mardi 27 novembre 2012

Les trésors des Prêtres royaux



Dans une culture on trouve toujours le souverain main dans la main avec le prêtre ou celui qui organise le culte royal. Du moins, si ce souverain dérive son pouvoir séculier d’un lien avec une quelconque entité religieuse. Ce fut le cas en occident, en Inde, avec le brahmane et le kṣatriya, en Chine, où les confucianistes et les taoïstes organisaient le culte de l’empereur, assisté également à certaines périodes par des bonzes ou des mantrins bouddhistes. Les « maîtres à recettes » taoïstes avaient soigneusement préparé le culte de l’empereur Ou-ti (Wou Ti) des Han, qui règna de 140 à 86 av. J.C. par la légende de l’empereur jaune Houang-ti, servant de modèle à Wou-ti et de justification au peuple. Ils furent politiquement actifs « en propageant les théories de Tseou Yen sur les Cinq Vertus et les changements dynastiques, et en colportant des prophéties et des écrits pseudo-confucianistes (Wei-chou ou Tch’an-wei). »[1]

Même situation au Tibet, où c’étaient les « Prêtres royaux » (T. sku gshen) qui organisaient le culte royal en fournissant les légendes nécessaires à sa justification et son maintien. Le roi divin descendait de dieux et était en fait lui-même un dieu qui descendait sur la terre par un cordon (T. dmu thag) ou une échelle (T. dmu skas), pour y régner  Dès que son fils atteignit l’âge de treize ans, le roi remonta aux cieux par le même procédé. Du moins, cela se passa ainsi dans les temps immémoriaux. A l’époque des Prêtres royaux, ce ne fut déjà plus le cas, car un des rois, Drigoum Tsenpo (T. Dri gum brtsan po), serait mort au combat prématurément et depuis, les rois tibétains naquirent ici-bas comme tout le monde. Pour guider l’âme (bla) du roi, les Prêtres avaient développé des rites funéraires (T. bdur/dur) pendant lesquels l’âme du roi fut reconduit vers les montagnes célestes. Cette pratique prébouddhiste, fut une spécialité propre aux Prêtres royaux du Tibet.

Un des Prêtres royaux (T. sku gshen), fut gShen-rab Myi-bo[2], dont un des documents de Dunhuang atteste qu’il aida à préparer psychologiquement le roi moribond pour le guider après la mort. On peut dire que les Prêtres royaux étaient en charge du cérémoniel royal, du bien-être physique et spirituel de la famille royale (entre autres par des rites de rançon), du culte royal, des rites funéraires, du guidage de l’âme du roi défunt vers les montagnes célestes et sans doute aussi des rites d’installation du nouveau roi. Le tout encadré par les mythes, les actes de divination et éventuellement les prophéties nécessaires. Tout comme en Chine, la cohabitation avec les bouddhistes fut difficile et se passa plus ou moins bien selon les penchants du roi et la situation politique. Comme en Chine, les bouddhistes tibétains (qui avaient déjà subi l’influence des taoïstes par le biais du bouddhisme chinois) et les Prêtres royaux se sont d’ailleurs sans doute mutuellement influencés.

On peut penser que les Prêtres royaux ont dû continuer à accompagner les rois tibétains, au moins par leurs rites et cérémonies royaux, jusqu’à la disparition du dernier roi Langdarma (836–842), qui persécuta les bouddhistes. Après 842, ayant été mis au chômage technique, que se passa-t-il avec le réseau de « Prêtres royaux », à défaut d’un autre terme ? Ils ont sans doute fourni leurs services à d’autre seigneurs et à ceux qui en avaient besoin pendant « l’âge obscure » de fragmentation jusqu’à la renaissance tibétaine. Il est très probable que leur riche patrimoine fut exploité pendant la renaissance tibétaine, comme « une mine » (T. gter) pourrait-on dire.


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[1] Max Kaltenmark, p. 1222

[2] John Vincent Bellezza, gShen-rab Myi-bo, His life and times according to Tibet’s earliest literary sources. http://himalaya.socanth.cam.ac.uk/collections/journals/ret/pdf/ret_19_03.pdf

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