Le texte "
Réponses aux questions de Maitrīpa à Śrī Saraha" (otani beijing: 5048 ) ci-dessous avait été composé par un paṇḍita du nom d’Amitavajra (T.
dpag med rdo rje). Le texte avait été écrit par lui en supplément à son commentaire (otani beijing: 3151) des distiques de Kṛṣṇavajra (otani beijing: 3150, traduit par Vairocanarakṣita (12ème). Dans la collection de traités (T.
bstan 'gyur) de Narthang, le texte précède immédiatement le commentaire qui est doté d’un colophon[1] précisant que ce dernier avait été traduit et édité à la demande du 7ème Karmapa (
Chos grags rgya mtsho 1454 – 1506) par Zha lu lotsāwa (
Chos skyong bzang po 1441-1528). Le colophon de notre texte ne mentionne pas de traducteur, mais la traduction tibétaine pourrait dater approximativement de la même époque (15-16ème siècle).
Les
Distiques de Kṛṣṇa(vajra) (otani beijing: 3150) ainsi que le commentaire d’Amitavajra, suivent la tradition de Padmavajra[2], qui porte sur le yoga sexuel. Les distiques de Kṛṣṇa/Kāṅha ont par ailleurs été traduits en français par Muhammad Shahidullah[3] et par Lilian Silburn[4]. Il est alors assez curieux de trouver « une suite », également attribuée au commentateur Amitavajra, sous la forme d’un échange entre Saraha et Maitrīpa, puisqu’il s’agit d’une autre transmission en dehors du cadre des consécrations. L’approche est très différente.
Saraha et Śavaripa sont souvent confondus, s’il ne s’agit pas de la même personne/entité spirituelle. Quelquefois le maître de Maitrīpa s’appelle Saraha, mais le plus souvent son nom est donné comme Śavaripa. Dans la lignée de transmission de la Mahāmudrā passant par maitrīpa, Saraha vient en premier et Śavaripa suit. Saraha est considéré comme une autorité incontestable dans le bouddhisme vajrayāna et il n’est pas impossible qu’on l’invoque justement dans ce texte pour donner du poids à une approche de Mahāmudrā, qui est plus près de la
Mahāmudrā du système des sūtra (T. mdo lugs).
Un autre point intéressant dans ce texte est la mention de la
triade métaphore (T. dpe), signe (T. rtags) et sens (T. don), que l’on retrouve dans les tantras des anciens[5], chez Longchenpa[6], dans le système A khrid de la tradition Bön,…
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Les réponses aux questions de Maitrīpa à Śrī Saraha (S.
śrīsarahaprabhumaitrīpādapraśnottara)
(Version utilisée pour la traduction : Derge, corrigé par rapport à Narthang).
[88-91]
Les réponses aux questions de Maitrīpa à Śrī Saraha
[88-92]
Namo guru
Étant partout et tout, elle n'a rien à révéler
Étant inconcevable, elle ne peut être prise pour objet
Étant sans extrêmes et un centre, elle n'a pas de parts
Hommage à la réalité authentique qui existe depuis toujours
Voici les réponses au sujet de la
Mahāmudrā, la Pensée ultime du Seigneur mahābrāhmaṇa Saraha.
C'est pour être bénéfique aux disciples propres du yogi[7]
Ainsi qu'à leurs disciples dotés de foi
Que le sens des paroles profondes de [ces deux] maîtres
A été couché par écrit sans ne rien retenir.
- Le fils de vainqueur, Seigneur (S.
prabhu) Maitrīpa demanda au mahābrāhmaṇa Saraha « Si c(e n)'est (pas)[8] vrai, comme il a été dit, que la Mahāmudrā est partout, qu'en est-il ? »
« C'est quand on la comprend et qu'on y a accès, que c'est ainsi. »
- « Les apparences étant « mu », la vacuité « drā » et leur alliance étant « mahā », est-ce l'alliance des apparences et de la vacuité que l'on appelle « « Mahāmudrā » ? »
« Non, cela est le sceau des phénomènes (S. dharmamudrā), ce n'est pas la Mahāmudrā. »
- « La félicité (S. sukha) étant « mu », la vacuité « drā » et leur alliance étant « mahā », est-ce l'alliance de la félicité et de la vacuité que l'on appelle « « Mahāmudrā » ? »
« Non, cela est le sceau de l'acte (karmamudrā), ce n'est pas la Mahāmudrā. »
- Il demanda encore : « Le rayonnement [conscient] étant « mu », la vacuité « drā » et leur alliance étant « mahā », est-ce l'alliance du rayonnement et de la vacuité que l'on appelle « « Mahāmudrā » ? »
« Non, cela est le sceau de la lumière, ce n'est pas la Mahāmudrā. »
- Il demanda encore : « L'Intelligence étant « mu », la vacuité « drā » et leur alliance étant « mahā », est-ce l'alliance de l'Intelligence et de la vacuité que l'on appelle « « Mahāmudrā » ? » « Non, cela est le sceau du mental, ce n'est pas la Mahāmudrā. Tous ceux-là ne sont que des fragments, que des parties, ce n'est pas la Mahāmudrā. »
- « Qu'est alors la Mahāmudrā ? »
« Ce qu'on appelle la Mahāmudrā, c'est l'indissociabilité de la base, du chemin et du fruit. C'est ce qui ne se laisse pas peser/étaler en une vue, une méditation, une ascèse et un fruit. Ce qui est libre du sens de la quatrième consécration. Ce qui ne dépend pas du rayonnement, de la vacuité et de la non discursivité. Ce qui ne s'appuie pas sur les [expériences] partiales du repos mental et de la perspicacité (S.
śamatha-vipaśyanā). Ce qui ne peut être montré par le maître ni compris par le disciple. La Mahāmudrā est un nom que l'on donne au fait que tous les phénomènes se manifestant depuis l'origine sont au fond ce qu'ils sont. »
- Maitrīpa demanda encore en s’écriant (T.
bos pa) : « Que faut-il faire alors pour la comprendre et y avoir accès ? »
« Le chemin de l'authentique n'a pas d'étapes ni de chemin, aussi celui qui s'est engagé sur le chemin et qui passe par les étapes ne doit pas avoir d'espoir, car il n'y a pas d'état de bouddha à trouver. Il ne doit pas avoir peur de tomber dans l'Errance. Dans l'essence, qui est la substance des phénomènes, il n'y a pas de différences, ne créez donc pas de divisions. Soyez tranquille (T.
cam). Restez en silence (T.
kha rog par). Soyez authentique (T.
rtsen gyis zhog). Ne concevez rien intellectuellement. Ne cultivez rien mentalement. Ne prenez rien comme référence. N'attachez pas votre conscience. Restez comme à l'origine. Sans jugement (S.
aprapañca), sans aucun jugement. Sans référence, sans aucune référence. L'explication, des mots. La révélation, des lettres. L'enseignement, des symboles. En méditant, c'est de l'intérieur qu'émerge le sens. Le sens authentique, lui, n'a rien. D'où viendrait [la
Mahāmudrā] ? Même le Bouddha ne pourrait pas en dire davantage que moi. »
- Puis, Maitrīpa s'écria de nouveau : « Alors, procédez ainsi ! »
« L'élément [spirituel] (S.
dhātu) authentique est l'exemple. La conscience est le sens. Le signe est ce qui se manifeste aux cinq portes sensorielles. Si on n'est pas lucide, chevauchez les facultés sensorielles. Si on se sent mal, regardez comment la mauve chinoise (herbe médicinal
Malva verticellata) se ferme. Si on ne comprend pas, chassez celui qui [veut] comprendre !
- [Maitrīpa ] : « Il n'y a que cela ? »
« Au moment de voir le sens pour l'exemple, le signe se manifestera à la faculté visuelle. Au moment du regard yogique, on n'a ni anxiété (T.
khong 'phrig = ?
khong 'khrug(s)) ni doute. Au moment des expériences mystiques, on maintiendra le cap à l'écart de l'expérience unilatérale (T.
cha) de la concentration, du repos mental et des extrêmes d'être et de non être. C'est ainsi qu'il faut connaître la
Mahāmudrā ainsi que les trois signes de réussite de la
Mahāmudrā. »
« Restez tel quel. [Comme] une mule[9]/tenace (T.
khre se =? khregs) dans l'absence de méditation, relâché (T.
shig ge) dans l'absence d'effort, retrouvant son point de gravité (T.
babs se) dans l'absence de projet, rayonnant (T.
lhan ne S.
tapati) dans l'absence de discursivité, abasourdi (T.
had de) dans l'absence d'appréhension, purificateur (T.
chal le) dans l’absence de support, et serein (T.
cham me) dans l'absence de référence.
« En pratiquant sans effort, pas de confrontation avec des obstacles extérieurs. Étant incapable de méditer, impossible de chasser (T.
sel)
Vajradhara, "l'obstacle" que l'on ne peut chasser, et d'un. Le défaut de ne pas le reconnaître, car trop près, et de deux. Le défaut de ne pas l'identifier car trop profond, et de trois. Le défaut de ne pas y faire confiance, car trop facile, et de quatre. Le défaut de ne pas pouvoir le sonder car trop bon, et de cinq. »[11]
Et encore, « Si l'on ne perçoit pas les phénomènes, pas d'abattement (T.
b.sdugs pa S.
duḥkhita). En n'agissant pas, abattement. En absence d'instructions pas d'abattement. Ayant été incapable de méditer, abattement. Comme il n'est pas besoin d'accumuler du mérite, pas d'abattement. N'ayant pas accumulé, abattement. »
Fin de Réponses aux questions sur la Mahāmudrā de Maitrīpa à mahābrāhmaṇa Saraha.
Colophon (seulement Narthang) :
Le paṇḍita Amitavajra (T.
dpag med rdo rje) a composé ce texte en complément du commentaire extensif des distiques de Kṛṣṇavajra[10].
***
[1] colophon: d+ho ha mdzod kyi rgya cher bshad pa paN+Di ta dpal dpag med rdo rjes mdzad 'di rdzogs so/ /'di ni snyigs dus kyi 'gro ba mtha' yas pa'i 'dren pa dam pa/ rgyal ba'i dbang po karma pa'i sprul sku bdun pa'i zhal mnga' bka'i bskul ba bzhin/ so skyong bstan pa'i sbyin bdag chen po dpon chen rin chen rnam rgyal dbang po'i sde sku mchod pas bdag skyen sbyar te/ zha lu lo tsA ba dge slong d+harma pA la b+ha tra zhes bgyi bas chos grwa grwa thang gangs tsan khrod kyi bi kra ma shrI la'i gtsug lag khang du rnga chen zhes bya ba lcags pho khyi'i lo'i khrums kyi zla ba'i nyer drug la rdzogs par bsgyur cing dag par byas pa'o//
[2] ,'khor ba'i rgya mtso dri med chus gang ba'i, ,sngags kyi lugs kyi mtso las pad skyes pa, ,spyod 'chang nag po 'gro don sbrang rtzi yi, ,bsung gi me tog rtag tu rgyal gyur cig
[3] Les chants mystiques de Kânha et de Saraha. Les Dohâ-kosa, http://www.maisonneuve-adrien.com/description/bouddhisme_hindouisme/shahidullah_chants.htm
[4] Aux sources du bouddhisme
[5] Ngo sprod rin po che spras pa'i zhing khams bstan pa'i rgyud (abr. ngo sprod spras pa’i rgyud), "The Tantra of the Buddhafields of Precious Direct Introduction", dont la traduction est attribuée à Vimalamitra et sKa ba dpal brtseg
[6] Chos dbyings mdzod, chapitre 3
[7] Le yogi en question est sans doute l’auteur de ce texte, le paṇḍita Amitābhavajra.
[8] N. : mchis na D. : ma mchis na
[9] N. : dre = mule
[10] Nag po pa’i dho ha mdzod kyi rgyas ‘grel pa NDita dpag med rdo rjes mdzad pa bzhugs sto/
[11] On retrouve quatre de ces cinq défauts dans la Mahāmudrā du reliquaire de Khyoungpo Neldjor
Texte tibétain Wylie :
dpal sa ra ha dang mnga' bdag mai tri pa'i zhu ba zhus lan
[88-92]
Na mo gu ru/
kun khyab kun yin mtshon du gang yang med//
bsam du med cing dmigs pa’i yul las ‘das//
mtha’ dbus med cing phyogs ris kun dang bral//
ye yin yang dag don la phyag ‘tshal lo//
rje bram ze chen po sa ra ha’i dgongs pa mthar thug pa phyag rgya chen po’i zhu lan//
rnal ‘byor rang gi rjes ‘dzin bya ba dang*//
rjes ‘jug dad ldan rnams la phan pa’i phyir//
bla ma rnams kyi gsungs pa zab mo’i don//
lhag chad med par yi ger bkod par bya’o//
- de yang bram ze chen po sa ra ha pa la/ mnga’ dag rgyal sras mai tri pas zhus pa/ phyag rgya chen po kun khyab yin gsungs pa (ma) mchis na/ de ltar du lags sam zhes zhus pas/ go bzhin rtogs na yin gsung*//
-‘o na phyag snang ba/ rgya stong pa chen po zung du ‘jug pas te/ snang stong zung du ‘jug pa gcig phyag rgya chen po zer ba lags sam zhus pas/ sa ra ha pa’i zhal nas/ de chos kyi phyag rgya zhes bya ba yin/ phyag rgya chen po rang de min gsung*/
- yang zhus pa ‘o na phyag bde ba/ rgya stong pa chen po zung du ‘jug pas ste/ bde stong zung du ‘jug pa gcig la phyag rgya chen zer ba lgs sam zhus pas/ rje’i zhal nas/ de las kyi phyag rgya bya ba yin/ phyag rgya chen po rang min gsungs/
- yang zhus pa/ phyag gsal ba/ rgya stong pa chen po zung du ‘jug pas te/ gsal stong zung du ‘jug pa gcig la phyag rgya chen po zer ba lags sam zhus pas/ rje’i zhal nas/ de ‘od kyi phyag rgya bya ba yin/ phyag rgya chen po rang [88-93] de min gsungs/
- yang zhus pa/ ‘o na phyag rig pa/ chen po zung du ‘jug pas te/ rig stong zung du ‘jug pa gcig la phyag rgya chen po zer ba lags sam zhus pas/ rje’i zhal nas/ de yid kyi phyag rgya bya ba yin/ phyag rgya chen po rang min gsungs/ de kun thams cad phyag rgya chen po’i cha tsam phyogs re tsam yin gsungs/ phyag rgya chen po rang min gsungs/
- ‘o na phyag rgya chen po rang lags zhus pas/ zhal nas phyag rgya chen po bya ba ni/ gzhi lam ‘bras bu gsum gyi ma phye ba/ lta sgom spyod ‘bras bzhi’i srang/srings su ma bcug pa/ dbang bzhi’i don dang bral ba/ gsal ba/ stong pa/ mi rtogs pa gsum la mi ltos pa/ zhi gnas dang lhag mthong gi cha la ma brten pa/ slob dpon gyis bstan du me dpa/ slob mas go ru me dpa/ chos thams cad ye nas yin pa ji bzhin du gnas pa gcig la phyag rgya chen po zhes ming du btag pa gcig lags gsungs/
- yang zhus pa/ ‘o na ji ltar byas na go zhing rtog(s) pa lags zhus pas/ mai tri pa zhes bos nas/ yang dag pa’i lam la sa dang lam med kyi/ lam du ‘jug ‘jug po dang*/ sa bgrod bgrod po ma the bas/ sangs rgyas la thob rgyu med kyi ma re/ ‘khor bar lhung sa med kyi ma dogs/ chos nyid kyi ngo bo la tha dad med kyi ma dbye/ cam gyi zhog la kha rog par cogs kyi sdod/ tsen gyis zhog/ blos ci yang ma bsam/ yid kyi ci yang ma bsgom/ dmigs pa ci la yang ma gtong*/ sems ci la yang ma ‘khri/ ye ji bzhin du zhog/ spros med/ shin tu spros med/ ma dmigs [88-94] shin tu ma dmigs par zhog cig/ bshad pa tshig yin/ mtshon pa yi ge yin/ bsatn pa brda yin/ bsgom na don nang nas ‘char/ yang dag pa’i don la ci yang med/ ci nas ‘di yin nga bas sangs rgyas kyis kyang bstan du ma btub par gda’ gsungs so//
- yang mai tri pa zhes bos nas/ ‘o na kyang ‘di bzhin du gyis dang*/ yang dag pa’i dbyings dpe yin/ sems don yin/ rtags ni dbang po sgo lnga la ‘char/ mi gsal na dbang po rta la skyon/ ma bde na nyi dga’i ‘gag la ltos/ ma go na go byed kyi mkhan po bskyur la thong gsungs*/
- de la gzhan mi bdog gam zhus pas/ dpe la don gyi lta ba’i dus su/ rtags mig gi dbang po la ‘char ba yin/ lta stang kyi dus su/ khong ‘phrig dang the tshom ma za/ nyams myong gi dus su bsam gtan cha dang*/ zhi gnas dang*/ yin min mtha’ bral du gnas pa de la phyag rgya chen po phyag rgya chen po gsum gyi drod tshad ngo she par gyis/ tha mal gyi shes pa yin par skyol gsung*/
yang ‘di bzhin du zhog/ sgom med du (dre se) khre se/ rtsol med du shig ge/ bsam med du babs se/ rtog med du lhan ne/ ‘dzin med du had de/ (rten med du chal le)/ ltos med du cham mer zhog gsungs/
Rtsol med du nyams su len pa la gzhan gyi gegs mi yong*/ sgom mi nus par do rje ‘chang gi sel mi nus/ mi bsel ba’i gegs dang gcig/ nye drags nas ngo ma shes pa’i skyon dang gnyis/ zab drags pas ngos ma zin pa’i skyon dang gsum/ sla drags pas yid ma tshe pa’i skyon dang bzhi/ [88-95] bzang drags pas blor ma shong pa’i skyon dang lnga’o//
lar chos ma shes nas bsdugs pa min/ mi byed par bsdugs pa yin/ gdams ngag med nas bsdugs pa min/ bsgom ma nus nas bsdugs pa yin/ tshogs bsags rgyu med nas bsdugs pa min/ mi bsogs nas bsdugs pa yin/
bram ze chen po sa ra ha pa dang*/ mnga’ dag mai tri pa’i phyag rgya chen po’i zhu len// i.thi
Colophon :
Nag po pa’i dho ha mdzod kyi rgyas ‘grel paNDita dpag med rdo rjes mdzad pa bzhugs sto/