Extrait de As it is, volume 2 de Tulku Urgyen Rinpotché (1920-1996) :
«La première fois que nous recevons des enseignements, nous
avons souvent droit à une explication globale de tous les sujets du Dharma,
selon leur sens à interpréter ou leur sens définitif. Nous apprenons alors que
le sens définitif est relatif à la nature de bouddha, l’essence de l’esprit, que
l’on doit réaliser ultimement. Nous recevons un aperçu général et graduellement
nous nous approchons de ce qui est de la plus grande importance dans tous les
enseignements du Bouddha. Cela peut se réduire aux instructions de l’Introduction (T. ngo sprod), qui nous introduisent à la nature de l’esprit, la nature de
bouddha, et qui nous permettent de la reconnaître.
Le moment de la
reconnaissance, c'est comme si on flairait une piste
Un prédateur doit d’abord flairer le cerf, avant de pouvoir
le traquer. L’Introduction permet à ce petit prédateur de flairer la nature de
bouddha. Une fois que nous la flairons, il n’est pas très utile de continuer à
spéculer à son sujet. Nous pouvons désormais la traquer. L’essentiel est de la flairer.
Jusqu’à ce moment, on peut passer pas mal de temps à faire des analyses, mais
dès qu’on l’a flairée, il n’est plus très utile de consacrer du temps aux
spéculations intellectuelles.
Que faut-il comprendre par « flairer » ? A un
certain moment, votre maître se penche
vers vous et vous dit: « Maintenant, nous deux avons besoin de parler un peu.
Lorsque vous reconnaissez l’essence de l'esprit, que voyez-vous ? » Un bon
disciple dirait: «Honnêtement, je ne vois rien. » Le maître répond: «Eh
bien, c'est vrai, c'est vraiment comme ça. Votre nature est vide. Mais au
moment même de reconnaître que votre esprit est vide, y a-t-il un blanc total,
une absence ? Êtes-vous inconscient ? » Un bon disciple dirait: «Non, ce
n’est pas le cas. J'éprouve ce qui est présent. » Le maître pourrait dire
alors «N'est-il pas vrai que ce vide et la connaissance
de ce qui est présent sont comme une unité, que l’un est toujours associé à l’autre ? » Le disciple répondrait : « Oui, c’est vrai. » Le maître continue :
«Ce moment n’est-il pas un état vif et éveillé tout en étant vide, réellement
sans attachement » ? C’est de cette manière que l’on est
progressivement introduit au parfum de la nature de bouddha.
Après cela, il est inutile d’imaginer la traque du
cerf, parce que le flair est là. On n'a plus besoin de se figurer comment
serait la « connaissance vide » et de s’en faire une idée. Ni de se
laisser aller à des fantaisies dont j’ai parlé ci-dessus, en s’imaginant l’aspect
de la nature de bouddha et en la gardant présent à l’esprit. Une fois que nous
avons été introduit à la nature de bouddha et que nous la reconnaissons, l’entraînement
n’est pas une méditation qui consiste à imaginer la nature de bouddha. L’entraînement
consiste à ne pas en perdre la trace, dans le sens de ne pas se disperser. Nous
n’avons pas besoin d’imaginer la nature de bouddha, car elle est déjà présente.
Il est inutile de la fabriquer. La vacuité qu’est la nature de bouddha est une
vacuité qui est là d’origine ; la conscience est une conscience d’origine.
L’union de vacuité et de conscience est
une unité qui est là d’origine, n’est-ce pas ? Ce n’est pas une union qui
doit être fabriquée par la pratique. Ce fait deviendra absolument évident. La
pratique de la méditation n’est plus un acte qui vise à rendre l’esprit vide et
conscient, pas du tout.
Mais il arrive que l’on oublie cela, que nous nous dispersons.
C’est là qu’intervient l’entraînement. Celui consiste simplement à la
reconnaître de nouveau. Nous reconnaissons ce qui est déjà là. Puis, nous l’oublions
de nouveau et nous nous laissons emporter à cause de l’ignorance dualiste et l’ignorance
discursive. L’ignorance dualiste, qui connaît ce qui est présent à travers un
sujet et un objet, n’est autre que perdre le flair, l’oublier, se disperser.
L’ignorance discursive entre en jeu, quand nous commençons à réfléchir à ce par
quoi nous étions dispersé. Cette double ignorance doit être éliminée. Elle
n’est pas le fait de quelqu’un d’autre, elle ne vient pas de l’extérieur. Cette
double ignorance est votre propre manifestation, tout comme votre ombre l’est
de votre corps. C’est simplement la manifestation de l’essence même, mais
projetée à l’extérieur.
L’entraînement consiste donc à simplement laisser s’effacer
les fixations habituelles, en renouvelant la reconnaissance encore et encore.
Plus nous nous entrainons de cette manière, plus cela deviendra facile. C’est
un peu comme la mémorisation, mais pas tout à fait. Quand je récite la prière « Bouddhas des trois temps » plusieurs fois, je n’ai aucune besoin d’y penser en la récitant d’un bout à l’autre.
Elle me vient automatiquement, parce qu’elle est imprimée dans la conscience
fondamentale (S. ālaya). Il en va de même pour la reconnaissance. Quand elle
devient stable, elle durera un peu, non pas par l’effort mais automatiquement.
C’est la dispersion qui crée une division entre ces deux
états. Nous avons besoin d’une non-méditation sans dispersion. Quand vous
récitez une prière par cœur, est-ce que vous avez besoin d’y penser ? C’est
l’idée de l’automatisme. La non-dispersion devrait être automatique, sans avoir
besoin d’une pensée délibérée. Pas besoin de se féliciter à chaque fois que l’on
réussit. « Chouette, je reconnais la conscience et la vacuité
indissociées. Je la reconnais encore ! » C’est une pensée discursive,
n’est-ce pas ? Si vous connaissez la prière « Bouddhas des trois
temps » par cœur, une fois que vous avez récité le premier vers « dus gsum sangs rgyas rin po che », avez-vous besoin de penser « Alors c’est
quoi déjà le vers suivant ? Ah oui,
c’était ça ! » Vous n’avez pas besoin de penser ainsi. Quand vous
connaissez une prière par cœur, il n’est pas besoin d’y penser. L’Intelligence
(T. rig pa) n’a pas besoin de pensée discursive. Quand vous vous êtes habitué à
utiliser l’Intelligence, c’est automatique.
Quand un maître montre à son disciple comment connaître la
nature de bouddha directement, c’est comme faire flairer des pistes à un
prédateur. Une fois que vous la flairez, vous l’avez. Le flair est là. Quand
vous avez le flair du dharmakāya, il n’y a rien à voir. Quand vous avez le
flair du sambhogakāya, même s’il n’y a rien à voir, il y a toujours conscience.
Finalement, quand vous flairez le nirmāṇakāya, ces deux seront indissociables. Continuez
à la flairer comme un prédateur traque du gibier dans les montagnes.
C’est assez étonnant n’est-ce pas ? C’est par cette
voie que l’on peut devenir un bouddha. »
***
Traduction française quelque peu éditée par moi-même. La traduction anglaise se trouve sur le blog Digital Tibetan Buddhist Altar.