jeudi 17 octobre 2024

Engagement enthousiaste

Krishna au volant, Arjuna se laisse conduire (image)

L’objectif bouddhiste d’origine était l’obtention du nirvāṇa (diversement défini) et la sortie du saṃsāra -- plus de naissance, plus de mort -- par la purification du karma résiduel et la non-création de nouveau karma. Cet objectif a été maintenu tant bien que mal, mais parfois en changeant les paramètres en profondeur. Les changements les plus radicaux étant les conséquences des doctrines de la vacuité et de la doctrine de l’essence de Bouddha (buddhadhātu), respectivement correspondant aux derniers “trois tours de la roue”. La théorie de l’essence de Bouddha avait ouvert le bouddhisme à la métaphysique de la Lumière, qui allait donner au bouddhisme ésotérique ses formes définitives.

En ce qui suit, je me base principalement sur le livre de Wouter Hanegraaff, Hermetic Spirituality and the Historical Imagination (2022), pour regarder du côté de la spiritualité de la basse antiquité plus près de chez nous.

Le bouddhisme ésotérique, avec sa métaphysique de la Lumière, a beaucoup de points en commun avec le système néoplatonicien développé, p.e. par le néopythagoricien Jamblique (IVe siècle). Dans son système, l’objectif n’est plus tant l’évasion d’un geôle, et l’ascension de l’âme à sa Source, que l’amélioration et la perfection du monde comme la manifestation de la présence divine. Pour lui la Lumière divine était une force générative immanente plutôt que transcendante. L’âme était “complètement descendue” dans le monde. Contrairement à Plotin, chez qui une partie de l'âme restait toujours dans le monde intelligible. Pour Jamblique la Lumière divine était une "source générative” agissant de l'intérieur. Au lieu de s'échapper vers un royaume spirituel pur, il cherchait à "donner naissance à la beauté" dans le monde, et cela à l’aide de la théurgie, qui avait pour but la guérison et la purification de l'âme … et du corps.
La pratique théurgique [≃ sādhana] impliquait des manifestations visibles ou des révélations de la Lumière divine. La Lumière incorporelle est la réalité englobante des dieux. Elle entoure et enveloppe le domaine de l'Être ou de la nature, qui à son tour entoure et enveloppe nos corps et nos âmes[1]. Faisant référence au dicton courant selon lequel "tout est rempli de dieux", voici comment Jamblique explique la plus grande réalité divine de la Lumière universelle :
“Tout comme la lumière du soleil enveloppe ce qu'elle illumine, de même le pouvoir des dieux embrasse de l'extérieur tout ce qui y participe. Et tout comme la lumière est présente dans l'air sans se mélanger à lui... de même la lumière des dieux non seulement illumine tout en restant elle-même, mais tout en étant fermement établie en elle-même, elle procède à travers la totalité de l'existence. ... De la même manière, alors le monde entier, bien que divisé spatialement, entraîne une division en lui-même de la lumière unique et indivisible des dieux. Cette lumière est une et identique dans son intégralité partout, est présente de manière indivisible dans toutes les choses capables d'y participer, et remplit tout de sa puissance parfaite…”
Il semble que, quelles que soient les techniques utilisées, le rituel théurgique pouvait induire de puissantes altérations de la conscience qui permettaient aux participants d'être possédés par les dieux (le sens littéral d' "enthousiasme", en-thou-siasmos).[2]
Cette possession par la Lumière divine (“théopathie”), ou une manifestation divine lumineuse particulière peut être spontanée et de courte durée, ou recherchée et maintenue comme dans une pratique d’identification. Dans la pratique théurgique et les sādhana tantriques cette “possession” est encadrée.
Pendant les rituels théurgiques, les dieux eux-mêmes entraient donc dans les corps des praticiens pour les remplir de Lumière divine et les restaurer à l'harmonie. De plus, ils permettaient même à leurs âmes de faire ce qu'elles ne pouvaient pas faire par elles-mêmes :
[L]es dieux, dans leur bienveillance et leur grâce, répandent généreusement leur lumière sur les théurges [sādhaka], appellent leurs âmes vers eux-mêmes et leur permettent de s'unir à eux ; et ils habituent leurs âmes à quitter le corps tout en restant incarnées, et à se tourner vers leur principe noétique éternel. Que ce dont nous parlons présentement est salutaire pour l'âme est démontré par les faits eux-mêmes. En effet, lorsque l'âme contemple ces visions de félicité, elle échange sa vie contre une autre et commence un autre type d'activité. Elle pense alors qu'elle n'est plus humaine, et à juste titre. Car souvent, ayant abandonné sa propre vie, elle a reçu en échange l'activité infiniment bénie des dieux[3].” (Jamblique, Réponse à Porphyre (De Mysteriis) I 12).” (Hanegraaff 2022)
L’activité spontanée, ou en-thou-siaste, en tant que fruit permanent est décrite ainsi par Gampopa, un maître tibétain du XIIème siècle :
Leur activité, est-il dit, consiste à œuvrer, sans concept, au bien des êtres.

Le bodhisattva engendre d'abord l'esprit d'Éveil, ensuite, il pratique la voie, et enfin, il atteint la bouddhéité. Puisque ces étapes n'ont qu'un seul but, celui de dissiper la souffrance des êtres en réalisant leur bonheur, on pourra se demander si, une fois qu'on est devenu bouddha, du fait qu'il n'est plus de pensées ni d'efforts, on agit de quelque manière pour le bien des autres. En fait, sans concevoir la moindre pensée ni produire le moindre effort, un bouddha fait cependant le bien des êtres, spontanément et sans interruption
.” (Le Précieux Ornement de la Libération, Gampopa, Padmakara 1999)
Dissiper la souffrance des êtres est une activité qui se déploie forcément dans les mondes sublunaires. Gampopa renvoie ensuite pour seule explication au Continuum insurpassable (Mahāyānottaratantraśāstra) qui donne des analogies “divines” et célestes[4] pour illustrer cette activité spontanée. Cette activité est dite spontanée, car elle est non-conceptuelle, conduite par une “Lumière divine” ou équivalent[5]. C’est la “Lumière” qui est en charge. Le corps, les sens, le mental, la volition, etc., neutralisés, c’est “la Lumière” ou la Luminosité naturelle (de l’esprit) qui prend naturellement la relève. Quand la Lumière divine est aux manettes, et l’humain est ainsi augmenté en un Bouddha ou un dieu, il prend les qualités de la Lumière divine, à commencer par un charisme cosmique rayonnant (pouvoir d’inspiration).
"Concernant ce qui apparaît comme le royaume d'Indra, il est dit :
Tout comme le lapis-lazuli pur,
Par sa nature transparente, ici sur terre,
En raison de sa pureté, permet de percevoir
Le royaume céleste d'Indra là-haut,
Avec son seigneur, l'assemblée des déesses,
Le palais victorieux et autres demeures divines,
Ainsi que les diverses résidences célestes
Et les nombreux richesses divines qui s'y trouvent.


Alors, les hommes et de femmes
Sur la surface de la terre [en bas],
Voyant cette apparition céleste,
Font ce vœu : 'Puissions-nous aussi,
Sans tarder, devenir comme le Seigneur des dieux.'
Faisant de telles aspirations,
Pour atteindre ce but, ils accomplissent des actes vertueux
Encore et encore
." (RGVV Commentary on Verse IV.30Mahāyānottaratantraśāstravyākhyā de Sabzang Mati Paṇchen Lodrö Gyaltsen 1294 - 1376, disciple de Dolpopa)
Ou bien, ceci est interprété de façon macrocosmique, et en pratiquant la vertu les humains renaîtront dans le ciel d’Indra, et idéalement continueront d’évoluer, ou bien, de façon plus intérieure et idéaliste, cela se joue surtout au niveau de l’esprit humain dans l'habitat humain. Selon cette interprétation, un “humain” en-thou-saismé aura le charisme et d’autres qualités lumineuses. Cela pourrait rejoindre l’approche théurgique de Jamblique, quelle que soit d’ailleurs la réalité des dieux et de la Lumière. Hanegraaf interprète la théurgie dans un sens thérapeutique et psychologique, et comme “une catharsis contrôlée”. Jambilique dans sa Réponse à Porphyre (I 11) :
Si les pouvoirs de l'affect humain qui sont en nous restent complètement contenus, ils deviennent plus violents. Mais s'ils sont poussés vers une brève action et jusqu'à un certain degré mesuré, ils trouvent leur plaisir et leur satisfaction dans la mesure ; et une fois qu'ils sont purifiés profondément, ils sont amenés à la paix par la persuasion et sans violence. ... dans les rites sacrés, c'est par des spectacles et des sons laids que nous sommes délivrés des dommages qui résultent de la pratique de ces choses laides. Ces rites sont donc pratiqués en vue de guérir notre âme, de modérer les maux qui s'y sont attachés du fait de la génération, de la libérer et de la soulager de ses chaînes.” (Hanegraaff 2022)[6] 
Hanegraaf conclue :
En somme, la théurgie était une pratique intégrale de guérison du corps et de l'âme. Elle fonctionnait par l'induction rituelle d'états altérés qui permettaient aux dieux d'entrer dans les corps des praticiens et de purifier leurs âmes, afin qu'ils puissent être aussi efficaces que possible dans la tâche de canalisation des énergies spirituelles dans le monde matériel. La fonction de la philosophie était de fournir une justification théorique à cette pratique.” (Hanegraaff 2022)[7]
Cette approche théurgique (néoplatonicienne ou bouddhiste ésotérique) part du principe qu'il y existe bien une Lumière (divine ou autre), qui peut favorablement prendre la place d'un individu, et guérir le corps, l'esprit et le monde. Un matérialiste pourrait poser la question comment faire la distinction entre une telle "Lumière" (divine ou autre) et une idéologie ou une superstructure

***

[1]Our vehicle (ochēma) suffers serious trauma and damage while entering the dominion of astral fate, where it gets exposed to constricting daimonic energies and powerful irrational passions. Perhaps most important of all, we lose our very connection with the realm of divinity. Therefore the gods, who are supremely powerful, need to come to our aid – and that is what theurgy was all about: the healing work or activity of the gods on earth.” Wouter J. Hanegraaff, Hermetic Spirituality and the Historical Imagination: Altered states of knowledge in late antiquity, Cambridge University Press, 2022

[2] Hanegraaff (2022),
“[T]heurgical practice involved visible manifestations or revelations of divine Light. Incorporeal Light is the all-encompassing reality of the gods. It surrounds and envelops the realm of Being or nature, which in turn surrounds and envelops our bodies and souls. Referring to the commonplace saying that “all is full of gods,” this is how Iamblichus explains the greater divine reality of universal Light:
“then the entire world, spatially divided as it is, brings about a division throughout itself of the single, indivisible light of the gods. This light is one and the same in its entirety everywhere, is indivisibly present to all things that are capable of participating in it, and fills everything with its perfect power …”
It appears that by whatever techniques they may have been using, theurgical ritual could induce powerful alterations of consciousness that allowed participants to be possessed by the gods (the literal meaning of “enthusiasm,” enthousiasmos).”

[3] Hanegraaff (2022),

During theurgic rituals, the gods themselves would therefore enter practitioners’ bodies to fill them with divine Light and restore them to harmony.139 Moreover, they even allowed their souls to do what they could not do by themselves:
"[T]he gods, in their benevolence and graciousness, generously shed their light upon the theurgists, call their souls towards themselves and allow them to unite with themselves; and they accustom their souls to leave the body even while still being incarnated, and turn towards their eternal noetic principle. That what we are presently talking about is salutary for the soul is shown by the facts themselves. In fact, when the soul contemplates those felicitous visions, it exchanges its life for another one and begins another kind of activity. It then thinks it is no longer human, and rightly so. For often, having abandoned its own life, it has received in exchange the infinitely blessed activity of the gods.” Réponse à Porphyre (I 12) 
[4] Le Tathāgata est comparable à Indra,
Au tambour [des dieux], à un nuage,
À Brahma, au soleil, à un précieux joyau,
À l’écho, à l’espace et à la terre
. (Continuum insurpassable IV, 13)

Si le sol prenait l’aspect
Du lapis-lazuli le plus pur,
Cette pureté permettrait de voir
Le seigneur des dieux parmi les jeunes déesses
, (IV, 14)

[5] [Les activités éveillées ne s’interrompent jamais]
Parce qu’elles ont lieu sans pensées comme celles-ci
La libération définitive, son point d’appui,
Son fruit, les êtres pris en charge,
Les voiles et la condition de leur élimination
. (IV, 5)

Les dix terres sont la voie de la libération définitive
Dont les deux accumulations forment la cause.
Le fruit alors atteint est l’Éveil suprême
Qui prend en charge l’Éveil au cœur des êtres
. (IV, 6) (Continuum insurpassable)

[6] (Hanegraaff 2022) "If the powers of human affect that are in us remain completely contained, they become more violent. But if they are pushed towards a brief action and up to a certain measured degree, they find their pleasure and satisfaction within measure; and once they are purified profoundly, they are brought to peace through persuasion and without violence. … in the sacred rites, it is by ugly spectacles and sounds that we are delivered from the damage that results from practicing those ugly things. These rites are therefore practiced in view of healing our soul, to moderate the evils that have become attached to it because of the fact of generation, to liberate it  and relieve it from its chains."

[7]  (Hanegraaff 2022) "In sum, theurgy was an integral practice of healing both body and soul. It worked through the ritual induction of altered states that made it possible for the gods to enter practitioners’ bodies and purify their souls, so that they might be as effective as possible in the task of channeling spiritual energies into the material world. The function of philosophy was to provide theoretical justification for this practice." 

mercredi 16 octobre 2024

Métaphysique de lumière bouddhiste

Niga Byakudo. River of Fire, River of Water and the narrow path to the pure land (source)
"Si vous croyez au pouvoir de Bouddha, vous renaîtrez et vous n’éteindrez pas l’eau et le feu par vos propres efforts.
Avec une foi sincère, de la joie et une récitation directe, Amitabha sera à la hauteur de ceux qui récitent le nom du Bouddha."

Il y a des parallèles intéressants entre le développement spirituel du bassin méditerranéen et l’Indosphère entre le VIème siècle av. J.-C. et le VIème siècle de notre ère. La pensée de cette époque était spirituelle, et tournée vers le divin.

La première tendance de ces théognostes méditerranéens et indiens, chercheurs de la connaissance directe du divin, semble avoir été la recherche de moyens d’ascension vers le monde divin. Ceci depuis au moins L'Épopée de Gilgamesh (2100 av. J.-C.), qui voulait atteindre le monde des dieux pour y trouver l’immortalité, suite à la mort de son ami Enki. Le ciel est généralement considéré comme le séjour d’entités divines ou intelligibles, à qui l’on attribue des pouvoirs immenses, dépassant de loin ceux des humains. Le monde divin ou intelligible est donc vu comme la source de ces pouvoirs. Pour obtenir de tels pouvoirs, il faut un contact avec les dieux, il faut ou bien monter auprès d’eux, ou les faire descendre ici-bas. Pourquoi tout semble aller mieux là-haut ? L’herbe y semble même plus verte.

Pour Platon, le monde sensible était une copie imparfaite du monde intelligible, “le monde des Idées”, où l’âme était invitée à (re)monter. Pour Plotin (IIIe siècle après J.-C.), l’ascension était toujours le mot d’ordre, mais le monde intelligible s’émana aussi vers le bas. L'Un déborde, produit l'Intellect, puis l'Âme, puis le monde sensible. La création devient émanation dans la pensée idéaliste. A son époque, se côtoient le christianisme “gnostique” et “orthodoxe”, ainsi que le judaïsme dont ils étaient originaires, les doctrines et pratiques “païennes”, gréco-romaines, égyptiennes, chaldéennes, etc., l’hermétisme avec son apport égyptien, le tout baignant dans une sauce hellénisée. L’idée de la descente du divin pour aider l’humanité se répand. L’humanité, vivant dans des temps troublés, en avait besoin.

Peut-on forcer un messie à descendre, par la prière ou autrement ? Il semblerait que non. Cette décision semble être prise en haut, dans un plérôme monothéiste. C’était plus simple pour le néopythagoricien syrien Jamblique (IVe siècle), qui mettait les dieux et les daimons (païens) au travail par la théurgie (orientale) (≃ lha sgrub pa, rab gnas). “La théurgie consiste en une pratique rituelle par laquelle un réceptacle matériel est animé par une entité divine ou intelligible.[1]” Tout peut être investi de divin. Pour Jamblique, le monde était comme une "théophanie", une manifestation du divin, pour celui qui savait la percevoir. Contrairement aux (néo)platoniciens avant lui (et les bodhisattvas), Jamblique cherchait à s’engager activement avec le monde matériel, comme moyen de connexion avec le divin. Avec les croyances et les moyens de son temps.

L’hiérophante Proclus (Vème siècle) embrassait également la théurgie et y associa la mystagogie (≃ gsang ba la ‘jug pa). Un hiérophante est un prêtre qui explique les mystères du sacré. Nous dirions maintenant un gourou ou un lama.
Ainsi en est-il de Proclus, nommé par Marinus « l’hiérophante du monde entier (τοῦ ὅλου κόσμου ἱεροφάντης) », c’est-à-dire celui qui révèle les choses sacrées aux initiés et qui est versé dans les cultes de toutes les nations, puisque l’objectif déclaré de Proclus consistait à concilier l’ensemble des théologies, autant grecques que barbares.[2]
L’hiératique est tout ce qui permet au hiérophante d’expliquer les mystères (grecques) : l’interprétation des mythes, l’initiation aux mystères. La théurgie (orientale) est tout ce qui concerne l’interaction avec le divin : divination, télestique, etc.
Prise au sens strict, la télestique réfère à l’animation des statues. Dans un sens large, elle inclut tous les rites d’initiation aux mystères, en particulier les exercices de purification du véhicule de l’âme (ὄχημα τῆς ψυχῆς). Pour ce qui est de la mantique [divination], nous verrons que c’est lorsque la mantique est de nature inspirée qu’elle peut être ainsi comparée à la théurgie considérée supérieure à la connaissance humaine par Proclus.[3]
De l’animation des statues en bois ou en pierre à l’animation des véhicules de l’âme semble être un petit pas.
La théurgie sert donc, en premier lieu, à préparer un réceptacle matériel pour la venue d’une présence divine.

La descente du divin au sein du réceptacle – le véhicule de l’âme – se caractérise généralement par une illumination (ἔλλαμψις) ou par un enthousiasme (ἐνθουσιασμός). Cet état mental s’obtient lorsque le symbole, qui est le reflet de l’archétype divin semé par les dieux en toute chose, est activé dans le réceptacle purifié de l’âme et se manifeste comme une « totale possession divine » du disciple. Cela implique donc que la conscience subjective du théurge est absoute pendant l’expérience – c’est d’ailleurs ce qui distingue la possession irrationnelle de celle supra-rationnelle selon Jamblique. Ainsi, il apparaît qu’il faille « libérer de l’espace » pour accueillir le divin, « espace » normalement saturé d’attachements illusoires et de pensées égoïques diverses : « Enfin l’union (ἕνωσις), qui fixe l’un de l’âme dans l’un même des dieux et fait une seule activité de la nôtre et de celle des dieux, selon laquelle nous ne nous appartenons plus à nous-mêmes, mais aux dieux, dès là que nous demeurons dans la divine Lumière et que nous sommes encerclés par elle. » En effet, l’ego semble toujours constituer le dernier voile obstruant l’éveil du disciple à sa nature divine.[4]
Proclus a développé une métaphysique de la lumière, qui semble avoir eu des retombées assez spectaculaires. Comme toujours, “la lumière” est au départ une métaphore, ici pour la nature du divin et sa relation avec le monde et les êtres. Elle devient rapidement un principe métaphysique réel. A travers la métaphore de la lumière, et ses rayons, Proclus explique comment le divin s’émane sans perdre de sa plénitude. Les différents niveaux de réalité, lors de la descente, sont comme des degrés de luminosité, et la lumière est présente en tous les niveaux de réalité (≃ tattva). Le chemin de retour vers la source de la lumière, passe également par ces niveaux de réalité lumineuse.

Il faut distinguer entre la lumière physique et la lumière divine (Noûs). La première peut être perçue “physiquement” par les facultés visuelles, tactiles, puis la conscience visuelle, tactile et mentale. La deuxième éclaire une réalité noétique, accessible uniquement par une perception noétique, par “l’organe” noétique qu’est “le coeur”. De manière générale, dans une voie spirituelle, le corps est immobilisé, les sens sont maîtrisés, le mental est confiné ou neutralisé, pour laisser tout l’espace à cette communion noétique. La lumière divine est une lumière surnaturelle contrairement à la lumière physique qui est naturelle, et requiert des “organes”, des “facultés” et une “perception” surnaturels.

La métaphysique de la lumière a aussi bien influencé Saint Augustin, Sohrawardi de l'école illuminative (Ishraq) que la mystique soufie. Proclus avait été traduit en arabe entre le VIIIe-Xème siècles. A t-il pu avoir une influence directe ou indirecte en Centre Asie et en Asie ? Ou sans vouloir trop centrer l’évolution sur Proclus, la théurgie, la télestique, la mystagogie, mais encadrés par une métaphysique, ont-il pu se frayer un chemin jusqu’en Asie, plutôt que dans l’autre sens. Si on regarde p.e. l’activité de mantrins comme Vajrabodhi (662-732) et Amoghavajra (705-774) à la cour impériale de Chine, la traduction de textes “télestiques” en chinois, comme p.e. l’Amoghapāśa-sūtra (T. 1097) à la fin du VII-ème ou au début du VIIIème siècle[5], et la traduction du même texte en tibétain beaucoup plus tard “par quatre traducteurs érudits du passé[6]”. Pour avoir une idée de la descente du divin dans des jeunes enfants utilisés comme médium ou “véhicule”, voici une partie de la traduction de Michel Strickmann :
On peut aussi procéder de la façon suivante. Si l’on désire induire la possession d’un médium, le maître de l’incantation doit se laver et mettre un vêtement neuf. Ensuite, il doit réciter une incantation pour sa propre protection. Alors il doit construire une aire rituelle avec de la bouse de vache. L’aire rituelle doit former un carré, peint des couleurs appropriées, où sont éparpillées çà et là des fleurs [ciel étoilé] et des offrandes de nourriture de couleur blanche. Ensuite, il doit prendre un garçon ou une fille vierge, laver l’enfant et enduire son corps d’huile finement parfumée. Il doit l’habiller de blanc pur, et le parer de toutes sortes d’ornements, puis lui demander de s’asseoir dans la position du lotus sur l’aire rituelle. Tout en récitant l’incantation bandha [« lier »], il tresse les cheveux de l’enfant. Lorsqu’il a fini, il prend des fleurs et en remplit les mains de l’enfant. Il prend aussi de l’encens de bonne qualité, qu’il écrase et éparpille. En outre, il récite une incantation sur du riz cru qu’il parsème, avec des fleurs et de l’eau, sur l’aire rituelle. Il doit également brûler de l’encens de bois de santal et réciter l’incantation de Kouan-yin. La récitation doit se faire trois fois au-dessus des fleurs, qui sont ensuite jetées au visage de l’enfant. A ce moment, le corps de l’enfant se met à trembler. Si l’on désire qu’il parle, il faut prononcer une autre incantation [fournie par le texte] au-dessus d’eau pure dont on arrose le visage de l’enfant. Pendant la récitation, la main ne doit pas toucher l’enfant. Après la récitation, l’enfant se met à parler. Si on l’interroge sur le bien et le mal passés, présents ou à venir, il pourra répondre à toutes les questions. Si le maître de l’incantation désire expulser l’esprit qui s’est introduit dans l’enfant, il existe une autre incantation qu’il doit réciter [fournie dans le texte].”
Il me semble qu’on est bien dans le même univers, et un univers divin, de lumière divine. Tout ce qui est classé en “Luminosité” ou réalité lumineuse (noétique) dans le bouddhisme ésotérique, qui doit être associée à la vacuité, pour prétendument compléter celle-ci - afin d’éviter que “la vacuité” soit “stérile” - est appelé “lumière divine” ailleurs. La relation entre celle-ci et le monde varie selon les cultes, les doctrines et les religions, mais elle est bien considérée divine. Le bouddhisme ésotérique a bien une métaphysique de lumière (divine), plutôt non-avouée, à laquelle un simple être humain ne peut pas avoir accès, tant qu’il reste un être humain avec des facultés humaines restreintes. Elle doit passer par d’autres canaux.

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[1] David Vachon, La théurgie et la mystagogie dans la philosophie de Proclus : statut, rôle, implications, Vrin, 2024, p.2

[2] Vachon (2024), p. 6

[3] Vachon (2024), p. 40

[4] Vachon (2024), p. 56

[5] Mantras et mandarins, Michel Strickmann, p. 218

[6]The names of the Tibetan translators of the AP, described in the final colophon of the Tibetan translation as the “four learned translators of the past,” are not available. The same colophon gives the names of two later translators, both active in the fourteenth century, Chödrak Pel Sangpo and Rinchen Drup. These two lotsāwas added and translated additional material not found in the existing canonical translation.” The Sovereign Ritual of Amoghapāśa, 84.000


samedi 5 octobre 2024

Contemplation et bonheur

Le jeune prince Siddharta contemplant la nature bucolique
Le prince Siddharta (livre d'enfants, ill. Janet Brooke)

Traduction française de Contemplation and Happiness, Tom Pepper, sur son blog The Faithful Buddhist, Forcing the Truth of the Ideological Event.

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Essentia beatitudinis in actu intellectus consistit.
Ultima hominis felicitas [est] in contemplatione veritatis
. (Aquinas)
Le bonheur est fondamentalement un acte intellectuel. Nous ne pouvons pas nous épanouir pleinement en tant qu'êtres humains sans utiliser notre intellect, car c'est notre capacité à penser qui nous définit en tant qu'humains.

Malheureusement, la compréhension actuelle des termes "contemplation" et "bonheur", notamment lorsqu'ils sont associés, est source de nombreuses souffrances humaines. Ou, pour le dire peut-être mieux, c'est la mauvaise interprétation de ces concepts qui nous empêche de travailler à soulager la souffrance et qui, finalement, contribue à accroître la misère humaine.

Il peut sembler qu'il y ait des enjeux plus pressants dans le monde d’aujourd'hui que la quête du bonheur par la contemplation. On pourrait penser que cela pourrait attendre la résolution de la faim dans le monde, du réchauffement climatique, du racisme, et des guerres... La liste est longue. Ce que je veux souligner, cependant, c'est que la raison pour laquelle nous ne trouvons jamais d’issu à ces problèmes est que nous ne comprenons pas ce que veut dire "contempler", et que nous avons une conception erronée de ce qu’est le bonheur.

J'écris ceci principalement pour clarifier mes propres idées, et je m'appuierai sur un texte que je connais bien : "Bonheur et Contemplation" (Glück und Kontemplation) de Josef Pieper. J'aurais pu choisir parmi une multitude de textes plus récents sur la méditation, ou sur le culte actuel du bonheur, mais je crois que Pieper décrit avec justesse ce que la plupart d'entre nous, dans ce qu'il appelle le monde occidental, entendent par les deux termes de son titre, une compréhension qui prévaut depuis au moins deux siècles.

Josef Pieper, théologien thomiste allemand dont la vie a embrassé presque tout le XXe siècle, est aujourd'hui principalement reconnu pour sa thèse selon laquelle la création du loisir est le fondement de la civilisation, une position qui a sans doute façonné sa compréhension de la contemplation (et, je dirais, a influencé la compréhension générale du concept depuis l'avènement du capitalisme). Dans ce petit livre, Pieper retrace l'histoire des concepts de bonheur et de contemplation d'Aristote à Thomas d'Aquin jusqu'à nos jours. Il tente de défendre la position aristotélicienne, souvent décriée, selon laquelle la contemplation est le bien ultime de l'homme, et donc la source de notre forme la plus élevée de bonheur. Je pourrais adhérer à cette conclusion, mais uniquement si nous reconsidérions d'abord l'interprétation que Pieper (et la plupart d'entre nous) donne aux termes "contemplation" et "bonheur". Pour mieux comprendre, il serait sans doute judicieux d'examiner d'abord comment ces concepts ont évolué considérablement au fil du temps.

Les termes "theoria" et "noûs" d'Aristote sont traduits par Thomas d'Aquin comme "contemplatio" et "intellectus", et deviennent simplement "Kontemplation" dans l'allemand de Pieper et "Contemplation" en français (bien que Pieper substitue parfois "intuition" à "noûs").

La difficulté ici est que ce que nous entendons normalement par contemplation aujourd'hui n'est pas du tout ce qu'Aristote entendait par theoria. Je pense que Pieper fait un excellent travail en définissant la contemplation pour nous : "la contemplation a été caractérisée comme une connaissance accompagnée d'étonnement. Dans la contemplation, on voit un mirandum, c'est-à-dire une réalité qui suscite l'étonnement parce qu'elle dépasse notre compréhension, même si nous la voyons et en avons une intuition directe" (75). La contemplation, pour Pieper (et je dirais pour à peu près tout le monde dans le monde occidental moderne) ne peut se produire que lorsque l' "âme" est dans un état de “présence immédiate, d'aisance absolue et de parfaite sérénité”. Plus fondamentalement, la contemplation doit être "désintéressée... totalement détachée des fins utilitaires". C'est "une perception silencieuse de la réalité".

J'ai précédemment souligné que l'interprétation erronée de la "theoria" aristotélicienne est à l'origine de nombreuses lectures déroutantes, voire méprisantes, de l'Éthique à Nicomaque. Contrairement à l'interprétation dominante parmi les philosophes aristotéliciens contemporains, Aristote ne concevait pas la contemplation comme une activité passive, détachée avec ironie, et purement esthétique. Cette vision réductrice, considérée à tort comme la seule forme de pensée possible, ne correspond pas à la conception originale d'Aristote. Au contraire, theoria fait référence à la tentative de comprendre pleinement le fonctionnement des choses, y compris la considération critique de la forme de vie dans laquelle nous vivons et l'utilisation de notre capacité humaine de raisonnement pour choisir activement notre façon de vivre. Ce n'est pas un hasard si Aristote conclut l'Éthique à Nicomaque en affirmant que la theoria est la forme suprême du bonheur. Cette assertion sert de pont vers La Politique, invitant à une réflexion approfondie sur l'organisation optimale de la société humaine. Ainsi, Aristote établit un lien intime entre la quête individuelle du bonheur et l'élaboration d'un ordre social propice à l'épanouissement collectif. Il est crucial de distinguer la theoria aristotélicienne de l'esthétique romantique du détachement ironique. Cependant, notre sensibilité contemporaine, profondément imprégnée de romantisme, nous rend presque incapables d'envisager qu'à une autre époque, on ait pu concevoir la réflexion rigoureuse comme un chemin vers le bonheur. Cette difficulté à nous extraire de notre cadre de pensée actuel nous empêche souvent de saisir pleinement la portée de la conception aristotélicienne.

Pieper, suivant le modèle post-romantique standard de la pensée, suppose que l'objectif est d'éviter les limitations de la raison : "La validité de la pensée repose sur ce que nous percevons par intuition directe ; mais la nécessité de penser est due à un échec de l'intuition. La raison est une forme imparfaite de l'intellectus. La contemplation est donc l'intuition." De plus, il insiste sur le fait que la contemplation est "une connaissance accompagnée d'étonnement", et que "l'étonnement n'est possible que pour celui qui ne voit pas encore le tout". Le problème réside dans le fait que cette prétendue "intuition" n'émerge en réalité que lorsque nous sommes profondément imprégnés d'une idéologie, en particulier celle du système capitaliste. Dans ce cadre, il est crucial pour ce système que notre perception reste fragmentaire, nous empêchant ainsi de saisir pleinement l'ensemble des dynamiques en jeu. C'est-à-dire que le plaisir esthétique que nous tirons d'un beau poème ou d'un paysage dépend exactement de son obscurcissement réussi de certaines caractéristiques causales essentielles. L'impact émotionnel d'un grand poème réside précisément dans sa capacité à suspendre momentanément notre raisonnement habituel, nous invitant ainsi à percevoir différemment la réalité ("veritatis") dans laquelle nous évoluons. Cette pause dans notre mode de pensée ordinaire ouvre la voie à une compréhension plus intuitive et sensible de notre existence. Loin d'être une forme imparfaite d'intuition (noûs, intellectus), la raison joue un rôle crucial : elle nous permet de dissiper les voiles et de transcender les limites de notre intuition. Ces limitations intuitives, profondément ancrées, façonnent notre compréhension quotidienne du monde – une compréhension que nous qualifions souvent de "bon sens", mais qui est en réalité imprégnée d'idéologie. Ainsi, la raison devient l'outil indispensable pour déconstruire et dépasser cette vision du monde souvent trompeuse que nous impose notre intuition.

En fait, nous pouvons la considérer comme un mécanisme récurrent de limitation conceptuelle dans toute l'histoire du bouddhisme, qui a souvent œuvré à circonscrire le potentiel radical de la vision pénétrante de la coproduction conditionnée. Les livres bouddhistes populaires, les retraites et tous les enseignants bouddhistes les plus "en vogue" d'aujourd'hui nous enjoignent d'éviter la "pensée discursive" et de privilégier l'approche intuitive. On nous assure que ce n'est qu'une fois que nous serons allés "au-delà" du piège mortel de la raison que nous pourrons être véritablement heureux.

Et qu'est-ce alors que le bonheur ? Pour Pieper, comme pour les romantiques et pour la plupart d'entre nous aujourd'hui, c'est un état affectif. Nous sommes heureux lorsque nous trouvons satisfaction dans la simple jouissance de ce que nous possédons. Nous ne pouvons pas, suggère-t-il, être heureux en agissant dans le monde. Nous ne pouvons nous sentir heureux qu'en jouissant de la "possession" de quelque chose que nous désirons. Clairement, une notion très capitaliste de ce en quoi consiste le bonheur. Pour Aristote, eudaimonia n'est pas un état passif d'affect, mais une activité. Nous nous épanouissons dans le monde lorsque nous sommes capables de comprendre notre réalité, y compris notre condition d'animal humain, et de déployer pleinement nos vertus, c'est-à-dire nos capacités d'action. À la fin de l'Éthique à Nicomaque, Aristote nous assigne une tâche qu'il poursuit lui-même dans la Politique : mobiliser notre faculté de raisonnement pour nous libérer des pièges de l'intuition et ainsi accroître notre potentiel d'épanouissement.

J'ai toujours soutenu que cette exigence s'impose à nous dès lors que nous reconnaissons la vérité de l'anatman[1] et de la coproduction conditionnée. Contrairement à ce que préconise Pieper, nous ne pouvons pas "consentir au monde dans son ensemble", même "au cœur des larmes et des horreurs les plus extrêmes". C'est cette interprétation erronée de la pensée et du bonheur, de la theoria et de l'eudaimonia, qui nous a menés à la situation actuelle : une multitude d'individus accablés par divers "troubles", plongés dans la misère, et persuadés que leur seul recours est de fuir la réflexion, de se détourner de ce qu'ils considèrent comme de "simples questions politiques", et de choisir le repli devant les défis inhérents à l'existence. Paradoxalement, c'est précisément ce repli, notre incapacité à saisir la réalité de notre monde et à façonner activement notre existence, qui engendre la misère que nous cherchons vainement à soulager par le repli, l’ignorance et une passivité toujours plus prononcés.

En tant que sujet fidèle[2], le bouddhiste se doit de remettre en question, sinon de rejeter, l'approche intuitive, et d'employer sa faculté de raisonnement pour concevoir les moyens les plus efficaces de transformer notre monde. L'insistance de la plupart des bouddhistes occidentaux serait, bien sûr, que ce n'est pas une "pratique". La "pratique" bouddhiste doit prendre la forme de la contemplation détachée que Pieper décrit, et doit au moins promettre de conduire à des états de plaisir affectif, de "joie de la possession". Il est difficile aujourd'hui de convaincre quiconque que la pensée critique et l'effort actif dans le monde pourraient précisément être une forme de pratique, et que le "bonheur" tel que nous le comprenons généralement aujourd'hui est la cause de notre misère, et est l'ennemi de l'épanouissement humain.

Fin du blog

Les illustration avec leurs légendes, ainsi que les notes ont été ajoutées par moi.

"Alors qu'il était encore jeune, le Prince Siddhartha vit un oiseau emporter un ver
qui avait été déterré par la charrue d'un fermier. Cette vision le fit réfléchir à
la triste situation des créatures tuées par d'autres créatures pour se nourrir." (Buddhanet)

Prince Siddharta confronté à la mort (Les 4 rencontres, Baocheng)

***

[1] Taking Anatman Full Strength, by Tom Pepper

[2] Le “sujet fidèle” selon la Théorie du sujet d’Alain Badiou, appliqué au bouddhisme dans p.e. l’article “Naturalizing Buddhism Without Being Reductive” de Tom Pepper.
The historical emergence of Buddhism, what we might in Badiou’s terms call the Buddha Event, occurred at a time when the stagnation of the social system was becoming particularly difficult to maintain. The existing World of the ruling class sought to fix the social system, by insisting on the existence of a pure divine language in which truth existed, and the repetition of formal ritual. The truth that appeared in the world was the rejection of the Brahmanical ideology, the recognition of the socially produced nature of social formations, the chance to break out of stagnation and open up new possibilities for the exercise of human productive and creative potential. Buddhism, in short, is an attempt to produce a new social practice that enables a subject capable of escaping the endless circle of the reproduction of the existing relations of production—a primarily agricultural form of production and a “sacrificial” form of distribution and exchange. The history of Buddhism ever since can be seen as a struggle between the reactionary, obscurantist, and faithful subject, the dialectic of radical forcing of truth and mystical or institutional strategies of containment.”
Ces deux articles cités ont été publiés dans la collection d’essais “The Faithful Buddhist” (2014) par Tom Pepper, disponible sur Amazon.

Autre blog inspiré par un article de Tom Pepper
Un non-soi constructif et constructible




vendredi 27 septembre 2024

Universal Jumpiness: Being and Existence

"Leap of faith" by Jon Marro, here in mirror image

The following is Jamgon Kongtrul (1813-1899) writing about Rangjung Dorje (1284–1339) the third Karmapa’s conception of the workings of the deluded mind.
Deluded mind [citta] consists of the eight impure groups of consciousness.
The essence of that abides as the pure foundation [dag pa'i kun gzhi].
In order to indicate the suchness [nyid] of that, the term "mind itself'' [sems nyid] is used.
The All-knowing Rangjung held that
the eight groups are the five sense consciousnesses, the mental consciousness,
afflictive mind, and the foundation consciousness.
Since the "instantaneous mind" conditions all of those,
when counted together, there are also held to be nine groups.
The sutras mention many terms such as "appropriating consciousness [len pa'i rnam shes],"
"deluded mind" ['khrul pa'i sems], "cognitive obscuration" [shes bya'i sgrib pa] and "foundation consciousness."
Since it is taught that the intrinsic nature [ngang lugs] of the foundation is virtue,
it is essentially self-liberated buddha nature [rang grol bde gshegs snying].
It is not the foundation [gzhi] itself that is removed, but it abides as the foundation [gzhi ru gnas] of what is removed
[1].”
First a reminder
"This mind [citta] is luminous monks, but it is defiled by adventitious defilements. The uninstructed worldling does not understand this as it really is ; therefore for him there is no mental development. This mind is luminous monks, and it is freed from adventitious defilements. The instructed noble disciple understands this as it really is ; therefore for him there is mental development." Aṅguttara Nikāya 1.49-52
When both are reified, “Deluded mind” can become like a non-virtuous spin-off of the “self-liberated buddha nature” [s. sugathagarbha]. The all-ground's intrinsic system (t. ngang lugs) is wholesome (s. kuśala) in itself, but can go awry from an awakened point of view. Like “being” appearing as “existence”, and “essence” taking itself as an object while ignoring it is doing so (“co-emergent ignorance”). This ignored dualism (subject-object) is believed to lead to a wrong (t. ma dag), or laterimpure” (t. ma dag), interpretation of the input of the five senses and consciousness(es) thereof, and of the sixth consciousness processing the input. This initial wrong interpretation leads to afflictions (“afflictive mind”).

Buddhism initially had an instant-based approach (s. kṣaṇa) to reality[2]. Every citta is an instant, and every instant is a citta, and every citta created karma through ignorance and afflictions. In Rangjung Dorje's view that which links these cittas are "instantaneous cittas", a sort of gap cittas[3]. The karma[4] created by wholesome (s. kuśala) and unwholesome (s. akuśala) cittas is thought to constitute a “foundation consciousness” and mature (t. smin) waiting to be triggered and activated, and associated with future cittas through the influence of the “afflictive mind”.

But even within such defunct setup it is possible to purify negative karma and create positive karma, thus improving the opportunities to see through the wrong dualistic interpretation of reality and recognize its Buddha Essence. Without the “co-emergent ignorance” and the “afflicted cittas”, Buddha Essence would then technically allow for a wholesome, non-dualistic and nonconceptual “pure” “existence” mode (as near to “being” as is possible for human bodies), with a wholesome functioning of the senses, ideally a non-engaged mind, and thus without creating new karma. Other possible modes are Gnosis-driven (jñānena), or a “divine mode”, complete with a divine eye (t. lha’i mig) and other purely gnostic divine faculties and siddhis. To non-initiates it may still look like a human body from the outside. Should we call it human? Posthuman? Buddha Essence traditions seem to leave a choice between the path of a bodhisattva who dwells in saṃsāra (while being spiritually based in the bhūmis, Akaniṣṭha or Sukhāvatī etc.) and with extraordinary knowledge and powers (abhijñā), or the path a vidyādhara etc. dwelling beyond saṃsāra and nirvāṇa, and operating through emanations in divine mode.

On the path of the bodhisattva, nonconceptuality is said to be achieved through suspending conceptuality/duality by not engaging mind and not investing it in dualist options. On the path of the vidyādhara, and in particular one following the Guhyagarbha Tantra, nonconceptuality and nonduality are also incidentally achieved through plugging directly (t. rig pa) into the Ground (gzhi) after having duly prepared one’s body, speech and mind. 

The main difference between both approaches seems to be that the former is genuinely non-dualist, whereas the latter is monist. The former is a nonconceptuality that is both beyond conceptuality and the absence of it, whereas the latter accesses “something”, an ever present essence, that can be attained, realized, re-actualized or identified with. This realization is thought to be beyond nonconceptualisation and non-duality, which in fact have no more meaning and reason-to-be within its monism, apart from perhaps “removing” empty veils and thereby facilitating to discern and "realize" it. It’s another game altogether.

Sarma traditions seem to hesitate between these two approaches or combine them, whereas in the Nyingma approach, more specifically Dzogchen, monism seems to have absolute priority. It seems to me that in our 20th-21st century, Sarma traditions moved further towards a monist approach too. One Vehicle: Tantric (4-mudrā) Mahāmudrā, and visionary Dzogchen, one object of valid knowledge (s. prameya): Divine Logos, one Source: the single Dharmakāya Sphere (t. chos sku thig le nyag gcig) where Space and Gnosis/Discernment meet, one moment: the first moment where subject and object still coincide or are one, one Guru: the root guru, one faith: no doubt (t. yid gnyis med pa s. vimati, vicikitsā). And the one-pointed arrow will hit the primordial bull’s eye.

The first moment where subject and object are thought to coincide, and the world is still perfect (“die Ganzheit der Welt”, Schleiermacher), is the moment the target is hit spontaneously. First thought best thought, probably because it isn’t really a thought (s. vikalpa) yet. When we return to the discussion above about the role of the instantaneous citta or immediate mind (t. de ma thag pa’i yid s. samanantaramanas), in theory this citta precedes the bull’s eye. The first perfect moment (t. skad cig dang po).
For the practitioner [nyams len pa], this means that just as soon as the instantaneous mind barely arises [langs pa tsam nyid las] from the foundation consciousness, without any extension of duration [rgyun mi mthud de yi steng du bzhag], you should place the attention directly upon it. This is called liberation in the first moment [skad cig dang por grol], or vanquished at first sight [‘bur ‘joms mgo thug[5]], in certain doctrinal terms. When the sixth mind consciousness and afflictive mind have just arisen [langs tsam nas], and are recognized [zin] through mindfulness [dran pas] and thus liberated in their own place [rang sar grol], it is called liberation in the second or third moment [skad cig gnyis pa gsum par grol]. However, since that discursive thought [rnam rtog, s. vikalpa] is the dynamic energy of mind [sems kyi rtsal], it is impossible for thoughts [rtog pa] of attachment and aversion not to arise. However, if you rely on mindful awareness [dran shes], discursive thoughts cannot accumulate karma. It is like pouring water into a vase with a hole in the bottom[6].”
This method doesn’t require Deity Practice and all it implies. Similar ideas about a first moment where Paradise is still whole, complete with Adam and Eve, before the Fall, can be found in other traditions, mostly theistic.
But when finally afflictive mind has taken over, for an ordinary person without recourse to view, meditation, and action, habitual patterns imprinted on the foundation will accumulate. For that reason you should try not to fall under its power.” (Creation and Completion)
In The Making of Buddhist Modernism (2009), David L. McMahan explains how the German idealist Friedrich W. J. Schelling sees "the restoration of Paradise".
Through “intellectual intuition,” the subject recognizes this activity, along with its own ultimate identity with objects. Restoring this lost identity between the self and the world is true happiness and overcomes the “fall”—the arising of opposition and differentiation out of the primordial unity of the spirit. All human beings are ultimately one, though on the empirical level they appear as many. The infinite absolute, however, is ineffable and beyond all distinctions (Schelling 1800 [1978]; Marx 1984).”
Another German idealist, Friedrich Schleiermacher, focuses on the “first moment” of purity.
Schleiermacher understood religion as an intuition or feeling of the Infinite: “the immediate consciousness of the universal existence of all finite things, in and through the Infinite, and of all temporal things in and through the Eternal” (1988: 47[7]). This experience of “the Whole” [Ganzheit] or “God” does not occur through the intellect or reason but through a prereflective awareness that precedes the division between subject and object.” (McMahan 2009)
For Schleiermacher the pinnacle of religious experience and feeling (Gefühl) was a direct, intuitive awareness of the Infinite or the Universe.
"The intuition (Anschauung) and the feeling that the intuited (das Angeschaute) triggers are immediately connected in the first moment, the 'highest bloom of religion'. In this moment, the Universe reveals itself."[8]
This implies there is a “prereflective awareness” (or similar) before “mental engagement” (t. yid la byed pa s. manasikāra), that has access to a full “nonconceptual” experience of “the Universe”, “the Whole”, before it is “known” through subject-object. Is it possible to remain, to dwell or to abide continuously in “prereflective awareness” or in prereflective mode? Or, from the POV of a Buddhist instant-based approach, to successively jump on each “first moment” (Infinite) as soon as it emerges? And would this be worth its while?

The 8- or 9-consciousnesses theory also seems to want us to jump on each first undivided moment to avoid “deluded mind” in a sort of “awakened jumpiness” or “jumpy awakening”, and, with time, this could become a routine… One would automatically pick the "first moments". Once a routine, one merely needs to sit out the natural exhaustion of the residual karma of the Foundation consciousness and … Poof!

Plugging into the Infinite, the Divine, the Whole, Other Power etc., in the divine mode, would allow to wholly bypass mind, including prereflective awareness, moment jumping, and even ejaculating the sound Phaṭ to cut conceptuality[9] would be superfluous. We and all we are, we are not the solution, we are the problem, but from a Divine point of view, we are also that which allows the Divine to know itself as the Divine. Why would the Divine or Essence need to know itself one may wonder? It is said it is too full of itself and overflows (Ausfließen[10]), thus giving rise to existence, Universal jumpiness.

***

[1] From Sarah Harding, Creation and Completion, Essential Points of Tantric Meditation by Jamgon Kongtrul, Wisdom Publications, 2002, p. 51

rnam shes tshogs brgyad ma dag 'khrul sems yin//
de yi ngo bor dag pa'i kun gzhi gnas//
de la nyid sgras smras bstan phyir sems nyid bya//
sgo lnga'i rnam par shes dang drug pa'i yid//
nyon yid kun gzhi'i rnam shes bcas pa la//
tshogs brgyad zhes su rang byung kun mkhyen bzhed//
de ma thag yid de kun 'du byed phyir//
zur du mi 'dren tshogs dgur bzhed pa'ang yod//
mdo las len pa'i rnam shes gsungs pa dang*//
'khrul pa'i sems dang shes bya'i sgrib pa dang*//
kun gzhi'i rnam shes ming gi rnam grangs yin//
kun gzhi ngang lugs dge ba zhes gsungs phyir//
de yi ngo bo rang grol bde gshegs snying*//
bral bya'i gzhi min bral ba'i gzhi ru gnas//

[2]Cittas which are resultant states of consciousness, vipāka, the effects of previous kamma.

Cittas which are causes for action (kamma) through body, speech, or mind. We may call these "causative cittas." A wholesome citta (kusala citta) will issue in wholesome action and an unwholesome one (akusala citta) in unwholesome action.

Cittas which are neither kamma nor its result. These are called kiriya cittas. They are kammically ineffective, being merely functional. Some kiriya cittas perform simple functions in the process of consciousness, others represent the actions and thoughts of arahants, who no longer generate fresh kamma
.” The Abhidhamma in Practice by N.K.G. Mendis © 2006

[3]When the sixth mind is counted together with the instantaneous mind, perceiving externally with the five senses, it is the object;”

[4]when the afflictive mind functions with the instantaneous mind, directed inward, it leaves habitual patterns in the foundation.”

[5] Also seen as phrad 'joms, e.g. in Geshe Chakriwa’s instructions (lcags ri ba), one of Gampopa’s teachers. Gampopa mentions this in his rNam rtog don dam ngo sprod. See also Serlingpa’s song Blo sbyong rtog pa 'bur 'joms.

[6] Sarah Harding, Creation and Completion, Essential Points of Tantric Meditation by Jamgon Kongtrul, Wisdom Publications, 2002, p. 55

[7] Schleiermacher, Friedrich. On Religion: Speeches to Its Cultured Despisers. Translated and edited by Richard Crouter. Cambridge: Cambridge University Press, 1988

[8] Friedrich D. E. Schleiermacher, Über die Religion. Reden an die Gebildeten unter ihren Verächtern (1799)
Die Anschauung und das Gefühl, das das Angeschaute auslöst, sind im ersten Moment unmittelbar miteinander verbunden, die „höchste Blüthe der Religion“. In diesem Augenblick offenbart sich das Universum.”

[9]As for the view, Longchen Rabjam, the instruction is the three statements that strike the vital point. As a means of introducing the view, first, relax and release your mind without contriving. Wisdom has always been present from the very beginning, so rest in a state that is neither scattered, nor concentrated, without thoughts. When you do so, as a beginner it is impossible to avoid attachment to experience, so, while resting in this even state, at ease, suddenly let out a mind-shattering ‘phaṭ!’, in order to reveal naked and transparently clear awareness. To cut the chain of thoughts make the sound of 'phaṭ' fierce, forceful and abrupt. Emaho! Immediately you will experience awareness without reference point, nakedly clear dharmakāya, wisdom that is beyond the ordinary mind.” Annotation Commentary on the Special Teaching of the Wise and Glorious King, by Pema Kunzang Rangdrol

Dang po rang sems ma bcos par lhod de bzhag/ ye shes ye nas rang la yod pas/ mi spro mi bsdu rnam rtog med pa'i// ngang la mnyam par bzhag kyang las dang po pas nyams zhen las 'da' mi srid pas/ ngang la phyam gnas lhod de'i ngang*// rig pa zang thal rjen pa ngo sprod pa'i phyir/ thol byung blo rdeg phaT cig rgyab// rnam rtog gi rgyun thag bcad phyir phaT sgra drag la ngar thung e ma ho// de ma thag rig pa gtad so bral ba chos sku zang thal rjen pa sems las 'das pa'i ye shes ci yang ma yin had de ba// had de ba la zang thal le// skye 'gags sogs mtha' dang bral ba/ ye shes bsam brjod bral ba zang ma thal byung brjod du med pa de ni gzhi gnas rig pa chos sku'i rig pa ka dag spros bral gyi lta ba yin pas ngos zungs shig/ ye shes rang la gnas pa yin gzhan nas btsal du yod pa min pas/ ngo rang thog tu sprad pa ste gnad dang po'o//

[10]You should know that God must act and pour Himself into the moment He finds you ready.” [Eckhart, German sermon 4, trans M.O’C. Walshe]
There is a power in the soul which touches neither time nor flesh, flowing from the spirit, remaining in the spirit, altogether spiritual.” [Eckhart, German sermon 7, trans M.O’C. Walshe]

So, when I am able to establish myself in nothing, and nothing in myself, uprooting and casting out what is in me, then I can pass into the naked being of God, which is the naked being of the Spirit.” [Eckhart, German sermon 7, trans M.O’C. Walshe]

dimanche 22 septembre 2024

All appearances are divine and luminous

Rongzom Chokyi Zangpo, detail, Rubin Museum of Art

In my series of blogs (both in French and in English) on “Luminosity” and other divine Light metaphors, I try to look at general characteristics that esoteric Buddhism, and more specifically Mahāyoga, the Guhyagarbha Tantra and Dzogchen may share with the theology of more overtly theistic traditions like Hermeticism, Gnosticism, Neoplatonism, etc. In the previous blog (Esoteric Buddhism as self-deification), the present one (All appearances are divine and luminous) and in blogs to come, I am trying to summarize some of my research on this theme.

The term Luminosity (s. prabhāsvaratā t. ‘od gsal), initially used as a metaphor[1], became an indispensable doctrinal element (“Sheer Luminosity”) in Mahāyāna and esoteric Buddhist theology, as I tried to convey through many examples in a long series of exploratory blogs (keywords Luminous, Light, Lumineux and Lumière). A key moment in the Luminous evolution was the introduction of a “Buddha Essence” (s. buddhadhātu) during the so called “Third Turning of the Wheel”. Sometimes there is said to have been a “Forth Turning”. That would certainly be in line with Luminosity taking on a definite divine turn. The coining of a Third Turning also corresponds to the time where Buddhist teachings were being classified in those having a “definitive meaning” (s. nītārtha t. nges don) and those having a “provisional meaning” (s. neyārtha t. drang don). The Buddha Essence theory was said to have a “definitive meaning”, no longer a “skilful means” (s. upāyakauśalya) or a “conditionally adopted position” (s. vyavasthā)[2], and so were the transmissions on the Vajra Body and Vajra Yoga, required to develop the Light vehicle.

Because of the idealist perspective of Luminosity/Divinity, the world of phenomena and facts is ultimately illusory or unreal, and exists only as “appearances” (s. ābhāsa t. snang ba), reflections or manifestations of a deeper, more fundamental reality. These can appear “pure” or “impure” from a divine point of view, and “correct” or “mistaken” from a conventional point of view, according to an individual’s spiritual and/or philosophical progress.

With time “Luminosity” and its numerous derivations have become more definite and absolute. It’s “inseparability” from a token emptiness (s. śūnyatā) kept/keeps it within the fuzzy frame of Mahāyāna Buddhist doctrine, but in all practical matters “Luminous” can be interpreted as “Divine”. Adepts of Luminosity even go as far to declare that emptiness can’t realize non-duality simultaneously (t. gcig car du), whereas “ (monist and divine) Luminositycan.

This point was made repeatedly by teachers such as Rongzompa (11th)[3], Longchen Rabjam (14th), Ju Mipham[4] (19-20th) etc. The same teachers were also most explicit about the divine nature of appearance(s) (t. snang ba), or Luminosity (t. gsal ba, ‘od gsal). All three teachers commented on the Guhyagarbha tantra, The Secret Essence Tantra, “Reality Ascertained” (or “Definite Nature Just As It Is”). Ju Mipham explains that the “Essence” is the Buddha Essence with its primordially “enlightened body, speech, and mind”, the Trikāya. It is “secret”, concealed, because “due to the veils of temporary obscurations” it is not accessible to the non-initiated. All phenomena of saṃsāra and nirvāṇa are inseparable with this primordially enlightened state[5].

The “phenomena of saṃsāra and nirvāṇa” are appearances (t. snang ba), and all appearances were/are established as divine by Rongzompa (11th) and others. Under the caveat that this work (“Gsang sngags rdo rje theg pa’i tshul las snang ba lhar bsgrub pa”), which only surfaced in the twentieth century in four different editions, had indeed been authored by Rongzompa.[6] The arguments found in this short work are very much in agreement with those exposed by Ju Mipham (19-20th) in his Luminous Essence Commentary on the Secret Essence Tantra (“Gsang ’grel phyogs bcu’i mun sel gyi spyi don ’od gsal snying po”). Rongzompa’s Establishing Appearances as Divine reads as very much as an apology or a defense.
All phenomena are, in this way, primordially, fully, and completely enlightened. Phenomena appearing as various attributes are, therefore, indeed the maṇḍala of vajra body, speech, and mind. They are like the Buddhas of the three times, never transcending the essence of complete purity. Sentient beings and Buddhas are not differentiated in terms of their essence. Just like distinct causes and results appearing in a dream, they are nothing but perceptions of individual minds brought forth by the power of imputation.”

“Delusion is, by its own [Luminous] essence, completely pure and, hence, enlightened.
[7]
The Secret Essence, the divine maṇḍala of Vajra body, speech, and mind is also called the Ground (t. gzhi). This is the abiding reality/natural state of the Ground (t. gzhi’i gnas lugs), and all its appearances (t. gzhi snang) are “rigpa-dharmakāya” (t. rig pa chos kyi sku)[8].
Remaining genuinely is the dharmakāya,
Accompanying awareness is the sambhogakāya,
And the non-duality of stillness and movement is the nirmāṇakāya.
This is what we call the “three-kāya rigpa
[9].”
The conceptual mind doesn’t allow access to the divine maṇḍala of the Ground, and it can not perceive as such the divine appearances (t. lhar snang), pure appearances (t. dag snang), the appearances of the maṇḍala of the Ground (t. gzhi snang), which are the Ground’s own inherent appearances (t. rang snang), i.e. as epiphanies (or theophanies), but only in an adulterated (impure, t. ma dag) form, as objects of a dualist perception.

If appearances are not “seen” or rather not directly intuited (t. rig pa) as the “pure” or “divine” appearances of the Ground maṇḍala, then they turn into “impure” appearances, even if they were to be correctly perceived through valid cognition (s. pramāṇa). The latter Ju Mipham calls a “confined vision” (t. tshur mthong). Through this vision one may be seeing ordinary (impure) things without error (s. bhrānti)[10], perhaps even non-dualistically or without mental engagement, but without intuiting them as divine appearances, such as gods, mantras, maṇḍalas etc. According to the above mentioned Nyingma teachers, this is not seeing things “as they really are”, because appearances are divine… Confined vision does not allow for:
[seeing] the appearance of as many buddha-fields as there are dust motes in the world in a single dust mote, performing activities of many eons in a single moment, displaying emanations while not departing from the unchanging basic space of phenomena, and knowing all objects of cognition in a single instant with a nonconceptual mind[11].” (Luminous Essence, p. 49)
Unless appearances are seen as divine, they are not seen as they really are. This turns into circular reasoning:
Likewise, unless ordinary body, speech, and mind are understood to be divine, and revered [as divine], their [divine] qualities will not be seen. However, it is observed that [divine] qualities manifest wherever [body, speech, and mind] are understood and revered [as divine][12].” (Establishing Appearances as Divine, p. 98)
In order to see them as divine, one has to start viewing them as such through Deity Practice. "If you want to believe, pray; and you will believe." (Blaise Pascal, Pensées, section 418)

Here, we are however said to be in a different situation than Pascals solution. A preparation is required, and one sets off with conceptual means. Through “realizing the intrinsic nature by wisdom”, compassion and aspiration prayers (t. smon lam), one gets as ready as one can in order to receive the required grace and accomplishment (s. siddhi), allowing for direct, non sensorial, non conceptual access, Light on Light, through a channel of Light.
“[Some individuals with pure vision] will say, “Dear friends, these appearances of ordinary bodies and enjoyments commonly perceived by us human beings are, in fact, the divine maṇḍala as perceived by pure individuals. If an individual who has free access to the field of pure experience grants us accomplishment, then, even to us human beings, those objects will appear as divinities and we will experience them as such. It is just like when, from time to time in the past, some of us human beings gained accomplishment and thereby achieved the divine field of experience.[13]” (Establishing Appearances as Divine, p. 101-102)
“[T]he appearances to ordinary [perception] are shown to be a delusion, or deluded perceptions, while the appearances of divinities are not delusion, or are appearances free from delusion. This should be realized with certainty.[14]” (Establishing Appearances as Divine, p. 104)
The same appearances are seen by the pure as divine and by the impure as ordinary or worse, through their habitual patterns (s. vāsanā). These patterns are the objects of purification in Deity Practice.
As long as there appear completely pure bodies and fields of experience, as well as completely impure bodies and fields of experience, then, since all that is differentiated with reference to location and time are appearances of a single moment of the all-ground consciousness, [the achievement of pure appearance] is not in any way an achievement of primordial properties. Just as, for example, the characteristics of space are not established within space. This is also an unmistaken proof.[15]” (Establishing Appearances as Divine, p. 108)
The single moment argument is a more important point IMO, when leaving aside the distinction between pure divine and impure bodies and fields. No reference to space and time, nor BTW to all-ground consciousness… “The characteristics of space are not established within space”. Then how can the divine qualities of Buddha Essence be established in Buddha Essence? As for all-ground consciousness, for Rongzompa, there is no distinction between the eight collections of consciousness, from a non-deluded level. More on that another time.

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[1]"This mind is luminous monks, but it is defiled by adventitious defilements. The uninstructed worldling does not understand this as it really is ; therefore for him there is no mental development. This mind is luminous monks, and it is freed from adventitious defilements. The instructed noble disciple understands this as it really is ; therefore for him there is mental development." Aṅguttara Nikāya 1.49-52

[2] See Buddhist Philosophy of Language in India, Jñānaśrīmitra on Exclusion, Lawrence J. McCrea and Parimal G. Patil, Columbia University Press, New York, 2010, p. 26

[3] Heidi I. Koppl, Establishing Appearances as Divine, Rongzom Chokyi Zangpo on Reasoning, Madhyamaka, and Purity, 2013, Snow Lion

[4] Jamgon Mipham, Luminous Essence: A Guide to the Guhyagarbha Tantra, Dharmachakra Translation Committee, Snow Lion, 2009

[5] Luminous Essence (2009), p. 6. The innate Trikāya and their respective associated contemplative experiences:
dharmakāya - non-conceptuality (t. mi rtog)
saṃbhogakāya - luminosity, clarity (t. gsal ba)
nirmāṇakāya - bliss (t. bde ba), as the meeting of non-conceptuality and luminosity

[6] Establishing Appearances as Divine (2013), p. 109

[7] Establishing Appearances as Divine (2013), p. 96

[8] Vajra Verses on the Natural State revealed by Rigdzin Jigme Lingpa

gzhi yi gnas lugs spros dang bral:
gzhi snang rig pa chos kyi sku:

[9] gnyug mar gnas pa chos kyi sku:
shes bzhin 'char ba longs spyod rdzogs:
gnas 'gyu gnyis med sprul pa'i sku:
sku gsum rig pa de la zer:

[10]Liberation is merely the end of error” (Mahāyānasūtralaṅkara IX, 3)

[11] rdul gcig gi khyon la rdul snyed kyi zhing snang ba/ dus skad cig la bskal pa mang po'i mdzad pa ston pa/ chos dbyings 'gyur med las ma g.yos bzhin du sprul pa'i rol pa ston pa/ rnam rtog dang bral ba'i [96] thugs kyis shes bya thams cad dus gcig tu mkhyen pa sogs/ bsam gyis mi khyab pa'i spyod yul gang zhig tha mal pa'i tshur mthong gi yul du 'gal ba lta bur snang ste bsgrub par mi nus pa rnams p96-97

[12] tha mal pa'i lus dang ngag dang yid kyang lhar ma shes shing ma bkur na/ yon tan mi dmigs te/ shes shing bkur bas gzhi de nyid las yon tan dmigs pa'i phyir ro//

[13] kha cig gis yongs su dag pa'i gang zag rnams kyis lha'i dkyil 'khor du mthong ba dang /gsang sngags kyi tshul las lha'i dkyil 'khor nyid yin par ston pa'ang thos te/ de las la la ni tha mal pa'i lus dang longs spyod du snang ba ni dngos po'i mtshan nyid de/ lhar mthong ba ni kun brtags pa la sogs par 'dod pa la/ kha cig ni tha mal pa'i lus dang longs spyod ni snang ba _ma dag pa yin pas/ gang zag dag pa rnams kyis mthong ba dang*/_gsang sngags kyi tshul las grags pa bzhin du/ lha nyid dngos po rnams kyi mtshan nyid yin par 'dod pa las/ des smras pa/

grogs po dag bdag cag lta bu mi rnams la mthun par snang ba'i tha mal pa'i lus dang longs spyod yul du snang ba 'di ni/ gang zag dag pa rnams kyis mthong ba bzhin du lha'i dkyil 'khor nyid yin te/ dag pa'i spyod yul la spyod par dbang ba rnams kyis dngos grub byin na mi rnams la yang spyod yul 'di dag lha nyid du snang zhing longs spyod du yod pa'i phyir bdag cag lta bu'i mi las sngon cad par dbang ba rnams kyis dngos grub byin na lha'i spyod yul la longs spyod du yod pa'o/

[14] de bas na khyab pa nges pa'i gtan tshigs 'di nyid kyis tha mal par snang ba ni snang ba 'khrul ba'o// 'khrul ba'i snang ba'o// lha ni snang ba ma 'khrul ba'o// ma 'khrul pa'i snang ba'o// zhes nges par rtogs par bya'o//

[15] mdor bsdus te bsgrub par bya na ji srid du yongs su dag pa dang ma dag pa'i lus dang spyod yul du snang ba yul dang dus la sogs pa rnam pas rab tu phye ba thams cad ni kun gzhi rnam par shes pa'i skad cig ma gcig gi snang ba yin pa'i phyir gdod ma thob par bya ba'i chos ni gang yang med de/ dper na nam mkha' la nam mkha'i mtshan nyid sgrub tu med pa bzhin no// zhes bya ba 'di yang skyon med par grub pa yin no//