Ngendzong Teunpa (T.
ngan rdzong ston pa) n'est pas connu en dehors de la
transmission orale de Cakrasaṁvara. Il existe un manuscrit que Roberts situe approximativement au quatorzième siècle, qui porte le titre "
La vie et les chants du glorieux [Mila] Shépé Dordjé" (T.
dpal bzhad pa’i rdo rje’i rnam thar mgur chings dang bcas pa), et qui comporte quatre textes. Ces textes ont été compilés et contiennent des comptes rendus attribués à douze grands yogis (T.
ras pa), disciples directs de Milarepa, parmi lesquels figure ledit Ngendzong Teunpa. Le compilateur anonyme présente Ngendzong comme le personnage clé dans la
transmission orale de Cakrasaṁvara [3]. Dans son colophon, le compilateur reprend le colophon de Ngendzong et écrit :
"Ceci a été mis par écrit en accord avec les paroles du lama, car je craignais que des personnes de moindre intelligence [parmi] les futurs détenteurs de lignée de ce Joyau qui exauce - de la lignée Karṇatantra (T. snyan rgyud) de Cakrasaṁvara puissent l'oublier."[4]
Selon Peter Roberts, la partie du manuscrit qui concerne Ngendzong relate les combats de Milarepa contre les démons, et plus particulièrement sa rencontre avec Tseringma, qui avait lieu selon Ngendzong en 1117 quand Milarepa avait 77 ans. Roberts pense aussi que ce manuscrit avait servi de source à l'historien 'Gos lotsawa, ce qui lui permet de le dater (avant 1478). Tsangnyeun Heruka se serait appuyé sur ce manuscrit pour écrire sur Ngendzong et Tseringma.
Dans les
Chants de Milarepa et donc selon
Tsangnyeun Heruka, la déesse Tseringma aurait été la
mudrā de Milarepa dans sa pratique de
karmamudrā (yoga sexuel)[5]. C'est une preuve hagiographique que Milarepa aurait pratiqué les
quatre mudrā au complet
et qu'il est ainsi un
vidyādhara de la plus haute catégorie. Les hagiographies sont habituellement très discrètes sur cet aspect, mais dans les
Chants de Milarepa, Tsangnyeun le met en avant pour les raisons exposées dans le
billet précédent.
Le yogi fou de Tsang consacre d'ailleurs aussi un chapitre à Ngendzong Teunpa dans les
Chants de Milarepa (
ngan rdzong ston pa dang mjal ba'i skor Chang : The song of the staff). On retrouve le nom de Ngendzong dans la collection des oeuvres complètes de Thu'u kwan
Blo bzang chos kyi nyi ma (1737-1802) où il est mentionné comme le coauteur d'un
rituel de prière et d'offrande à Tseringma avec
zhwa dmar (4ème) chos kyi grags pa (1453-1524) dans la section dédiée aux dharmapala. Tsangnyeun le mentionne encore dans le colophon de sa Vie de Marpa. Il explique que sa version est basée sur celle de Ngendzong en l'ayant enrichie de nombreuses anecdotes. Il explique que l'hagiographie de Marpa avait initialement été donnée oralement à Ngendzong par Milarepa et Marpa Golek. Milarepa l'aurait aussi donnée à Rechungpa. Ensuite, Rechungpa et Ngendzong auraient compilé ensemble la version de Ngendzong qui avait servi de base à Tsangnyeun pour sa version à lui.
Sur Tseringma
Thu'u kwan écrit dans son colophon du rituel de prières et d'offrandes de Tseringma qu'il s'est basé sur la prière (T. gsol kha) composé par Ngendzong et le 4ème Shamarpa. Si ce Ngendzong est le contemporain du 4ème Shamarpa, il n'a pas pu être le disciple direct de Milarepa. Si le 4ème Shamarpa, pour écrire cette prière, s'est basée sur une version antérieure attribuée à Ngendzong, cette dernière n'existe plus. Thu'u kwan explique que, pour écrire ce rituel, il a donc utilisé cette version et pour les différentes phases du rituel il s'est basé sur celles que l'on trouve dans "
la Mine des sadhāna " (T.
sgrub thabs rin 'byung), une collection de
sadhāna suivant l'exemple du
Guhyasamajasādhanamala, et composée par le Sakyapa
rje btsun kun dga' snying po (1092-1158). Les autres rituels de Tseringma que j'ai trouvés sur
TBRC sont tous plus tardifs (post 18ème siècle). Tseringma, qui a pour monture un lion de neige - animal emblématique du Tibet - est l'équivalent tibétain de
Vajrayoginī ou Vajravarāhī. Tseringma est d'ailleurs considérée comme la protectrice spécifique du Tibet en général et de la lignée de Milarepa en particulier.
Faits concrets sur Ngendzong
Comme preuve de l'existence de Ngendzong, il y a concrètement "
La vie et les chants du glorieux [Mila] Shépé Dordjé", qui contient quatre textes attribués à Ngendzong et qui sont une compilation anonyme, que Roberts pense dater du 14/15ème siècle. Bien que le compilateur soit anonyme, il appartient clairement à la lignée de Ngendzong et probablement à la lignée Drukpa (Roberts p. 19). Il y aurait une prière à Tseringma, cosignée avec le 4ème Shamarpa (15/16ème sciècle), que je n'ai pas pu trouver mais dont se serait servi Thu'u kwan pour composer son rituel à Tseringma. Il y aurait une hagiographie de Marpa, coécrit avec Rechungpa, dont Tsangnyeun (15/16ème sciècle) se serait servi pour écrire sa Vie de Marpa. Très peu de choses concrètes.
En revanche, Ngendzong est présenté comme un témoin direct de la vie de Milarepa, notamment de ses combats contre les démons, et sa rencontre avec Tseringma, la
karmamudrā de Milarepa, donc de sa pratique des quatre
mudrā dans le sens
Néo-herukiste du mot. Il est celui qui aurait reçu de Milarepa le
Cycle des neuf instructions de la dakini incorporelle et qui est à l'origine de
"Transmission orale de Cakrasaṁvara" (T. bde mchog snyan brgyud), aussi appelée en abrégé "La transmission orale" (T.
snyan brgyud).
C'est cette acceptation qui avait conduit certains à conclure que Gampopa aurait refusé ou rejeté les instructions ésotériques de Milarepa qui comportaient la pratique d'une
karmamudrā pour la raison qu'il tenait aux voeux de libération personnelle de par sa formation Kadampa et que pour cette même raison sa version de la
Mahāmudrā ne pouvait pas être complète. C'est toujours pour cette raison que dans la tradition de Rechungpa, Gampopa est quelquefois relégué à un rôle secondaire. Voici le colophon de "
La vie et les chants du glorieux [Mila] Shépé Dordjé" :
"Les quatre fils de coeur furent Rechung, Seben Repa, Ngendzong Repa et Drigom Repa. Les huit fils proches furent Repa Shiwa Ö, Repa Sanggye Kyab, Repa Dorje Wangchuk, Shengom Repa, Rongchung Repa, Kharchung Repa, Nyengom Repa et Khyira Repa."[6]
Gampopa est classé dans une liste de six disciples qui avaient connu Milarepa à la fin de sa vie (T.
sku gshegs pa′i slob ma drug).
Mise à jour :
Dans la
Collection du savoir (
shes bya mdzod), vol. 3, dans la section qui traite de la
Mahāmudrā-sahaja de la
félicité vide (bde stong), selon le système des mantra (S.
mantranaya), sans le système des sūtra (p. 375), Jamgong Kongtrul explique que la tradition orale de la ḍākinī de Cakrasaṁvara de la basse lignée Drukpa Kagyu (smad 'brug) provenait de la
Collection de trois cycles du joyau qui exauce (
yid bzhin nor bu skor gsum gyi mdzod) qui remonta à Rechungpa et à Ngendzong (
ngan rdzong ston pa).
Avec l'information de la co-écriture du rituel de Tseringma avec le 4ème Shamarpa, cela fait un deuxième élément qui pourrait suggérer que Ngendzong n'était peut-être pas un contemporain de Milarepa et de Rechungpa.
***
Illustration : Le groupe des cinq déesses de Tseringma avec Milarepa en haut
[2] The Biographies of Rechungpa: The Evolution of a Tibetan Hagiography de Peter Alan Roberts. p. 2
[3] Ibid. p. 23
[4] T. 'khor lo yi/ rgyud pa yi bzhin nor bu snyan rgyud bde mchog 'di/ma 'ongs gdung rgyud 'dzin pa rnams/ blo dman rjed pas 'jigs pa'i phyir/ bla ma'i gsung bzhin yi ger bkod/
[5] tshe ring mched lngas drod zhul ba dang zhus lan gyi rim pa. Tsangnyeun explique à la fin du chapitre qu'il s'est basé sur la version de Ngendzong pour l'écrire.
[6]
The Biographies of Rechungpa p. 24
Textes tibétain Wylie
Colophon Thu'u kwan
tshe ring mched lnga'i gsol mchod kyi cho ga 'dod 'jo'i bum bzang zhes bya ba 'di ni / rgyu mtshan 'ga' zhig la brten nas/ rang nyid kyi mos pa'i mtshams sbyar te/ rje btsun gyi dngos slob ngan rdzong ston pa b+ho d+hi rA dza dang/ zhwa dmar pa chos kyi grags pas mdzad pa'i gsol kha dang / rje btsun kun dga' snying pos sgrub thabs rin 'byung du gsung pa'i chog bsgrigs rnams gzhir bzhag pa la ma tshang ba kha bskangs/ go rim khrigs su bsdebs/ tshig sbyor 'ga' zhig gsar du bgyis te cha tshang la khyer bde bar/ btsun gzugs d+harma badz+ra gyis gzhis ka o rgyan gling du sbyar ba'o
Colophon Vie de Marpa
de ltar rje btsun mar ston chos kyi blo gros kyi rnam par thar pa mthong ba don ldan 'di nyid/ rje btsun mi la dang/ mar pa mgo legs gnyis kyis ngan rdzong ston pa la zhib rgyas zhal nas snyan du brgyud pa dang/ rje btsun mi la ras chung pa la yang gnang bas/ ras chung pa dang ngan rdzong ston pa byang chub rgyal po gnyis bka' bgros nas bsgrigs pa'i rnam thar phyi mo'i gtso bor bzhugs pa las/ bla ma rngog pa/ mtshur ston/ mes ston rnams kyi zhal nas byung ba'i yig cha la sogs rnam thar mang dag 'dzom pa'i nang nas/ skye 'gro dwang ba'i mig rkyen mchog gu gyur pa/ don la srid zhi'i dgos 'dod 'byung ba rin po che bai DU rya'i phreng ba rnams kyi thugs rje'i mig la lhag bsam gyi lung tshig gi sdeb sbyor spel legs par brgyus nas rnam mkhyen sangs rgyas thob pa'i rgyan 'dod pa rnams kyi yid 'phrog par byed pa'i rin chen rgyan gyi phreng ba 'di nyid/ dur khrod nyul ba'i rnal 'byor pa khrag 'thung rgyal pos/ dbang phyug mi la ras pa'i mngon par rdzogs par sangs rgyas pa'i gnas mchog chu bar sprul sku'i pho brang du yi ger bkod pa'i yi ge pa ni shrI lo pan pa 'jam dpal chos lha'o
Shes bya mdzod (vol. 3 p. 393)
rje btsun mi la'i thugs sras zla ba lta bu ras chung rdo rje grags pa dang*/ sogs khongs nas ngan rdzong ston pa gnyis kyis yid bzhin nor bu skor gsum gyi mdzod nas byon pa'i bde mchog mkha' 'gro snyan brgyud kyi bka's srol 'dzin pa ste/