Rebirth, rebirth, rebirth (publié le 28/10/201), par le moine norvégien Ajahn Brahmali (né en 1964), ordonné par Ajahn Brahm,
Comme beaucoup d’autres moines Theravada occidentaux, Ajahn Brahmali pense que sans la croyance en la réincarnation, la doctrine bouddhique partirait totalement à la dérive. Ajahn Brahmali écrit que le bouddhisme en se proclamant vrai et au plus près du réel, se doit d’être en conformité avec les sciences par rapport à la connaissance des phénomènes. Mais il voit bien le décalage, et, comme de nombreux autres bouddhistes traditionnels, il espère que la science progressera et confirmera un jour la doctrine bouddhique. Par confirmer la doctrine bouddhique, il veut dire en fait la croyance en la réincarnation. Aussi encourage-t-il les recherches « scientifiques » parallèles en matière de réincarnation. Il recommande la lecture de “Irreducible Mind” d’Edward F. Kelly et d’autres publié en 2007, pour une bon résumé de l’état actuel du savoir réincarnationnel.
Les réincarnationistes et les spiritualistes entretiennent souvent des vues dualistes schématiques sur l’esprit et la matière, où il est plus plausible que la matière procède (création, émanation, etc.) de l’esprit ou est animé par lui, que l’inverse. Du même coup, ils accusent ceux qui ne partagent pas un point de vue dualiste esprit-matière d’être des « matérialistes » qui affirmeraient que l’esprit est un épiphénomène de « la matière » etc. Ce point de vue dualiste est dépassé, mais comme il est un point de vue traditionnel, ils ont du mal à s’en séparer. La réalité est sans doute plus complexe que ce dualisme schématique. Une culture se transmet de génération à génération, et à chaque membre d’une génération, ce qui fait qu’elle est une sorte de superstructure, qui n’est ni entièrement « spirituelle » ni « matérielle ». Elle perdure au-delà de la mort de ses membres, mais pas sans ses membres. On trouve d'ailleurs des alternatives du problème corps-esprit dans le bouddhisme même.
Les réincarnationistes comme Brahmali, persistent à dire que le Bouddha a enseigné la réincarnation comme un croyance nécessaire, sans laquelle l’édifice bouddhiste s’écroulerait. Si on parle des quatre nobles vérités du Bouddha, toutes les « vérités » ne sont pas de même nature et n’ont pas la même valeur. Elles n’ont pas été enseignées comme des dogmes qu’il convient d’accepter. La première vérité est un constat, il constate la souffrance (dukkha) universelle. La deuxième vérité en établit les causes. La troisième affirme que ces causes peuvent être éliminées et la quatrième montre comment.
Puisque la cessation de la souffrance est possible, la première vérité de la souffrance est vraie tant que les remèdes n’ont pas été appliqués. La souffrance est aussi enseignée parfois comme la conséquence d’un malentendu (avidyā), qui perdure aussi longtemps que l’on ignore les trois caractéristiques des choses (impermanentes, insatisfaisante et sans essence). La réincarnation est un malentendu du même type : tant qu’il y a identification à ce qui constitue un individu, que le bouddhisme enseigne d’être dépourvu de soi, il y aura « renaissance ». Sans soi, et sans individu qu’est ce qui peut renaître ou se libérer ?
« ‘Un jour, je m’éteindrai libre de toute appropriation, le nirvāṇa m’adviendra.’ Prendre les choses ainsi, c’est le comble de l’appropriation. »[1]Faire reposer ainsi toute l’édifice de la doctrine bouddhique sur la seule croyance de « la réincarnation » semble très malhabile, sauf s’il s’agit d’une stratégie, dans lequel cas elle n’est pas indispensable.
Pour des réincarnationistes comme Ajahn Brahmali, la réincarnation serait une découverte du Bouddha. Chaque bouddhiste peut la découvrir pour lui-même à travers l’investigation personnelle qu’est la méditation. C’est comme si nous parlions de la sagesse (prajñā) ou de l’éveil ! Il faudrait voir de plus près ce que cette affirmation comprend par réincarnation, la renaissance perpétuelle dans un des six mondes de la cosmographie bouddhiste ? Ajahn Brahmali rappelle qu’il est dit quelquefois que rejeter la croyance en la réincarnation revient à dire que l’on n’est pas bouddhiste.[2] Ce n’est pas le Bouddha qui dit cela, ni ceux qui pensent être bouddhistes mais sont dubitatifs quant à la réalité de la réincarnation, mais bien les réincarnationistes pour qui le triple entraînement (éthique, méditation et sagesse) sans cette croyance serait sans fondation. Est-ce qu’ils considèrent Nāgārjuna comme un bouddhiste ?
Pour des réincarnationistes comme Ajahn Brahmali ce serait "la fin du bouddhisme" (de leur bouddhisme ?) si le bouddhisme perdait la croyance en la réincarnation comme dogme.[3] Un moine Theravada canadien m'avait écrit un jour que sans le karma et la réincarnation, il ne savait pas ce qui le retiendrait de commettre un meurtre.
Il existe une vidéo de Dzongsar Khyentsé Rinpoché (IS THERE BUDDHISM WITHOUT REBIRTH?), dans laquelle celui dit qu’actuellement il n’y a pas de terrain d’entente entre les scientifiques et les bouddhistes au sujet de la réincarnation, mais que c’était la même chose pour ce la théorie de relativité jusqu’aux découvertes d’Einstein qui auraient confirmé ce que le Bouddha avait déjà découvert il y a 2500 ans. Il garde bon espoir que les scientifiques confirmeront un jour les propos du Bouddha au sujet de la réincarnation. DKR s'inquiète comme Ajahn Brahmali de qui est un bon bouddhiste et qui ne l'est pas, avec la croyance en la réincarnation comme critère principale.
Voir aussi La réincarnation est-elle attirante ?
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[1] Nāgārjuna, Stances du milieu par excellence, trad. Guy Bugault, p. 202
[2] « This is why it is sometimes said that rejecting rebirth is tantamount to saying you are not a Buddhist. » « If one rejects one of the core insights of the Buddha – that is, rebirth – one is actually rejecting his awakening and therefore not really taking refuge. It seems to me that it is at least arguable from this that such a person is not really a Buddhist. »
[3] « If Buddhism were to lose rebirth, it would be the end of Buddhism as far as I am concerned. »