mercredi 28 novembre 2012

Loin des soucis mondains, la queue dans la gadoue



Les prêtres royaux, qu’ils soient confucianistes, taoïstes, bouddhistes, shivaïstes ou Bön, assistent la royauté dans l’exercice du pouvoir et participent au spectacle. Mais toutes ces religions ont aussi des adeptes ou des branches qui se tiennent éloignés du pouvoir et du spectacle.

Pour Confucius, la vertu cardinale consistait à se dominer soi-même et à faire retour au rite. « Les rites sont retour à l’origine et culture de l’antique, ils permettent que la mémoire des commencements demeure à jamais. »[1] Les rites étaient liés à un calendrier qu’il fallait imposer pour maîtriser le temps et pour donner le rythme. Quelque choquant que puissent être les rites des commencements, il faut, selon Confucius, renouer avec eux, car ils jettent un pont entre le présent et le passé et établissent ainsi une continuité entre les âges.[2] Les sacrifices sont une nécessité. Interrogé par un disciple sur la vertu parfaite, le jen, la bonté, Confucius répond par une maxime imprégnée de religiosité : « Dirige le peuple comme si tu participais à un grand sacrifice. »[3] « Confucius faisait des sacrifices aux défunts comme s’ils étaient là ; il faisait des sacrifices aux dieux comme s’ils existaient réellement ». Il dit : « S’ils n’étaient pas avec moi, ce serait comme s’il n’y avait pas de sacrifice. »[4] A son disciple Tse-kong, qui voulut supprimer l’immolation de la brebis lors de la commémoration de la nouvelle lune, Confucius protesta en disant : « Ah, Tse-kong, toi tu aimes le mouton, mais moi j’aime le sacrifice ! ». Tout groupe aime les sacrifices faits en son nom. Les dieux ont toujours soif. Pour mériter le respect, il faut savoir se faire respecter. (For Dan: every group is like a dragon feeding from itself, drinking its own blood).

Confucius et les siens ont proposé leur services aux grands. Les taoïstes « religieux » font de même. Et les rois font volontiers appel à leurs bons services. Mais il y a aussi une trempe de taoïste qui s’y refuse, qui veut à la limite bien se dominer soi-même, mais sans faire retour au rite.
« Un jour que Zhuangzi pêche à la ligne au bord de la rivière Pu, deux grands officiers envoyés par le roi de Chu viennent se présenter devant lui en disant : « Notre roi désire vous confier une charge dans son État. »
Sa canne à pêche à la main, sans même daigner tourner la tête, Zhuangzi leur répond : « J'ai ouï dire que vous avez à Chu une tortue magique, morte il y a trois mille ans. Le roi l'a fait envelopper et placer dans un coffret qu'il garde précieusement sur l'autel de ses ancêtres. À votre avis, cette tortue aurait-elle préféré périr pour que ses os fassent l'objet d'une vénération éternelle? Ou aurait-elle mieux aimé rester vivante, à traîner sa queue dans la gadoue ? - Elle aurait mieux aimé rester vivante à traîner sa queue dans la gadoue, répondent en chœur les deux officiers.
- Allez-vous-en ! conclut Zhuangzi. Moi aussi j’aime mieux rester ici à traîner ma queue dans la gadoue ! »[5]
Tout est métaphorique dans ce dialogue. Le passé mort et fossilisé gardé artificiellement en vie par un culte n’intéresse pas Zhuang-zi, qui tourne le dos au roi, au prêtres royaux, leurs rites et leur calendrier cérémoniel. La proximité ou l’éloignement du pouvoir peut ainsi servir de guide pour distinguer entre religion et spiritualité. L’un sert le pouvoir, et acquiert de la fortune, du pouvoir politique, de la renommée et le respect général. Autrement dit les 8 soucis mondains. L’autre se tient loin de tout, et restera au mieux inconnu et au pire sera méprisé.
« A Dingri, [Peta] avait vu Lama Bari Lotsawa, vêtu avec des riches habits en soie, assis sur un trône élevé et protégé par une ombrelle. Quand les moines soufflaient dans des trompettes, une grande foule de gens venait autour de lui en lui présentant des offrandes de thé et de bière. Peta pensa : « Voici comme les autres gens traitent leurs lamas. La religion de mon frère est misérable. Les gens n’ont que du mépris pour elle. Même ses proches ont honte de lui. Si je trouve mon frère, je dois l’inciter à servir ce lama. »[6] 
Voir aussi le Testament de Milarepa ou son chant des Sept oublis.
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Photo : Vishnou adoré comme Kurmavatara à Gavirangapura

[1] Livre des Rites, Li-ki, Mémoires sur les Bienséances, Jean Lévy, Confucius, p. 37

[2] Jean Lévy, Confucius, p. 37

[3] Louen-yu, XII, 2. Jean Lévy, Confucius, p. 46

[4] Louen-yu, III, 12. Jean Lévy, Confucius, p. 47

[5] Zhuang-Zi, chapitre 17, traduction d’Anne Cheng, Histoire de la pensée chinoise, p. 115-116

[6] Tibet's Great Yogi Milarepa: A Biography from the Tibetan being the Jetsun, W. Y. Evans-Wentz, p. 220, The Life of Milarepa, Lobsang P. Lhalungpa, p. 134, p. 138 ding ri na bla ma ba ri lo tsA ba khri brtsigs/_gdugs phub/_dar gyi na bza' bzang po gsol/_grwa bu slob rnams kyis dung bus pas/_mi mang po 'dus nas mtha' bskor/_ja chang 'dren cing 'bul ba mang po byed cing 'dug pa mthong bas/_pe ta'i bsam pa la/_mi gzhan gyi chos pa la 'di 'dra yong gi 'dug ste/_nga'i a jo'i chos 'di rang sdug la gzhan gyis brnyas pa/_gnyen tshan rnams ngo tsha ba las mi 'dug pas/_da a jo dang phrad na bla ma 'di'i phyag phyi la ci tshud kyi thabs dang gros shig byed dgos bsams nas/

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