Affichage des articles dont le libellé est smon lam. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est smon lam. Afficher tous les articles

dimanche 27 mars 2022

Le Voeu d'un bodhisattva du VIème siècle

Maitreya, Gandhara

Il y a un lien entre lacte de vérité védique et le Voeu (skt. praṇidhāna tib. smon lam) d’un bodhisattva “vieille école”, c’est-à-dire un bodhisattva qui fait le quadruple voeu[1], et qui pour le réaliser doit obtenir l’état de Bouddha, qui seul peut lui en donner les moyens. Son voeu inclut également les modalités de sa Terre pure associée. Quand il fait ce voeu de façon solennelle, il y associe un acte de vérité : Si, en devenant Bouddha, mes voeux supplémentaires ne se réalisent pas, et que je n’aurais pas les moyens de les réaliser, je ne veux pas de l’état de Bouddha. Autrement dit, si mon idéal de Bouddha, qui motive mon Voeu, n’est pas possible, je ne pourrais pas servir les êtres, tel que je le conçois. Mais comme les Voeux d’autres grands bodhisattva, étant devenus des Bouddhas, se sont tous réalisés, et j’en veux pour preuve l’efficacité de ces Bouddhas et de leur Terres pures, je sais que mes voeux aussi, quels qu’ils soient, se réaliseront.

Les Voeux, dans leur nouvelle version de La Prière royale de Samantabhadra pour les conduites bénéfiques (Samantabhadra-caryāpraṇidhāna), ont été davantage uniformisés. C’est Sudhana, du Gaṇḍavyūha-sūtra, qui aurait reçu directement cette version prête-à-l 'emploi de Samantabhadra, et qui fut ainsi le premier à les mettre en pratique sous cette forme, c’est-à-dire principalement par la pratique de la prière à sept branches (tib. yan lag bdun pa skt. saptāṅga). Depuis cette époque, celui ou celle qui prend le voeu de bodhisattva, pratiquera selon l’exemple de Samantabhadra et de Sudhana. Et en effet, pendant les “cérémonies de plateforme”, des cérémonies de masse d’ordination laïque (vœux de bodhisattva), ces Voeux étaient utilisés pour convertir les personnes assistantes à la cérémonie.
Si le document Pelliot tibétain 116 était en effet un manuel de cérémonie, et si on se base sur lui, une cérémonie typique aurait pu commencer par la récitation des "Vœux de la bonne conduite" (sct. Bhadracaryāpraṇidhānarāja tib. bzang spyod smon lam), qui présente la motivation d’un bodhisattva. Elle est suivie par une récitation du Sūtra du diamant (sct. Vajracchedikā prajñāpāramitā sūtra), qui introduit l’audience à la vacuité, et joue par ailleurs un rôle vital dans le Sūtra de lestrade, si important pour le Ch’an/Zen. L’hypothèse de la cérémonie de van Schaik semble se baser sur le déroulement de la cérémonie décrite justement au début du Sūtra de l’estrade.

« Assis sur un trône élevé dans la salle de prédication du temple de la Grande Chasteté, maître Houei-neng donna des enseignements sur la Mahāprajñāpāramitā et transmit les voeux sans apparence [formless precepts]. Au pied de son trône se pressaient plus de dix-mille moines, nonnes, adeptes et laïcs. »[3]

Il s’agit des préceptes de refuge, suivis des préceptes de bodhisattva. Après la prise des préceptes, le maître enseigne généralement la vacuité, en faisant référence au Sūtra du diamant. Van Schaik fournit la traduction anglaise du texte/sermon Single method of non-apprehension (tib. dmigs su med pa tsh'ul gcig pa′i gzhung). Le document Pelliot tibétain 116 poursuit avec une collection d'enseignements de 18 maîtres, un enseignement sur l’éveil immanent en chaque individu, des instructions de méditation et se termine avec un chant inspirant. Cette cérémonie, auquel van Schaik se réfère comme "une initiation Zen", aurait pu être le rituel central d’un événement annoncé bien en avance, afin de permettre aux convives de s’organiser et d’y participer. La transmission des préceptes pouvait être suivie d’une retraite de méditation.” (Blog L'Engagement Sage selon le Zen tibétain du 08/10/2015)
Mais avant d’être ritualisés de cette façon, les bodhisattva firent leur propre Voeu, à l’instar de Huisi (515-577). Ils ne connaissaient pas les voeux de Samantabhadra (Āvataṃsaka-sūtra, Gaṇḍavyūha, traduit par Prajñā[2]), et leur approche des voeux se calquait sur ce qui se lisait dans les sūtra disponibles, notamment le Sūtra du Lotus en ce qui concerne Huisi. La pratique de Samantabhadra, pour Huisi, c'est celle que l'on lit dans le Lotus.

Vu ce que le bouddhisme est devenu, on pourrait juger que Huisi manquait de modestie (voir ci-dessous). Il vivait dans une époque très troublée, alternant des persécutions et de courtes périodes plus fastes pour les bouddhistes. Il était très conscient d’avoir raté une première occasion avec Bouddha Śākyamuni, et espérait renaître dans lentourage de Maitreya. Pour cela, il lui fallait un Voeu très fort, et pour réaliser ce Voeu très fort, un acte de mérite exceptionnel. Le Sūtra de Lotus et d'autres sūtra insistaient sur le grand mérite associé à l’acte de lire, réciter, recopier, répandre leur message, aussi Huisi concevait le projet de recopier le Prajñāpāramitāsūtra en lettres d’or, et de façonner un coffre en béryl/lapis lazuli serti des sept joyaux pour contenir ce précieux manuscrit. Le mérite de cet acte admirable servirait de carburant à son Voeu. Tout le monde parlerait de cet exploit, et il recevrait sans aucun doute les louanges des Bouddhas et des bodhisattvas pour ce qu’il avait fait, et pour ce qu’il comptait réaliser par la suite au service de la Loi. Une fois son exploit réalisé et le mérité associé en poche, il composa son Voeu, avant de se retirer dans les montagnes, pour acquérir les pouvoirs nécessaires[3].

Huisi était un bouddhiste chinois de son temps, très intéressé par les pouvoirs surnaturels que proposait le taoïsme, notamment la longévité. Il pensa devoir d’abord atteindre le pouvoir de longévité, afin de disposer de suffisamment de temps pour réaliser son projet de Bouddha, ou assister à la venu de Maitreya. Son Voeu comporte également des éléments taoïstes. Chaque fois qu’il énonce un Voeu (25), il ajoute “s’il n’en est pas ainsi, que je n’obtienne pas l’illumination”. Il pose ainsi ses conditions pour sa bouddhéité, pour le projet (Terre pure) qu’il souhaite réaliser. Cela montre qu’à son époque, la forme de la Terre pure/utopie/projet idéologique n’était pas figé dans le bouddhisme, et que cela relevait aussi et surtout de l’initiative individuelle. Si ce n’était pas possible, eh bien, que je n’obtienne pas l’illumination ! Le projet était plus important que le bonhomme qui le portait !

Il y a de très belles valeurs dans les Voeux de Huisi, qui s’appuie sur d’autres Voeux plus anciens de Bouddhas connus. On y trouve également les préjugés de son temps, les marques de la bureaucratie chinoise, et son système de justice, etc. Dans ses hommages, il inclue aussi les fonctionnaires infernaux (p. 236), qui ne font que leur boulot au service de la Loi. Et puis, il y a le zèle de Huisi dans la propagation du message du Sūtra de Lotus, d’autant plus que le temps de la Loi de Śākyamuni est compté. Il est prêt à aller loin, très loin pour convertir les êtres…

Les vingt-cinq voeux de Huisi reprennent en partie des Voeux connus d’une Terre pure sans souffrances. Huisi parle de lui à la troisième personne quand il raconte son exploit (la Prajñāpāramitā en lettres d’or). A moins que l'auteur de son Voeu, ne soit un disciple.
Par la force de ce grand voeu, qu’aucun esprit mauvais, aucun mal, aucun cataclysme ne puisse les endommager ! Qu’à sa venue, Maitreya le Vénéré se révèle au monde ; qu'universellement à tous les vivants, il prêche le grand sūtra de la Prajñāpāramitā.” (Magnin, p. 214)
Quand Maitreya arrive, le monde tremblera six fois, et tous les vivants perplexes lui demanderont pourquoi. C’est à cause du sūtra en or et de ce précieux coffret. Tous veulent alors voir ce sūtra et ce coffret. Que faut-il faire ?

Le Buddha Maitreya dira: "Celui qui a copié le sūtra eut ce grand voeu: "Vous tous vous devez d'un seul cœur penser à lui et célébrer son nom. Alors il vous sera donné de le voir." Quand il prononcera ces paroles, toute la multitude célébrera mon nom: "Hommage soit rendu à Huisi!"
"A ce moment, aux quatre orients,
du sol jaillira, remplissant l'espace,
le corps entièrement doré,
marqué des trente-deux signes [du Buddha]
d'un éclat illimité;
tout cela viendra de ce que dans le passé
un homme a copié le sutra.”

“par la force de mon vœu [Huisi],
quand ils observeront le tremblement de la terre,
qu'ils verront le rayonnement,
sentiront les parfums et entendront les sons,
obtiendront ce qu'ils ne possédaient pas,
le bonheur du corps et de l'esprit.
A l'exemple du bhikṣu [Huisi],
ils entreront dans le troisième degré du dhyana.
Au même instant,
ils obtiendront tous au complet
la sainte Voie des Trois Véhicules.
Ils atteindront aussi à la plénitude de toute sagesse.
Si ce voeu n’est pas rempli,
que je n’obtienne pas l’illumination
!” (Magnin, p. 217)
Huisi ne fait cependant pas de cadeaux à ceux qui lui veulent du mal (p. 221), “qu’en cette vie même [qu’] ils ne connaissent pas le bonheur”, et “qu’à leur mort, ils tombent en enfer, dans les chaudrons de fer fondu”. Il souhaite que, par la force de son voeu, son corps insignifiant et laid se transforme, et devienne parfait (Corps de Bouddha), et que Maitreya explique alors à tous les êtres l’origine de son Corps actuel [de Bouddha], et de son Voeu (p. 224).

Les temps étant mauvais (Mòfǎ), Huisi fait voeu de se réincarner parmi les gens pieux, pour soumettre tous les esprits mauvais et de subjuguer tous les hérétiques. A cet effet, il se réincarnera le cas échéant en le roi des dieux, en moine, en fonctionnaire, en ministre, afin “de gouverner le pays et punir tous les hommes mauvais qui enfreignent les règles. S'il en est qui, durs comme le fer, ne changent pas d'esprit, je les enverrai dans l'enfer Avici ; par tous les moyens, je les forcerai à se convertir, à se tourner vers les prédicateurs de la Loi; alors ils se prosterneront, imploreront leur pardon et deviendront leurs disciples pour les imiter. Je ferai que toutes leurs mauvaises actions soient transformées en actes heureux. S'il n'en est pas ainsi, que je n'obtienne pas l'illumination!” (p. 226).

Il aidera les êtres à se préparer pour la venue de Maitreya (p. 226), et espère être “le premier parmi les êtres prédestinés [à la bodhi]", et il fera prendre aux êtres le voeu de renaître en Sukhāvatī, et de suivre la voie de Samantabhadra, telle qu’elle est expliquée dans le Sūtra du Lotus (p. 227). Une fois Bouddha, ceux qui entendront le nom de Huisi pratiqueront avec zèle. Ceux qui ont commis les cinq fautes impardonnables, seront sauvés des enfers en récitant le nom de Huisi. Il sauvera aussi les animaux et les preta. Il sauvera ceux qui sont en prison, les condamnés à mort, les malades, les moines en proie à des tentations. L’univers entier manifestera l’esprit de bodhi, et la Prajñāpāramitā sera prêchée partout. Ceux qui voudraient empêcher cela d’arriver, devraient prendre garde. Ils pourraient perdre leurs mains, les deux yeux, la langue, les pieds, la mobilité de leur corps, ou gagner un aller simple vers l’enfer de Avīci (p. 231).
Quand le monde sera très pur, les êtres seront tous convertis;
les trois mauvaises destinées n'existeront plus et il n'y aura plus de femmes
.”

Dans les mondes des dix directions,
toutes les terres impures,
tous les êtres mauvais [éloignés de la Voie par] les trois obstacles,
sourds au renom des Trois Joyaux,
par la puissance du grand vœu, par la bonté et par la pitié, seront convertis.
Les terres impures seront transformées en Terre Pure;
les êtres seront égalisés,
Les divinités, les hommes et autres, sans distinction,
voleront et répandront de la clarté.
Les femmes deviendront toutes des hommes.
Alors cesseront les trois mauvaises voies
.”

"S’il est un pays mauvais,
dont les êtres ont tous des vues perverses,
et sont obstinément méchants,
par la puissance de mon voeu,
par mes pouvoirs surnaturels, je les materai
;

Avec acharnement je les forcerai
à prendre refuge dans les Trois Joyaux.
Ou encore m'associant d'abord à eux,
par une méthode appropriée, je les guiderai
de sorte que leur esprit étant charmé,
Ils changeront et entreront dans la Voie du buddha
.

Parmi les mondes des dix directions,
les êtres obstinément mauvais
dans les trois mauvaises voies et les huit difficultés
entendront tous mon nom
.

Par la douceur, je les convertirai, ou par la force,
je leur imposerai d'entrer dans la Voie du buddha.
Ou encore je suivrai d'abord leurs désirs
 puis je ferai qu'ils brisent leurs illusions.
Parmi les mondes des dix directions
s'il est des conflits armés,
des nations s'entredéchirant,
des peuples frappés de famine,
soit je me ferai valeureux général
pour les soumettre et rétablir l'harmonie.
Les cinq céréales mûriront en abondance,
les dix-mille habitants jouiront de la paix;
soit encore, me transformant de manière appropriée,
je me ferai deva, naga et esprit.
Par une méthode appropriée, je punirai les rois mauvais
et leurs mauvais sujets
Je parcourrai tous les pays mauvais,
agissant conformément à mon voeu,
soumettant les incroyants qui tous
feront naître en eux un esprit de bodhisattva
.”
J’ai sélectionné ci-dessus des éléments plus dérangeants pour des “modernes”, afin de montrer l’attitude bouddhiste chinoise à l’époque de Huisi, vis à vis de la conversion, forcée s’il le faut. Huisi est convaincu de l’utilité universelle et de l’efficacité du salut bouddhiste. Huisi a néanmoins ses problèmes à lui, et il ne s’en cache pas. Il a beaucoup de mal avec ses disciples, et sa retraite est aussi partiellement une fuite. Vivement que son Voeu se réalise...
En ce monde, certains moines et laïcs, dans un grand empressement, demandent qu'on leur explique tout ce qui concerne le culte, d'autres n'hésitent pas à vous contraindre brutalement à prêcher [la doctrine] des sūtras. Ces diverses catégories de moines et de laïcs n'ont absolument aucune connaissance du bien; ils ont une connaissance pervertie. Pour quelle raison? Tous sont envoyés par des esprits mauvais. Au début, ils feignent le plus grand empressement, comme si leur coeur était bon, mais ensuite, tout soudain, ils se mettent en colère. Bons ou mauvais, ces deux formes d'esprit ne disent rien qui vaille. Dès à présent, il ne faut plus s'y fier. Il en est de même pour ceux qui étudient la Voie. A aucun d'entre eux on ne peut faire confiance. Ils sont remplis de haine et simulent l'amitié. Que c'est dur! Que c'est dur! Dans tous les territoires inimaginables des rois il en est ainsi! Discerner! Discerner! Discerner! Discerner! Voeu prononcé par Huisi le grand maître de dhyana du Nanyue.”
Selon une légende japonaise, Huisi se serait réincarné en le prince Shōtoku (574-622), qui joua un rôle majeur dans l'implantation du bouddhisme au Japon.


Toutes les traductions françaises sont de Paul Magnin, La Vie et l'Oeuvre de Huisi, EFEO, 1979

[1]Ayant fait [moi-même] la traversée, je ferai traverser [les autres].
Libéré, je libererai [les autres]
Réconforté, je réconforterai [les autres]
Ayant atteint, le parinirvāṇa, je ferai en sorte que [les autres] l’atteindront
.” version du Sūtra du Lotus.

[2]The first complete Chinese version was translated by Buddhabhadra around 420 in 60 scrolls with 34 chapters,[10] and the second by Śikṣānanda around 699 in 80 scrolls with 40 chapters.[11][12] There is also a translation of the Gaṇḍavyūha section by Prajñā around 798.”

[3]Je souhaite d’abord devenir un immortel doué des cinq pouvoirs surnaturels”. p. 222 “Si soi-même on n’est pas un immortel, on ne peut vivre longtemps. C’est pour la Loi que j’imite les immortels, non par convoitise d’une longue vie. Ainsi je fais le voeu que personnellement, dans un bon kalpa à venir, je voie le buddha Maitreya.” “S’il n’est pas ainsi, que je n’obtienne pas l’illumination !”. p. 223

samedi 26 mars 2022

Prière, souhaits, voeu ou engagement

Bhadracaryāpraṇidhāna (Bzang po spyod pa'i smon lam), Pelliot 7, BNF

Dans le bouddhisme tibétain, il y a des grandes cérémonies de rassemblement appelés “monlam” (tib. smon lam), où l’on récite ensemble des “prières à souhaits” (tib. smon lam), mais ce n’est pas une bonne traduction. A l’origine le mot “smon lam”, qui vient du terme sanskrit praṇidhāna, signifie un “vœu ou aspiration solennelle à atteindre un but”. Il ne s’agissait, à l’origine, pas d’adresser des prières à tous les bouddhas des trois temps et des dix directions pour que ceux-ci les exaucent. Il s’agissait plutôt d’un engagement de la part de l’adepte de faire en sorte que ces objectifs se réalisent. L’adepte fait le voeu, la promesse de les réaliser, le jour où il deviendra un Bouddha…

Il semble y avoir deux aspects différents. La première prise du “voeu” dit “de bodhisattva” consistait en quatre voeux que prenait le bouddhiste, qui aspirait à devenir un Bouddha. Ces quatre voeux pourraient même prédater le mahāyāna selon Jan Nattier[1], et n’avaient pas toujours la même formulation.
Ayant fait [moi-même] la traversée, je ferai traverser [les autres].
Libéré, je libererai [les autres]
Réconforté, je réconforterai [les autres]
Ayant atteint, le parinirvāṇa, je ferai en sorte que [les autres] l’atteindront
.[2]
Ces quatre voeux se retrouvent dans de nombreux sūtra du Mahāyāna, mais aussi dans certains textes plus anciens[3]. Le “voeu” de bodhisattva est un “voeu” à long terme, qui dépasse le cadre d’une seule existence humaine. Au lieu d’être dupe et victime du “Cycle des existences” et de la “transmigration”, le bodhisattva s’engage à “revenir” pour mener à bien son projet. Cela peut avoir comme effet pervers que le bodhisattva croit qu’il est immortel, ou que son âme est immortelle, et que c’est lui qui deviendra un jour un Bouddha. Il ne cherche donc plus à sortir définitivement du Cycle des existences. Cette utopie crée beaucoup d’espace et élargit son horizon. Il raisonne désormais en termes d’océans. Un océan de temps, un océan de mondes, de mérite, de sagesse, de métamorphoses, etc.

Des célèbres bodhisatva “mahāsattva” intrépides ont fait des voeux démesurés, et se sont placés la barre très haut. Moi Bouddha, je ferai ceci, je ferai cela. Ce qui est impossible aux êtres ordinaires ne l’est pas pour un Bouddha. Un bodhisattva “mahāsattva” se met une pression terrible, car il a la foi, il a la foi en le Bouddha, sa doctrine, son parcours et en ses propres capacités pour devenir un Bouddha, et à partir de la de réaliser tous ses voeux, car rien n’est impossible pour un Bouddha.

Les mauvais esprits, dont je suis très régulièrement, pourraient même percevoir une certaine rivalité entre bodhisattva, ou du moins une envie de toujours faire plus fort (je m'expliquerai davantage dans un autre blog), de battre des records, mais pas seulement. D’une part avec la coproduction conditionnée, où tout est produit de causes et de conditions, rien n’est impossible, à condition que les bonnes causes soient présentes, et celles-ci commencent par la volonté. Plus cela paraît impossible, et plus le voeu doit être fort. Puis, dans les voeux, les bodhisattva peuvent donner voix à leur propres voeux et intérêts spécifiques, parfois même artisanaux, et attirer l’attention d’êtres ayant les mêmes goûts et aspirations qu’eux. Quand ils seront des Bouddha, ils auront leur propre Terre pure avec ses caractéristiques propres, et leur propre entourage, qui partage les mêmes visions des choses.

Mañjuśrī, au fond un Ādi-Buddha incognito, est libre comme le mercure, et est partout à la fois. Mais, selon la tradition ésotérique, certains bodhisattvas sont devenus (ou étaient depuis toujours) des Bouddha et ont développé leur propre Terre pure, un des plus connus étant Amitābha et son Sukhāvatī à l’Ouest. En plus des cinq tathāgata, il y a des Bouddhas spécialisés avec leur Terres pures respectives, comme le Bouddha-médecin Bhaiṣajyaguru (Gandhāra) avec sa Terre pure “Lapis Lazuli/Béryle” (Vaiḍūryanirbhāsa) à l’Est, ou Amitāyus (apocryphe chinois) protecteur de la la longévité, Tejaprabha et sa Terre pure, initialement à l’Ouest faisant face à la Terre pure de Bhaiṣajyaguru, etc.

Tous ces Bouddha ont pu concevoir et développer, “arranger” (skt. vyuha tib. bkod pa), leurs Terres pures respectives grâce à leurs “voeux” (praṇidhāna), leur engagement. Une fois Bouddha, tous les voeux se “réalisent” spontanément. C’est-à-dire que chaque individu, se rappelant et se commémorant Leurs voeux, et qui fait appel à ces Bouddhas, entre aussitôt dans leur dynamique, y souscrit et les fait sien. “Arranger” n’est pas construire, édifier, etc. Les voeux sont peut-être la consistance même de leur bouddhéité, de leur Terre pure, et de leur dynamique. Cela reste un “moyen habile” (upāya).
L'Amitāyurdhyāna Sūtra expose l'origine de la doctrine de la Terre pure enseignée par le Buddha Sākya muni. Le texte raconte qu'Ajātaśatru renversa de son trône le roi son père, Bimbisāra, et le jeta en prison. Il enferma sa mère, la reine Vaidehī, dans une chambre. Dans sa réclusion, la reine pria le Buddha de lui indiquer le lieu où ne se produisent pas de telles avanies. Le Buddha Śākyamuni lui apparut et lui fit entrevoir toutes les terres de buddha où trouver une telle paix. La reine Vaidehi choisit celle du Buddha Amitābha qui lui paraissait la meilleure de toutes. Śākyamuni lui enseigna alors selon sa propre voie la méditation qui conduit à l'entrée dans une telle terre ; en même temps, elle fut instruite par le Buddha Amitābha. Cela signifie donc que l'enseignement d'Amitābha ne diffère de celui de Śākyamuni que par la méthode. Le buddha Amitābha est une forme idéalisée du Buddha historique Śākyamuni : c'est en quelque sorte un aspect du dharmakāya, le Corps de la Loi.” (Paul Magnin, Bouddhisme unité et diversité, Cerf, p. 461)
Regardons maintenant de plus près les “voeux” (praṇidhāna) “de bodhisattva” de ces divers tathāgata. Dans la version longue du Sukhāvatīvyūha Sūtra, le Bouddha explique à Ānanda qu’Amitābha fut auparavant le moine Dharmākara, dont les quarante-huit voeux l’avaient transformés en Amitābha avec sa Terre pure associée, car il était en effet devenu un Bouddha. La preuve de sa bouddhéité étant qu’Amitābha et sa Terre pure “existent”... Oui, c’est un syllogisme.

Chaque voeu commence par “Si, quand j’atteindrai la bouddhéité”, suivi du voeu exprimé à la négative, par exemple “un enfer, un royaume d’esprits avides et un royaume d’animaux sont présents en ma terre”, qui se termine par “puissé-je ne pas réaliser l’éveil suprême”. Autrement dit, si dans la Terre pure associée au Bouddha qu’il sera il y aurait toujours des enfers, etc., il ne veut pas devenir Bouddha. C’est seulement à condition que sa Terre pure soit parfaitement conforme à ses voeux, qu’il acceptera sa future carrière de Bouddha.

Ces séries de voeux révèlent donc la motivation des bouddhistes d’antan (au moment de la rédaction du sūtra associé spécifique) pour devenir des Bouddhas, et l’utopie qui était la leur. En théorie, cette utopie est une Terre remplie de Bouddhas ou de bodhisattvas de haut niveau, mais avec néanmoins tous les éléments de confort (Cocagne) dont rêvent les humains, et certains de leurs préjugés, notamment la misogynie, qui reflète celle des sociétés dans lesquelles ils vivaient. Ainsi le voeu n° 35.
Si, quand j’atteindrai la bouddhéité, les femmes des incommensurables et inconcevables terres de Bouddha des dix directions, qui ont entendu mon nom, se réjouissent avec foi, génèrent l’aspiration à l’éveil et souhaitent renoncer à leur féminité ; renaissent après la mort en tant que femmes, puissé-je ne pas réaliser l’éveil suprême.”
Bhaiṣajyaguru n’a que douze voeux, mais son huitième voeu, aura pour effet de faire disparaître les femmes de la surface de sa terre pure, ou plutôt qu’aucune présence féminine ne perturbera la pureté de sa terre.

Il en va encore de même pour les dix voeux de Mañjuśrī. Même le nom “femme” ne sera jamais entendu dans sa Terre pure à lui (voeu n° 5[4]).

Les (dix) voeux du bodhisattva Samantabhadra (dans le Āvataṃsaka-sūtra) sont un cas différent. L’exercice du “voeu” change ici d’optique. Samantabhadra se comporte davantage comme un bodhisattva disciple, il semble lui manquer la conviction de ses prédécesseurs, développeurs de Terres pures. Ses voeux, davantage suivistes, s’inscrivent plutôt dans le culte des Bouddhas, il fait du bouddhisme… Ses voeux ont inspiré la fameuse “prière à sept branches” (tib. yan lag bdun pa skt. saptāṅga), qui constitue le socle des cultes dans le mahāyāna et le bouddhisme ésotérique. Les voeux de Samantabhadra permettent de devenir le premier disciple d’un Bouddha, et le chef du culte de ce Bouddha.

La carrière du bodhisattva Samantabhadra avait commencé par son apparence dans le Sūtra du Lotus (Chapitre XXVIII), où il propose au Bouddha de le servir dans la propagation de ce sūtra. Le Bouddha fait son éloge et recommande à tous de faire la pratique de Samantabhadra. Dans ce qui est sans doute un spin-off du Sūtra du Lotus (guān pǔxián púsà xíngfǎ jīng, dont il n’existe plus/pas d’original en sanskrit) la pratique de “Vertu universelle” (la traduction de son nom en chinois) est expliquée de façon extensive.

Le dernier chapitre (Gaṇḍavyūha-sūtra) de l’Āvataṃsaka-sūtra raconte l’apogée de Samantabhadra, qui sera le dernier maître de Sudhana, après Mañjuśrī... La célèbre version longue des voeux dits “de Samantabhadra[5], qui est très souvent récitée, est une élaboration des dix voeux de Samantabhadra, et Samantabhadra y est déjà lui-même devenu un objet de culte, du moins pour Sudhana. Le Bhadracarīpraṇidhāna parle de lui à la troisième personne (voir ci-dessous). Pour être exact, le nom en sanskrit le plus commun de ces voeux c’est Ārya-bhadracaryā-praṇidhāna-rāja[6]. On les trouve dans le dernier chapitre (Gaṇḍavyūha-sūtra) de l’Āvataṃsaka-sūtra. Ce “Roi des Voeux” (praṇidhāna-rāja) fait référence à Samantabhadra, dont le nom tibétain est “Kun tu bzang po” (“kun bzang” en abrégé), mais ce ne sont pas les (10) “voeux” de Samantabhadra, dans le sens exposé ci-dessus, mais les Voeux de l'Excellente conduite/”Vertu universelle” (bhadracaryā) destinés à Sudhana (et tous les autres aspirant-Bouddhas), que celui-ci aurait reçus de Samantabhadra. Quand ces voeux font référence à eux-mêmes à l’intérieur du texte même, c’est cependant au Bhadracarīpraṇidhāna qu’ils réfèrent[7].
“42. Each Tathagata has an elder disciple whose name is Samantabhadra, Honoured One. I now transfer all good roots towards the attainment of wisdom and behavior, and i vow to perform deeds of wisdom identical to His.

43. I vow that my body, mouth and mind will be forever pure and that all practices and lands will also be. I vow in every way to be identical to the wisdom of Samantabhadra.

44. I will wholly purify Samantabhadra's conduct, and the great vows of Manjusri as well. All their deeds I will fulfill, leaving nothing undone. Till the end of the future I will continue without weariness.[8]” (traduction du chinois, T 293)
En français (dans un ordre différent[9])
Afin de me conduire à l'égal du Sage
Appelé Samantabhadra,
Chef parmi les fils des victorieux,
Je dédie toutes ces vertus

Ils trouveront (toutes les conditions propices), éprouveront le bonheur
Et même cette vie leur sera favorable.
L'égal de Samantabhadra,
Ils le deviendront sans attendre longtemps.

J'apprends à suivre les [exemples] de tous,
Comme celui du héros Manjoushri, omniscient,
Et celui de Samanthabadra,
Et dédie parfaitement toutes ces vertus
(Extrait du Livre de prières de la FPMT, volume 1.)
Celui qui, à la suite de Sudhana, prononce et récite ces voeux sengage à suivre lexemple de Samantabhadra et de Mañjuśrī, etc. Ce sont en fait les voeux de Sudhana du Gaṇḍavyūha-sūtra, le parfait disciple (tib. rjes 'dren).

La grande différence entre le premier type de “voeux” (praṇidhāna) des grands bodhisattva/tathāgata et les voeux de vertu universelle du Gaṇḍavyūha-sūtra, du point de celui qui fait le “voeu”, c’est l'uniformisation de l’exercice avec l’absence d’initiative personnelle dans le choix des voeux et de la Terre pure. J’explorerai davantage ce point dans le cas du “Voeu” de Huisi (515-577).

***

[1] Nattier, Jan (January 2003). A Few Good Men: The Bodhisattva Path According to the Inquiry of Ugra (Ugraparipṛcchā): a Study and Translation. pp. 147-151. University of Hawaii Press. ISBN 978-0-8248-2607-9

[2] “Having crossed over [myself], I will rescue [others].
Liberated, I will liberate [others].
Comforted, I will comfort [others].
Having attained paranirvana, I will cause [others] to attain paranirvana”.

Apparemment (selon Robert F. Rhodes, 1984), la version du Sūtra du Lotus que cite Zhiyi (disciple de Huisi).

[3]Nattier further notes that "it is quite possible to identify clear antecedents of these vows in pre-Mahayana literature" and thus it is likely that these fourfold vows evolved from earlier passages (found in the Digha Nikaya and the Majjhima Nikaya as well as the Chinese Agamas) that describe the activity of the Buddha. One such passage states:
Awakened, the Blessed One teaches the Dhamma for the sake of awakening.
Disciplined, the Blessed One teaches the Dhamma for the sake of disciplining.
Calmed, the Blessed One teaches the Dhamma for the sake of calming.
Having crossed over, the Blessed One teaches the Dhamma for the sake of crossing over
.”

[4] “5. There would be not even women's names in my Pureland, only Bodhisattvas who would have abandoned the dirt of sorrows and accumulated the pure conducts. At the moment of their birth they would wear the monk's robe, sit crosslegged and appear suddenly. My Pureland would be filled completely with such Bodhisattvas, and there would be not even the names of Sravakas or Pratyekabuddhas except those Sravakas or Pratyekabuddhas who are the transformations of the Tathagata to go into the ten directions to preach the Dharma of Three-yanas to sentient beings.” Tibetan Buddhist Encyclopedia.

[5] Samantabhadra-caryāpraṇidhāna, ou La Prière royale de Samantabhadra pour les conduites bénéfiques

[6] Ou Bhadracarīpraṇidhānastotram.

[7]The title is variously given as Bhadra-caryā-praṇidhāna and Samantabhadra-caryāpraṇidhāna elsewhere, but as there are numerous references in the verses themselves to the title Bhadra-cari-praṇidhāna, that is what I [Ānandajoti Bhikkhu] have chosen to use here. The good life refers not to a comfortable life, as in common English usage, but to a life spent for the benefit of others, as in Buddhist usage.” Bhadra-cari-pranidhanam - The Aspiration for the Good Life

[8] Extracted from booklet [The Vows of Bodhisattvas Samantabhadra sutra]. Translated by Upasika Chihmann. (Miss P. C. Lee), from the Chinese version (Taisho 293).
The original text of the supplement was presented to the Emperor Teh-Tsung of the T'ang Dynasty, by the King of Odra in Southern India. The Emperor The-Tsung directed an Indian samana named Prajna, to translate it from the Sanskrit into Chinese. The work of translation was begun in the 12th year of the Era "Chen-Yuan" in the reign of the said Emperor (796 C.E.)

There was an Indian version longer than the one that was translated into Tibetan, though no Sanskrit manuscript of this version has survived. It is known only from the version sent to China by the king of Orissa, who gave a copy to the Chinese emperor in 795. This version was translated by the Kashmiri monk Prajñā in 798” “This was the first among the Chinese translations to include “The Prayer for Completely Good Conduct.”. 84.000

Le sanskrit correspond aux trois versets :
“Jyeṣṭhaku yaḥ sutu sarva-Jinānāṁ, yasya ca nāma Samantatabhadraḥ:
tasya vidusya sabhāga-carīye nāmayamī kuśalaṁ imu sarvam. [42]

Kāyatu vāca manasya viśuddhiś-carya-viśuddhy-athă kṣetra-viśuddhiḥ,
nāmana bhadra-vidusya bhotu samaṁ mama tena. [43]

Bhadra-carīya samanta-śubhāye Mañjuśirī-praṇidhāna25 careyam,
sarvi anāgata kalpam-akhinnaḥ pūrayi tāṁ kriya sarvi aśeṣām. [44]”

La traduction correspondante d’Ānandajoti Bhikkhu :

The eldest son of all the Victors, who is known as Samantabhadra: may I offer all of this wholesomeness to this wise one.
Purified through body, speech and mind, then having pure conduct, a pure field (of action), may I be similar to the wise one, who is known as good.
May I live the aspiration of Mañjuśrī, in a good life, beautiful all-round, and through all future aeons, unbroken, may I fulfil all (good) deeds without remainder
.”

[9] Sur la traduction tibétaine de l’Āvataṃsaka-sūtra et du Gaṇḍavyūha-sūtra, une première version ancienne aurait été faite par Yeshé Dé, Jinamitra, et Surendrabodhi sous le règne du roi Senalek (r. ca. 800/804–15) ou du roi Ralpachen (r. 815–36). Par la suite il y eut une révision au IXème siècle par le traducteur Vairocanarakṣita (rnam par snang mdzad srung ba) et avec l’aide de Surendrabodhi, mais dans ce cas il ne peut pas s’agir de Vairocanarakṣita/Vairocanavajra (rnam par snang mdzad rdo rje) qui était actif au XIème siècle. Voir aussi 84.000 notes i.32 et i.33.

dimanche 29 janvier 2012

L'effet de la prière



La prière est tout d’abord un aveu d’impuissance. On prie pour demander un bien que nous n’arrivons pas à nous procurer tous seuls. Mais avant même de faire appel à un autre, plus puissant, cette prière implique que nous sommes conscients de nos limites et de notre impuissance à cet égard. C’est un renoncement à notre « toute-puissance », à l’illusion d’avoir tout sous contrôle, et un debut d’humilité.

La prière de demande est alors adressée à un puissant, un dieu, Dieu... En échange du bien demandé, on est prêt à un sacrifice, quelque chose qui nous coûte. Tout travail ne mérite-il pas salaire ? Des offrandes, une ascèse, la répétition de la demande jusqu’à ce que’elle soit exaucée, ou que la demande n’ait plus d’objet…
« Consolez-vous, ce n’est pas de vous que vous devez l’attendre mais au contraire en n’attendant rien de vous que vous devez l’attendre. » Pascal, Pensées, 651/517
Dans le bouddhisme tibétain, nous avons le terme « smon lam », souvent traduit par « prière de souhaits ». Le mot tibétain est la traduction du mot sanscrit « praṇidhāna », qui signifie respect, soumission, dévotion; méditation profonde, absorption, dérivé du verbe praṇidhā (déposer, poser; s'approcher de | diriger (les yeux, l'esprit) sur ; s'absorber dans ; fixer son attention, réfléchir, méditer).[1] Ce n’est donc pas tant une prière de demande, de souhaits, qu’une concentration, une attention sur celui que l’on croit capable d’exaucer nos prières, ou un objectif que l'on se fixe...

Les « prières » que l’on récite habituellement dans le bouddhisme tibétain, sont en fait des vœux pris par des grands bodhisattvas comme Samantabhadra[2], ou par des bouddhas comme Amitābha, Bhaiṣaye-guru[3] etc. quand ils étaient encore des bodhisattvas et aspiraient (T. smon) à devenir des bouddhas afin de pouvoir exaucer plus efficacement les prières et les vœux des autres. En récitant les vœux des bodhisattvas d’antan, nous reprenons à notre compte les vœux faits par ceux-ci, qui deviennent alors nos propres vœux. Ce sont des prières que nous adressons en quelque sorte au Bouddha que nous serons un jour.  

Au lieu de nous déclarer impuissants et d’adresser nos prières à un Bouddha autre, en lui déléguant de les exaucer, nous prenons l’engagement de faire en sorte de nous donner le pouvoir de les exaucer. En attendant, l’inquiétude causée par un problème devant lequel nous nous déclarons impuissants, est atténuée un peu par notre engagement de le resoudre quand nous en serons capables et de faire en sorte que nous le soyons. Cela nous aide à être patients et à sortir d’un sentiment d’impuissance créateur d’inquiétude. En même temps, cet effort n’est pas fait dans notre propre intérêt mais dans celui des autres. Le désintéressement ne concerne que notre bien, c’est l’intérêt d’autrui qui motive.
« Si, quand j’atteindrai la Bouddhéité, les humains et les dévas en ma terre chutent dans les royaumes inférieurs après leur mort, puissé-je ne pas réaliser l’Éveil suprême »[4]



Illustration : le bodhisattva Samantabhadra

[1] http://sanskrit.inria.fr
[2] Samantabhadracaryāpraṇidhānarāja. En Tibétain : 'phags-pa bzang-po spyod-pa'i smon-lam-gyi rgyal po extrait du 40ème chapitre de l'"Avataṃsakasūtra (Gaṇḍavyūhasūtra)
[3] Le Bhaiṣajyaguruvaidūryaprabharāja Sūtra contient les douze vœux du Bouddha de la Médecine, formulés lorsqu'il commençait à pratiquer la voie du Bodhisattva. Amitābha avait fait quarante-huit vœux dans le Sukhāvatīvyūha Sūtra.
[4] 2ème vœu d’Amitābha