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samedi 16 mars 2024

Vases, fibres optiques, véhicules célestes et autres objets volants

Mondes imaginaires, mondes imaginaux (photo AR Post)
"Xénophane et les éléates avant lui, ne voyait que l’Un dans le Tout, la totalité de la Nature. Parménide d'Élée (VI-Ve siècle av. J.-C.), élève de Xénophane, serait, selon Diogène Laërce, le premier à déclarer que la Terre est de forme sphérique. Il affirma aussi qu’il existe deux éléments, le feu et la terre[1], « le premier investi de la fonction de démiurge, le second de celle de matière. » Selon Alexandre d’Aphrodise, « [Parménide] admet que l'univers est un, inengendré, sphérique » et pour expliquer la génération des phénomènes « il prend deux principes, le feu et la terre, celle-ci comme matière, celui-là comme cause et comme agent."[1]
Aristote remarque qu’Empédocle fut le premier à parler des quatre éléments, mais qu’il s’en servait comme s’ils étaient seulement deux : le feu d’une part, et « opposés à lui et constituant comme une nature unique, la terre, l’air et l’eau. » (Aristote, Métaphysique, A, IV, 985 a 21[2]). Quand on parle de deux éléments, on les classe en l’humide et le sec, ou le chaud et le froid[3]. Le feu (chaud) peut s’allier à l’air (sec) pour former le “pneuma” le souffle chaud de la vie. La terre (froid, sec) peut s’allier avec l’eau (humide) pour former la boue, l’argile, la matière. Le pneuma (feu, air) est “investi de la fonction de démiurge”, et la terre “de celle de matière[4]. L’air chaud monte et est en haut, la terre froide et humide en bas. L’air chaud mobile est actif et la terre froide et humide passive. Les éléments peuvent être rassemblés en un Un, ou être dissociés à partir d’un Un, par l’action de l’Amitié et la Haine[5]. Attraction et répulsion.

L’air chaud (pneuma) tend naturellement à “monter” vers “l’Un”, au-delà des sept sphères, la huitième et la neuvième. Le pneuma “aime” l’Un[6]. La terre humide et lourde… penche plutôt vers le bas, elle “ressent” naturellement “de la répulsion” pour l’Un.

Vase "âme" avec flamme,
Cimetière St Pierre, Marseille

Dans une conception cosmique religieuse, le feu (céleste) est souvent associé avec le démiurge, et le monde intelligible dont est issu celui-ci. Et la terre humide froide et lourde, avec la matière, qui quand elle reçoit l’air chaud du démiurge devient le monde sensible. L'intelligible, qui est tout léger et “immatériel”, est en haut, et le sensible, lourd, figé, en bas. Les humains sont vivants et intelligents à cause du souffle chaud (pneuma) qui leur a été insufflé par le démiurge. Les animaux n’ont qu’une âme végétative et sensitive, les humains ont en plus une âme intellectuelle, qui constitue leur lien avec le monde intelligible. La dualité intelligible-sensible est dépassée, mais peut encore être philosophique sans être religieuse. “L’âme” qui compte réellement est “l’âme intellectuelle”. L’animal n’est pas à “l’image de Dieu” et n’a pas d’âme intellectuelle, pas de ligne directe avec le Logos.

Ange de la résurrection avec trompette. St. Pierre Marseille
Tout en haut le vase "âme" avec flamme, attendant le jugement dernier. 

Il y avait donc dans l’antiquité une âme supérieure (flammée) et une “âme inférieure”. L’âme supérieure “aime” naturellement l’intelligible et l’Un. L’âme inférieure, c’est l’âme végétative et sensitive, que l’homme partage avec les animaux, et qui est constituée des quatre éléments. Durant la vie, l’âme supérieure et l’âme inférieure forment un ensemble, mais que se passe-t-il à la mort ? Les opinions divergent. Seule la partie de l’âme (feu et air) qui est compatible avec l’intelligible peut rejoindre le monde intelligible, et éventuellement poursuivre son ascension, “le reste” retournant aux quatre éléments. Ou, quand on croit en la résurrection du corps, c’est l’ensemble qui “resurgira” dans un habit céleste, quand l’ange de la résurrection sonnera sa trompette. Cet “ensemble” peut former comme un “petit corps organique et indestructible” au sein du corps grossier constitué des quatre éléments, et qui retrouve une liberté relative après la mort du dernier.
Si l‘ on veut bien admettre cette supposition unique, l‘ on aura le fondement physique d‘un état futur réservé aux animaux. Le petit corps organique et indestructible, vrai siège de l‘ame, et logé dès le commencement dans le corps grossier et destructible , conservera l‘animal et la personnalité de l‘animal.”

Il est donc possible que l‘ animal se conserve dans ce petit corps indestructible auquel l‘ame demeure unie après la mort. Les différentes liaisons qu‘ il soutenoit avec le corps grossier, et en vertu desquelles il recevoit les impressions du dehors, produisoient dans les fibres qui sont le siège de la mémoire , des déterminations durables, et ces déterminations constituent le fondement physique de la personnalité de l‘animal. C‘ est par elles, que l‘état futur conservera plus ou moins de liaisons avec l‘état passé , et que l‘animal pourra sentir l'accroîssement de son bonheur ou de sa perfection.” (La palingénésie[7] philosophique, Charles Bonnet[8] (1720-1793, connu du syndrome de Charles Bonnet).
D’autres, et pas des moindres, ont eu des pensées similaires longtemps avant Charles Bonnet… “Animal” a ici d’ailleurs le sens de l’être animé (par le “premier moteur immobile”). On retrouve l’idée d’un contenant de “l’âme” dans les pratiques du bouddhisme tibétain ésotérique qui sont associées autransfert de la conscience” (pho ba) au moment de la mort. Il arrive alors que l'on parle d’un “corps-vase” (bum sku), visualisé[9], à ne pas confondre avec le concept de “corps-vase de jouvence” (gzhon nu bum sku). Ce corps-vase au niveau du Coeur, contient le bindu blanc du père biologique, et le bindu rouge de la mère biologique, ainsi que la divinité médiatrice auquel "l’âme" s'identifie. Lors du transfert, les bindus se séparent, et la divinité-"âme" dans le corps-vase au Coeur est imaginée être emportée par un rayon de lumière, et propulsée par le prāṇa (air chaud) venant du bas, qui accompagne son mouvement ascensionnel le long du canal médian, jusqu’à la khecarī (mkha' spyod ma). Celle-ci emporte le couple divinité-"âme" vers le domaine céleste khecara (mkha' spyod). La divinité médiatrice est dans ce cas comme “le petit corps indestructible auquel l‘âme demeure unie”, et qui sert à cette dernière de contenant/véhicule pendant son ascension. Il y a bien l’idée d’un transfert, d’un “objet” transféré (“âme”), et transporté, qui part d’un point Omega en bas, pour arriver au point Alpha tout en haut. Le tout évidemment scellé par la vacuité…[10] puisque la vacuité sert de contenant (“vase”) axiomatique bouddhiste pour toute manipulation (upāya)[11].

Au Coeur du corps physique, constitué des quatre éléments, qui sont comme des “vases[12], se trouve un corps-vase, telle une citadelle intérieure, dans lequel sont préservés les bindus blanc et rouge, et une sorte d’ “âme”, qui est comme un fragment, le contenant ou le médium du Logos, qui la lie au Logos universel. Le corps-vase préserve cette part intelligible du sensible, dans lequel elle est temporairement enfouie. Mais en même temps, cette “âme” est aussi accompagnée, d’une sorte de “mémoire” ou “base de données” sensorielles, psychiques, émotionnelles, etc. (“karma”), qui déterminent son “état futur”. Elle est lestée par ce fardeau qui empêche son ascension jusqu’à tout en haut, et qu’elle doit donc d’abord déposer (Dialogue du Porteur de fardeau (P. bhāra-sutta, Saṃyutta III, p. 25)). Dans le bouddhisme pāli, il n’y a pas de destination finale déterminée pour autant, mais dans le bouddhisme mahāyāna ésotérique, les véhicules célestes et les terres pures foisonnent.


Cela est rendu possible non par la vacuité, mais par la “Lumière” ou “Radiance” inhérente dans la tathāgata-garbha, le germe ou l’embryon du tathāgata. Cette “Lumière” n’est pas ici la simple faculté de “luminosité” naturelle de l’esprit, toujours active et capable de tout imaginer. Elle est plutôt conçue comme une Lumière “divine” dans le bouddhisme ésotérique du Tibet au XIVème siècle, et notamment dans le bouddhisme “funéraire[13] de l’école Nyingmapa. Comme l’explique David Germano, il y a des visions (post-mortem ou autres), qui sont le résultat “d'efforts contemplatifs ardus” de la pratique de la phase de génération (bskyed rim). Mais il y en a d’autres, qui sont “une efflorescence naturelle de la nature de bouddha interne[14], ou “l'illumination interne de la nature de bouddha qui brille extérieurement dans les visions post-mortem[15]. C’est “l’âme” qui en tant que borne du Logos universel illumine “l’extérieur” non par “les apparences déformées ('khrul snang)” par le sensible, mais par des visions réelles, des épiphanies du monde intelligible. Des terres pures et des divinités, des ḍākinī, des khecarī, des anges, des âmes bienheureuses…. Ce n’est plus du bouddhisme, mais de lillumination et de l’illuminisme. Ce n’est pas la lumière humaine, mais la lumière divine par tathāgata-garbha interposé. Dans ce “bouddhisme funéraire”, le tathāgata-garbha est la borne du Logos/Noûs, capable de produire les épiphanies du monde intelligible, à l’aide de Lampes (sgron ma) permettant la “transcendance directe” (thod rgal). Imaginez une sorte de réseau de fibre optique de bout en bout (FttH)...
Ce processus unique d'efflorescence spontanée de bouddhas à partir d'un intérieur caché se retrouve, comme spécifié ci-dessus, non seulement dans les visions post-mortem, mais aussi dans le processus contemplatif central de transcendance directe [thod rgal], le processus cosmogonique connu sous le nom de “Epiphanies de la Base[16]” [gzhi snang], et le processus de manifestations ou d'expositions d'un bouddha. Ce processus unique, présent dans quatre contextes différents, constitue la nouvelle base visionnaire de l'Essence Perlée [snying thig] sous tous ses aspects : contemplatif, philosophique, psychologique, cosmogonique, etc.

Il a des racines distinctes et variées dans le bouddhisme indien, et chacun de ses quatre contextes doit être étudié individuellement quant à d'éventuels développements distincts - en particulier en relation avec la mort - avant leur unification au sein de l'Essence Perlée [snying thig]. En d'autres termes, quelle est l'histoire d'un tel processus dans la description de la cosmogonie, de la contemplation, de la mort et des bouddhas ? Il est clair que le processus lui-même a ses racines les plus anciennes dans la description d'un bouddha qui déploie des réseaux infinis de terres pures et de multiples corps divins à partir de sa propre expérience de l'illumination. Ce processus a ensuite été intériorisé - au moins implicitement - par la notion de nature de bouddha [tathāgatagarbha], une notion qui a été radicalisée et élaborée de manière contemplative avec l'essor beaucoup plus tardif des pratiques du corps subtil dans le tantra bouddhiste.[17]
Le processus de la mort, comme d’ailleurs celui du sommeil et de la contemplation, passe dans le Yoga ésotérique, par des dissolutions progressives (émanation rétrograde) des “vases” d'éléments, etc., façon poupées russes. Du plus grossier vers le plus subtil, mais où le plus subtil est en quelque sorte le “contenant” du plus grossier. L’intelligible est aussi vaste que l’espace, tout en étant aussi petit que l’essence perlée. Tout comme le Point de Terminaison Optique (PTO) donne accès à tous les mondes du Métavers, et à la naissance dans une Deuxième vie.
"Il y a plusieurs demeures dans la maison de mon Père. Si cela n'était pas, je vous l'aurais dit. Je vais vous préparer une place". (Jean 14:2)
Sans lumière, pas d'image. Sans images, pas d'idéologie. Sans idéologie, pas de visions. Pas de vision, pas de contemplation.

Nagarjuna écrit dans les Stances du milieu par excellence: (Madhyamaka-kārikās), traduit par Guy Bugault (chapitre 3) :

" En fait, la vision ne se voit point soi-même. Ce qui ne se voit point soi-même, comment verra-t-il les autres ?" (3.2) " La vision ne voit pas, l'absence de vision non plus. Quant au sujet voyant, on répétera pour lui ce qui a été expliqué pour la vision. (3.5)" et "Solidaire ou non de la vision, le sujet voyant n'existe pas. S'il n'y a personne pour voir, comment pourrait-il y avoir visible et vision." (3.6)   

Visual Poems with Language Is a Virus, MrLhewett

***

[1] Les écoles présocratiques, édition établie par Jean-Paul Dumont, Gallimard, Folio essais (1988), p. 326

[2]Ce qui est à l'honneur d'Empédocle, c'est que, parmi tous ses devanciers, il est le premier qui ait introduit la cause motrice dans les recherches philosophiques, bien qu'en la divisant en deux, puisqu'il n'assigne pas une cause unique au mouvement, et qu'il le fait venir de deux causes contraires l'une à l'autre. Il faut lui rendre encore cette autre justice que c'est lui qui le premier fixa à quatre le nombre des éléments, considérés au point de vue de la matière; mais il faut aussi reconnaître qu'il n'emploie pas toujours ces quatre éléments, et qu'il les réduit d'ordinaire à deux, [985b] en considérant le feu isolément, et en lui opposant les trois autres, la terre, l'air et l'eau, qu'il réunit en une seule nature. C'est ce dont on peut s'assurer en consultant ses vers. Voilà donc, encore une fois, comment Empédocle a envisagé les principes et à quel nombre il les a portés.” Traduction : Barthélemy Saint-Hilaire

[3] Les écoles présocratiques, p. 145-146

[4] Parménide, Cité par Diogène Laërce, Vies et opinions des philosophes illustres, IX, 22.

[5] Simplicius, Les écoles présocratiques, p. 145

[6]L’Âme se meut autour de Dieu, l’embrasse (ἀμφαγαπάζεται) et s’y attache de toutes ses forces : car toutes choses dépendent de ce principe[2] (ἐξήρτηται αὐτοῦ πάντα)... Tout astre, en quelque endroit qu’il se trouve, est transporté de joie (ἀγάλλεται) en embrassant Dieu ; ce n’est point par raison, mais par une nécessité naturelle.” Ennéade II, livre ii : Du Mouvement du ciel, Notes, traduction de M. N. Bouillet.

[7] Retour à la vie, renaissance qui est en même temps une régénération. Atilf

[8] “[ ] son œuvre la plus ambitieuse est sans doute sa Palingénésie philosophique (1769) dans laquelle il poursuit le développement de son système leibnizien. Il y défend l'immortalité de l'âme de l'être humain mais aussi de celle des animaux. C'est un vaste essai où il puise à des connaissances très vastes comme la géologie, la biologie, la psychologie et la métaphysique pour décrire la vie sur Terre et son futur. Il poursuit cette réinterprétation de la Genèse dans les Recherches philosophiques sur les preuves du christianisme de 1773.”

Dans ses traités « biologiques » sur la nature, Charles Bonnet s'attache à montrer que tous les êtres forment une échelle ininterrompue ; que tous proviennent de germes préexistants, etc. Dans ses traités de métaphysique, il accorde une grande part au cerveau et à l'organisation animale, mais sans tomber[non neutre], comme on l'en a accusé, dans le matérialisme et le fatalisme. Tout au contraire[non neutre], il était profondément religieux et optimiste quant au devenir des êtres et des espèces : il a tâché d'établir dans sa Palingénésie la nécessité d'une autre vie, non seulement pour l'homme, mais aussi pour les animaux.” Wikipedia

[9] P.e. dans la pratique Shangpa kagyu mgon po snying zhugs kyi gdams pa 'pho ba dang bcas pa.

[10]14. Those for whom emptiness is possible, for them everything is possible. Those for whom emptiness is not possible, for them everything is not possible.”

14. /gang la stong pa nyid rung ba//de la thams cad rung bar ‘gyur//gang la stong nyid mi rung ba//de la thams cad mi rung ‘gyur/ 

Nāgārjuna’s Verses of the Center, Chapter 24. Investigation of the Ennobling Truths, translation by Stephen Batchelor

[11] stong pa nyid du gyur/ stong pa’i ngang las…

[12] Aristote, De la Génération et de la Corruption/Livre I/Chapitre V

Je m’explique : par exemple, s’il se forme de l’air, venant de l’eau, ce ne sera pas parce que l’eau change, mais parce que la matière de l’air sera renfermée dans l’eau, qui le produit, comme dans une espèce de vase ;”

[13] The Funerary Transformation of the Great Perfection (Rdzogs chen), David Germano (2005)

[14]This version of post-death visions of Buddhas is thus still based on the generation phase (bskyed rim) ideology of visions following strenuous j contemplative exertions, rather than a natural efflorescence of internal Buddha-nature. In addition, the post-death intermediate process is still presented as a single unitary period, while the general stress is on visions of five-colored light rather than on anthropomorphic visions of deities.” Funerary Transformation

[15]The discussion clearly points to a Seminal Heart-like scheme: the intermediate process of reality is defined as the cessation of distorted appearances (’khrul snang) followed by luminous manifestation of one’s own primordial gnosis for up to five days. It also has a discussion of light channels in the body, a characteristic of Seminal Heart texts that is bound up with the internal illumination of buddha-nature that shines externally in the postmortem visions.”

Even more striking is the Secret Cycle text entitled The Victorious Intention of the Quintessential Esoteric Precepts (Man ngag snying gi dgongs pa rgyal ba).28 It gives a detailed discussion of the one hundred peaceful and wrathful deities (zhi khro rigs brgya) located in the tsitta of the heart and the conch chamber of the brain (klad pa dung khang). These are the iconographic representations of the body’s internal buddha-nature, which form the visual content of the postmortem visions in which they are externalized.” Funerary Transformation

[16] Voir p.e. Jean-Luc Achard. Epiphanie de la Base (gzhi snang; gzhi yi snang ba). 2022.

[17]This single process of the spontaneous efflorescence of Buddhas from a concealed interior is found, as specified above, not only in the postmortem visions, but also in the central contemplative process of direct transcendence, the cosmogonic process known as ground-presencing, and the process of a Buddha’s manifestations or displays. This single process found in four different contexts forms the new visionary basis of the Seminal Heart in all its aspects: contemplative, philosophical, psychological, cosmogonic, and so forth.

It has distinct and varied roots in Indian Buddhism, and each of its four contexts must be investigated individually as to possible separate developments – especially in relationship to death – prior to their unification within Seminal Heart. In other words, what is the history of such a process in describing cosmogony, contemplation, death, and Buddhas? Clearly, the process itself has its most ancient roots in the description of a Buddha as unfolding endless arrays of pure lands and multiple divine bodies out of his/her own enlightenment experience. This process then was interiorized – at least implicitly – through the notion of Buddha-nature, a notion that was radicalized and worked out contemplatively with the much later rise of subtle body practices in Buddhist tantra.” Funerary Transformation



jeudi 17 octobre 2013

La Plénitude : une vacuité bien remplie



Le mot gnose signifie « connaissance ». Une connaissance de soi[1] et une connaissance de Dieu qui ne font qu’un, mais que l’on ne peut atteindre que par un troisième type de gnose qui est la connaissance de la voie, révélée par le Sauveur.
« La gnose est donc une voie qui mène d’un point à un autre, du chaos amer, où l’âme est captive de la matière, jusqu’au Père qui a envoyé Jésus. L’itinéraire, à la fois spatial et mythique, parcourt en sens inverse les mondes, c’est-à-dire les sphères planétaires, et les mystères astraux et supracélestes, que la Sauveur a traversés pour venir ici-bas. »[2] 
Le Livre de Thomas (II, 7) dit que « …qui ne s’est pas connu n’a rien connu, mais celui qui s’est connu lui-même a déjà acquis la connaissance de la profondeur du Tout. »[3] De la même façon que le soi à connaître n’est pas le corps physique ni la personnalité passagère, mais un « moi essentiel », le Tout « n’est pas l’univers matériel, fini et passager, mais le Plérôme divin, monde supérieur et transcendant, source et déploiement de l’Être absolu. » La « gnose » concerne donc la connaissance du moi essentiel et du Plérôme divin/Dieu (≈ T. dkon mchog spyi 'dus). Et comme mentionné ci-dessus, la gnose est surtout la connaissance de la voie qui conduit à cette double connaissance. Une voie de la gnose révélée par un Sauveur, envoyé par le Plérôme. « Il y a en l’homme une étincelle divine […] tombée dans ce monde soumis au destin, à la naissance et à la mort, et qui doit être réveillée par la contrepartie divine du Soi, pour être finalement réintégrée. »[4] Et cette idée serait à l’origine une « conception chaldéenne adoptée par les ‘maguséens’, des mages iraniens émigrés qui propagent en Mésopotamie et en Asie Mineure un mazdéisme syncrétique. » Ils auraient transmis aux pythagoriciens « la conviction que l’âme est immortelle et divine, comme les astres dont elle est issue ».[5]

Le terme plérôme ou plérome signifie chez les gnostiques « Plénitude », la « plénitude divine dont les êtres spirituels sont l'émanation » (Atilf), « le monde céleste, formé par l"ensemble des Éons que le gnostique atteindra à la fin de son aventure terrestre » (Wikipédia).
« Dans la langue des gnostiques, plèrôma dénote deux idées principales. D'une manière générale, il signifie la plénitude des perfections et attributs divins, en contraste absolu, comme terme positif, avec l'aspect négatif de la Déité ineffable dont nul esprit humain ne peut former un concept défini. En second lieu, il désigne le Monde Idéal, l'archétype et le modèle parfait caché au ciel, dont toute manifestation phénoménale subséquente est une copie imparfaite. »[6] 
La Déité ineffable correspond au premier niveau de la triade Inengendré – Barbélo – Autogène. Le deuxième niveau, Barbélo, la Mère céleste est la génitrice de la Plénitude (plérôme), le monde idéal parfait caché au ciel. L’autogène est l’être autoengendré qui s’occupera du salut et des Sauveurs. Les Sauveurs ont pour mission de sortir les êtres captifs dans la matière, c’est-à-dire dans les mondes impurs (T. ma dag pa S. aśuddha), et de les conduire aux mondes purs (T. dag pa) qui participent de la Plénitude, le plérôme.

La vision de la Plénitude, la création pure (T. dag pa S. śuddha) est uniquement accessible à des « gnostiques », à ceux qui, ayant été initiés à la gnose de la voie, arriveront à la gnose du moi essentiel et de la Plénitude (de Dieu).[7]

La création chez les gnostiques, les manichéens, les néoplatoniciens, comme d’ailleurs chez les shivaïstes, les bönpos et les bouddhistes « gnostiques » est en fait une émanation, un trop plein d’être (dyade, la Base etc.), dont les reflets induisent en erreur les êtres qui ne les (re)connaissent pas. L’idée d’une création, et d’une création pure (plénitude), ne peut pas être dissociée d’une mythologie, c’est-à-dire, d’une cosmogonie, une théogonie et une généalogie. Si la plénitude n’était pas peuplée de dieux et d’êtres surnaturels, en quoi consisterait-elle ?

Il y a eu des tentatives, au sein des religions établies mêmes, de dire que la connaissance du moi essentiel et de « Dieu » (Déité ineffable) était suffisante, pour être sauvé. Même en restant toujours en compagnie de prisonniers d’une création impure. C’est la voie mystique, une voie de silence dans un monde de brutes.

Si les dieux peuvent avoir un trop plein d’être, les humains, qui n’ont pas d’être par eux-mêmes, ne peuvent avoir qu’un trop plein d’images. La Nature a horreur du vide et un vide ça se remplit, de plénitude. Est-ce par une sorte de nostalgie de temps et d’archétypes anciens ? Est-ce parce que l’idée de retourner après sa mort dans un endroit accueillant est réconfortant ? Est-ce parce que c’est plus motivant de faire le bien ici bas, quand on sait que cela servira à quelque chose là-haut ? Le fait est que les voies mystiques ont du mal à durer. Elles passent et repassent de temps en temps comme des comètes, puis le vide et le silence qu’elles proposent se remplissent de nouveau « de plein », de sons et de visions.

A la mahāmudrā et au dzogchen « radical » ont suivi une mahāmudrā et un dzogchen qu’on pourrait qualifier de « gnostique », car ils repeuplent la vacuité et donnent accès à la Plénitude. Le tout évidemment baignant dans de la mythologie, avec des émanations, des sauveurs, et de tout ce qui vient avec des transmissions de la gnose de la voie.

Le dzogchen « radical » peut se résumer en la formule attribuée à Garab Dordjé « Les trois vers qui touchent au point-clé » (T. ཚིག་གསུམ་གནད་བརྡེགས)[8], dont on peut trouver une explication ici. Patrul Rinpoché a écrit un commentaire sur ces trois vers.[9] Dans ce commentaire, Patrul rinpoché explique que ces trois vers sont « l’épitomé des enseignements dzogchen de la Percée (T. khregs chod, « éradication de la rigidité »).[10] Ce n’est alors plus que la première branche plutôt « mystique » d'un dzogchen nouveau qu’on peut qualifier de « gnostique ». L’autre branche du dzogchen nouveau est justement la Section des transmissions (T. man ngag sde), qui concerne les instructions capables de conduire les initiés à la Plénitude (plérôme). Il s’agit des instructions relatives à l’Essence séminale du Cœur » (T. snying thig). Cette deuxième branche est appelée le Franchissement du Pic (T. thod brgal). C'est à cause d'elle, que le dzogchen est supérieur.

Ces instructions sont principalement attribué au Sauveur Padmasambhava et ses disciples. Le Dict de Padma (T. pad+ma bka’ thang) raconte comment le Plérôme décida d’envoyer Padmasambhava pour combler le vide apparu après la mort du Bouddha, jusqu’à l’avènement de Maitreya, le Sauveur suivant.

***

[1] « Le moi qu’on se propose de connaître n’est pas le corps physique ni la personnalité passagère forgée par les contingences de la vie terrestre. C’est un moi essentiel, qui préexiste à la naissance et survit à la mort. » Introduction, p. xvi

[2] Écrits gnostiques, Introduction, pp. xvi-xvii

[3] Écrits gnostiques, Introduction, p. xvi

[4] Propositions concernant l’usage scientifique des termes gnose, gnosticisme, dans Bianchi éd. Le origini dello gnosticismo, p. xxiii-xxiv. Cité dans Ecrits gnostiques, la Pléiade, p. xviii

[5] Écrits gnostiques, Introduction, p. xix

[6] Wikipédia traduisant une citation de A Coptic Gnostic Treatise, The University Press, 1933, p. 17-18, de C. A. Baynes.

[7] Épître aux Éphésiens, III, 19 "Ainsi, vous recevrez la force de comprendre, avec tous les saints, ce qu'est la Largeur, la Longueur, la Hauteur et la Profondeur, vous connaîtrez l'amour du Christ qui surpasse toute connaissance, et vous entrerez par votre plénitude dans toute la Plénitude de Dieu."

[8] 1. Introducing directly the face of rigpa in itself. 2. Decide upon one thing, and one thing only. 3. Confidence directly in the liberation of rising thoughts. Ngo rang thog tu sprad// thag gcig thog tu bcad// gdeng grol thog tu bca'/

[9] Intitulé mkhas pa shri rgyal po'i khyad chos. Traduction anglaise publiée dans Primordial Purity (Halifax: Vajra-Vairochana Translation Committee).

[10] « The epitome of the Great Perfection teachings of Cutting through Solidity. » Wisdom Nectar: Dudjom Rinpoche's Heart Advice, de Bdud-ʼjoms ʼJigs-bral-ye-śes-rdo-rje, p. 415