mardi 8 février 2022

L'école occulte Xuánxué

Huisi (515 - 577)

L’Ecole des Mystères[1] (Xuánxué 玄学), parfois à tort[2] qualifiée de "néo-taoïsme", a existé entre environ 206 avant notre ère jusqu’à 220. C’était une sorte de fusion entre confucianisme et taoïsme, où les “causeries pures” (清談) entre élites politiques et intellectuelles ont joué un rôle important. Peut-être également par une sorte d’escapisme causé par les grands remous de l’époque[3]. Selon Paul Magnin,[4] on philosophait dans ces cercles sur les notions d’être (you), de non-être (wu), de substance (ti, t’i), et de fonction (yong, yung), “autant de catégories propres à l'École des Mystères”[5]. C’est surtout entre le IIIème et le VIème siècle que ce mouvement exerce son influence.
"L'École recherchait un substrat permanent à travers les phénomènes changeants de ce monde. La situation politique et sociale de cette époque très troublée ne pouvait que renforcer le sentiment de l'impermanence de toutes choses. Cependant les tenants de cette école affirmaient que tout phénomène limité dans le temps ou l'espace, tout ce qui est nommable, tout mouvement, tout changement, tout être, est produit, manifesté et soutenu par un principe de base qui est illimité, immuable, sans mouvement ni changement, et qui peut être qualifié de "non-être fondamental" (benwu). Le problème était donc de concevoir les relations liant l'être déterminé au non-être fondamental. Le premier était considéré comme la fonction (yong) du second qui en était la substance (ti). De ce fait ils étaient indissociables l'un de l'autre”.[6]
Huisi (515-577), un des ancêtres de l’école bouddhiste chinoise du Tiantai (Sūtra du Lotus), manifesta de l’intérêt pour les spéculations ontologiques de l'Ecole des Mystères.
Certes ses théories ne peuvent se confondre avec celles de l'Ecole des Mystères, mais elles n'en sont pas moins analogues. L'esprit unique (yixin) est devenu le substrat permanent qui englobe tout. Or, cet esprit unique est défini comme une vacuité parfaite, c'est-à-dire le substrat permanent de toutes choses. Cet esprit unique a pour caractère essentiel d'être sans mouvement (budong). Huisi insiste par ailleurs sur l'impermanence des lois du monde aussi changeantes que des nuages. Il en est de même pour nos désirs. Alors il faut savoir y renoncer "pour obtenir la grande joie du non agir du nirvāṇa". Ces quelques exemples montrent bien que Huisi, sans être un adepte de l'Ecole des Mystères, s'intéressa néanmoins aux mêmes problèmes.”[7]
Paul Magnin cite un passage d’un écrit, intitulé “Voeu[8]”, attribué à Huisi, dans lequel les similarités avec le Xuanxue sont étonnantes.
"Moi j'entre aujourd'hui dans la montagne, pour me livrer aux pratiques ascétiques, pour me repentir de graves manquements aux règles et des obstacles dressés contre la Voie. Je me repens de toutes les fautes de existences, présentes et passées. Pour protéger la Loi, je recherche une longue vie. Je ne désire pas renaître esprit céleste ou dans une autre destinée. Veuillent tous les saints m'assister et m'aider à obtenir une bonne plante agaric et du cinabre divin. Je pourrai alors guérir de toutes mes maladies et supprimer la faim et la soif, obtenir constamment de méditer en marchant et de pratiquer toutes les formes de méditation. Je souhaite obtenir au coeur de la montagne un endroit paisible et suffisamment d'élixir et de drogues pour pratiquer ce voeu. Recourant à la force du cinabre extérieur, je cultiverai le cinabre intérieur. Celui qui entend pacifier les êtres doit d'abord se pacifier lui-même ! Quand on est soi-même entravé, peut-on ôter les entraves des autres ? Non, c’est impossible !”

A la fin du même voeu, Huisi fait appel à la protection de tout un panthéon bouddhique qui ressemble beaucoup à ceux des divinités taoïstes. D’ailleurs, plusieurs biographies laissent entendre qu'il insistait sans cesse sur la nécessité de rechercher la Voie (Dao) du Buddha à l'intérieur de soi-même et non à l'extérieur.”[9]
Magnin remarque que rien ne permet de rejeter ces passages “tout empreints de taoïsme", comme ne pouvant être attribués à Huisi. Hormis, ces éléments taoïstes “occultes”, il y a d’autres éléments “topiques” ou “dhātu-vādin” chez Huisi, qui pointent vers une influence de type Xuánxué. Notamment en ce qui concerne “lesprit unique” (yīxīn), qui a un aspect dynamique (yong, yung) et un aspect profond (t’i).

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[1]In modern Chinese, Xuanxue is also taken to refer to astrology, geomancy and other popular religious arts. Another translation of xuanxue could be "learning of the dark." https://en.wikipedia.org/wiki/Xuanxue

[2]Xuanxue is, in fact, a Confucian recasting of early Daoist philosophy, in which the most fundamental principles of the ancient doctrine are so drastically reinterpreted that the words “Philosophical Daoism” or “Neo-Daoism” are highly inadequate.”
The Buddhist Conquest of China by E. Zürcher, p. 289

Mea culpa : Un taoïsme à deux branches (2012)  

[3] L’article Wikipedia anglophone ajoute un peu énigmatiquement : “Much of Xuanxue had become divorced from the realities of life and afforded an escape from it.”

[4] La vie et l’œuvre de Huisi (515-577). Les origines de la secte bouddhique chinoise du Tiantai, Paris, EFEO (1979)

[5] Pp. 20-21

[6] Magnin, p. 21

[7] Magnin, p. 21

[8] Magnin réfère au Nanyue Si da chanshi li shiyuan wen, T. 1933, vol. 46, p.791 c/11-18

[9] Magnin, p.22

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