dimanche 12 mai 2024

Le Christ comme Sad-guru

Christ, Saint Pierre, Marseille

Le très positif Soi “lumineux” annoncé dans le Mahāyāna Mahāparinirvāṇa-sūtra, et développé dans les doctrines de l’essence de Bouddha (buddhadhātu, tathāgatagarbha, etc.), a fini par neutraliser et remplacer les approches apophatiques du non-soi (anatta), de la coproduction conditionnée (pratītyasamutpāda), de la non-essentialité (asvabhāva) et de la vacuité (śūnyatā). Avec l’intégration du culte divin, comme “moyen habile” (upāya) par Ratnākaraśānti (ca. 970-1045 C.E.) et d’autres, le lien “lumineux” entre le Soi et le Divin était confirmé, les qualités naturellement présentes au niveau du Soi, bien que obnubilées, étant parfaitement actualisées au moment de la réunion du Soi et sa source divine “lumineuse”. Les bouddhistes pratiquant les formes anciennes (les “deux premiers tours de la roue”) étaient fréquemment insultés, dénigrés et accusés d’avoir trafiqué l’enseignement du Bouddha (“voleurs de bétail[1]”, “sots”, “hoi polloi”, “débutants[2], …).

Le bouddhisme ésotérique n’utilise les méthodes anciennes (apophatiques) que pour déterminer ce que le Soi n’est pas, et à partir de là s’engage dans la voie positive de la déification ou "bouddhification" du Soi lumineux, éventuellement porteur des qualités intrinsèques Lumineuses de la Luminosité-source ou du Divin qu’il veut réintégrer. Autrement dit, l’objectif commun du hindouisme, la réalisation que le Soi individuel (ātman) n’est autre que le Brahman, le Soi universel ou divin. Avec ou sans qualités inhérentes (guṇa). Pour l’indien Ramunaja (11ème) et le tibétain Longchenpa (14ème) c’était avec qualités inhérentes s'il vous plaît.

Le rapprochement du Soi individuel (ātman) du Soi universel (Brahman) passe souvent par la pratique d’une divinité. Cela vaut pour l’hindouisme et pour le tantrisme, bouddhiste ou non-bouddhiste, qui passent par le théisme et toutes les pratiques associées pour atteindre leur objectif. Bien sûr, on peut dire que ce théisme n’est qu’un moyen habile (upāya) ou méthode provisoire (vyavasthā), on peut interpréter à l’infini le symbolisme théiste au niveau de “qualités” de l’esprit, archétypes, le sacrifice ultime de l’ego, que tout ceci est vide en essence, que seule l’efficience est réelle, etc. etc. Comment savoir ce qui se passe au for intérieur d’un individu ? Mais les croyances et pratiques théistes sont bien là. Pourquoi ces symboles-ci et pas d’autres ?

Il y a eu des tentatives, y compris dans l’hindouisme, de développer des méthodes de “libération” plus directes, mais toujours avec le même arrière-fond théiste. Ainsi, il y avait un Ramana Maharshi (1879 - 1950), qui vu de l’extérieur ressemblait davantage au Bouddha qu’un tantriste bouddhiste. Sa méthode était l'enquête du soi (ātma-vicāra ou jñānayoga) : “Se concentrer de manière continue sur la source intérieure du "je" ou "je suis", afin de découvrir le vrai Soi, ou Ātman. Cette pratique vise à transcender l'ego et à réaliser directement la non-dualité du Soi.” Peut-on réellement parler de “non-dualité” si au fond le Soi Lumineux est depuis toujours, essentiellement, inséparé du Soi divin? N’est-ce pas plutôt une non-dualité moniste ? Il semblerait que Ramana Maharshi n’ait pas suivi de méthode théiste, simplement cette enquête du soi continue. Sa transmission spirituelle passa par des sessions de questions et réponses, alimentant ainsi l’enquête du soi de ses étudiants. Cela ressemble à l’Introduction (t. ngo sprod), telle qu’elle est expliquée par Khenpo Tsultrim Gyamtso Rinpoche et telle qu’elle se déroule comme dans la rencontre entre Milarepa et le jeune berger Ras pa sangs rgyas skyabs (Mi la mgur ‘bum).

Dans le bouddhisme ésotérique du Tibet, l’Introduction (t. ngo sprod) ne suffit pas. Après celle-ci, il convient de s’engager dans le Vajrayāna, le Dzogchen ou une autre voie théiste ou moniste ésotérique pour arriver au plus vite à la réalisation la plus Lumineuse et la plus complète. Quand on présente le bouddhisme tibétain de façon générale, à une audience générale, c’est la méthode directe qui est présentée. Quand on s’y engage réellement, on aura affaire à une religion avec tout ce que cela implique, notamment les “appareils idéologiques”.

Rien n’empêche un bouddhiste ou un adepte de Ramana Maharshi de se limiter à l'enquête du soi, ou de préserver la reconnaissance de la nature de l’esprit tout en pratiquant le triple entrainement (s. triśikṣā t. blab pa gsum). Pour les suiveurs de “la troisième tour de la roue”, cela ne suffit pas, car il manquerait une méthode de déification ou d’autodéification (ou “bouddhafication”) du Soi lumineux.

Quand on regarde la quantité et la diversité des divinités tantriques, souvent adoptées, adaptées et améliorées de traditions plus anciennes, on voit bien que ce qui importe n’est pas la forme spécifique d’une divinité. Le symbolisme des attributs, etc., ne sert qu’à ancrer la divinité dans une tradition ou transmission spécifique. Le phénomène même des avatars montre que ce sont la “Luminosité” (Noûs, Logos) et une autorité divine qui priment. Un occidental avec un passé chrétien pourrait par exemple suivre un parcours bouddhiste classique, et, si affinité, passer à la déification/bouddhafication, conformément aux voeux de Ratnākaraśānti et d’autres, mais en prenant le Christ pour divinité intermédiaire. Le Christ est un Logos pour le moins aussi Lumineux qu’un Bouddha cosmique ou un Mañjuśrī.
(5) Par conséquent, la méditation des deux [l'esprit en tant que divinité et la vraie nature des divinités en même temps], parce qu'elle est extrêmement agréable pour l'esprit et parce qu'elle est une consécration (abhiṣeka) particulière, permet d'obtenir très rapidement l'éveil parfait le plus élevé.[3]"
Le moine bénédictin Henri Le Saux alias Abhiṣiktānanda (1910-1973) avait fait le chemin inverse, en intégrant l'Advaita Vedanta avec sa propre foi chrétienne, et en suivant Ramana Maharshi pendant un temps. Henri Le Saux avait cherché à expérimenter directement la présence de Dieu, qu'il a identifiée avec le Soi de l'Advaita Vedanta. Cette expérience directe transcendait selon lui les limitations des doctrines et des pratiques religieuses traditionnelles. La figure du Christ était pour lui une manifestation du Soi universel.
Le Christ ne perd rien de sa vraie grandeur quand il est libéré des fausses grandeurs dont l'avaient attifé les mythes et la réflexion théologique. Jésus est l'épiphanie merveilleuse du mystère de l'Homme, du Purusha (14), du mystère de chaque homme, comme le fut le Buddha, et Ramana et tant d'autres. Il est ce mystère du Purusha qui se cherche dans le Cosmos. Son épiphanie est fortement marquée par le temps et le lieu de son apparition en chair » (2.1.73).[4]

Je me sens profondément hindou et profondément chrétien, mais mon vrai guru, mon sad-guru, c’est le Christ. C’est dans sa conscience universelle que je dois me perdre moi-même et me sentir en tout ; oublier mon propre aham, mon petit je, dans son Je majuscule, Aham divin.” (Journal intime, 1950)
Avec toutefois cette particularité qu’il ne tourne pas le dos à la terre et aux terriens, et qu’il ne cherche pas à sauver des âmes, à restaurer l’Ordre ou à discipliner les êtres. Pas de fuite en la Conscience universelle du haut, éventuellement suivi de missions de conversion en bon soldat ici-bas.
Libéré, le yogi chrétien est libérateur. Le disciple de Bouddha, a appris à répandre sa compassion sur tous les êtres. Le discple de Jésus n'a même pas à exercer consciemment cette compassion, qui parfois se nuance de façon pénible de condescendance envers qui n'a pas encore trouvé la voie de la libération.” (p. 289-290)

L'homme qui aime et sert à la suite de Jésus est un libéré, d'une libération combien plus vraie que cette pseudo-libération qui consiste en un ersatz d'expérience au niveau du concept et dont se contentent trop les soi-disant védantins et yogis d'Inde et d'Europe. Il a « défait les nœuds de son cœur », comme dit l'Upanishad; cette attache de soi au monde mouvant de ses désirs et de ses identifications successives, à ce qu'il pense, perçoit, sent et désire; il est libéré de cet égoïsme qui est la source de toute peine et de toute crainte. Bien sûr les vagues des passions intérieures et des attaques et appels du dehors continueront à déferler sur lui; il en sentira souvent l'angoisse (car le stoïcisme n'est pas son idéal), comme Jésus lui-même, spécialement en son agonie à Gethsémani; mais cette angoisse n'affectera jamais son être profond, le lieu en lui du Pneuma, de l'Esprit. Au milieu de toutes les contradictions et souffrances il gardera sa paix et sa joie profonde. Différent du stoïcisme, cela ne l'est pas moins du nirvāna objet de pensée, et dont le concept précisément marque la vie du bouddhiste qui n'en n'a pas encore l'expérience, l'anubhava. Le disciple de Jésus continue à s'intéresser à ses frères, aux problèmes des hommes et à ceux de la société dans laquelle il vit, mais l'intérêt qu'il leur porte n'est ni dispersant ni distrayant, ni non plus asservissant, car ce prochain qu'il aime, qu'il sert et dont il veut le salut est précisément ce mystère le plus profond de soi-même. (p.289)

La Présence transparaît dans le prochain aussi certainement qu'elle transparaît en Jésus. La foi en Jésus n'est pas intégrale si elle ne se plénifie pas en la foi en l'homme, en la reconnaissance de la divine filiation, ou, si l'on préfère, de l'appel divin à être fils de Dieu à l'origine même de l'être de chaque personne humaine. (p. 288)
Fils de Dieu, fils de Brāhma, fils du Bouddha… L’avantage du Christ comme “divinité médiatrice”, ou modèle (voir aussi la Christo-fiction de François Laruelle), serait notamment son plus grand intérêt, pour les problèmes des hommes et ceux de la société, à condition que le Royaume soit possible ici-bas. L’autre avantage est qu'une approche “bi-religieuse” a de plus grandes chances d’éviter les pièges dogmatiques et sectaires. La désacralisation du Bouddha (voir aussi la “Buddho-fiction” de Glenn Wallis) et du Christ libérerait ce modèle d’interprétations strictement religieuses et dogmatiques et offrirait de nouvelles manières d'engager des questions philosophiques et existentielles.

L’incarnation du Bouddha en Occident ne s’est pas déroulée comme beaucoup parmi nous (de la première et deuxième génération) l’avaient souhaité. Le décalage entre les attentes et les réalités du “bouddhisme” était trop grand. Le Bouddha n’était pas aussi rationnel et raisonnable que sa présentation en Occident le faisait croire. Ne parlons pas de science, y compris "de l'esprit". Le colonialisme et l’orientalisme ne sont d’ailleurs pas les seules raisons du malentendu. Le “bouddhisme” réel, tel qu’il est vécu et pratiqué en Asie est bien plus éloigné des valeurs occidentales contemporaines, que la version qui en était présentée. Le bouddhisme est incarné en Asie, c’est-à-dire il a des racines profondes grâce à ses “Appareils Idéologiques d’État (AIE)”. Le bouddhisme présenté en Occident est arrivé à la suite d’autres spiritualités non-incarnées (hermétisme, ésotérisme occidental, théosophie, New Age, etc.). Leur exotisme peut séduire un certain temps, mais sans incarnation elles ne dureront pas, surtout s’il ne reste pas d’atomes crochus avec le temps, et qu’il y a une rotation rapide de sympathisants. D’ailleurs, le bouddhisme n’est pas à l’abri d’abus de tout genre.
« L'erreur habituelle de l'Occidental (et notamment des théosophes) est de se comporter comme l'étudiant de Faust qui suit les mauvais conseils du diable, de tourner le dos à la science, de s'adonner à l'extase orientale, de prendre à la lettre les exercices de yoga et de devenir un pitoyable imitateur. La théosophie est le meilleur exemple de cette méprise. En agissant ainsi, il abandonne l'unique terrain sûr de l'esprit occidental et se perd dans un brouillard de mots et d'idées qui ne seraient jamais sortis de cerveaux européens. »

« C'est pourquoi il ne s'agit pas d'imiter artificiellement les peuples lointains, voire de leur envoyer des missionnaires, mais de bâtir sur place la civilisation occidentale qui souffre de mille maux, et de prendre pour cela l'Européen réel dans sa vie quotidienne d'Occidental, avec ses problèmes conjugaux, ses névroses, ses idées politiques absurdes et tout le désarroi de son univers. » Carl-Gustav Jung, Commentaire sur le mystère de la fleur d'or, Introduction aux difficultés de l'européen face à l'orient
Quitte à s’engager dans une religion ou une tradition théiste, autant reprendre celle qu’on connaît le mieux ou qui nous est plus proche, éventuellement en appliquant les principes de la “Christo-fiction” ou “Buddho-fiction”, ou en pratiquant les éléments les plus universels du bouddhisme et, si on le souhaite, en poursuivant “théistement” avec Jésus, etc., en “Sad-guru” ou “yidam”, comme l’avaient fait Henri Le Saux et d’autres. Après tout, c’est l’expérience immédiate (et ses retombées) qui compte, pas les variables rituelles d’un sādhana.
Il est vrai que l’écrasante majorité des gens cultivés ne possèdent qu’une personnalité fragmentaire et emploient une quantité de succédanés au lieu de biens authentiques. Or, pour cet homme, être ainsi fragmenté signifiait une névrose et signifie la même chose pour un grand nombre d’autres sujets. Ce qu’on nomme couramment et par habitude la religion constitue un succédané à un degré de fréquence si étonnant que je me demande sérieusement si cette sorte de religion – j’aime mieux l’appeler confession – ne remplit pas une fonction importante dans la société humaine. Manifestement, la substitution tend à remplacer l’expérience immédiate par un choix de symboles appropriés, incorporés dans un dogme et un rituel solidement organisés.[5]” (Carl-Gustav Jung)

***

[1]After the World-honored Tathāgata enters nirvāṇa, they will steal the remaining good dharma he leaves behind—be they teachings on morality, meditation, or wisdom [triśikṣa] —just like the thieves who looted the herd of cows [from the farm]. But although ordinary people have obtained [the Buddha’s teachings on] morality, meditation, and wisdom, they lack the skills that would enable them to attain liberation by means of these teachings. With their attitude they simply cannot obtain the permanent morality, the permanent meditation, or the permanent wisdom that is liberation, just like that group of thieves who did not know the means by which to acquire sarpirmaṇḍa and so lost [that opportunity].”

“Therefore I want you to know that after the Tathāgata passes from this world, at that time there will be such people who lecture on the topic of permanence, bliss, self, and purity.”

“When a dharma wheel-turning king appears in the world, ordinary people [=śrāvakas] will no longer be able to preach about morality, meditation, or wisdom; they will retreat from such activities, just as the cattle thieves retreated.”

“Were a tathāgata to appear in the world and thoroughly explain to living beings the ordinary, worldly teaching as well as the extraordinary, transcendent teaching, it would enable bodhisattvas to follow him and preach these things on their own. Once those bodhisattva-mahāsattvas obtain that most excellent sarpirmaṇḍa, they would go on to bring an incalculable number of other living beings to where they, too, obtained the unsurpassed, timeless ambrosia of the dharma: that is, the permanence, bliss, self, and purity of a tathāgata.
” (Mahāyāna Mahāparinirvāṇa-sūtra, Blum 2013)


[2]The sphere [dhātu] is the ultimate truth. It is said that by seeing its nature [rang bzhin] you see ultimate truth. But again, it is not the case that an emptiness in which nothing exists at all is the ultimate truth. To fools, ordinary beings, and beginners, the teachings on selflessness and so forth were given as a remedy for being attached to a self. But [this selflessness or emptiness], it should be known, [is] in reality the sphere [or] luminosity, [which is] unconditioned and exists as something spontaneously present.” Klong chen pa: Grub mtha' mdzod, 185.6-186.2. Traduction anglaise, A Direct Path to the Buddha Within, Klaus-Dieter Mathes

[3]MadhyamakanisingTantric Yogācāra: The Reuse of Ratnākaraśānti’s Explanation of maṇḍala Visualisation in the Works of Śūnyasamādhivajra, Abhayākaragupta and Tsong Kha Pa, Daisy S. Y. Cheung. Traduction automatique en français.

[4] Intériorité et révélation, essais théologiques, Henri Le Saux, Editions Présence, 1982, p.27

[5] La religion peut être un moyen de défense contre des expériences bouleversantes, C. G. Jung, Psychologie et religion, Paris, La Fontaine de Pierre, 2019.

samedi 11 mai 2024

La théologie lumineuse du vishnouïsme

Bouddha comme l'avatar de Vishnou entouré de deux disciples

Vishnou (Viṣṇu)[1] était à l’origine un dieu solaire mineur. Indra, Agni et Varuna formaient la triade divine (trimūrti) védique du cycle cosmique. Autour de l’époque des purāṇa (300 de l’ère commune), Viṣṇu, Śiva (anciennement Rudra) et Brāhma avaient pris leur place. Viṣṇu et Śiva sont actuellement considérés comme des dieux suprêmes, Brāhma étant le démiurge cyclique.

Viṣṇu peut être vu comme la Conscience universelle rayonnante, qui établit et maintient l’ordre (dharma) à l’aide de ses avatars-rayons Kṛṣṇa, Rāma, Kalki, Buddha, etc. (voir le Bhāgavata-Purāṇa 1.3.24). L’avatar Bouddha réussit à convertir les athées en dévots du Bouddha, ce qui était un pas dans la bonne direction pour les éternalistes (āstika).
Alors, au commencement du kālī-yuga et afin de confondre les ennemis des dieux (suradviṣām), un Bouddha du nom de Fils d’Añjana apparaîtra dans le pays de Kīkaṭa.[2]
En tant que Conscience universelle, Viṣṇu est comme l’Intellect cosmique d’Anaxagore et des platoniciens, la Lumière divine ou Noûs. Tout en brillant au sommet du cosmos, il s’étend partout dans le monde matériel et spirituel, et c’est à travers ses rayons descendants (avatāra) qu’il guide les humains. Ses avatars sont indissociables de lui-même, et tout (sarva) est pénétré de l’Intellect cosmique qui unifie tout. 
"A chaque fois que l'Ordre chancelle et que le désordre se répand, je me recrée moi-même.
Je renais ainsi d'âge en âge pour la protection des bons et la perte des méchants, pour la restauration de l'Ordre." IV.7-8, La Bhagavad-Gītā, trad. Emile Sénart et Michel Hulin. 
La descente des avatars n’est pas régie par la coproduction conditionnée ou le karma, mais dépend de la volonté divine, dans ce cas de celle de Viṣṇu. Dans le bouddhisme, les nirmāṇakāya se manifestent par les voeux passés du bodhisattva/Bouddha, ou sont la simple expression de “compassion” du Bouddha “cosmique”.

Pour les adeptes de Viṣṇu l’âme est éternelle et continue ses transmigrations jusqu’à sa libération (mokṣa). Viṣṇu accompagne et guide l’âme à travers ses avatars. La dévotion et l’amour inconditionnelle (bhakti) pour Viṣṇu ou un de ses avatars est un facteur de libération, plus fort que le karma. La grâce divine est indispensable pour la libération et le salut de l’âme. L’âme est distincte du divin, mais possède les mêmes qualités (voir Ramanuja). La libération n’est pas la sortie du saṃsāra (quelle que soit la carrière post-saṃsārique), mais la réunion de l’âme avec Viṣṇu, l’Intellect cosmique. Les quatre facteurs rendant possible ces retrouvailles sont la dévotion inconditionnelle (bhakti), l’abandon total (prapatti) à Viṣṇu, le respect de ses propres devoirs respectifs (svadharma), et la grâce (kṛpā/anugraha) de Viṣṇu.

Le concept de libération (mokṣa) diffère ainsi de celui dans le bouddhisme classique avec, par exemple, ses huit dissociations (aṣṭa vimokṣa), sans unification/identification divine ou autre. Dans le bouddhisme ésotérique cependant, ces quatre facteurs (ou équivalents) sont bien présents sous une forme ou une autre. Dans les sūtra du Mahāyāna, les tantras et dans d’autres sources mythologiques of hagiographiques, on voit un plérôme constitué d’un Bouddha cosmique entouré de dieux, de bodhisattvas, etc., prendre la décision d’envoyer un avatar, nirmāṇakāya ou autre sauveur avec une mission spécifique (voir p.e. le Dict de Padma), notamment l’enseignement de méthodes plus aptes aux besoins spécifiques de l’époque. Les “formes” (mūrti) mêmes des avatars s’adaptent à ces besoins. Ce qui ne change pas c’est l’approche top-down, la décision est prise en haut et a autorité divine, et celui qui est considéré comme avatar/nirmāṇakāya est porteur de cette autorité. N’ayant pas accès à la source eux-mêmes, les terriens doivent se satisfaire de ces intermédiaires.

L'apparition d’un avatar, son enseignement, etc., nous sont connus par des écrits humains, prétendument rédigés par des témoins directs. D’autres intermédiaires…
- Bien, ô Vāseṭṭha. Si ces brāhmanes versés dans les trois Veda montrent la voie pour s'unir avec quelqu'un dont ils ne savent rien, qu'ils n'ont jamais vu en disant : "Voici la voie directe, voici la véritable voie, la voie qui mène l'individu qui la suit à l'état d'union avec Brahmā", c'est un fait qui ne tient pas debout. Ô Vāseṭṭha, la parole des brāhmanes versés dans les trois Veda est semblable à une rangée d'aveugles attachés ensemble - le premier ne peut pas voir, celui qui est au milieu ne peut pas voir et celui qui est à la fin ne peut pas voir. Alors, la parole de ces brāhmanes versés dans les trois Veda s’avère une parole qui mérite d’exciter le rire, une prétendue parole, une parole insensée, une parole vide. » [Sermons du Bouddha, Môhan Wijayaratna, Sagesses, pp. 141-161]
Des intermédiaires considérés comme des avatars, porteurs de l’autorité divine, transmise d’une détenteur à un autre. Ce dont il s’agit au fond, c'est cette autorité qui reste indiscutable pour ceux qui croient en un dieu suprême ou équivalent. Tout peut changer, tout peut être un variable, mais l’autorité doit rester. L’autorité et la volonté (ou liberté/līlā) divines, de l’Intellect cosmique, du Bouddha cosmique, de la Lumière incommensurable, etc.

Dans le vishnouisme, l’âme (ātma), de nature divine, est dite être “lumineuse”, “radieuse”, “claire” (prakāśa). Cette âme possède déjà potentiellement les qualités de Viṣṇu, l’âme suprême (Paramātmā). Selon Ramanuja (11ème s.), les qualités naturellement présentes de l’ātma sont la gnose (jñāna, omniscience), la félicité (ānanda), la pureté (śuddha), la permanence (nitya), et la conscience (cit). Ces qualités sont celles de l’Âme suprême, Viṣṇu. Le Soi lumineux est naturellement doté de ces qualités divines. C’est d'ailleurs aussi le cas chez le tibétain Longchenpa[3] (14ème s.). Selon Ramanuja, ces qualités peuvent être actualisées par la dévotion, la purification, et la grâce divine. Selon Ratnākaraśānti (ca. 970-1045), la grâce divine est également requise pour actualiser toutes les qualités du parfait état de Bouddha (“bouddhification”).

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[1] Rigveda 1.154 sur les trois pas de Viṣṇu couvrant les trois niveaux : terre, espace intermédiaire, cieux, y établissant ainsi ses décrets.

[2] Tataḥ kalau sampravṛtte sammohāya suradviṣām |
Buddho nāmnāñjanasutaḥ kīkaṭeṣu bhaviṣyati || 24 ||

Commentaire du Bhaktivedanta Vedabase :

Lord Buddha preached nonviolence, taking pity on the poor animals. He preached that he did not believe in the tenets of the Vedas and stressed the adverse psychological effects incurred by animal-killing. Less intelligent men of the Age of Kali, who had no faith in God, followed his principle, and for the time being they were trained in moral discipline and nonviolence, the preliminary steps for proceeding further on the path of God realization. He deluded the atheists because such atheists who followed his principles did not believe in God, but they kept their absolute faith in Lord Buddha, who himself was the incarnation of God. Thus the faithless people were made to believe in God in the form of Lord Buddha. That was the mercy of Lord Buddha: he made the faithless faithful to him.”

[3]Since self-arisen wisdom, great perfection (rdzog chen) itself, exists throughout beginningless time as the spontaneously present qualities of the Buddha's vast abundance [of treasures], the three kāyas are [already] complete as his own possession. Therefore, they do not need to be searched for once [the alayavijñana] has been turned back.” A Direct Path to the Buddha Within, Klaus-Dieter Mathes.

Klong chen pa: Grub mtha' mdzod, 329.5: rang byung gi ye shes rdzogs pa chen po nyid ye nas sangs rgyas kyi che ba'i yon tan lhun grub tu yod pas/ sku gsum rang chas su tshang ba'i phyir logs nas btsal mi dgos ....



vendredi 10 mai 2024

L'idéologie lumineuse et ses appareils pas si spontanés

En bas, la cité terrestre encerclée par les daimons, détail, Manuscrit de Raoul de Presles, c.1469-73, BnF 

Ratnākaraśānti (ca. 970-1045 C.E.) fut un des prophètes indiens de l’idéologie lumineuse qui domine le bouddhisme tibétain contemporain. Pour lui, dans sa pratique (pas dans sa scolastique), tous les faits mentaux (dharmā) sont “rien que pensée”, “rien que conscience” et “rien que luminosité” (t. gsal ba tsam s. prakāśamātra), la Luminosité étant comme la substance réelle des “phénomènes” (dharmā)[1]. La coproduction interdépendante et la vacuité sont subordonnées à elle, et au fond contenues en elle. Les phénomènes, lumineux par nature, peuvent être directement perçus (pratyakṣa), sans images (nirākāravāda), et ne sont alors pas réfléchis. Quelle est la source de cette Lumière ? Le tathāgatagarbha ou “Essence de Bouddha” (buddhadhātu), qui est "éternelle, bienheureuse, caractérisée par un moi personnel et pure.”[2] Un Soi Lumineux en lien direct (Logos) avec la Source Lumineuse (Noûs), ou ses équivalents bouddhistes ésotériques, mais néanmoins obnubilé par l’Ignorance (avidyā). A cause d'une double obnubilation, la réintégration de la Luminosité, le parfait état de Bouddha au triple Corps (trikāya, primordialement présent en chacun), est impossible aux non-initiés.

Ratnākaraśānti insiste sur l’importance de l’identification à la réalité divine pour rejoindre la plus haute réalisation.
(4) Ou bien, si l'on médite seulement sur la vraie nature de ce que les divinités représentent et non sur les divinités mêmes, alors dans ce cas aussi, on atteindra la bouddhéité en d'innombrables éons, mais pas rapidement.

(5) Par conséquent, la méditation des deux [l'esprit en tant que divinité et la vraie nature des divinités en même temps], parce qu'elle est extrêmement agréable pour l'esprit et parce qu'elle est une consécration (abhiṣeka) particulière, permet d'obtenir très rapidement l'éveil parfait le plus élevé."[3]
La pratique de la divinité (p.e. Guhyasamāja), requiert un Guru, une consécration et par conséquent le service au Guru[4]. Le disciple est ainsi admis dans un cercle d’initiés. La divinité, une manifestation du Bouddha cosmique, est indissociable du Guru. C’est à cause de cette forme de bouddhisme ésotérique que la société bouddhiste tibétaine a été dans le passé parfois qualifiée de “lamaïste”, “Lama” étant la traduction tibétaine de “Guru”. Ce terme avait été jugé péjoratif et fut abandonné, mais la société tibétaine était bien une société théocratique. La doctrine de la Luminosité (prakāśavāda) est religieuse dans le sens qu’elle est centrée sur un culte du divin. Cette Luminosité peut être considérée comme “Lumière incommensurable” (Noûs), ou “lumière noétique[5] Quand cette doctrine est partagée au sein d’une même société (ou groupe), elle en devient l'idéologie (Mapping Ideology, Slavoj Žižek).

Une idéologie n’est pas simplement un ensemble passif d'idées, que l’on adopterait librement, mais participe activement à façonner les perceptions et la conscience des membres dune communauté, ou groupe, et, selon Žižek, souvent en masquant les structures de pouvoir sous-jacentes qu'elle soutient. Elle est “matérialisée” dans ce qu’Althusser appelait les Appareils Idéologiques d’État (AIE), ou dans une religion sous forme d' “églises”, de communautés (saṅgha), etc. Ces communautés représentent et propagent les croyances, mais surtout elles les incarnent matériellement à travers leur existence même et leurs pratiques. Les pratiques, cérémonies et rituels ne sont pas seulement des expressions de foi, mais aussi les mécanismes qui produisent et renforcent activement cette foi. Ils façonnent et reconfirment les croyances au sein d’une communauté.
Lorsque Althusser répète, après Pascal[6] : "Agis comme si tu croyais, prie, agenouille-toi et tu croiras, la foi viendra d'elle-même", il décrit un mécanisme réflexif complexe de fondation rétroactive "autopoétique" qui dépasse de loin l'affirmation réductionniste de la dépendance de la croyance intérieure à l'égard du comportement extérieur. En d'autres termes, la logique implicite de son argument est la suivante : agenouillez-vous et vous croirez que vous vous êtes agenouillé à cause de votre croyance - c'est-à-dire que le fait de suivre le rituel est l'expression/l'effet de votre croyance intérieure ; en bref, le rituel "externe" génère de manière performative son propre fondement idéologique[7].” (Mapping Ideology, Slavoj Žižek)
Par leur simple performance, les pratiques et rituels créent une réalité qui confirme et perpétue l'idéologie. Ils mobilisent physiquement la communauté, confirment les croyances et légitiment et renforcent le pouvoir des institutions. Les fêtes religieuses, les jours auspicieux, les monuments symboliques (stūpa, caitya), les statues, les icônes, marquent le temps et l’espace. Les hagiographies offrent des exemples (souvent fictifs) de pratiquants modèles qui ont réussi. En baignant dans cette idéologie, qui se matérialise dans le temps et l’espace, elle finit par être intégrée et devient alors invisible, évidente, allant de soi. Cette évidence est l'un des stratagèmes fondamentaux d’une idéologie. Ce que l’on pourrait considère comme une perception spontanée ou naturelle est souvent façonnée par des structures idéologiques. Les monastères ne sont pas seulement des lieux de culte mais aussi et surtout des centres d'éducation et de formation, et donc de reproduction.

Quand Bernadette de Lourdes voit une apparition, elle parle de “la chose” (aquero), une “fille blanche”. Sa communauté lui explique qui était cette “chose”. Les visions de Mme Guyon, analysées par Henri Delacroix, se conforment à, et confirment l’idéologie dont elle était imprégnée. Une lumière blanche devient la vierge, le Christ, Hermès, Mañjuśrī, Kṛṣṇa, selon l’idéologie spirituelle spécifique qui est la nôtre.

La philosophie, et notamment la philosophie grecque (platonicienne, néo-pythagoricienne) pendant la période helléniste, a permis l’émergence d’un Dieu universel (“l’Intellect philosophique[8], Noûs), quasiment philosophique, au-dessus du lot polythéiste. Les dieux et les daimons sont dits avoir des corps immatériels faits “de lumière”, ou "auto-illuminants" (svaprakāśa), voire “faits de pensée” (manomaya) ou de gnose (jñāna), et émanées de la Lumière incommensurable. Intellect et Lumière sont des traductions possibles pour le Noûs, la source ultime d’Intellect et de Lumière invisible. Nous serions en essence les étincelles de cet Intellect ou Lumière incommensurable. Telle semble être la croyance fondamentale qui alimente les croyances anciennes et nouvelles de notre temps (théosophie, anthroposophie, New age,...). Pour s’implanter et pour durer en devenant une idéologie, une religion ne peut pas se limiter à un ensemble de croyances abstraites ; elle doit s’incarner dans des pratiques matérielles, dans des “Appareils Idéologiques d’État” (AIE), et marquer la vie quotidienne des pratiquants. Pour ce qui est du bouddhisme ésotérique en Europe, nous en sommes très loin, et il y a peu de chance que cela se produise. L’idéologie bouddhiste (ésotérique) traditionnelle ne se répandra pas spontanément, par la force du karma. Les expériences et les réalisations, décrites dans les hagiographies, composées dans des sociétés où l’idéologie était profondément ancrée, ne pourront pas se produire ici avec la même force. Des rituels et des pratiques isolés et non-incarnés ne suffiront pas. Il s’agit de toute façon de moyens habiles (upāya) et provisoires, pas de méthodes scientifiques ou des techniques avec des résultats certains et prévisibles.

Une couche idéologique superficielle, temporaire et mal incarnée aura-t-elle le dessus d’une couche idéologique ancienne, bien plus profonde et matérialisée ? Et quelle influence aura la virtualisation et digitalisation généralisée avec ses intelligences artificielles recyclées sur ces couches ? Si notre vie “spirituelle”, dans l’air du temps, reste captive d’une idéologie “spectaculaire”, performatrice et consommatrice, elle restera forcément superficielle et ne durera pas. Si elle est uniquement un vécu intérieur “profond”, ne nous isole-t-elle pas des autres ? D’ailleurs, la patience, la compassion, et autres “perfections” (adikarma) ne peuvent que se pratiquer au milieu des autres.

La danger de l’idéologie Lumineuse telle que je la perçois, est qu’elle a une orientation très individualiste et qu’elle vise la réintégration de la Lumière. Dans l’idéologie Lumineuse, comme dans d'autres idéologies dualistes et hiérarchiques (de type "Cité de Dieu"), toute l’attention est tournée vers la Lumière, souvent --dans la pratique-- aux dépens du monde et des autres ; le monde et les autres n’étant que des simulacres, ou une illusion, et la Luminosité, le “vrai” réel. Ainsi, le roi Anala, le grand bodhisattva accompli que rencontre Sudhana pendant sa quête (Gaṇḍavyūha sūtra), explique avec conviction le principe de sa guerre juste contre le vice :
Fils de famille, que penses-tu ? Ces simulacres de pécheurs (pāpaka) confrontés au fruit de leurs actes, existent-ils réellement ? Ces simulacres de corps splendides, existent-ils vraiment ? Ce simulacre de la cour, existe-il vraiment ? Ce simulacre de grand luxe, existe-t-il vraiment ? Ces simulacres de mon statut de monarque et d’un grand pouvoir, existe-t-il vraiment ? Non, dit Sa Majesté, cela n'existe pas vraiment. Il poursuivit: Fils de famille, je suis un bodhisattva libéré (vimokṣika) avec des pouvoirs magiques. La plupart des sujets qui habitent mon royaume, tuent, volent, se méconduisent sexuellement, mentent, médisent, tiennent des propos incohérents, sont cupides, malveillants, entretiennent des vues fausses (mithyā-dṛṣṭi) et commettent des actes négatifs. »[6]

« Fils de famille, c'est pour éduquer ces personnes, et pour les amener à maturité, pour leur parfaite édification, et pour leur propre bien, et surtout avec la plus grande compassion qu'ils sont amenés ici, et que des simulacres de tortionnaires sont omniprésents sur le territoire de mon royaume. »[7]

« Ce sont des simulacres de tortionnaires, qui saisissent des simulacres de condamnés à mort, afin de les exécuter. Ce sont des simulacres de juges, qui prononcent divers jugements contre des simulacres de personnes ayant commis les dix actes négatifs. Et ce sont des simulacres de souffrances insupportables, causées par des mains, des pieds, des oreilles, de membres, de doigts et de têtes tranchées qui sont déployées par magie. En voyant tout cela, les habitants de mon royaume, renoncent à leurs fautes et développent la force du regret, la frayeur et la crainte. Ils renonceront ainsi aux actes négatifs et deviendront vigilants. Fils de famille, cet expédient a pour effet de faire renoncer ces êtres aux fautes et à leur inspirer la crainte, et le regret, afin qu'ils se détournent des actes négatifs. » Voir La politique du Gaṇḍavyūha sūtra (2016). Traduction anglaise en ligne King Anala, chapter 20, traduit par 84.000.
Le pays, avec son roi, son régime de terreur, et ses sujets que rencontre Sudhana ne seraient que des simulacres. La guerre juste ne serait menée que contre les corps et les esprits d'une vie, tout en purifiant et galvanisant le Soi lumineux éternel. L’unique raison d’être de “ce pays” --la cité terrestre-- est de détourner les êtres du mal, de les tourner vers le bien, et ultimement de les faire se réintégrer dans le Bien, la réalité lumineuse (t. chos nyid 'od gsal gyi bar do) bouddhiste. L’illusion et l’idéologie de l’un sont le réel de l’autre, et vice-versa. Une double obnubilation d'un autre genre.
Dans l'illusion, c'est-à-dire la forme la plus courante de mise à l'écart du réel, il n'y a pas à signaler de refus de perception à proprement parler. La chose n'y est pas niée : seulement déplacée, mise ailleurs. Mais, en ce qui concerne l'aptitude à voir, l'illusionné voit, à sa manière, tout aussi clair qu'un autre.”

On peut dire que la perception de l’illusionné est scindée en deux : l'aspect théorique (qui désigne justement ‘ce qui se voit’, de theorein) s'émancipe artificiellement de l'aspect pratique (‘ce qui se fait’). C'est d'ailleurs pourquoi cet homme après tout ‘normal’ qu'est l'illusionné est au fond beaucoup plus malade que le névrosé : en ceci qu'il est lui, et à la différence du second, résolument incurable. L'aveuglé est incurable non d'être aveugle, mais bien d'être voyant : car il est impossible de lui ‘refaire voir’ une chose qu'il a déjà vue et qu'il voit encore. Toute ‘remontrance’ est vaine - on ne saurait en ‘remontrer’ à quelqu'un qui a déjà sous les yeux ce qu'on se propose de lui faire voir. Dans le refoulement, dans la forclusion, le réel peut éventuellement revenir, à la faveur d'un ‘retour du refoulé’ apparent, si l'on en croit la psychanalyse, dans les rêves et les actes manqués. Mais, dans l'illusion, cet espoir est vain : le réel ne reviendra jamais, puisqu'il est déjà là.” Clément Rosset, Le réel et son double, 1984, Folio, p. 11-13

En haut, la cité de Dieu, détail, Manuscrit de Raoul de Presles, c.1469-73, BnF 

***


[1]The Yogācāra [position] is that the sheer luminosity, which is the inherent nature of phenomena, exists as a real substance, whereas the Mādhyamika [position] is that it does not exist as a real substance. This itself is a baseless quarrel of Mādhyamika [scholars] with Yogācāra. [Such a pity], the coarseness of people.” Defining Wisdom: Ratnākaraśānti’s Sāratamā D.Phil Dissertation Gregory Max Seton, Wolfson College Trinity Term 2015, p.78

[2] Mahāyāna Mahāparinirvāṇa-sūtra

[3]Madhyamakanising” Tantric Yogācāra: The Reuse of Ratnākaraśānti’s Explanation of maṇḍala Visualisation in the Works of Śūnyasamādhivajra, Abhayākaragupta and Tsong Kha Pa, Daisy S. Y. Cheung. Traduction automatique en français.

(4) Or, if one meditates only on the true nature of what the deities stand for and not the deities, then in this case too, one would attain Buddhahood in many countless aeons but not quickly.

(5) Therefore, the meditation of both [the mind as deities and the true nature of the deities at the same time], because it is extremely pleasant to the mind and because it is a special kind of empowerment, causes one to obtain the highest perfect awakening very quickly
.”

[4] Voir “Les Cinquante stances du service au Maître (skt. Gurupañcaśika tib. bla ma lnga bcu pa), un texte médiéval bouddhiste ésotérique

[5] Voir Western Esotericism: A Guide for the Perplexed, Wouter J. Hanegraaff, Bloomsbury Publishing

The goal is spiritual knowledge, gnōsis – literally re-cognition or re-membering of one’s true self as identical with the divine Light and Life, as Poimandres points out to Hermes once again.”

[6]Vous voulez aller à la foi, et vous n’en savez pas le chemin ; vous voulez vous guérir de l’infidélité, et vous en demandez les remèdes : apprenez de ceux qui ont été liés comme vous, et qui parient maintenant tout leur bien ; ce sont gens qui savent ce chemin que vous voudriez suivre, et guéris d’un mal dont vous voulez guérir. Suivez la manière par où ils ont commencé ; c’est en faisant tout comme s’ils croyoient, en prenant de l’eau bénite, en faisant dire des messes, etc. Naturellement même cela vous fera croire et vous abêtira. — Mais c’est ce que je crains. — Et pourquoi ? qu’avez-vous à perdre ?Œuvres complètes de Blaise Pascal Hachette 1871, vol1.djvu/327

[7]When Althusser repeats, after Pascal: ‘Act as if you believe, pray, kneel down, and you shall believe, faith will arrive by itself, he delineates an intricate reflective mechanism of retroactive ‘autopoetic’ foundation that far exceeds the reductionist assertion of the dependence of inner belief on external behaviour. That is to say, the implicit logic of his argument is: kneel down and you shall believe that you knelt down because of your belief — that is, your following the ritual is an expression/effect of your inner belief; in short, the ‘external’ ritual performatively generates its own ideological foundation.” Mapping Ideology, traduction automatique

[8] Idée qui s’est répandue dans d’autres civilisations, ne serait-ce que par la force de traductions orientalistes, p.e. “The philosophic intellect, which is unclouded by prejudice, is the true form of the Great Brahma himself; who shines perspicuous in our consciousness, and has no other body besides.” “nirāvaraṇavijñānamayī cidbrahmarūpiṇī |
saṃvitprakāśamātraikadehādehavivarjitā || 52 |” 7.186.52 Yoga-Vasiṣṭha attributed to Valmiki, in the Chapter "Demonstration of all nature (and thing) as brahma himself"

jeudi 9 mai 2024

Luminosity is good for us…

A friendly luminous being

As I see it the main issue with Luminosity and its use in esoteric Buddhism is that the “human light” of the initial more empiricist approach of “Buddhist meditation” (four foundations of mindfulness - Satipaṭṭhāna, means of valid cognition - pamāṇa[1] etc.) is neutralized and superseded by the “sheer Luminosity” of a clearly idealist and essentialist approach, where “Luminosity” is the main substance or essence of everything, the highest and purest level of being. Unifying the Luminous Self, the Luminous Body, and the Luminous Source through the spontaneously present Luminous essence is the ultimate salvation, realization and actualization. Through lack of Knowledge (gnosis, vidyā) of the Luminous reality, sentient beings migrate from one destiny to another, until an authentic Knowledge holder (vidyādhara) transmits the Knowledge that will initiate them into the Luminous reality and open up the path of their sudden or future salvation and unification with the Luminous source. Genuine “Illumination” or Enlightenment”, not a simple metaphor. Luminosity is eternal and good[2] and certainly more attractive and spectacular than (pari)nirvāṇa.

Anything physical (kāyika) and mental (cetasika) is impermanent and imperfect. The Buddha’s more empiricist approach uses physical and mental methods, such as reasoning, deliberating, contemplating etc., where the individual, although a member of a larger community (saṅgha), is on their own as far as their salvation is concerned. The Buddha merely showed the path. There is no Luminous safety net, apart from dispassion, detachment and “dropping the burden”. The safety net here is impermanence, “anatta”, “dependent origination” or “emptiness”, without a welcoming committee (tariki "other power", "outside help"), unless the Four Brahmavihāras or altruism are considered as such, but these require human empathy not Divine Light.

In Luminous Buddhism, the Buddha is the Logos shining forth from the Luminous source continuously sending out its missionaries in order to convert and save sentient beings drowning in the Ocean of Ignorance of burning in the Fires of Ignorance, sometimes by tough but fair means. Those missionaries are not only avatars but also priests, kings, rulers, bankers and experts serving as guides to the more karmically challenged in a sort of Luminous metaverse. Luminosity is good for us…
"20.26 King Anala said, “Noble one, I have attained the bodhisattva liberation called the attainment of illusions. Noble one, most of the inhabitants of my kingdom kill, steal, practice sexual misconduct, lie, slander, abuse, indulge in idle talk, are avaricious, are malicious, hold false views, commit bad actions, and are fierce, aggressive, and cruel, and they maintain a behavior consisting of all kinds of bad actions.

“There is no other way to instruct them to turn away, to desist, from that sinful behavior.

20.­27
“Noble one, in order to guide, ripen, control, and benefit these beings, motivated by great compassion I manifest the illusory images of executioners, [F.26.b] through which I execute the illusory images of the condemned. I make the illusions of those who punish and execute in various ways the illusions of those who have followed a path of bad actions. I also emanate those who experience the unendurable sufferings of having their feet, hands, noses, ears, limbs, smaller parts, and heads cut off. When the beings who live in my realm see that, they become distressed, afraid, and terrified. After that, they are careful to avoid committing bad actions.

20.­28
“Noble one, when in that way I have used that method and see that these beings are distressed, terrified, and alarmed, I then turn them away from the path of the ten bad actions, cause them to possess the path of the ten good actions, and establish them in the path to omniscience, which is the ultimate attainment of joy and happiness and the cessation of all suffering.

20.­29
“Noble one, I do not cause harm to any being with my body, speech, or mind."  
Gaṇḍa­vyūhaKing Anala, chapter 20, translation by 84.000."  

***

[1] "Valid cognition, judgment or measuring based on outward appearance (rūpappamāṇa), the opinion of others (ghosappamāṇa), economic status (lūkhappamāṇa) or reality (dhammappamāṇa". Buddhism was considered a “nihilist” (nāstika) tradition because of its rejection of śāstra pramāṇam, the authority of scriptures such as Revelations (śruti), Vedas etc. Also see the Rūpa Sutta (A 4.65) for measures (pamāṇa) regarding charisma. The Buddha’s followers may be followers by faith, followers of teachings and those understanding and seeing "these principles" (dhamma) are stream-enterers (SN 25.2).

[2]Eternal, blissful, characterized by a personal self, and pureMahāparinirvāṇa Sūtra.

lundi 29 avril 2024

All things are sheer Luminosity

Ruins of Vikramshila University

My main source for this blog: Defining Wisdom: Ratnākaraśāntis Sāratamā
D.Phil Dissertation Gregory Max Seton
Wolfson College Trinity Term 2015

In the Tibetan tradition Ratnākaraśānti (ca. 970-1045 C.E.) and Maitreyanātha/Maitrīpa/Advayavajra are known for having had some disagreement. This is explained in various ways, sometimes with different players, under different names and in various hagiographical materials. Ratnākaraśānti is specifically known for having been an abbot of Vikramaśīla, near Kahalgaon, Bhagalpur district in Bihar. Ratnākaraśānti is presented as the most senior student of Dharmakīrtiśrī (gSer gling pa), who is famous for having been Atiśa’s teacher 982-1054). Atiśa is presented by the Tibetan tradition as having also been a student of Ratnākaraśānti. Other great scholars that are said to have stayed at Vikramaśīla at that time were the “four guardians”: abbot Ratnākaraśānti, Nāropā, Vidyākokila and bZhad pa’i rdo rje (in reconstituted sanskrit Hāsavajra), or in another version (e.g. Brog-mi’s hagiography) the “six guardians”: abbot Ratnākaraśānti, Vāgīśvarakīrti, Prajñākaramati, Nāropa, Jñānaśrīmitra and Ratnavajra. Brog-mi, the “founder” of the Sakya school, also studied with Ratnākaraśānti.

Ratnākaraśānti had a Luminous start for he was said (in Brog-mi’s hagiography) to be originally from Oḍḍiyāna (part of the larger historical region of Gāndhāra). His tutelar deity (yidam) prophesied him to go to Magadha. Ratnākaraśānti was a Yogācārin, to be more precise à Mādhyamika-Yogācārin, “blending” (see my conclusion) Madhyamaka (Nāgārjuna) and Yogācāra (Maitreya and Asaṅga). He was also a follower of Tantra (e.g. Hevajra Tantra), and taught that Deity practice was essential for a speedy attainment of full Buddhahood. “Ratnākaraśānti was not just an adept of the tantras, but specifically a master of Mahāmudrā practice.” (Defining Wisdom, 2015, p.27). That would of course be “Tantric Mahāmudrā”, Luminous Mahāmudrā, not “Sūtra-Mahāmudrā”.

In his writings, Ratnākaraśānti was more concerned with fighting against Buddhist “heresies” (“the enemy within” p.30), or rather restoring the --in his opinion-- right Buddhist view, than with debating with non-Buddhist authors. He saw himself as having the mission to refute the wrong positions of Candrakīrti the Mādhyamika “from the true purport of Nāgārjuna, (but who later abandoned nihilism in his Tantrik [Guhyasamāja] commentary)[1].” For Ratnākaraśānti and for esoteric Buddhism in general, Nāgārjuna (2nd-3rd century), Candrakīrti, etc. are both the historical authors of Mādhyamika works and the alleged authors of later Tantric (Guhyasamāja) commentaries. They either “abandoned” their Mādhyamika views or corrected them and ended up as full-fledged Tantrikas. This is what “blending” often boils down to.

Maitreyanātha/Maitrīpa/Advayavajra is presented in Tibetan hagiographies as a student of Ratnākaraśānti, although he appears not to have been close to him (Defining Wisdom, p. 33).
[Maitreyanātha] studied Pramāṇa, Mādhyamika, the way of the Pāramitās, and other śāstras with Nāro-pā for twenty years. After that he stayed together with Rāgavajra, who knew the śāstra of the Way of Mantras, for five years. Afterwards, by the side of the great Paṇḍita Ratnākaraśānti, the revered guru and master, he studied the Nirākāra position for one year. Afterwards he went to Vikramaśīla and at the side of the great Paṇḍita Jñānaśrīmitra studied his compositions for two years.” (Defining Wisdom, p. 34[2])
According to later Tibetan traditions, Maitreyanātha left Vikramaśīla at one point, after a disagreement with Ratnākaraśānti (in some versions Atiśa), and having received a prophecy, went “searching for Śavaripa

The third notable aspect of this early biography of Maitreyanātha is that it makes no mention of any controversy or debate with Ratnākaraśānti. This is important because later sources claim that Ratnākaraśānti was the loser in an alleged debate between the two and was behind Maitreyanātha’s expulsion from Vikramaśīla.” (Defining Wisdom, p. 36)

Why would Maitreyanātha leave after having “won a debate”? Did Maitreyanātha win the debate after his two last years spent studying with Jñānaśrīmitra (a Sākāravāda ("with cognitive images") Yogācārin[3]), the opponent of Ratnākaraśānti’s view[4] If Maitreyanātha/Advayavajra’s Ten Verses on True Reality (Tattvadaśaka) and his student Sahajavajra’s Commentary thereof somehow represent Maitreyanātha’s view, then it is clear that he didn’t follow Ratnākaraśānti’s Nirākāravādin-Yogācāra-Mādhyamika view. His last Vikramaśīla teacher Jñānaśrīmitra did beat Ratnākaraśānti in a debate according to Ratnakīrti (one of Jñānaśrīmitra's other students) as Ratnakīrti wrote in his work Īśvarasādhanadūśaṇa (Refutation of the Proof of God)[5].

What then was Ratnākaraśānti’s view (supposedly in conformity with tantric Nāgārjuna and tantric Candrakīrti)? It is most easily summarized as the “Luminist” view of “Sheer Luminosity” (t. gsal ba tsam s. prakāśamātra).
All phenomena (sarvadharma) are sheer mind [cittamātra], [i.e.] sheer consciousness [“vijñanamātra”, “vijñapti-mātra[6]” or perhaps ”saṃvidmātra”?][7], [i.e.] sheer luminosity [prakāśamātra][8].”
For Ratnākaraśānti’s these are three synonyms. As an aside, the expression “[saṃvit]prakāśamātra” can be found in non-Buddhist works.
The philosophic intellect, which is unclouded by prejudice, is the true form of the Great Brahma himself; who shines perspicuous in our consciousness, and has no other body besides.”
nirāvaraṇavijñānamayī cidbrahmarūpiṇī |
saṃvitprakāśamātraikadehādehavivarjitā
|| 52 |” 7.186.52 Yoga-Vasiṣṭha attributed to Valmiki, in the Chapter "Demonstration of all nature (and thing) as brahma himself"
In order to prove that Nāgārjuna’s intention was actually “sheer luminosity” “shining forth” and illumining phenomena the nature whereof was sheer luminosity, Ratnākaraśānti wrote:
Now, what is the proof here that these [phenomena] have as their nature sheer consciousness? It is taught in this [Nirākāravādin position] that the luminosity (prakāśa) of phenomena shining forth (prakāśamāna) is like a nature (ātmabhūta) established through direct experience. The nature of shining forth is [their] being known (prakhyāna), [their] appearing (pratibhāsana). This, obviously, is [their] completely clear (parisphuṭa) nature (rūpa) [that is] neither inanimate (jaḍa) nor inaccessible (parokṣa). And, if this [nature] were not established, then the unwanted consequence [would be] that nothing could be established, since nothing could be shining forth. Since [this nature must be] established, it is nothing but awareness. So, all phenomena are established as having awareness as their inherent nature.” (Defining Wisdom, p. 79)
Awareness”, “Luminosity”, or “luminosity’s reflexive awareness” is the nature or even the stuff or substance (t. rdzas su grub pa) phenomena “are made” of.
The Yogācāra [position] is that the sheer luminosity, which is the inherent nature of phenomena, exists as a real substance, whereas the Mādhyamika [position] is that it does not exist as a real substance. This itself is a baseless quarrel of Mādhyamika [scholars] with Yogācāra. [Such a pity], the coarseness of people.” (Defining Wisdom, p. 78)
This substance is the Light that shines forth from the Great Buddha’s true form as our luminous reflexive awareness, or “Luminous Self”. The forms (“phenomena”) that are directly/yogically perceived are without error. The reflexive awareness, that may perceive a grasped and a grasper (object and subject), is nonetheless luminous, because “it has the nature of luminosity[9]. It’s Luminosity from the very top til the bottom, and again all the way back up.

As the old argument goes, even denying it is to confirm and prove it[10]! Consciousness is not an object of perception but the very subjectivity through which all perception and denial occurs. Consciousness or Luminosity is direct perception (pratyakṣa), it is the ultimate reliable cognition (pramāṇa). As for causality (at the conventional level) focusing on a grasper and grasped, Luminosity or Its true form is the only ultimate “Cause”, or “the only causally efficacious thing[11]...
Also, there is nothing that disproves (gnod par byed pa; bādhaka) the luminous nature of reflexive awareness, because there [can be] no other means of reliable cognition (pramāṇa) that surpasses it (de las lhag pa; tato ’dhika). And, this [luminous nature] is the direct perception (mngon sum; pratyakṣa) and direct experience (yang dag tu myong ba; pratisaṃvedana/anubhava) of reflexive awareness. Hence, this [luminous nature] is proven by means of reliable cognition to be the means of reliable cognition, which cannot be disproven even by one hundred means of reliable cognition. What need is there even to mention [that this luminous nature cannot be disproven] by others’ (pha rol) mere refutations (gnod pa) that are not means of reliable cognition? Therefore, [the above demonstrates] the proof and disproof through the two means of reliable cognition [namely, direct perception and inference].” (Defining Wisdom, p. 80)
And it is divine, which is where tantrism comes in. It is easier to recognize everything as divine, as the Lord (Īśvara), from top to bottom, through Deity practice, which is actually merely an elaborated form of Buddhānusmṛti. With Luminosity, in a Divine true form, shining forth as a “luminous self-awareness” (svasamvedana) or a Luminous Self, that when recognized as such is like “recognizing the Lord[12].
“1.1.2 What sentient being could possibly prove or disprove God, when He is their very own Self, established from the beginning as that which makes cognition and action possible? Cognition (jñāna) and Action (kriyā) inhere solely within the Self of all beings, which is the ground [of being] that makes the experience of all objects possible. That Self embraces its own capacity for self-validation, being self-luminous: otherwise it could not establish all the various objects of its experience [which are illuminated by the inherent ‘light’ of its awareness]. Its nature is uniquely that of Knower; it is always already self-established & self-perfected (pūrvasiddha) and primordial. Its sovereignty is established through self-awareness; so only the foolish try to prove or disprove it.” (Stanzas on the Recognition of Divine Consciousness, Utpaladeva, translated by Christopher Wallis/Hareesh).
This Luminous Lord shines forth even in duality, and especially in duality, because the only way for the Lord to know himself is through reflecting and recognizing himself in his proper reflections. The same goes for our Luminous Selves that are made of the same Light as the Luminous Lord and that through recognizing the Lord will recognize their true Luminous nature and Self.

Ratnākaraśānti was characterized as the only one in India able to distinguish Buddhists from non-Buddhists” (p.45). Dzongsar KR said the same thing about Atiśa and Maitrīpa. Since all three teachers are now dead, and nobody can distinguish Buddhists from non-Buddhists anymore, Śaiva in particular, I suggest to translate the Tibetan compound ‘od-gsal as Prakāśa-Vimarśa instead of "clarity-emptiness" or somesuch. Prakāśa for 'od and Vimarśa for gsal ba as the dynamic interplay (t. rtsal) of Luminous awareness (Ground, t. gzhi) abiding as the Great Buddha and its spontaneous (t. lhun grub) shining forth and Self-reflections (t. rang snang).

Many teachers of Vikramaśīla were said to be Yogācārins or Mādhyamika-Yogācārins, whatever that concretely means. Perhaps the simple fact that they participated in Yogācāra-derived practice? How does one combine the principle that all dharmas are sheer mind, sheer consciousness and sheer luminosity and exist as such, and that all dharmas are empty of inherent existence and natural property (svabhāva)? On the one hand one does not take position (Apratiṣṭhāna-Madhyamaka) and on the other one settles for the eternalist extreme of everything is sheer Luminosity and uses Deity practice as a means to unify the Luminous Self with the Luminous Source (Nous). It is clear that in this deal the Madhyamaka contribution is reduced to zero, and its only function is to serve as a quick honorable mention as a sort of Buddhism of the past. A simple stepping stone, like selflessness (anatta). Those who are still attached to these “obsolete” Buddhist methods in spite of the Third turning of the Wheel are invariably treated as fools, “coarse people” and "cattle-thieves". 

Ratnākaraśānti and others following him made it very clear that without the gods, and not only the “nature of the gods”, there is no Full Buddhahood. Both mundane (daimons) and supramundane gods or godlike entities. In the worship, theurgy, praise, offerings etc. of deity yoga practice, the mundane gods are present as representatives of Nature and asked and thanked for their good and loyal service. This will allow for the accumulation of merit (puṇya) and create the best conditions possible (s. abhyudaya t. mngon mtho) in the adept’s life to accomplish their higher Luminous goal (s. naiḥśreyasa t. legs pa).

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[1] The Literature of the Madhyamaka School of Philosophy in India, David Seyfort Ruegg (1981:122)

[2] Extract from “the so-called ‘Siddha Biography,’ which refers to the Sanskrit MS 142 in the Kaiser Library in Kathmandu that was likely written ca.1200 CE”. Also known as the “Sham Shere manuscript”, translated by Sylvain Lévi.

[3] Awareness contains a cognitive image (ākāra).

[4]Historically, we know that Jñānaśrīmitra accepted the gauntlet and produced a brilliant response, which produced an interesting debate over the nature of determination (adhyavasāya) and the type of logic that should be employed by Buddhists. Unfortunately, we have little space to address that debate here. See Tani (1999) and (2004) for an excellent comparison of Jñānaśrīmitra’s and Ratnākaraśānti’s different logical systems. Although Tani pays closer attention to Jñānaśrīmitra’s system, toward which he has an affinity, his characterization of the two systems seems to be spot on.” footnote 270, Defining Wisdom, p. 125

[5] Lawrence J. McCrea & Parimal G. Patil, Buddhist Philosophy of Language in India, Columbia University Press, New York, 2010, p.3

[6]Vijñapti-mātra. The doctrine of ‘mere imagining’ or ‘thought only’ associated with the Vijñānavāda school of Buddhist idealism. According to this teaching the empirical world of objects is regarded as the product of pure ideation, with no reality beyond the consciousness of the perceiving subject. In terms of the doctrine of Vijñapti-mātra, enlightenment is the realization of the imaginary status of phenomena and the non-substantiality of the self and external objects.” Oxford University Press

[7] Tantrāsara of Abhinavagupta, chapter 4

[8] Prajñāpāramitopadeśa by Ratnākaraśānti. Tibetan translation (Shes rab kyi pha rol tu phyin pa'i man ngag). PPu (D145a5): rgyal ba’i sras dag khams gsum pa ’di ni sems tsam mo zhes gsungs te— de bas na chos thams cad sems tsam dang| rnam par shes pa tsam dang| gsal ba tsam yin pas…

[9] The Laṅkāvatārasūtra: “Just as a sword does not cut its own blade, just as a finger does not touch its own tip, just so is a mind when seeing itself...”

[Ratnākaraśānti replies:] To this [interpretation of yours], I respond that this verse is denying the relationship (bhāva) between a grasped and grasper in a mind’s reflexive awareness, because that [relationship] depends upon a difference (bheda), just as touching and cutting do. However, [the verse is] not denying the reflexive awareness itself, because that [reflexive awareness] has the nature of luminosity, given that reflexive awareness is [something] being known (prakhyāna). So, since the contradiction regards [there being] a difference [when awareness knows itself], [the reflexive awareness here is merely being] restricted to [being] a nondifference (abheda), [it is] not denied. For this very reason, [we have to] supply the words “does not grasp itself” to the phrase “Just so the mind, when seeing itself.” [—i.e. “Just as a sword does not cut its own blade, just as a finger does not touch its own tip, just so the mind, when seeing itself, does not grasp itself."]” (Defining Wisdom, p. 85-86)

[10] See Utpaladeva’s Ajaḍapramātṛsiddhi.

[11]By proving the ultimate reality of sheer luminosity, Ratnākaraśānti is simultaneously asserting that luminosity is causally efficacious, given his acceptance of Dharmakīrti’s principle that anything real has causal efficacy (arthakriyā).” (Defining Wisdom, p. 87)

[12] Utpaladeva, Īśvara-pratyabhijñā-kārikās (Verses on Self-Recognition).