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lundi 13 avril 2020

Milarepa, cet illustre inconnu


Nous ne savons pas grand chose sur Milarepa. Nous ne le connaissons que par quelques citations (à l’authenticité douteuse) et surtout par les hagiographies, où la fiction abonde. Il n’a pas laissé d’écrits. Les données biographiques les plus anciennes sont très simples. Gampopa, qui est considéré comme un disciple direct, réfère à lui dans les termes les plus simples, parfois simplement par son nom, ou lama Mila, pas de Rinpoché, pas de Son Éminence, ni de Sa Sainteté. Pas d’expressions de dévotion, au plus Jetsun Mila. Mais était-ce bien Gampopa qui parlait de Mila ?

Comme Mila fut un ascète, un yogi solitaire, une grande partie de sa vie, c’est ainsi qu’on le représente souvent, c’est ainsi qu’il a marqué les esprits : sincérité, simplicité et naturel. La plupart des auteurs de sa Vie aimaient opposer sa vie simple et frugale à la vie chargée et la pompe des abbés et des maîtres tantriques de son temps. Milarepa relativise les expériences méditatives (voir le chapitre sur Gampopa dans les Chants) et les pouvoirs miraculeux quon lui attribue.

Ce qu’il semble avoir transmis à Gampopa, à en juger par les citations de Mila dans les oeuvres de Gampopa, est assez simple. Gampopa écrit dans le colophon de ses Guirlandes de la voie éminente, qu’il y a fait converger les instructions de l’école Kadampa, à laquelle il appartenait, et “la mahāmudrā”. La “mahāmudrā” reçue de Milarepa ? Sans doute. Même s’il semble qu’il y eut également une filièremahāmudrādans lécole Kadampa.

Si la “mahāmudrā” qu'enseignait Gampopa, était la convergence des fleuves “Kadampa” et “Mahāmudrā”, il s’agit sans doute de la “mahāmudrā” de Maitrīpa, une “mahāmudrā” sans devayoga ni quatre mudrā, une mahāmudrā non-tantrique, avant l’essor de la mahāmudrā post-classique, qui, elle, fut indissociable de devayoga et des quatre mudrā. Cette évolution avait fait passer la “mahāmudrā” de Gampopa et de Maitrīpa au deuxième plan, y compris et peut-être surtout dans les lignées Kagyupa, qui se tournèrent davantage vers Nāropa, par le biais de disciples “directs” de Milarepa, tels Réchungpa et Ngendzongpa, un Saraha “trilogiste” clairement tantrique, des disciples “tantriques” de Gampopa, la transmission des tantras kagyupas, tout cela hagiographiquement mené de main de maître par les yogis du mouvement smyon pa. Simultanément, la relation entre Nāropa et son maître Tailopa allait servir de modèle pour la relation entre maître et disciple.

Iconographiquement, la “tantricité” des écoles Kagyupa est rendue par le port des six ornements en os. A partir d’une certaine époque, les mahāsiddha sont souvent représentés (rétroactivement) en portant ses ornements emblématiques. Même Maitrīpa devait y passer. Les yogi smyon pa des lignées Kagypa et ceux qui se réclament d’eux les porteront avec fierté. Il semble néanmoins y avoir quelques exceptions à l’habillage iconographique rétroactif des grands maîtres de la lignée Kagyupa. Sauf erreur, je ne connais pas de représentation “tantrique” de Gampopa. C’est principalement à Réchungpa que l’on “doit” l’introduction des éléments nécessaires à la mahāmudrā post-classique. Mais il semble même y avoir eu un certain retenu à parer iconographiquement Milarepa des ornements en os, comme s’il ne faisait pas tout à fait partie de la "lignée de Nāropa", malgré des efforts hagiographiques (les textes ramenés par Réchungpa et donnés à Milarepa, l’hommage de Nāropa à Milarepa avec l’inclinaison des arbres en direction du Tibet, … etc.)

Je connais des images de Milarépa portant une ceinture de méditation, même en tenant un kāpāla[1] et représenté en mahāsiddha, mais pas en portant les ornements en os...

Je termine sur les quatre mentions de Mila dans le Précieux ornement de la libération de Gampopa.

Dans l’exorde :
M’inclinant devant les Vainqueurs, les bodhisattvas et leurs nobles enseignements,
Aisni qu’aux pieds des maîtres qui en sont l’ultime source,
Je m’en remets aux paroles de mon propre lama, afin de composer, pour mon bien et pour celui des autres,
Ce précieux et noble enseignement pareil au joyau magique
.” (Précieux ornement de la libération, Padmakara, p. 25)
L’équipe de Padmakara a utilisé principalement la version xylographiée de Tashi Chökhor Lhünpo Ling (TCLL). Dans la version xylographiée de Rumtek, on trouve une variante pour le troisième vers : “Je m’en remets à la bonté de Seigneur Mila, afin de composer, pour mon bien et pour celui des autres,...”[2]. Pour sa traduction anglaise, Herbert V. Guenther semble avoir utilisé encore une autre version (“xylographie bhoutanaise moderne”) : “Je m’en remets à la grâce de Milarepa et d’Atiśa, afin de composer, pour mon bien et pour celui des autres,...” Faites vos choix.

La deuxième mention se trouve dans le chapitre 5 qui traite de la déficience du saṃsāra. Dans une discussion sur la réalité des bourreaux infernaux, l’auteur (Gampopa ?) rappelle que selon Marpa et Mila (tib. mar pa dang mi la yab sras), ces êtres infernaux apparaissent dans l’esprit des victimes à cause de leurs mauvaises actions (Guenther p. 60). Cette observation figure aussi dans la version de Rumtek[3], mais pas dans celle utilisée par Padmakara (TCLL, p. 95).

Les deux dernières mentions de Mila se trouvent dans le chapitre 20 sur l’état de Bouddha, dans la version de Rumtek.
”[ Pour Milarépa, la "sagesse" désigne la connaissance exempte d'élaborations mentales et d'altérations, qui transcende les concepts et les mots d'existence et d'inexistence, de permanence et de cessation. Par conséquent, quels que soient les termes qui la désignent, ils ne sont pas contradictoires. Ainsi est la sagesse. Un intellectuel qui rêvait d'accomplissement posa la question au Bouddha lui-même, qui lui répondit : « ne pensez pas qu’on puisse répondre de façon unilatérale. Le corps absolu transcende l'intellect; il est sans naissance et libre de toute élaboration conceptuelle. Au lieu de me questionner, observez votre esprit. Voilà la vérité.]" (Padmakara, p. 313)[4] 
Le terme de « corps » absolu n'est qu'un mot qui désigne l'épuisement de toutes les erreurs, ou encore le renversement des perceptions égarées, une fois réalisé le sens de l'espace absolu, la vacuité. En vérité, ni le corps absolu, ni ses caractéristiques, ni leur base même n'ont d'existence réelle. [C'est ce que dit maître Milarépa].” (Padmakara, p. 317)[5]
Ces références à Milarepa, que l’on trouve dans la version de Rumtek, y ont sans douté été insérées ultérieurement par “des mains invisibles”. Pourquoi ? Probablement, parce que Gampopa était un peu trop Kadampa au goût des yogis adeptes de la “Lignée de Nāropa”. Dans le passage où “Pour Milarepa” a été inséré, Gampopa citait ses amis spirituels (skt. kalyāṇamitra). Padmakara a préféré traduire par “les guéshés”, une traduction plus tendancieuse qui peut être interprété de façon péjorative, et qui l'était en effet devenue grâce aux oeuvres fictionnelles du mouvement smyon pa, parmi lesquelles la Vie et les Chants de Milarepa. Non, Gampopa fait ici référence à ses amis spirituels Kadampa, qu’il respectait, et précise qu’une connaissance livresque ne suffit pas. Ces amis spirituels étaient du même avis. L’insertion va plus loin, par association. On pourrait croire, en mettant de côté son sens historique, que les propos, attribués au Bouddha dans la citation, concerne les amis spirituels (skt. kalyāṇamitra) de Gampopa ou autres "guéshés", qui seraient des “intellectuels” ou des “numbskulls” (“crânes vides”), dans le sens où ils se laisseraient être obnubilés par des mots creux. On pourrait alors croire que Milarepa aurait pensé en ces termes desguéshés... La vérité est que nous ne savons pas grand chose de ce que pensait Milarépa, ni de sa vie, qui est couverte de multiples couches de fictions.

La version la plus ancienne (XIV-XVème s.) du Précieux ornement de la libération est selon Ulrich T. Kragh[6], le manuscrit Lha dbang dpal ’byor, actuellement en possession de Khenpo Shedup Tenzin à Kathmandu.


MàJ Pour la version de Guenther, on pourrait spéculer qu'il a ou bien interprété le "rje" comme "jo bo" (ou jo bo rje), ou qu'il avait en effet une version qui donne "mi la (dang) jo bo rje'i drin la brten nas rang gzhan don du bri" au lieu de "mi la rje yi drin la brten nas rang gzhan don du bri".  


***

[1] Sans doute apparu relativement tard et associé au rituel de Milarepa (traduction anglaise très médiocre) composé par Djamgoeun Kongtrul (1813 - 1899), rje btsun ras pa chen po la brten pa’i bla ma’i rnel ‘byor tshogs dang bcas pa ye shes pdal ‘bar zhes bya ba.
This was composed at the diligent and outstanding Naljor Wangchug of Nangtsi Ritro’s persistent requests, by a follower of Jetsun Repa’s Kagyupa sect, called Karma Ngagwang Yonten Gyamtso, (1st Jamgon Kongtrul), in the Dewakoti gardens of Palpung Monastery, at the place of accomplishments Tsadra Rinchen Drag.”

[2] mi la rje yi drin la brten nas rang gzhan don du bri//

[3] ci skyes bu'i cha byad kyis bsrung ma dang /_khwa lcags kyi mchu can la sogs pa dmyal srung gi 'khor de dag sems can yin nam ma yin zhe na/_bye brag tu smra ba rnams ni sems can yin par 'dod/_mdo sde pa rnams sems can ma yin par 'dod/_rnal 'byor spyod pa dang /_mar pa dang mi la yab sras kyi bzhed pa ni sems can sdig pa byas pa'i dbang gis rang gi sems nyid de ltar snang bar 'dod/

[4] La traduction correspondante en anglais par Herbert V. Guenther (p. 261) :
“The view of my spiritual friends is as follows: The nature of the Samyaksambuddha is Dharmakāya, the end of all error and natural harmony. But such statements are mere words. In reality Dharmakāya is unborn (so does not stand for any conception at all) and is ineffable.
[Venerable Mi.la.ras.pa used to say that transcending awareness is not discursive. It is beyond any predication such as existence or non-existence, eternalism or nihilism, and beyond the realm of intellect. Whatever name it is called does not alter its nature. This is particularly true of the word 'transcending awareness'. It was coined by a numskull, so that even if a Buddha were to be asked to explain it, he could not do so. When it is stated that Dharmakāya is beyond the intellect, unborn and ineffable, or such that one can only say 'do not ask me, look into your own mind, the statement is not true of reality (120b).] 
As is written in the 'mDo.sde.rgyan ("Mahāyāna-sūtrālankāra' IX, 3): Liberation (is) merely the end of error.”
En Wylie : rje btsun mi la'i bzhed kyi/ye shes bya ba yang*/ da lta'i shes pa bzo bcos ma phog pa 'di la yod med dam/ rtag chad tshig dang blo las 'das pa 'di rang yin/ 'di la ci ltar brjod kyang 'gal ba ma yin pas/ ye shes kyang de lta bu yin te/ mkhas su re ba'i blos byas pas sangs rgyas rang la zhus kyang phyogs gcig pa cig gsung du yod mi snyam/ chos sku blo 'das skye med spros bral yin/ nga la ma dri/ sems la ltos dang*/ de 'dra cig yin gsungs pas de ltar du bzhed pa med pa yin no/ de ltar na spongs ba phun sum tshogs pa 'am / ye shes phun sum tshogs pa de sangs rgyas kyi ngo bo'am rang bzhin no/

[5] Herbert V. Guenther :
“ VI. The characteristics of each of the Three Kāyas. (i) After Dharmadhātu has been recognized as being Śūnyatā, Dharmakāya is spoken of as the end of all error or the disappearance of bewilderment. But 'Dharmakāya' is a mere name. Since neither it, its primary characteristics, nor their basis can be found, [my Guru Mi.la.ras.pa has spoken in terms of non-existence]. Jewel Ornament, p. 264
En Wylie : sku gsum po so so'i mtshan nyid 'chad pa la/ chos kyi sku zhes pa de yang / chos kyi dbyings stong pa nyid kyi don rtogs pas/nor ba thams cad zad pa'am/ 'khrul ngor snang ba'i rang bzhin log tsam zhig la/ chos kyi sku zhes tha snyad btags pa tsam yin gyi/ don gyi ngo bo la chos kyi sku dang / chos kyi sku yi mtshan nyid dang / mtshan gzhir grub pa gang yang mi mnga' ba'i phyir/ bla ma mi las gsungs pa de ka ltar yin no//

[6] The Significant Leap from Writing to Print: Editorial Modification in the First Printed Edition of the Collected Works of Sgam po pa Bsod nams rin chen, Ulrich Timme Kragh
In conclusion, the core of the Jewel Ornament may have been written by Sgam po pa Bsod nams rin chen, but the treatise assumed its present form and prestige at a later time.”

mercredi 9 décembre 2015

Des citations qui font plus que citer


Aṣṭasahāsrikā Prajñāparamitā, manuscrit de Cambridge

Le chapitre de la perfection de la sagesse (sct. prajñāpāramitā) dans le Précieux ornement de la libération de Gampopa est particulièrement important et significatif. Il y expose en quoi consiste selon lui la sagesse (sct. prajñā) qui est le véritable facteur de libération de la pensée. Le point de vue de Gampopa est bien ancré dans la doctrine du véhicule universel (sct. mahāyāna), ce qu’une longue série de citations est censée prouver. Nous savons que ce texte, dont il serait véritablement l’auteur a subi de nombreuses transformations au cours de son histoire de transmission.[1] Nous savons également que le lieu de résidence de Gampopa, Daklha Gampo (tib. dvags lha sgam po), était assez rudimentaire dans un premier temps et qu’il s’est surtout développé sous les successeurs de Gampopa, ses deux neveux, et surtout sous Dagpo Duldzinpa (tib. dvags po ‘dul ba ‘dzin pa) qui, avec l’aide du premier Karmapa Düsum Khyenpa (tib. Dus gsum mkhyen pa, 1110-1193) et plus particulièrement de Drigoungpa Jigten Sumgön (tib. sKyob pa 'jig rten gsum mgon 1123-1217), en fit un véritable monastère.

Après la construction d’une grande salle de réunion à partir de 1171, l’année de l’entrée en fonction officielle de Duldzinpa, cette salle allait héberger une collection de textes canoniques du premier Karmapa ainsi que toute la bibliothèque de Pamodroupa (1110-1170)[2]. Les textes occupèrent une bonne partie de la salle. Dans toutes ses activités, Duldzinpa avait pu compter sur le soutien infaillible de Drigoungpa, qui avait fourni également des thankas et des fonds. Aussi, après Duldzinpa (abbé de 1173 à 1213), ce fut "le neveu" de Drikhoungpa, Drikhoung Lingpa Shérab Dyoungné (tib. 'bri gung gling pa shes rab 'byung gnas, 1187-1241) qui s’occupa pendant quelque (en 1218) temps de la gestion du lieu.

Que contenait la bibliothèque de Pamodroupa ? Nous savons qu’avant de devenir le disciple de Gampopa, les dernières années de la vie de celui-ci, que Pamodroupa avait passé de nombreuses années au siège de Sakya auprès du 3ème détenteur Sachen Kunga Nyingpo (tib. Sa chen kun dga' snying po, 1092-1158). Entre 1138 et approximativement 1150, Phamodroupa avait très activement collaboré à la toute première compilation du cycle « Voie et fruit » (tib. lam ‘bras), appelée « le volume d’or » (tib. pod ser). Son départ fut vivement regretté. Sans doute emporta-t-il des textes. Après sa période d’apprentissage avec Gampopa (environ 1150-1153), Phamodroupa s’installa à Densa Thil (tib. gdan sa thil), qui deviendra le siège de l’école Padrou kagyu (tib. phag gru bka' brgyud), d’où sortiront les écoles Droukpa Kagyu (Lingrepa Pema Dorje 1128-1188), Tagloungpa (tib. Stag lung thang pa bkra shis dpal 1142-1210) avaient fondé leurs propres monastères et Drikoung kagyu. C'est en 1179, que Jikten Gonpo « fonda »[3] le siège du Drikhoung kagyu. C’est ce dernier qui prit unilatéralement la décision de transférer la bibliothèque de Pamodroupa de Densathil vers Gampo, contestée par Tagloungpa et les habitants de la région (gNam shod). Il ne s’agit pas d’une simple collection de livres. Les textes à cette époque, et toujours, furent l’objet d’une véritable vénération. Ils représentaient la Parole du Bouddha, et en quelque sorte même le Bouddha, car celui-ci avait dit que le véritable Corps du Bouddha était l’ensemble de son Dharma (sct. dharmakāya). Ce avec quoi on consacra les stūpas et les caitya c’étaient des volumes de textes.[4] Comme ils étaient un objet de vénération, ils attiraient aussi des fidèles et des pèlerins venant porter leurs offrandes. Hormis les raisons émotionnelles, pour Densathil et les habitants de la région (gNam shod), ce transfert fut aussi un manque à gagner.

Les textes de l’œuvre complète de Gampopa (tib. Dags po bka’ ’bum) avaient beaucoup évolué jusqu’à l’introduction des procédés d’impression xylographique au Tibet et leur diffusion. C’est de 1520 que date la première impression de l’œuvre complète au siège Daklha Gampo. Et même dans les versions xylographiques ultérieures, l’œuvre complète, et le Précieux ornement ont continué à évoluer. Par exemple, entre les versions xylographiques ultérieures (p.e. entre celle de Tashi Chökhor Lhünpo Ling et de celle de Rumtek, il y a eu des amendements (voir l’introduction du Précieux ornement de la libération publié par Padmakara, p. 19)[5].

Selon Ulrich T. Kragh[6], ce serait justement après le transfert des textes, que les éditeurs du Précieux ornement de la libération avaient les moyens techniques pour ajouter les très nombreuses citations, notamment dans le chapitre sur la perfection de la sagesse.

Ces ajouts ont pu être faits pour au moins deux raisons différentes. Après les attaques de Sakya Paṇḍita (1182–1251) et d’autres sur le système de la mahāmudrā de Gampopa et ses descendants directs, on a sans doute voulu étayer les vues les moins « orthodoxes » de Gampopa par des citations de textes authentiques. Et dans le prolongement de ses attaques et de l’intégration de nouveaux matériaux « tantriques » (les instructions de Nāropa, et les transmissions aurales (tib. snyan brgyud) ramenées du Népal par Réchungpa, la trilogie de Saraha par le biais de Bal po Asu, les diverses instructions de karmamudrā de Réchungpa et de Ngendzongpa, les instructions de transfert de conscience (tib. ‘pho ba) et de l’état intermédiaire (tib. bar do), …), on a sans doute voulu marquer la connaissance de ces nouvelles instructions par Gampopa en les faisant apparaître parmi les citations etc.

Kragh mentionne trois types d’interventions éditoriales : (1) la fabrication de textes, (2) l’arrangement des textes (3) éditions linguistiques. La collection se présente comme une collection de segments, des notes de propos de Gampopa, souvent prises par ces disciples, quelquefois signés, souvent non, attribués à Gampopa ou à ses deux neveux. Certains de ces segments étaient rassemblés pour en faire des textes, avec un titre et un colophon. Kragh relève quatre types de textes :

1) Compositions littéraires 2) enseignements publics (tib. tshogs chos), (3) échanges particuliers (tib. zhus lan) et (4) manuels de méditation et de yoga (tib. khrid yig).

Ces textes ont été classés pour la version xylographiée en huit catégories :

(1) hagiographies (tib. rnam thar), (2) enseignements (tib. tshogs chos), (3) échanges particuliers (tib. zhus lan), (4) manuels de yoga (tib. nā ro’i chos drug gi khrid yig), (5) manuels de méditation mahāmudrā (tib. phyag chen gyi khrid yig), (6) propos divers (tib. gsung thor bu), (7) Hymnes et louanges (tib. bstod pa), et (8) traités sur la voie progressive (tib. lam rim gyi bstan bcos), parmi lesquels figure le Précieux ornement (tib. dvags po thar rgyan).

En ce qui concerne l’édition linguistique, il s’agit principalement d’un travail éditorial classique, mais aussi la remise à jour de certains termes archaïques, une certaine modernisation. Parmi tous ces textes plus ou moins arbitrairement constitués, seuls trois textes porteraient réellement la griffe de Gampopa. Il s’agit de Instructions orales de maître Gampopa : la Guirlande des joyaux du chemin éminent (tib. rje sgam po pa’i zhal gdams/ lam mchog rin po che’i phreng ba), Le précieux ornement de la libération et Les propose du maître de Dharma et physicien de Dvags po, Les rayons solaires des traités (tib. chos rje dags po lha rje’i gsung/ bstan chos lung gi nyi ’od ces bya ba, écrit en 1134 ?). Il s’agirait de notes de ses études kadampa.

La xylographie du Précieux ornement de Daklha Gampo de 1520, comporte un colophon qui fait état d’un certain nombre de problèmes qui entourent ce texte.
« Certaines xylographies du Précieux ornement, disent que l’on ne trouve pas de passages tardifs fiables. Dans les introductions de l’auteur ainsi que dans certaines xylographies, on trouve des affirmations de Milarepa et de ses disciples, de Marpa et de ses disciples, des déclarations hardies (tib. spob) sur les étapes de progression (tib. dmigs rims) etc. Plus particulièrement dans les chapitres sur la Contemplation (sct. dhyāna), la Sagesse (sct. prajñā), la progression spirituelle etc. on trouve des insertions (tib. gcug pa), des omissions (tib. gton pa) etc. et de nombreuses intégrations d’ajouts (tib. bsre slang mang). Néanmoins, le système comporte du vrai, bien que l’on raconte que l’ensemble de l’œuvre complète avec le Précieux ornement constituent le principal du confluent des traditions kadampa et mahāmudrā. »[7]
Plus concrètement, quand on regarde le chapitre de la perfection de la sagesse, on voit évidemment de nombreuses citations des sources officielles de la perfection de sagesse,

Les Discours portant sur la Prajñāpāramitā, à savoir :

La Prajñāpāramitā abrégée (sct. Prajñāpāramitāsaṁcayagāthā)
La Prajñāpāramitā en sept cent stances (sct. Saptaśatikā-Prajñāpāramitā)
La Prajñāpāramitā en huit mille stances (sct. Aṣṭasāhasrikā-prajñāpāramitā)
Hymne à la Mère par Rahulabhadra (sct. Prajñāpāramitāstrotra tib. sgra gcan 'dzin gyis yum la bstod pa)

Des traités madhyamika :

Traité fondamental de la voie médiane (sct. Mūlamadhyamakakārikā d'ācārya Nāgārjuna)
Guirlande de joyaux (sct. Ratnāvalī d'ācārya Nāgārjuna)
Entrée au Milieu (sct. Madhyamakāvatāra de Candrakīrti)
Traité sommaire de la voie médiane (tib. dbu ma bden chung)

Des œuvres de logique (sct. pramāṇavāda) :

Commentaire de la connaissance valide (sct. Pramāṇavarttīkā de Dharmakīrti)

Les grands Discours du véhicule universel :

Discours de l'Entrée à Laṅka (sct. Laṅkāvatārasūtra)
Discours donné par Vimalakīrti (sct. Vimalakīrtinirdeśasūtra)
Discours de l'Amoncellement de joyaux (sct. Ratnakūṭa)
Discours du Lotus blanc du sublime Dharma (sct. Saddharmapuṇḍarīkasūtra)
Discours sur l'ornement lumineux de la gnose (sct. Jñānālokālaṃkāra)
Discours du Lotus blanc du sublime Dharma (sct. Saddharmapuṇḍarīkasūtra)
Discours de l'absorption souveraine (sct. Samādhirājasūtra)
Discours de la protubérance universelle (tib. gtsug tor chen po'i mdo sct reconst. Mahoṣṇīsasūtra)
Discours de l'entrée en la foi (sct. Śraddhābalādhānāvatāramudrāsūtra tib. dad pa la 'jug pa'i mdo)

Les traités de Maitreya/Asaṅga :

Ornement de la réalisation parfaite (sct. Abhisamayālaṃkāra)
Condensé de l'Abhidharma (sct. Abhidharmasamuccaya)

Des discours mineurs, certaines d’origine incertaine

Discours en réponse à Akṣayamati (sct. Akṣayamatiparipṛcchāsūtra tib. blo gros mi zad pas zhus pa'i mdo)
Discours en réponse à Sāgaranāgarāja (sct. Sāgaranāgarājaparipṛcchāsūtra tib. klu'i rgyal po rgya mtshos zhus pa'i mdo)
Discours en réponse à Kāśyapa (sct. Kāśyapaparivartasūtra tib. 'od srungs kyis zhus pa'i mdo)
Discours en réponse au roi des nāga Anavatapta (sct. Anavataptanāgarājaparipṛcchāsūtra tib. ma dros pas zhus pa'i mdo)
Discours en réponse à Brahma (sct. Brahmaparipṛcchāsūtra tib. 'phags pa tshangs pas zhus pa'i mdo)
Discours spécifique en réponse à Brahma (sct. Brahmaviśeṣacintiparipṛcchā-nāma-mahāyānasūtra tib. tshangs pa khyad par sems kyis zhus pa'i mdo)
Discours en réponse au deva Susthitamati (sct. Susthitamatidevaputraparipṛcchāsūtra tib. lha'i bus zhus pa'i mdo)
Discours en réponse à Suvikrāntivikrama (sct. Suvikrāntivikramaparipṛcchāsūtra tib. rab rtsal gyis rnam par gnon pas zhus pa'i mdo)

Discours qui montre la non-production des phénomènes (sct. Sarvadharmāpravṛttinirdeśa tib. chos 'byung ba med par bstan pa'i mdo)
Discours qui enseigne la réalité ultime (sct. Tattvaprakāśa)
Discours de l'absorption fulgurante (sct. Vajrasamādhisūtra tib. rdo rje ting nge 'dzin gyi mdo)
Discours de Kṣitigarbha (sct. Kṣitigarbhasūtra tib. sa'i snying po'i mdo)
Dix roues de Kṣitigarbha (sct. Daśacakra-kṣitigarbha-sūtra tib. sa'i snying po 'khor lo bcu pa)
Discours de Gayaśīrṣa (sct. Gayaśīrṣasūtra tib. ga ya go ri'i mdo)
Discours du réel immuable (sct. Dharmatāsvabhāvaśūnyatācalapratisvarālokasūtra tib. chos nyid mi g.yo ba'i mdo)
Discours qui résume parfaitement le Dharma (sct. Dharmasaṅgītisūtra tib. chos yang dag par sdud pa'i mdo)
Discours de la rencontre du père et du fils (sct. Pitāputrasamāgamanasūtra tib. yab sras mjal ba'i mdo)
Discours des actes parfaitement purifiés (sct. Karmāvaraṇaviśuddhi tib. las rnam par dag pa'i mdo)
Discours de l'épanouissement de la grande réalisation (tib. rtogs pa chen po rgyas pa'i mdo)

Discours mineurs avec un titre tibétain seulement

Discours de saisie parfaite du Dharma (tib. dam pa'i chos yongs su 'dzin pa'i mdo)
Discours fragmenté (tib. mdo sil bu)
Discours de la génération universelle de la pensée éveillée (tib. sems bskyed chen po'i mdo)
Discours du précieux espace (tib. nam mkha' rin po che'i mdo)

Traités de maîtres bouddhistes (tib. blo sbyong)

Marche vers l'Éveil de Śantideva (sct. Bodhicaryāvatāra (tib. spyod 'jug)
Lampe sur le chemin de l'éveil d'Atiśa (sct. Bodhipatha-pradipa tib. byang chub lam sgron)
Sources non citées de Śantideva et d'Atiśa.

Divers

Propos verbal d'ācārya Vāgīśvara (tib. slob dpon ngag gi dbang phyug gi zhal nas kyang) ?

Tantras
Hevajra Tantra (tib. kyai rdo rje)
Union des Éveillés (sct. Śrī-sarvabuddhasamāyogaḍākinījālasaṃvara-nāma-uttaratantra tib. sangs rgyas mnyam sbyor)
Tantra du pic de diamant (sct. Vajraśekhara-mahāguhyayogatantra tib. rdo rje rtse mo)
Tantra souverain du nectar caché (sct. Amṛtaguhyatantrarāja tib. gsang ba bdud rtsi rgyal po'i rgyud), 3 citations
Tantra de l'origine de Mahāsaṃvara (sct. Mahāsaṃvarodayatantrarāja tib. bde mchog sdom pa 'byung ba)
Tantra du parfait non-investissement (tib. rab tu mi gnas pa'i rgyud), tantra de mahāmudrā enseigné par Vajradhara.
Repos dans la Nature de l'Esprit (tib. sems nyid ngal bso)

Mahāsiddhas
Saraha, 4 citations
Tailopa, 2 citations
Śavaripa, 1 citations

Toutes ces citations méritent d’être examinées plus en profondeur. Pour l’instant, je veux me limiter aux citations des mahāsiddhas.

Pour Saraha, le Précieux ornement donne deux citations authentiques de son Chant de distiques (sct. dohākośagīti, n° 16 et 17), que Gampopa avait en effet pu connaître. Ensuite, il cite deux fois le même couple de vers, très connus, mais dont l’origine est douteuse.

DKG n° 16
« Tout ce que l'on réifie, c'est cela même qu'on percevra
Si on y a accès, tout est cela
Qui pourrait [véritablement] connaître autre chose que cela
Si on y a accès, tout est cela Qui pourrait [véritablement] connaître autre chose que cela. »[8]
DKG n° 17
Lire est cela, saisir/comprendre et cultiver est cela Interpréter sincèrement les śastra et les purāṇa aussi est cela (tattva) Il n'y a aucune approche qui ne le vise pas. »[9]
En ce qui concerne la citation qui est citée à deux reprises, la voici :
Ceux qui croient en la réalité des choses sont comme du bétail Mais ceux qui croient en l’irréalité des choses sont encore plus bêtes[10].
On la trouve dans le Dohākośa-upadeśa-gīti (alias le Dohā de la Reine, dans la trilogie des dohā, verset n° 6). Gampopa ne pouvait le connaître, puisqu’il aurait été intégré dans les lignées kagyupa par Réchungpa (1083-1161), qui aurait reçu toute la trilogie d’Asu (Bal-po sKyes-med) le népalais et du thaumaturge Tibupa vivant au Népal. Il est donc très probable qu’il s’agit ici d’une citation plantée par un « trilogiste » « réchungpiste ».

Pour ce qui est du sens de l’expression « bête comme du bétail », ceux qui prennent les choses au premier degré se rendent coupable de réalisme naïf et leur naïveté les rapproche du bétail. Ceux qui croient en l’irréalité des choses, se privent ainsi de toute possibilité de transformation, et sont, du point de vue de la transformation spirituelle, encore plus stupides que les premiers. L’expression « bête comme du bétail » semble se trouver surtout dans un contexte tantrique visionnaire, où ceux qui se contentent de la pratique de la vacuité, sans s’engager dans les pratiques visionnaires d’un monde imaginal, voire critiquent même ce genre de pratiques sont considérés bêtes « comme du bétail », voire plus bête encore. On trouve l’utilisation de cette expression, dans ce sens, par exemple chez Seunam Tsémo, fils de Kunga Nyingpo avec qui Pamodroupa avait travaillé à Sakya[11]. Ceux qui suivent les préceptes du Heruka seront protégés par lui, et ceux qui ne sont pas sous sa protection seront dévorés par les ḍākinī et considérés comme du bétail que l’on conduit à l’abbatoir (tib. bsha' rgyur).[12] On le trouve également chez le sakyapa Grags-pa-bshad-sgrub, Co-ne-ba (1675-1748) dans un texte[13] qui explique les points obscurs du tantra racine de Saṃvara. Le terme « bétail » vient très probablement du terme « paśu » des Śaivasiddhānta.

En ce qui concerne les citations de Tailopa, l’une vient du Dohākoṣa de Tailopa n° ≈PK3128/DG2281 traduit par Vairocanavajra. Il s’agit du dernier verset (n° 9) de ce texte.
« Ne projetez pas, ne réfléchissez pas, n’analysez pas
Ne cultivez pas, n’agissez pas, n’ayez ni attente ni crainte
Et les schémas mentaux qui y attribuent une réalité disparaîtront d’elles-mêmes
Vous tombez alors sur la nature des phénomènes
. »[14]
Le voyageur alchimiste indien Vairocanavajra fut actif après la disparition de Gampopa et transmit ce texte avec d’autres à Zhang Yudrakpa Tsöndru Drakpa (1122-1193) de la lignée Tshal pa. Il n’est pas vraisemblable que Gampopa ait pu connaître ce texte.

La deuxième citation
« Eh ! ceci est la gnose qui se connaît elle-même
Elle n’est pas accessible au discours et au mental »[15]
On trouve cette citation[16] chez Yang dgon pa Rgyal mtshan dpal (1213-1258), un grand yogi de l’école Droukpa, disciple de Goeutsangpa Goeunpo Dorjé (tib. rgod tshang pa mgon po rdo rje, 1189-1258), fondateur de l’école « Haut Drouk » (tib. stod 'brug). Je n’ai pas trouvé d’autre occurrence, sauf le troisième vers que l’on trouve dans le Dohākośa de Tailopa (PK3128, DG2281). Cette citation se trouve aussi dans l’œuvre complète de Drigoungpa (1143–1217) à plusieurs reprises[17]. Il s’agit d’instructions de la mahāmudrā tantrique, et notamment sur le corps-vajra (tib. dngos po’i gnas lugs)[18]. Il est peu probable que Gampopa la connaissait. Comment Drigoungpa ait pu connaître ces instructions du corps-vajra (qui se trouvent dans son œuvre complète) est un autre débat. Qu’on la trouve dans des hagiographies de Nāropa[19] n’a rien d’étonnant, puisque celles-ci furent composées pendant la période de la réforme yogique (Tsang nyeun heruka etc.).

Pour finir, Gampopa cite Śavaripa.
« Ne vois de faute en rien,
Fais l’expérience du ‘ce n’est rien’
Et ne cherche aucun signe de succès.
Il n’est certes, dit-on, rien à méditer,
Mais garde toi de la paresse et de l’indifférence :
Médite avec une attention de tous les instants
. »[20]
Ce qui est intéressant dans cette citation c’est qu’il est en réaction à la non-méditation et au non-agir, autrement dit à la voie du non-agir. Elle a sans doute pour but d’être utilisée dans un contexte de yoga vajra, pour inviter à pratiquer avec effort.

Cette citation ne se trouve pas dans un dohākośa attribué à Śavaripa, mais on le trouve par exemple dans un texte intitulé Cycle de mahāmudrā principal de l’école Droukpa kagyu (tib. 'brug pa bka' brgyud gtso bor gyur pa'i phyag chen chos skor). Il se peut cependant qu’il ait simplement été repris du Précieux ornement. Idem pour le Zab lam rdo rje'i rnal 'byor gyi khrid yig mthong ba don ldan[21] de Tāranātha. Celui donne pour lignée de transmission du Cakrasaṁvaramūlatantrarāja Vajradhara, Saraha et Nāgārjuna. Mais, écrit l'historien, ce n'est que suivre une énumération de noms ce qui ne donne rien de définitif. Plus tard, le siddha Śavaripa avait assimilé (tib. thugs su chud ± sct. pragrah) le Cakrasaṁvara-tantra et il était définitivement (T. mod) le premier à avoir donné les instructions (T. thog mar gdams pa) à Lūyipa (670:7). Et puisque Lūyipa devint plus tard le propriétaire (T. sdom pa'i rgyud kyi bdag po) et qu'il avait eu des visions de Cakrasaṁvara et de Vajravarāhī, toujours selon Tāranātha, il n'est pas besoin de chercher des prédécesseurs dans la transmission.[22]

Il est très peu probable que Gampopa ait pu connaître les citations des mahāsiddhas, à l’exception peut-être de celles du Dohākośagīti de Saraha, qu’Atiśa avait introduit au Tibet, sans toutefois pouvoir l’enseigner. Les autres citations sont postérieures à Gampopa et semblent plutôt avoir pour origine des sources pamodroupa, drigoungpa, droukpa kagyu, bref « réchungpiste » et « trilogiste », autrement dit de traditions qui recherchent à édifier un corps vajra à travers le yoga du corps subtil. Ces techniques, tout comme les légendes des mahāsiddha qui les accompagnent, se sont développées au Tibet après la disparition de Gampopa.


***

[1] The Significant Leap from Writing to Print: - Editorial Modification in the First Printed Edition - of the Collected Works of Sgam po pa Bsod nams rin chen, Leiden University

[2] Dan Martin, “The Book-Moving Incident of 1209,” in Edition, éditions: l’écrit au Tibet, evolution et devenir, edited by Anne Chayet, Cristina Scherrer-Schaub, Françoise Robin, and Jean-Luc Achard, Collectanea Himalayica 3 (Munich: Indus Verlag, 2010): 197-217.

[3] « As usual in historical investigations, we have to try our best to avoid and resist projecting later historical assumptions and ‘givens,’ themselves created during the course of history, back onto historical origins. That means, for one thing, that we have to stop thinking of most of the reputed founders of Tibetan sects as people who deliberately set about founding them. I think we have to go even further and doubt, rather than assume, the very concept of foundership.3 It generally takes some time for sectarian identities to become recognized in the culture at large as being meaningful or useful categories. And sometimes it is difficult to zero in on a particular time in history and identify it as the point at which a sect emerged into general consciousness. » Dan Martin.

[4] Ce sont les volumes de textes comportant des incantations (S. dhāraṇī T. gzungs sngags) ou des paroles du Bienheureux. A part ceux-là on peut utiliser tous les textes qui ont pour qualité d'être une essence scripturaire, c'est-à-dire toutes les espèces inconcevables d'incantations extraits de sūtra et tantra. Plus spécifiquement les cinq grandes incantations qui ont été recommandées de maintes fois par le Victorieux lui-même : L'incantation d'Uṣṇīṣavijayā, L'incantation de Vimaloṣṇīṣa, L'essence secrète qui est le cœur de la vie de tous les Tathāgata, L'incantation de l'ornement de la matrice de l'éveil et L'Incantation de l'essence de la production conditionnée. Ce sont les textes fondamentaux utilisés pour consacrer toutes les statues et monuments symboliques.

[5] Par exemple, l’ajout de deux notes, contenant des instructions attribuées à Milarepa dans le chapitre sur le Bouddha.

[6] The Significant Leap from Writing to Print: - Editorial Modification in the First Printed Edition - of the Collected Works of Sgam po pa Bsod nams rin chen, Leiden University

[7] thar rgyan gyi par ’ga’ zhig las/ yid brten gyi phyi mo ma rnyed zer nas/ rtsom par dam bca’i skabs dang par rnams su yang/ mi la yab sras kyi bzhed pa dang/ mar pa yab sras kyi bzhed pas/ dmigs rims spob la sogs dang/ khyad par du bsam gtan gyi le’u dang shes rab kyi le’u/ sa lam gyi le’u la sogs pa rnams su/ /gcug pa dang gton pa la sogs pa’i bsre slang mang du byas na’ang/ lugs de la bden pa yin mod/ ’on kyang bka’ ’bum yongs rdzogs thar rgyan dang bcas pa ’di rnams/ bka’ phyag chu bo gnyis kyi lam rim du mgo ba’i gtam mo//.
Traduction anglaise de Kragh : « It is said in some manuscripts of the Ornament of Liberation that a reliable original of the text could not be found. It is correct that numerous changes have crept into the text. Thus, in the prefatory chapter stating the author’s intention to compose the work and in some codices also in [the instructions] providing training in the successive contemplative foci81 and especially in the meditation-chapter, the insight-chapter, the chapters on the levels and the paths, and so forth,82 there are omissions and additions mixed into the text from statements by Mila and his disciples (mi la yab sras kyi bzhed pa) as well as from statements by Marpa and his disciples (mar pa yab sras kyi bzhed pa). Nevertheless, the [overall] tradition [represented] in this [text] is authentic and the Complete Manifold Sayings along with the Ornament of Liberation still constitute the chief discourse on the stages of the path of the two streams of Bka’ gdams pa and the Great Seal. »

[8] gang la zhen pa yod na de yang thong// rtogs par gyur na thams cad de yin te// de las gzhan pa sus kyang shes mi 'gyur//

[9] klog pa de yin 'dzin dang bsgom pa de yin te// bstan chos snying la 'chad pa'ang de yin no// de la mtshon pa'i lta ba yod min te//

[10] dngos por 'dzin pa phyugs dang 'dra ba ste// dngos med 'dzin na de bas kyang ni blun//
Cela rappelle par ailleurs verset n° 9 de l’Īśā upaniṣad. « Ceux qui cultivent l’ignorance (avidya) se dirigent vers une profonde obscurité, mais vers une obscurité encore plus intense se dirigent ceux qui se vouent à la Connaissance (vidya). » Martine Buttex, Dervy, p. 241

[11] dpal ldan sa skya'i rje btsun gong ma lnga'i gsung rab rin po che'i par gyi sgo 'phar 'byed pa'i dakr chag 'phrul gyi lde'u mig dans sa skya bka' 'bum, volume 15 Pages 875 - 1006

[12] gsang sngags bstan pa dang sgrub pa'i snaud du rung ba mi'i 'gro ba yin la/ de'i nang nas ni gsang sngags dang 'gal bar spyod pa'i sgrub pa po de ni phyugs dang 'dra ni phyugs de bsad rgyur mthong ba ltar mkha' 'gro ma rnams kyis kyang gang zag de bsha' rgyur mthong bas so/

[13] bde mchog rtza rgyud kyi ti ska sbas pa'i don kun gsal ba'i snying po bsdus pa zhes bya ba, source

[14] mi mno mi bsam mi dpyad cing// mi bsgom mi sems rang bab bzhag/ der ‘dzin blo yi ‘du byed rang sar grol// dang po’i chos nyid steng du de yis phebs//

[15] kyai ho 'di ni rang rig ye shes te//
ngag gi lam 'das yid kyi spyod yul min//

[16] Rdo rje lus kyi sbas bshad : kye ho 'di ni rang rig ye shes te// ngag gi lam 'das yid kyi spyod yul min// te lo nga yis ci yang bstan du med// rang gis rang nyid mtshon ste shes par byos//

[17] Par exemple dans son phyag rgya chen po gzhi lam 'bras gsum gyi zhal gdams rin po che phreng ba. Voici un extrait : bla ma chen po nA ro pas/_bla ma til+li pa la/_lo bcu gnyis su dka' chen bcu gnyis spyad pa'i tha mar khrag gi maN+Dal dang*/_snyan chog bcad nas phul ba'i rjes la gnang ba'i chos ni/_dngos po'i gnas lugs lam dang ni/_'bras bu skye ba'i rim pa ni/_dang po la gnyis las/_sems dngos po'i gnas lugs ni/_kye ho 'di ni rang rig ye shes te/_ngag gi lam 'das yid kyi spyod yul min_/_/til+li nga yis ci yang bstan du med/_/rang rig nyid la mtshon te shes par byos/_lus dang dngos po'i gnas lugs ni/_lus ni byang chub rnam lnga dang*/_rtsa dang byang chub sems dang ni/_mi gtsang rdzas dang rnam rtog gis/_/lus kyi chos ni gnas pa yin/_de la rtsa gsum 'khor lo bzhi'o/

[18] Voir la thèse « Secrets of the Vajra Body: Dngos po’i gnas lugs and the Apotheosis of the Body in the Work of Rgyal ba Yang dgon pa » de Willa Blythe Miller

[19] Par exemple, celles du texte bka' brgyud chos 'byung nor bu'i phreng ba (W1KG4232).

[20] Traduction Padmakara, p. 264
gang la'ang skyon du mi lta zhing//
ci yang ma yin nyams su blang//
drod rtags la sogs 'dod mi bya//
bsgom du med par bstan mod kyang//
le lo btang snyoms dbang mi gtong//
rgyun du dran par bsgom par bya//

[21] instruction manual on the tantric meditation practices relating to the kalacakra including the preliminary and main practices, both utpannakrama and the 6-fold vajrayoga of the sampannakrama

[22] Hagiographie du mahāsiddha Kṛṣṇācārya/Kāṇha traduite par David Templeman (Life of Kṛṣṇācārya/Kāṇha, Library of Tibetan Works and Archives, 1989) Templeman, p. 93

dimanche 17 mai 2015

Gampopa et Tilopa


Dans la version du Précieux ornement de la libération publié par Rumtek. Tailopa est cité à plusieurs reprises dans le chapitre sur la perfection de la sagesse. Il s’agirait de passages ajoutés ultérieurement à l’œuvre de Gampopa.
1. « De même Tilopa :
Merveille ! Voilà la sagesse de la claire conscience spontanée,
Au-delà des mots, inaccessible à l’intellect
. »[1]
Cette citation vient à la suite d’une autre citation de la Marche vers l’éveil, pour illustrer le fait que personne ne voit l’esprit, et que dire que l’esprit se connaît et s’éclaire lui-même n’a pas de sens. Voici la citation :
« Puisque personne ne peut le voir,
Dire qu’il s’éclaire ou pas
N’a pas de sens, pas plus que de parler
De la prestance du fils d’une femme stérile
. »
Plus loin dans le même chapitre on trouve la citation des célèbres Six dharma de Tailopa :
2. « Ne pensez pas, ne réfléchissez pas, ne connaissez pas,
Ne méditez pas, n’analysez pas :
Laissez (l’esprit) tel qu’il est. »[2]
Suivi de :
3. « Le Repos dans la nature de l’esprit :
Ecoute, fils, quelles que soient tes pensées,
Elles ne t’asservissent ni ne te libèrent.
Quelle merveille ! Repose-toi donc,
En laissant ton esprit tel quel, sans te laisser distraire ni rien corriger
. »[3]
La première citation est probablement extraite d’un texte intitulé L’Exposition du corps vajra caché (tib. rdo rje lus kyi sbas bshad) de Yang dgon pa Rgyal mtshan dpal (1213 - 1258), né dans une famille nyingmapa, spécialiste du corps subtil et disciple de Kodrakpa (ko brag pa bsod nams rgyal mtshan, 1182-1261), et plus tard de Geutsangpa (rgod tshang pa mgon po rdo rje, 1189-1258), le fondateur de la branche supérieure (tib. stod ‘brug) de la lignée Droukpa kagyu, sous la direction duquel il pratiqua les Six yogas de Nāropa. La citation au complet, telle qu'on la trouve dans la thèse de Willa Blythe Miller, est ainsi : 
« kye ho 'di ni rang rig ye shes te//
ngag gi lam 'das yid kyi spyod yul min//
te lo nga yis ci yang bstan du med//
rang gis rang nyid mtshon ste shes par byos//
»
La traduction des deux vers supplémentaires :
« Moi, Tailo, je n'ai rien à enseigner
Connais ce qui se montre de lui-même
 »
La deuxième citation est connus sous le nom « Les six dharma de Tailopa ». Elle provient sans doute de l’anthologie de distiques de Tailopa (sct. dohākoṣa-nāma n° PK3128/DG2281), traduit en tibétain par Vairocanarakṣita, un des maîtres de Zhang (zhang brtson 'grus grags pa 1123-1193). Le verset complet est ainsi : 
« Ne projette pas, ne réfléchis pas, n’analyse pas
Ne cultive pas, n’agis pas, n’ais ni attente ni crainte
Et les schémas mentaux qui y attribuent une réalité disparaîtront d’eux-mêmes
Tu tombes alors sur la nature des phénomènes
. »[4]
La troisième citation se trouve dans un texte de Bus ston (1290-1364) sur les sources des instructions sur le repos dans la nature de l’esprit dans les sūtra et les tantra, intitulé phyag rgya chen po sems nyid ngal gso'i rtsa ba mdo yi lung dang sbyar ba, inclus dans le gdams ngag mdzod (volume MA) de Jamgon Kongtrul (1813 - 1899).[5] Je l’avais repéré dans un lointain passé dans un texte attribué à Gampopa qui avait été intégré son oeuvre complète, mais je n’en avais malheureusement pas noté les références. Si quelqu’un le reconnaît… Ce texte qui explique la méditation du Sceau universel en quatre phases[6] est très probablement la source des ajouts dans le Précieux ornement de la libération

En ce qui concerne les ajouts ultérieurs des citations attribués à Tilopa, voici l’explication du comité de traduction de Padmakara.
« Nous avons utilisé deux textes xylographiés, l’un provenant de Tashi Chökhor Lhünpo Ling et l’autre de Rumtek. Le premier est plus court, bien que parfois plus détaillé. Le second diffère du premier sur quelques points mineurs, mais il comporte des remarques supplémentaires, ainsi qu’un plus grand nombre de citations, notamment dans le chapitre consacré à la connaissance transcendante. Comme plusieurs citations proviennent de textes postérieurs à Gampopa, certains érudits tibétains pensent que le texte a été enrichi ultérieurement par les maîtres de la lignée. 
Quoi qu’il en soit, nous avons suivi les instructions de Péma Wangyal Rinpoché en mariant les deux versions du texte. En supplément à la version de Tashi Chökhor Lhünpo Ling, que nous avons prise pour base, nous avons traduit, en bas de page ou dans le texte même, entre crochets, ce que la version de Rumtek ajoute à la compréhension de l’œuvre. Le texte de Rumtek comporte en outre quelques notes explicatives interlinéaires. Nous les avons fait figurer dans les notes, en fin de volume, suivies de la mention « note de Rumtek ». »
Sans ces citations ajoutées, Tailopa ne figurerait pas dans le Précieux ornement de libération de Gampopa. Contrairement à la méthode de travail exposée ci-dessus, le comité de traduction de Padmakara a lui-même fait un ajout dans le chapitre La cause circonstancielle de l’Eveil : l’ami de bien. On y lit (page 68) :
« Considérons notre ami de bien comme le Bouddha lui-même, ne désobéissons à aucune de ses instructions et soyons à son égard rempli de dévotion, de respect et de foi, à l’image du grand pandit Naropa pour son ami de bien Tilopa. »
Voici la traduction anglaise de Herbert V. Guenther :
« ‘To remain in touch with him by showing him devoted interest and reverence’ is to think of a spiritual friend as the Buddha, not to disobey his commands, and to awaken in yourself devoted interest, reverence and confidence ; as was done by paṇḍit Nāropa. »[7]
Dans la version tibétaine, on trouve « comme le mahāpaṇḍita Nāropa avait suivi [son] ami de bien (sct. kalyāṇamitra) ». [8]

L'importance prise par Tailopa semblerait dater d'après la mort de Gampopa, et Tipupa et Réchungpa en sont considérés comme la source. 

***

[1] Précieux ornement de la libération, éd. Padmakara, p. 255 En tibétain : Tai lo pas kyang*/ kye ho ‘di ni rang rig ye shes te// ngag gi lam ‘das yid kyi spyod yul min// zhes gsungs so/

[2] Précieux ornement de la libération, éd. Padmakara, p. 263 En tibétain : De ltar yang tai los/ mi mno mi bsam mi shes shing*// mi sgom mi dpyad rang sar bzhag// ces gsungs so//

[3] Précieux ornement de la libération, éd. Padmakara, p. 263 En tibétain : sems nyid ngal gsor yang*/ bu nyon khyod gang rnam par rtog/ ‘dir bdag ma bcings ma grol phyir// ma yengs ma bcos rang dgar ni// kye ho dub pan gal sos shig// ces gsungs so/

[4] mi bsam mi mno brtag dpyad mi bya zhing*//
mi sgom mi dbyod re dogs mi bya bar//
der 'dzin blo yi 'du byed rang sar grol//
dang po'i chos nyid steng du de yis phebs//

[5] bu nyon khyod gang rnam par rtog// 'dir bdag ma bcings ma grol phyir// ma yengs ma bcos rang dgar ni// kye ho dub pa ngal bsos shig// ri rab sna tshogs pa nyid pas shes rab kyi pha rol tu phyin pa sna tshogs pa nyid do/

[6] Voici le texte sans le titre...

De goms par byed pa la bzhi ste, 1. sngon ‘gro dang, 2. myam bzhag dang, 3. rjes thob dang, 4. goms rtags dang,,

1. de la sngon ‘gro ni, sems rnal du dbab pa’o, ci ltar dbab na,
shes rab kyi pha rol tu phyin pa bdun brgya pa las,

rigs kyi bu’am, rigs kyi bu mos dben pa’i mal stan brten par bya, ‘du ‘dzi med pa la dga’ bar bya, mtshan thams cad yid la mi byed par skyil krung bcas te ‘dug nas, shes rab la sogs pa dang, phyag rgya chen po’I sngon ‘gro ltar bya’o, ,

2. de nas myam par bzhag pa’I thabs rnams kyang, phyag rgya chen po khrid lugs ltar byas nas, yod med blang dor ci la yang mi sems par ‘bad rtsol dang bral bar bzhag go,

3. de ltar yang tai los, mi mno mi bsam mi shes shing, mi sgom mi dpyad rang sar bzhag, , ces gsungs so, ,

4. sems nyid ngal gsor yang,

bu nyon khyod gang rnam par rtog,
‘dir bdag ma bcings ma grol phyir,
ma yengs ma bcos rang dgar ni,
kye ho dub pa ngal sos shig,

ces gsungs so,

[7] The Jewel Ornament of Liberation, p. 35

[8] Mos pa dang*/ gus pas ji ltar bsten pa ni/ dge ba’i bshes gnyen la sangs rgyas kyi ‘du shes bzhag la/ ji skad gsungs pa’i bka’ mi gcog pa dang*/ mos pa dang*/ gus pa dang*/ dang ba bskyed pas te/ dper na paN chen nA ro pas dge ba’i bshes gnyen ji ltar bsten pa bzhin no/