Krishna nageant avec les gopis dans la rivière Yamuna, Rajasthan XIXè s. |
L’animisme est un « système de pensée qui considère que la nature est animée et que chaque chose y est gouvernée par une entité spirituelle ou âme ». Le polythéisme est une forme plus élevée et mieux organisée de l'animisme (atilf).
Dans une Nature animée anthropomorphée, les hommes ont tendance à se rapporter aux entités spirituelles gérant des aspects de la Nature, comme ils se rapportent aux agents d’une hiérarchie dont ils sont le sujet. Ils peuvent aller les voir ces agents pour plaider leur cause, en leur proposant des biens en échange d’une faveur.
Le polythéisme animiste précède le culte de dieux monolâtres, monistes, ou monothéisantes etc. Quand le culte d’un dieu monothéisant[1] s’installe, il intègre des pratiques animistes populaires dans un premier temps, de façon plus ou moins amicale et tolérante. Même les grands cultes monothéistes ont des panthéons avec des saints etc. qui peuvent intercéder en faveur des croyants. Au lieu de s’adresser directement auprès de Dieu, ont intercède auprès d’un saint spécialisé en la matière, dans laquelle on souhaiterait obtenir une faveur. Le croyant peut faire une promesse au saint, ou lui dédier un ex-voto en cas d’une réponse favorable.
Dans une Nature animée anthropomorphée, les hommes ont tendance à se rapporter aux entités spirituelles gérant des aspects de la Nature, comme ils se rapportent aux agents d’une hiérarchie dont ils sont le sujet. Ils peuvent aller les voir ces agents pour plaider leur cause, en leur proposant des biens en échange d’une faveur.
Le polythéisme animiste précède le culte de dieux monolâtres, monistes, ou monothéisantes etc. Quand le culte d’un dieu monothéisant[1] s’installe, il intègre des pratiques animistes populaires dans un premier temps, de façon plus ou moins amicale et tolérante. Même les grands cultes monothéistes ont des panthéons avec des saints etc. qui peuvent intercéder en faveur des croyants. Au lieu de s’adresser directement auprès de Dieu, ont intercède auprès d’un saint spécialisé en la matière, dans laquelle on souhaiterait obtenir une faveur. Le croyant peut faire une promesse au saint, ou lui dédier un ex-voto en cas d’une réponse favorable.
Ex-voto ND de la Garde Marseille |
Au premier millénaire du Moyen-Âge indien, les cultes de dieux monothéisants se répandent, y compris par la force, en intégrant des cultes animistes de villages des régions reculées. Les entités spirituelles des cultes animistes (a-sura = non-dieu) prêtent serment au dieu monothéisant (« ils sont domptés »), et font désormais partie de leur cercle (maṇḍala). Pour des faveurs spécifiques, les croyants peuvent s’adresser à des non-dieux experts.
Cette tendance existe dans le shivaisme, où Śiva, ou des membres de sa Famille, deviennent le Seigneur des troupes (gaṇapati), ou le Seigneur des causeurs d’obstacles (Vighneśvara). Les troupes (gaṇa) de ceux qui peuvent causer ou enlever des obstacles sont les a-sura, les non-dieux anciens par rapport aux nouveaux dieux. Ces dieux anciens sont néanmoins ceux qui font tourner le monde, et il est important de ne pas l’oublier, notamment quand on besoin de leurs services.
Dans les cultes ésotériques (tantras) du shivaisme, vishnuisme, bouddhisme etc., les cultes anciens font partie intégrante du tantra, qui est centré sur le cercle (maṇḍala) du dieu monolâtre et ses lieutenants. En prenant un tantra comme le Hevajra Tantra, le dieu principal est Hevajra, qui occupe le centre du maṇḍala avec son épouse Nairātmya. Le Tantra reflète la série de questions que le disciple Vajragarbha posa à Hevajra concernant son propre culte. Il y eut également des instructions destinées à Nairātmya. L’ensemble du tantra constitue donc le manuel d’instruction du culte de le heruka Hevajra, dont l’objectif premier est de devenir comme Hevajra, avec son accomplissement ultime, mais aussi tous les pouvoirs (siddhi) dits « mondains » dont le heruka a besoin pour faire le bien des êtres. Ces pouvoirs ne sont autres que les pouvoirs animistes réintégrés dans le tantra, sous la forme de leurs a-sura agents, incorporés dans le maṇḍala du dieu.
Quand il s’agit de régler des problèmes plus concrets de la vie, et à toutes fins utiles, le Hevajra Tantra nous apprend comment procéder, pour utiliser « habilement » des pratiques animistes. En fait, cette partie du HT avait été demandée par Nairātmya (« la Nature ») au Dieu, pendant leur coït.[2] Tous les non-dieux sont conviés[3], et reçoivent des offrandes de fleurs, encens, viandes... Les yogis adeptes du Hevajra Tantra sont priés de continuer à faire ses sacrifices aux a-suras pour leur propre confort et bonheur, et pour satisfaire les non-dieux. En échange, les non-dieux leur accorderont leurs faveurs pendant tous les rituels magiques de soumission, de destruction des ennemis, d’expulsion, de meurtre, d’attraction, d’apaisement, de création de conditions de bonheur et leur augmentation.[4]
Le chapitre de la Manifestation du maṇḍala de Hevajra fait suite à une autre question posée par Nairātmya. Hevjara explique et montre comment leur union produit la passion universelle (mahārāga) et le couple divin se dissout dans un flot orgasmique cosmique.[5] Les déesses demandent par des chants au Dieu d’en émerger, parce que sans Lui, elles meurent. C’est alors la phase de génération du maṇḍala qui est expliquée. Nairātmya réussit à arracher tous les secrets à Hevajra en l’enlaçant et en l’embrassant. Il donne alors malgré lui, le mantra pour soumettre toutes les femmes, pour menacer les méchants, pour démettre (pātanā) les non-dieux reptiliens et pour écraser les dieux et les non-dieux. Il donne en fait la recette pour devenir soi-même un dieu monolâtre. Nairātmya reçoit ce mantra pour se protéger elle-même.
Cette tendance existe dans le shivaisme, où Śiva, ou des membres de sa Famille, deviennent le Seigneur des troupes (gaṇapati), ou le Seigneur des causeurs d’obstacles (Vighneśvara). Les troupes (gaṇa) de ceux qui peuvent causer ou enlever des obstacles sont les a-sura, les non-dieux anciens par rapport aux nouveaux dieux. Ces dieux anciens sont néanmoins ceux qui font tourner le monde, et il est important de ne pas l’oublier, notamment quand on besoin de leurs services.
Dans les cultes ésotériques (tantras) du shivaisme, vishnuisme, bouddhisme etc., les cultes anciens font partie intégrante du tantra, qui est centré sur le cercle (maṇḍala) du dieu monolâtre et ses lieutenants. En prenant un tantra comme le Hevajra Tantra, le dieu principal est Hevajra, qui occupe le centre du maṇḍala avec son épouse Nairātmya. Le Tantra reflète la série de questions que le disciple Vajragarbha posa à Hevajra concernant son propre culte. Il y eut également des instructions destinées à Nairātmya. L’ensemble du tantra constitue donc le manuel d’instruction du culte de le heruka Hevajra, dont l’objectif premier est de devenir comme Hevajra, avec son accomplissement ultime, mais aussi tous les pouvoirs (siddhi) dits « mondains » dont le heruka a besoin pour faire le bien des êtres. Ces pouvoirs ne sont autres que les pouvoirs animistes réintégrés dans le tantra, sous la forme de leurs a-sura agents, incorporés dans le maṇḍala du dieu.
Quand il s’agit de régler des problèmes plus concrets de la vie, et à toutes fins utiles, le Hevajra Tantra nous apprend comment procéder, pour utiliser « habilement » des pratiques animistes. En fait, cette partie du HT avait été demandée par Nairātmya (« la Nature ») au Dieu, pendant leur coït.[2] Tous les non-dieux sont conviés[3], et reçoivent des offrandes de fleurs, encens, viandes... Les yogis adeptes du Hevajra Tantra sont priés de continuer à faire ses sacrifices aux a-suras pour leur propre confort et bonheur, et pour satisfaire les non-dieux. En échange, les non-dieux leur accorderont leurs faveurs pendant tous les rituels magiques de soumission, de destruction des ennemis, d’expulsion, de meurtre, d’attraction, d’apaisement, de création de conditions de bonheur et leur augmentation.[4]
Le chapitre de la Manifestation du maṇḍala de Hevajra fait suite à une autre question posée par Nairātmya. Hevjara explique et montre comment leur union produit la passion universelle (mahārāga) et le couple divin se dissout dans un flot orgasmique cosmique.[5] Les déesses demandent par des chants au Dieu d’en émerger, parce que sans Lui, elles meurent. C’est alors la phase de génération du maṇḍala qui est expliquée. Nairātmya réussit à arracher tous les secrets à Hevajra en l’enlaçant et en l’embrassant. Il donne alors malgré lui, le mantra pour soumettre toutes les femmes, pour menacer les méchants, pour démettre (pātanā) les non-dieux reptiliens et pour écraser les dieux et les non-dieux. Il donne en fait la recette pour devenir soi-même un dieu monolâtre. Nairātmya reçoit ce mantra pour se protéger elle-même.
La nymphe Tilottamā |
Pour que Vajragarbha reçoive la consécration, il doit attirer la nymphe céleste Tilottamā en créant un maṇḍala entouré de flammes. En récitant d’une belle voix de basse le mantra 10.000 fois, il attirera toutes les femmes. En récitant le mantra 100.000 fois, il s’unit au vajra, et sera capable d’accomplir tous les rituels.[6]
On procède à la consécration. Le maṇḍala est dessiné conformément, le vase rituel (skt. vijayakalaśa) est posé au centre, et l’on fait entrer les huit femmes partenaires (vidyā), âgées entre 12 et 16 ans, joliment parées. Le yogi officiant (ācārya) « sert » les femmes. Le rituel commence. Pour les détails je vous réfère au Hevajra Tantra. Ce sont les préparatifs pour le déroulement des quatre consécrations[7]. Le disciple à consacrer entre le maṇḍala, et reçoit la consécration de Maître (ācārya). Il est progressivement initié en les quatre instants et les quatre joies. En guise de la quatrième consécration, Hevajra prononce un verset que l’on retrouve dans le Chant de Distiques de Saraha (DKG n° 27), et qui correspond à la réalisation de la mahāmudrā. Ici, dans le Hevajra Tantra, la mahāmudrā est une expérience générée par l’union sexuelle yoguique du disciple et son partenaire.
L’approche de la mahāmudrā de Saraha permet de ne pas s’appuyer sur le tantra et son animisme intégré et les pratiques magiques associées, pour l’approche de Kṛṣṇācārya, cela est indispensable. Selon l’approche de Kṛṣṇācārya, la partenaire féminine, la jeune fille de 12-16 ans, est appelée une « mahāmudrā relative » (skt. saṃvṛtyācārarūpeṇa). Hevajra décrit en détail ses caractéristiques[9].
Celui qui veut utiliser une « mahāmudrā relative » pour obtenir la « mahāmudrā ultime », doit d’abord faire un vœu.
Les chapitre 9 et 10 (II, IX-X) du Hevajra Tantra traitent de la composition des mantras, de leurs objectifs, et de leur récitation. On y apprend les méthodes magiques pour détruire les ennemis de la doctrine du Bouddha, les non-croyants, en visualisant l’individu en question, la tête pendue vers le bas, vomissant du sang, tremblant de peur. On imagine qu’une lance enflammée lui entre dans le dos et que par la visualisation de la syllabe-germe de l’élément feu dans son cœur, il meurt instantanément.[11] On y apprend des mantras pour paralyser (stambhana), pour expulser (y compris des Bouddhas), pour hypnotiser (abhicārukaṁ, pour attirer (ākarṣana) des nymphes célestes (y compris notre Tilottamā), pour tuer des deva et des hommes. Différents types de rosaires doivent être utilisés en fonction de l’activité.
Dans le Cakrasamvara Tantra[12], on trouve même une recette pour un avortement. Il faut dire que les matṛika, tout comme les autres non-dieux, peuvent causer le bien et le mal, et sont connues pour tuer les enfants à naître et les jeunes enfants. Elles peuvent donner et prendre la vie.
Que faire de tout cela ? Les instructeurs du bouddhisme ésotérique tibétain connaissent très bien le chemin à suivre, tel qu’ils le conçoivent : tout le chemin, pas une petite étape. Pour devenir un Bouddha pleinement éveillé, c’est-à-dire un Bouddha disposant de, et utilisant tous les moyens (Corps formels, pouvoirs magiques, etc.), le passage par la mahāmudrā de Kṛṣṇācārya est obligatoire. Les tantras bouddhistes expliquent clairement pourquoi cela inclue des pratiques animistes. Il suffit de lire les tantras bouddhistes et leurs commentaires. Le bouddhisme des Anciens (nyingma) a ses propres cycles de pratiques hybrides, où l’on trouve à la fois des instructions sur la nature de l’esprit, des pratiques animistes, et des pratiques gnostiques permettant de choisir une bonne matrice humaine lorsqu’on est une larve spirituelle (gandharva) dans l’état intermédiaire du Bardo.
Il n’est pas toujours facile pour un occidental qui s'intéresse à la spiritualité orientale d’admettre que l’on ait quelque difficulté à accepter telle quelle une tradition de mille ans, qui s’appuie sur les sciences magiques, astrologiques, démonologiques, alchimiques, et spirituelles de son époque. Que faire des pratiques animistes, qui font partie du cursus ésotérique ? Que penser de la façon de laquelle un Bouddha heruka fait le « bien des êtres » ? Un « bien des êtres » dont les seules recettes données dans le Tantra sont des violences, y compris sexuelles. A notre époque, est-ce que ce type d’instruction peut avoir une quelconque utilité dans le cadre d'une pratique spirituelle ? A part pour ajouter un peu d'exotisme et d'excitation dans sa vie ?
Faut-il, peut-être pour garder le lien, réinterpréter ces croyances et pratiques ? Elles sont tellement en contradiction avec ce que nous savons maintenant sur le monde et la marche de celui-ci, que le fossé ne pourrait jamais être comblé, malgré tous les efforts de type « Mind and Life », pour un dialogue entre les sciences et les sciences bouddhistes. Certains bouddhistes ésotériques traditionalistes ont d’ailleurs fait savoir déjà que l’on ne peut pas réinterpréter les instructions ésotériques du Bardo, etc. au risque de passer à côté de leur objet essentiel : la libération des six mondes du cycle des existences.
Il existe une autre mahāmudrā, davantage compatible avec le monde tel que nous pensons le connaître actuellement, qui n’impose ni mantra, ni tantra, ni animisme, ni attraction de nymphes célestes ou de jeunes filles. Elle ne produira pas des éveillés capables de pouvoirs magiques. Ce n’est pas la mahāmudrā qu’a choisie la tradition tibétaine depuis le XIIème siècle.
J’ai eu un jour une discussion au sujet des deux mahāmudrā avec une ponte de l’école Kagyupa. Il fut indigné que je puisse même lui poser la question. L’une et l’autre conduisaient au plein éveil pour lui. C’est vrai que c’est la ligne officielle dans les discours occidento-compatibles. Il suffit d’observer en sociologue ou en anthropologue le parcours qui suivent les maîtres tibétains pour eux-mêmes, et qu’ils enseignent dans leurs propres monastères. Il suffit aussi de lire ce qu’ont écrit les pontes des écoles kagyupas au sujet des différents types de mahāmudrā. Il y en a qui est une sorte de produit d’appel, et l’autre qui reste pour la grande majorité l’objectif ultime, et qui passe par les pratiques du Guhyasamāja, Hevajra, Cakrasamvara, Kālacakra etc. et de toutes leurs pratiques traditionnelles associées, avec tout ce qu’elles véhiculent en concepts, images, idéologie toxiques etc.
[1] Souvent, dans un premier temps, un dieu monolâtre avec son épouse.
[2] « Nairātmya, the holder of the Vajra, remaining in union with the divine Hevajra, for the benefit of beings asked regarding the great sacrificial offering. Abiding in evaṃ, Vajrasattva instructed upon the sacrificial offering for the protection of the life of beings as well as protection from obstacles and troubles. » HT, II.IV, p. 235
[3] Oṃ akāro mukhaṃ sarvadharmaṇāṃ ādyanutpannatvāt oṃ āḥ hūṃ phaṭ svāhā.
[4] HT, II.IV, p. 237
[5] Tato vajrī mahārāgād drutabhūtaṃ savidyayā | (19)
[6] HT, p. 253
[7] « La consécration avec artifice se divise en trois : la consécration du Maître (ācārya), la consécration sécrète, la consécration de la gnose de la sagesse. La consécration sans artifice se divise en deux : le sceau du dharma (dharmamudrā) et le secau universel (mahāmudrā). » Instructions sur les étapes graduelles de la transmission du Maître (D3716, P4539), skt. Guruparamparākramopadeśa, d’ācārya Vajrapāṇi.
[8] Kim apy utpadyate tatra mūkasya svapnaṃ yathā | paramāntaṃ viramādyaṃ śūnyāśūnyaṃ tu herukam ||
[9] HT, p. 271-272
[10]Yoṣicchukrasamāhāri. HT, p. 272-273. Le sens de sam-āhṛ est assembler, réunir, combiner ; contracter.
[11] HT, p. 276
[12] The Cakrasamvara Tantra (The Discourse of Sri Heruka) A Study and Annotated Translation by David B. Gray.
[13] Cakrasamvara, Chapter XLVI, p. 359
On procède à la consécration. Le maṇḍala est dessiné conformément, le vase rituel (skt. vijayakalaśa) est posé au centre, et l’on fait entrer les huit femmes partenaires (vidyā), âgées entre 12 et 16 ans, joliment parées. Le yogi officiant (ācārya) « sert » les femmes. Le rituel commence. Pour les détails je vous réfère au Hevajra Tantra. Ce sont les préparatifs pour le déroulement des quatre consécrations[7]. Le disciple à consacrer entre le maṇḍala, et reçoit la consécration de Maître (ācārya). Il est progressivement initié en les quatre instants et les quatre joies. En guise de la quatrième consécration, Hevajra prononce un verset que l’on retrouve dans le Chant de Distiques de Saraha (DKG n° 27), et qui correspond à la réalisation de la mahāmudrā. Ici, dans le Hevajra Tantra, la mahāmudrā est une expérience générée par l’union sexuelle yoguique du disciple et son partenaire.
« Ceci est l’expérience à la fin de la joie suprême et au commencement de la joie de cessation, qui est à la fois le vide et le non-vide, ainsi que le Heruka. »[8]Pour les adeptes du Hevajra Tantra, et de son Commentaire (Yogaratnamālā) composé par Kṛṣṇācārya, l’accomplissement de la mahāmudrā passe par cette consécration, ce rituel et ce cadre mythologique. Pour ces adeptes, le bien des êtres, l’activité spontanée d’un Bouddha, passe par les Corps formels ainsi édifiés, et par les pouvoirs (siddhis) ainsi obtenus.
L’approche de la mahāmudrā de Saraha permet de ne pas s’appuyer sur le tantra et son animisme intégré et les pratiques magiques associées, pour l’approche de Kṛṣṇācārya, cela est indispensable. Selon l’approche de Kṛṣṇācārya, la partenaire féminine, la jeune fille de 12-16 ans, est appelée une « mahāmudrā relative » (skt. saṃvṛtyācārarūpeṇa). Hevajra décrit en détail ses caractéristiques[9].
Celui qui veut utiliser une « mahāmudrā relative » pour obtenir la « mahāmudrā ultime », doit d’abord faire un vœu.
« Puissè-je naître dans mes futures existences comme un membre de la Famille (skt. Kula), garder les préceptes de mon Observance (skt. samaya), instruire les autres en la pratique de Hevajra, la compassion et la dévotion au gourou. Puissè-je naître dans mes futures existences tenant le Vajra et la cloche dans mes mains, promouvoir la doctrine profonde et retrouver les fluides sexuels des femmes[10]. »Ceci n’est pas rien, c’est un vœu, et ce qui motive l’adepte du Hevajra Tantra.
Les chapitre 9 et 10 (II, IX-X) du Hevajra Tantra traitent de la composition des mantras, de leurs objectifs, et de leur récitation. On y apprend les méthodes magiques pour détruire les ennemis de la doctrine du Bouddha, les non-croyants, en visualisant l’individu en question, la tête pendue vers le bas, vomissant du sang, tremblant de peur. On imagine qu’une lance enflammée lui entre dans le dos et que par la visualisation de la syllabe-germe de l’élément feu dans son cœur, il meurt instantanément.[11] On y apprend des mantras pour paralyser (stambhana), pour expulser (y compris des Bouddhas), pour hypnotiser (abhicārukaṁ, pour attirer (ākarṣana) des nymphes célestes (y compris notre Tilottamā), pour tuer des deva et des hommes. Différents types de rosaires doivent être utilisés en fonction de l’activité.
Dans le Cakrasamvara Tantra[12], on trouve même une recette pour un avortement. Il faut dire que les matṛika, tout comme les autres non-dieux, peuvent causer le bien et le mal, et sont connues pour tuer les enfants à naître et les jeunes enfants. Elles peuvent donner et prendre la vie.
« Make an offering of the ḍākinī sacrificial cake, with cat, mongoose, dog, crow, crane, and jackal; there is no doubt that in this Tantra this quickly yields power. Make a cord from the hair of rabbit, and so forth, and enchant it a thousand times; he around whose neck it is bound will become like that. Having enchanted one's hand one thousand times with karavira blossoms, and employing each syllable, touch a pregnant woman. One transfers the embryo (skt. garbha), and in release [from it] there is liberation (skt. mokṣa). Whomever is admonished is killed and then caused to live again. »[13]J’ai laissé la petite recette pour transformer quelqu’un en un animal pour l’anecdote.
Que faire de tout cela ? Les instructeurs du bouddhisme ésotérique tibétain connaissent très bien le chemin à suivre, tel qu’ils le conçoivent : tout le chemin, pas une petite étape. Pour devenir un Bouddha pleinement éveillé, c’est-à-dire un Bouddha disposant de, et utilisant tous les moyens (Corps formels, pouvoirs magiques, etc.), le passage par la mahāmudrā de Kṛṣṇācārya est obligatoire. Les tantras bouddhistes expliquent clairement pourquoi cela inclue des pratiques animistes. Il suffit de lire les tantras bouddhistes et leurs commentaires. Le bouddhisme des Anciens (nyingma) a ses propres cycles de pratiques hybrides, où l’on trouve à la fois des instructions sur la nature de l’esprit, des pratiques animistes, et des pratiques gnostiques permettant de choisir une bonne matrice humaine lorsqu’on est une larve spirituelle (gandharva) dans l’état intermédiaire du Bardo.
Il n’est pas toujours facile pour un occidental qui s'intéresse à la spiritualité orientale d’admettre que l’on ait quelque difficulté à accepter telle quelle une tradition de mille ans, qui s’appuie sur les sciences magiques, astrologiques, démonologiques, alchimiques, et spirituelles de son époque. Que faire des pratiques animistes, qui font partie du cursus ésotérique ? Que penser de la façon de laquelle un Bouddha heruka fait le « bien des êtres » ? Un « bien des êtres » dont les seules recettes données dans le Tantra sont des violences, y compris sexuelles. A notre époque, est-ce que ce type d’instruction peut avoir une quelconque utilité dans le cadre d'une pratique spirituelle ? A part pour ajouter un peu d'exotisme et d'excitation dans sa vie ?
Faut-il, peut-être pour garder le lien, réinterpréter ces croyances et pratiques ? Elles sont tellement en contradiction avec ce que nous savons maintenant sur le monde et la marche de celui-ci, que le fossé ne pourrait jamais être comblé, malgré tous les efforts de type « Mind and Life », pour un dialogue entre les sciences et les sciences bouddhistes. Certains bouddhistes ésotériques traditionalistes ont d’ailleurs fait savoir déjà que l’on ne peut pas réinterpréter les instructions ésotériques du Bardo, etc. au risque de passer à côté de leur objet essentiel : la libération des six mondes du cycle des existences.
Il existe une autre mahāmudrā, davantage compatible avec le monde tel que nous pensons le connaître actuellement, qui n’impose ni mantra, ni tantra, ni animisme, ni attraction de nymphes célestes ou de jeunes filles. Elle ne produira pas des éveillés capables de pouvoirs magiques. Ce n’est pas la mahāmudrā qu’a choisie la tradition tibétaine depuis le XIIème siècle.
J’ai eu un jour une discussion au sujet des deux mahāmudrā avec une ponte de l’école Kagyupa. Il fut indigné que je puisse même lui poser la question. L’une et l’autre conduisaient au plein éveil pour lui. C’est vrai que c’est la ligne officielle dans les discours occidento-compatibles. Il suffit d’observer en sociologue ou en anthropologue le parcours qui suivent les maîtres tibétains pour eux-mêmes, et qu’ils enseignent dans leurs propres monastères. Il suffit aussi de lire ce qu’ont écrit les pontes des écoles kagyupas au sujet des différents types de mahāmudrā. Il y en a qui est une sorte de produit d’appel, et l’autre qui reste pour la grande majorité l’objectif ultime, et qui passe par les pratiques du Guhyasamāja, Hevajra, Cakrasamvara, Kālacakra etc. et de toutes leurs pratiques traditionnelles associées, avec tout ce qu’elles véhiculent en concepts, images, idéologie toxiques etc.
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[1] Souvent, dans un premier temps, un dieu monolâtre avec son épouse.
[2] « Nairātmya, the holder of the Vajra, remaining in union with the divine Hevajra, for the benefit of beings asked regarding the great sacrificial offering. Abiding in evaṃ, Vajrasattva instructed upon the sacrificial offering for the protection of the life of beings as well as protection from obstacles and troubles. » HT, II.IV, p. 235
[3] Oṃ akāro mukhaṃ sarvadharmaṇāṃ ādyanutpannatvāt oṃ āḥ hūṃ phaṭ svāhā.
[4] HT, II.IV, p. 237
[5] Tato vajrī mahārāgād drutabhūtaṃ savidyayā | (19)
[6] HT, p. 253
[7] « La consécration avec artifice se divise en trois : la consécration du Maître (ācārya), la consécration sécrète, la consécration de la gnose de la sagesse. La consécration sans artifice se divise en deux : le sceau du dharma (dharmamudrā) et le secau universel (mahāmudrā). » Instructions sur les étapes graduelles de la transmission du Maître (D3716, P4539), skt. Guruparamparākramopadeśa, d’ācārya Vajrapāṇi.
[8] Kim apy utpadyate tatra mūkasya svapnaṃ yathā | paramāntaṃ viramādyaṃ śūnyāśūnyaṃ tu herukam ||
[9] HT, p. 271-272
[10]Yoṣicchukrasamāhāri. HT, p. 272-273. Le sens de sam-āhṛ est assembler, réunir, combiner ; contracter.
[11] HT, p. 276
[12] The Cakrasamvara Tantra (The Discourse of Sri Heruka) A Study and Annotated Translation by David B. Gray.
[13] Cakrasamvara, Chapter XLVI, p. 359
C'est l'éternel débat: est-ce que la fin justifie les moyens.
RépondreSupprimerEn se comportant en Bisounours asexué, même si la sagesse et l'éthique nous y encourage, il n'est pas certain qu'on aille loin et haut. Tout est question d'ambition.
Je me souviens d'une vidéo de Mooji dans laquelle il disait que pour "ça" il avait tout abandonné mais il ajoutait en messe basse qu'en même temps, n'ayant rien, il n'avait pas grand chose à abandonner.
Pour ma part si je devais dire qu'elle serait pour moi la drogue la plus puissante, par delà le bien et le mal ce serait sans conteste la nymphettomania. Ce qui n'est d'ailleurs pas la moins dangereuse des drogues, à tout point de vue, surtout dans nos sociétés occidentales où la pédophilie semble la pire des choses.
A mon sens le dépouillement n'a de sens que si on a des choses à se dépouiller (contrairement à ce que dit Mooji)
Je m'interroge souvent sur la question de savoir dans quelle mesure le bouddhisme peut être vu de manière dialectique avec des moments de négativité. J'ai plutôt tendance à me répondre que non, le bouddhisme n'est pas dialectique mais non-dualiste mais après j'ai du mal à penser un non-dualisme qui récuse tout monisme. La solution c'est un pluralisme non-dualiste et non moniste mais ça ne simplifie pas les choses. Et dans ce pluralisme tel que je l'imagine, les nymphettes, y ont une place, à partir du moment où on sait trouver la distance juste (à partir du moment où on a dompté le monstre en peluche qui sommeil en nous). A mon niveau ça exclue toute sexualité... mais qui sait à un niveau plus élevé?
Il y a différents bouddhismes. Je n’ai pas vu beaucoup de “bisonours” dans l’histoire de ces bouddhismes. Les bouddhistes ascétiques des premiers temps renonçaient à l’acte sexuel, est-ce qu’ils étaient pour autant asexués? Les doctrines bouddhistes ne sont certainement pas asexuées, pour le meilleur et pour le pire. Les premiers bouddhistes (śramaṇa) ne voulaient pas aller loin et haut, ils cherchaient juste la sortie. Le mahāyāna et le bouddhisme ésotériques à conçu des altitudes sans limite, c’est certain, en tout point comparables avec celles d’autres religions, néoplatonismes, et autres méthodes d'ascension etc.
SupprimerMooiji est considére comme un “gourou” et se considère comme tel, et tout est dit en disant cela en ce qui me concerne.
Après la question est celle de la place d’une vie laïque selon le bouddhisme tardif, et de la possibilité d’atteindre le plein éveil ainsi. Et cette place est devenue centrale au cours des siècles. Le bouddhisme est quand-même avant tout une affaire des élites et des classes moyennes. Le bouddhisme tantrique veut faire croire à des débuts très modestes, un développement de bas en haut, mais il semblerait que ce ne soit pas le cas. De toute façon, le succès de sa propagation n’est pas dû aux balayeurs etc. Ceux qui racontent son avènement appartiennent aux couches supérieures de la population. Il suffit de lire les comptes-rendus des pratiques sexuelles dans les classes supérieures au Népal. Elles étaient plutôt destinés aux DSK de l’époque qu’aux balayeurs. Aux spécialistes de faire des recherches, si cela les intéresse, et si de telles recherches trouveraient les fonds nécessaires, ce dont je doute. Cela reste avant tout une histoire sordide d'exploitation et de domination, vue de notre époque.
Je laisse de côté l’aspect moral. La sexualité fait partie de la vie humaine. Il ne s’agit pas de devenir des bisonours asexués dans le bouddhisme, mais pourquoi vouloir passer par lui, pour être sexuellement actifs ? Pourquoi aurait-on besoin de pratiques sexuelles homologuées par le bouddhisme ? Il faut distinguer entre le côté idéologique religieuse (mythologie, ascèse, alchimie, …) de ces pratiques pour réintégrer l’Esprit et la Nature, Shiva-shakti, l’Androgyne etc. Et puis la simple possibilité d’avoir accès à de jeunes femmes, des esclaves sexuelles qu’on s’échangeait en toute liberté, ni vu ni connu, pendant des soirées organisées dans le cadre déculpabilisant de la religion. C’était même considéré vertueux, et susceptible de conduire plus haut et plus loin que le bouddhisme ascétique.
J'avoue n'avoir pas tranché la question de base à savoir s'il est seulement question de trouver la sortie ou bien d'aller loin et haut à moins d'imaginer que la sortie est elle même loin et haute.
SupprimerNan Je préfère penser qu'il s'agit de trouver la sortie et d'aider les autres à la trouver et qu'elle n'est pas si difficile à trouver (ni loin ni haute) mais qu'elle est contre-intuitive.
Les plus vieux sages ne deviennent-ils pas des bisounours asexués par la force des choses?
Pourquoi aurait-on besoin de pratiques sexuelles homologuées par le bouddhisme ?
Le terme d'alchimie, proposé plus bas me semble la réponse.
La sexualité (et la frustration qui est liée) reste le plus puissant moteurs qu'on puisse imaginer.
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