T. gdod ma’i mgon po ‘od mi ‘gyur ba) pour expliquer
le sens de ce mot.[10]
Le problème est que cette explication date du 14ème siècle et qu’il
s’inscrit dans le cadre des cycles de la Quintessence (T. yang thig[11]).
Guenther est d’ailleurs coutumier du fait d’interpréter des textes anciens par
des commentaires plus tardifs. C’est plus particulièrement dans le contexte des
Distiques de Saraha et du commentaire d’Advayavajra qu’il faut être prudent,
comme ils se distancient, à même titre que Héraclite d’ailleurs, d’une
interprétation où intervient le divin, ou le surnaturel.
Il faut cependant bien admettre que l’origine de l’idée de
Seigneur est divine. Goethe était fasciné par le daimon de Socrate. Un daimon
est un intermédiaire entre les dieux et les hommes. « Le démon Eros, que
nous décrit Diotime, est indéfinissable et inclassable, comme Socrate l’atopos
(a-topos). Il n’est ni dieu ni homme, ni beau ni laid, ni sage ni insensé, ni
bon ni mauvais. Mais il est désir, parce que, comme Socrate, il a conscience de
ne pas être beau et de ne pas être sage. […] Dans la description qu’en donne
Diotime, Eros est ainsi désir de sa propre perfection, de son vrai moi. Il
souffre d’être privé de la plénitude de l’être et aspire à l’atteindre. »[12]
Le divin est symbole de la perfection, le daimon qui se
trouve entre l’homme et le divin, aspire à la perfection. Et cette aspiration a le pouvoir de guider.
Goethe définit le démonique comme « une force qui n’est ni divine ni
humaine, ni diabolique ni angélique, qui sépare et qui unit tous les êtres. »[13]
« Le démonique représente dans l’univers la dimension de l’irrationnel, de
l’inexplicable, une sorte de magie naturelle. Cet élément irrationnel est la
force motrice indispensable à toute réalisation, c’est la dynamique aveugle,
mais inexorable, qu’il faut savoir utiliser, mais à laquelle on ne peut
échapper. »[14]
Cette force, cette aspiration qui nous guide vers le
Discours universel (Logos), de Daimon deviendra l’amour. « Telle une
étincelle lancée au milieu de nos âmes voici que s’allumait et s’embrasait en
nous l’amour pour le Logos et l’amour pour cet homme[15],
ami et interprète de ce Logos. »[16]
Fénelon sur "le maître intérieur et universel".
Fénelon sur "le maître intérieur et universel".
Illustration : photo du soleil
[1] Pindare,
Néméenne, 32, Conche p. 354
[2] Fragment
101, Diels 115 « A l’âme appartient le discours qui s’accroît lui-même ».
[3] « L’âme
est le principe de la vie particulière – de la vie des corps vivants. »
Conche, p. 361
[4] « Le
feu est le principe de la vie universelle, de la vie du monde – il est toujours
vivant. » Conche, p. 361
[5] Conche,
pp. 354-355
[6] Conche,
p. 355
[7] DKG n°
18 /brgyud pa'i bla mas smras pa dngos kyi bla ma'i gang gi snying zhugs pa/
[8] Brgyud pa’i
bla ma, bka’i bla ma et dngos kyi bla ma.
[9] Grub
thob brgyad cu rtsa bzhi’i do hA ‘grel bcas (Abhayadatta/Abhaya śrī (T. mi
'jigs pa sbyin pa), traduction tibétaine de smon sgrub shes rab/ Mi nyag
lotsava fin 11ème / 12ème siècle, is the Grub thob brgyad cu rtsa bzhi'i rtogs
brjod do ha 'grel pa dang bcas pa, no. 5092)
[10] Il
réfère pour cela au mkha' 'gro snying thig de Longchenpa (1308–1364), vol. 2,
195-96.
[11] Gdod ma’i
mgon po ‘od mi ‘gyur ba ni// ‘khor ‘das gang du’ang ma chad cing*// sngar sangs
snga nas rgyas pa’o//
[12] Pierre
Hadot, Eloge de Socrate, p. 51-52
[13] Au
vingtième livre de Poésie et vérité, reformulé dans Eloge de Socrate, p. 58
[14] Eloge
de Socrate, p. 58. Comparer le démonique avec la notion de "Drala" (T. dgra bla) dans l'Apprentissage Shambhala développé par Trungpa. "En explorant la profondeur de notre perception, on peut entrer en contact avec la force fondamentale et magique inhérente au monde. Le principe du drala fait allusion à l'énergie sacrée et à la puissance qui se manifestent quand nous savons dépasser l'agression."
[15] Grégoire
le Thaumaturge (3ème siècle) parle ici de son maître Origène.
[16] Hadot
citant Grégoire le Thaumaturge, Eloge de Socrate p. 55
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