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Dressage par anéantissement d'un jeune éléphant |
Une publication sur une timeline FB me rappelait
Le Flambeau de la certitude, le “livre des pratiques préliminaires”, composé par
Jamgon Kongtrul Lodrö Thayé (1813 - 1899). Le titre tibétain est
phyag chen sngon 'gro bzhi sbyor dang dngos gzhi'i khrid rim mdor bsdus nges don sgron me. C’est un commentaire sur “les pratiques préliminaires” (sngon ‘gro), pour ceux qui veulent aborder les pratiques du vajrayāna, et notamment la mahāmudrā. La dernière des quatre pratiques préliminaires est le Gourouyoga
[1], “aux promptes réalisations”. La dernière fois que j’avais lu ce livre remonte aux années 1980. En lisant l’extrait, bien choisi il faut le dire, et après la chute de différents gourous tibétains, il ne me faisait plus du tout le même effet que pendant ma période bouddhiste tibétaine.
“Toutes les actions de ce précieux et parfait Lama,
Quelles qu’elles soient, sont bonnes.
Tout ce qu’il fait est excellent.
Entre ses mains le travail, maléfique d’un boucher
Est bon, et apporte des bienfaits aux bêtes,
Inspiré par la compassion pour toutes.
Quand il s’unit sexuellement de façon impropre,
Ses qualités s’accroissent, et s’élèvent comme renouvelées,
Montrant que les moyens et la sagesse ont été réunis.
Ses mensonges qui nous dupent,
Ne sont que les signes habiles par lesquels il nous
Guide sur le chemin de la liberté.
Lorsqu’il vole, les biens volés se changent en denrées nécessaires pour soulager la pauvreté de tous.
Quand un tel Lama réprimande
Ses paroles sont de puissants mantras
Pour faire disparaître la détresse et les obstacles.
Ses coups sont des bénédictions
Qui accordent les deux siddhis et réjouissent tous les hommes fervents et respectueux.
Ainsi qu’il est dit ci-dessus, apprécions les aspects bienfaisants de toutes ses actions.”[2]
Je suis donc retourné aux passages sur le Gourouyoga dans le livre, et quand on les lit avec les divers types d’abus potentiel à l’esprit, ils sont effrayants. Après ce premier effroi, ils restent tout simplement effrayants. Comment, ai-je pu penser que ce genre de raisonnement était acceptable ? Sans doute parce je croyais que la bonté du lama, sa réalisation et sa capacité de m’y conduire par des moyens insolites étaient incontestables. Si c’est en effet le cas, et si la fin est heureuse, c’est parfait. Si ce n’est pas le cas, c’est sans doute une recette à catastrophes.
“De même, notre propre attitude mentale nous amène à voir des fautes en notre Lama. Comment un Bouddha peut-il avoir des défauts ? Quoi qu’il fasse, laissez-le faire. Même si vous voyez votre Lama avoir des relations sexuelles, raconter des mensonges, etc. méditez calmement ainsi: "Tels sont les moyens habiles insurpassables de mon Lama pour former les disciples. Par ces méthodes il a amené beaucoup d’êtres sensibles à la maturité spirituelle et à la Libération. Ceci est cent fois, mille fois plus merveilleux que de préserver une conduite morale pure. Ceci n’est pas une duperie ni de l’hypocrisie mais le mode de conduite le plus élevé. En particulier, quand il nous réprimande, pensons : « Il détruit mes mauvaises actions. » Quand il nous frappe, pensons : « Il chasse les démons qui entravent mon progrès spirituel. » Considérons principalement que notre Lama nous aime comme un père aime son fils, Son amitié est toujours sincère. Il est très bon. S’il parait mécontent ou indiffèrent envers nous, pensons que c’est la rétribution qui ôtera le reste de nos voiles karmiques. Essayons de faire plaisir au Lama en le servant de toutes les façons possibles.
En deux mots, ne voyons aucune faute en notre Lama.”[3]
S’il fallait écrire un guide pour développer de la
dissonance cognitive, on ne pourrait guère faire mieux.
[4] Si on vérifie les instructions sur le Gourouyoga du Flambeau de la certitude par rapport aux listes de
critères de dérives sectaires ou de ‘groupes hautement exigeants’ (
high demand groups[5]), beaucoup de cases risquent d’être cochées.
Quand ce type d’arguments est avancé dans les discussions avec les adeptes de la pratique du Gourouyoga, on entend souvent les mêmes réponses. L’authenticité du lama abuseur est contestée, sa réalisation est contestée, ou il s’agit d’une exception. Les exemples de réussite du passé sont cités : Marpa et Milarepa,
Tilopa et Naropa, Padmasambava et Yéshé Tsogyel, etc., tous par ailleurs des exemples fictifs (pas forcément les personnages, mais certainement leurs légendes). Les textes sur le Gourouyoga recommandent une période d’examen (au maximum de 12 ans) des qualités du maître. Si le maître n’avait pas les qualités requises, il ne fallait pas le choisir. Ceux ou celles qui s’étaient engagés avec des maîtres contestables n’ont malheureusement pas eu suffisamment de jugeote, contrairement à ceux et celles qui suivent des maîtres, où tout se passe pour le mieux. J’ai lu aussi l’argument que les descriptions de la dévotion au gourou dans le cadre du Gourouyoga sont intentionnellement hyperboliques, exagérées, pour mieux faire passer le message. Quand on a examiné le gourou, et conclu que son éthique est parfaitement pure, il serait impossible que celui-ci se rende coupable de comportements inacceptables d’un point de vue moral…
Tout cela sans préjuger de la réalité de la réalisation, qui est le fruit du chemin de la dévotion, et de la capacité du maître d’y conduire l’adepte.
De nouvelles méthodes plus modernes sont apparues dans le cadre du Gourouyoga avec des gourous comme Chogyam Trungpa (et ses disciples),
Sogyal Lakar, le
“lama belge” Robert Spatz etc. Dans les médias, cette méthode porte désormais le nom de
“folle sagesse” (quelle que soit l’origine de ce concept). Selon la théorie qui justifie ces méthodes, les adeptes souffrent d’un trop-plein d’ego. Ce trop-plein d’ego sera la cible des actions du gourou. Celui, censé être déjà passé par là, tentera - avec compassion - de faire diminuer l’ego de l’adepte, en
insultant l’ego, en
terrorisant l’ego,
en rendant docile l’adepte, ou en
“brisant ses concepts” (Dzongsar KR). Ce que l’on peut qualifier de dépersonnalisation.
Ce qui est relativement nouveau dans ces méthodes, c’est qu’elles cherchent à activement dompter l’adepte, là où dans le Gourouyoga théorique cela semble plutôt être accessoire, c’est-à-dire dans le cas où l’on était témoin de mauvaises actions de la part du gourou, laquelle mauvaise perception il convient alors de chasser par la dissonance cognitive, puisque les actions du gourou sont par définition toujours parfaites... Pour voir un exemple de dissonance cognitive vécue de l’intérieur par un membre néerlandais de Rigpa,
voir l’extrait du livre 'Vrij van gedachten' (Libre de pensées, 2015) de Jan Geurtz, auteur, instructeur de bouddhisme tibétain et disciple de Sogyal Rinpoché.
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"Bullhook" |
Il existe une méthode de
dressage d’éléphants appelée “
dressage par anéantissement”. Le cornac frappe l’éléphant à l’aide son “bullhook” toujours aux mêmes zones sensibles. L’éléphant ne se dresse pas, il se soumet.
Une des accusations contre Sogyal Lakar est qu’il frappait souvent ses étudiants avec des objets (volume de texte “Pécha”, gratte-dos, etc.). En tant qu’enfant, Sogyal Lakara avait vécu un temps dans l’entourage de
Jamyang Khyentse Chökyi Lodrö (JKCL), un lama qui avait la réputation d’être violent (voir sa biographie
The Life and Times of Jamyang Khyentse Chökyi Lodrö par Dilgo Khyentse Rinpoche et Orgyen Tobgyal). Orgyen Tobgyal raconte dans le livre avoir vu au moins 20 ou 30 cicatrices sur la tête de JKCL, quand celui-ci fit raser son crâne. Il avait donc lui-même subi le même traitement par son maître ou tuteur
[6]. Trois générations de coups et blessures.
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Le phénomènes des sectes, l'étude du fonctionnement des groupes
[1] “Gourouyoga (skt) : littéralement : « union avec le maître », c'est-à-dire laisser reposer l'esprit dans l'état naturel en s'unissant à l'esprit du maître. Une des quatre pratiques préliminaires dans toutes les écoles tibétaines. Dans le mahamudra et le dzogchen, toute pratique débute par le gourouyoga.” Enseignements bouddhistes qui illuminent tous les êtres comme la lumière du soleil et de la lune, de Kalou Rinpoché.
[2] mtshan ldan bla ma rin chen 'dis//
gang mdzad thams cad legs pa yin//
ci mdzad thams cad yon tan yin//
mi bsad bshan pa mdzad na yang //
de khas 'tshengs shing de kha legs//
sems can thugs rjes 'dzin par nges//
log g.yem 'chal ba'i tshul ston yang //
yon tan 'phel zhing yon tan 'byung //
thabs shes zung du 'jug pa'i brda'//
rdzun gyis gzhan mgo bskor ba na//
brda thabs rnam pa sna tshogs kyis//
'gro kun thar pa'i lam la 'dren//
rku 'phrog chom po mdzad na yang //
gzhan gyi yo byad tshogs su bsgyur//
skye bo'i 'phongs pa zhi ba yin//
don la 'di 'dra'i bla ma yis//
bka' bkyon mdzad na drag sngags yin//
rkyen ngan bar chad sel bar nges//
brdungs btag mdzad na byin rlabs yin//
dngos grub thams cad de las 'byung //
mos gus can tsho nyams re dga'//
zhes gsungs pa ltar ci mdzad yon tan tu shes pa dang gnyis/
[3] mos gus lam du 'gro ba'i yan lag bzhi yod de/_bla ma la skyon gyi rnam par mthong na/_sangs rgyas ye shes kyis 'jam dpal khyim btsun bu smad can tu gzigs pa'i tshe ma dad pa'i rnam rtog skyes pas mchog gi dngos grub la bar du gcod pa ltar/_bdag rang gi sems rgyud ma dag pas len/_sangs rgyas la skyon zhig gar yod/_gang mdzad mdzad du chug_/mi tshangs par spyod pa dang rdzun mdzad pa sogs mthong na yod/_'di ka gdul bya 'dul thabs bla na med pa zhig yin yang /_'di la brten nas sems can mang po zhig smin grol la 'god pa the tshom med pas gzhan dag khrims gtsang ma srung ba las kyang 'di brgya 'gyur stong 'gyur gyi ngo mtshar che/_g.yo sgyu tshul 'chos ma mdzad pa 'di kho nas dam pa'i kun spyod la 'khrul pa med snyam du bsgom/
khyad par du rang la bka' bkyon byung na las ngan zad/_phyag 'jug gnang na gdon bgegs 'bros/_lhag par bdag la thugs brtse bas 'jig rten na phas bu la bya ba bzhin zol 'grogs mi mdzad pa bka' drin che snyam du bsam/_mi dgyes pa'i rnam 'gyur dang thugs mi gtad pa ltar snang na rang gi las sgrib ma dag pas lan snyam du sgrib sbyong dang /_bla ma'i sku gsung thugs kyi zhabs tog dgyes pa'i thabs la 'bad de mdor na bla ma'i skyon mi rtog pa dang gcig_/
[4] “La pratique (de la voie de la dévotion) est entièrement comprise dans les deux directives suivantes :
1.Faisons tout ce que le Lama nous dit de faire ;
2.Faisons tout ce que le Lama veut que nous fassions.
Avec notre corps, faisons prosternations et circumambulations, écrivons, cousons, faisons des courses, allons chercher de l’eau et balayons.
Avec notre parole, offrons des prières et louons-le. Faisons en sorte que d’autres connaissent les qualités de notre Lama. Demandons-lui ce que lui aimerait que nous fassions, dans un langage doux, poli et direct. Que ce soit en public ou en privé, ne prononçons jamais une parole de dénigrement.
Dans notre esprit, cultivons seulement la dévotion, le respect et la perception pure (60), sans la tache de la moindre pensée faussée. Si, en raison de notre mauvais karma, des pensées inappropriées s’élèvent, arrétons-les immédiatement, et ne les exprimons jamais par la parole ni par des actions.
Si, à cause de nos mauvaises actions passées, nous allons à l’encontre de ses désirs, confessons-nous sincèrement et offrons lui notre corps et nos possessions. Récitons le mantra de cent syllabes (de Vadirasattva), des prières propitiatoires et des confessions. Nous ne devons pas nous réjouir de partager la moindre nourriture, ni de parler de façon amicale avec quelqu’un qui va à l’encontre des désirs du Lama. Il est dit que si nous nous lions d’amitié avec quelqu’un qui méprise notre Lama, c’est aussi mauvais que si nous-mêmes éprouvions un tel mépris, même si ce n’est pas ce que nous ressentons.
Nous ne devons pas être mesquins. Nous devons donner à notre Lama tout ce qui nous appartient qui ait de la valeur pour lui ou qui lui plaise. Mais nous ne le faisons pas. Lorsque nous avons des biens de valeur - des choses excellentes et chères comme de jeunes chevaux, du bétail, etc. - nous les gardons pour nous-mêmes. Nous offrons nos plus mauvaises possessions au Lama en lui disant combien elles sont merveilleuses 1 Nous demandons n’importe quelle initiation et enseignement que nous désirons, sans égard pour leur profondeur.
S’il ne nous l’accorde pas, nous le regardons avec des yeux malheureux et nous disons : « Mais j’ai eu tant de bonté pour vous .! » Au lieu de ressentir de la gratitude envers ce Lama, qui nous a donné des enseignements du Dharma et des instructions, nous disons : « Je lui ai fait une grande faveur en lui demandant des instructions et en l’écoutant ! »
Si nous ne nous rendons pas compte du fait que c’est pour notre propre bien que nous faisons des offrandes et rendons service au Lama, si nous présentons des offrandes fiers et satisfaits de nous-mêmes, il aurait mieux valu ne pas faire d’offrandes du tout.”
[5] Voici la liste figurant dans la lettre ouverte
“No Secrets in the Village”: An Open Letter on Abuse in Dharma, publiée par des anciens étudiants de Reggie Ray de Dhama Ocean, ancien étudiant de Chogyam Trungpa :
● grooming (sollicitation);
● love bombing (bombardement affectif) new group members;
● questioning and doubt being discouraged or punished;
● public shaming of community members;
● a cycle of verbal abuse and triangulation in interpersonal communication;
● selective enforcement of rules/community norms; dissent framed in terms of spiritual immaturity/shortcomings;
● a pervasive culture of fear and paranoia;
● a charismatic leader insulated from any external accountability;
● reframing dissent or the loss of prominent members as proof of the worthiness and exceptionalism of the “in-group”;
● frequent public appraisals of other spiritual paths and communities, which were always found inferior by comparison with Dharma Ocean.
● the organization’s all-important ends justify its unethical means.”
[6] The Life and Times of Jamyang Khyentse Chökyi Lodrö, note 5, page 26.