samedi 12 décembre 2020

En attendant de nouveaux orages ?


Le Dalaï-Lama (photo India Today)

Fin 2016, suite à la publication du livre Les dévots du bouddhisme de Marion Dapsance, qui reprenait les thèmes de sa thèse ('Ceci n'est pas une religion', L'apprentissage du dharma selon Rigpa) publié en 2013, il y eut des réactions vives de la part des bouddhistes dans les médias, sur Internet et sur les réseaux sociaux. Un des arguments qu’on lisait souvent était que si les allégations étaient avérées, il fallait les signaler à la justice et porter plainte, en attendant un non-lieu, un verdict etc. Que chacun s’occupe de sa pratique.

Il y avait néanmoins eu une réunion de leaders bouddhistes occidentaux en 1993 à Dharamsala sur le thème des abus dans le bouddhisme. Une plainte avait cependant été déposée contre Sogyal Lakar aux USA (Californie) en 1994, qui s’était terminée sur un arrangement extra-judiciaire et la signature d’un accord de non-divulgation[1]. En 1997, une instruction judiciaire était ouverte en Belgique, en France et au Portugal, “sur la base de soupçons d’enrichissement personnel de Robert Spatz et de relations présumées de ce dernier avec des membres mineurs de la communauté”.(wikipédia) Sans mentionner le simple endoctrinement denfants dès leur plus jeune âge, mais qui est légal...  Ce sera pour un autre blog. 

Des plaintes pour abus de faiblesse avaient déjà été déposées (2010) contre trois lamas bhoutanais de Dashang Kagyu Ling en Saône-et-Loire. Deux des lamas étaient relaxés par la suite, Karma Tshojay alias lama Tempa Dargyé fut condamné “le 18 décembre 2018 par la cour d’assises de Châlon-sur-Saône à douze ans de réclusion criminelle pour ces viols et agressions sexuelles, notamment sur mineurs[2].

Il y eut les confidences médiatiques d’Olivier Rauch, l’ancien bras droit de Sogyal Lakar, qui avait alerté les médias en 2016 et quitté Rigpa. Depuis fin 2016, l’apparition de nouvelles allégations et la révélation de nouveaux cas se sont accélérées. Notamment, pendant l’été de 2017, quand huit disciples de Sogyal Lakar alias Sogyal Rinpoché le mettaient en cause dans une lettre ouverte. Les réactions sur Internet furent déjà plus mitigées, mais on lisait toujours l’argument que tant qu’il n’y avait pas de condamnation, il y avait présomption d’innocence, et aucune autre action n'était requise... Des arguments faisant appel au principe de précaution étaient plus rares. Une petite sortie du Dalaï-lama, qui n'est pas un pape, avait finalement poussé Sogyal Lakar à se mettre en retraite, la direction de Rigpa tentant au mieux de maîtriser les dégâts à l’aide de quelques hiérarques tibétains, qui mettaient la pression sur les huit ex-disciples, et les disciples déroutés de Rigpa.

Des forums de discussions (ouverts et fermés) d’anciens disciples et de survivants apparurent sur Internet, l’avocat Jean-Baptiste Cesbron commença à recueillir des témoignages par le biais de l’Adfi (Associations de défense des familles et de l’individu victimes de sectes) de l’Hérault. Dans une interview dans le Midi Libre, le journaliste laisse tomber le mot “secte” et une plainte de la part de Rigpa s’en suit aussitôt contre le journal, la journaliste et l’avocat (cela se terminera sur une relaxe). Une enquête avait été commandée et confiée à Karen Baxter de Lewis Silkin LLP. Karen Baxter. Les résultats de ce rapport avaient été rendu publics le 22 août 2018.

Matthieu Ricard publia un point de vue, suite aux allégations, où il déclare que le Dalaï-lama n’est pas un pape, n’a pas d’autorité sur les maîtres bouddhistes tibétains, que ce n’est pas “son rôle d’aller faire la police sur les cinq continents”, et que Matthieu Ricard lui-même n’est “en aucune façon le porte-parole du bouddhisme en France”, ni “un conseiller de Sa Sainteté le Dalaï-lama”. C’est d’ailleurs un point de vue partagé par la plupart des hiérarques qui se sont exprimés à ce sujet. Il n’y a donc pas d’autorité bouddhiste (tibétaine), ou un organe de discipline, un médiateur bouddhiste, etc. en France, pour traiter de ce problème récurrent, en dehors des tribunaux.

Quand le Dalaï-lama avait rencontré une délégation de survivants fin 2018 aux Pays-Bas, il les avait remerciés en disant “vous venez de me donner des munitions”, et leur avait promis d’en parler lors de la prochaine réunion de chefs décoles tibétaines à Dharamsala. La réunion avait été reporté sine die. D’autres réunions ont eu lieu depuis, mais le sujet des abus n’a jamais été abordé officiellement, en dehors de tentatives de maîtrise de dégâts, notamment suite au décès de Sogyal Lakar en 2019, et les nombreux hommages officiels, dont certains ont été annulés par la suite sous la pression de l’opinion bouddhiste occidentale.

En avril 2019, Patrick Gaffney était disqualifié pour une période de huit ans par la Charity Commission[2] for England and Wales, notamment pour avoir eu connaissance des “allégations d’actes impropres et abus sexuels et/ou physiques” contre des étudiants au sein de la charité. Comme il n’avait pas pris les mesures qui s'imposaient, il était considéré responsable de l’inconduite et/ou de la mauvaise gestion dans l’administration de la charité. (The Guardian). En novembre 2020, la Commission publia son rapport complet, en excluant deux administrateurs de la Rigpa Fellowship, pour avoir ignoré ou minimisé une série d'allégations d'abus. 

2019 était également l’année, où le fils de Chogyam Trungpa, le Sakyong Mipham Rinpoché de la lignée Shambala, fut officiellement accusé dinconduite sexuelle. D’autres disciples éminents de Chogyam Trungpa et cadres de Shambala furent également mis en cause. La direction de la FPMT de lama Zöpa, vient de déclarer début décembre 2020 que Dagri Rinpoché de lOffice du Dalaï-Lama a été suspendu de sa liste d’enseignants. Tout récemment (le 7 décembre 2020), le “lama belge” Kunzang Dorjé, Robert Spatz, était condamné à cinq ans de prison avec sursis et à des dédommagements de victimes.

Les violences et les abus pénètrent toutes les strates de la société. On peut les trouver dans les entreprises, les associations, les institutions religieuses. Il n'y a pas d'exceptionnalisme bouddhiste. Le scandale n'est pas qu'il existe des abus et des violences dans les milieux bouddhistes, comme partout ailleurs, mais que les bouddhistes semblent préférer fermer les yeux, nier les faits, ne pas gérer la situation, voire mettre la pression sur les survivants et ceux qui les défendent, pensant ainsi sauver les apparences. L'église catholique avait eu la même attitude pendant longtemps, mais a sérieusement fait le ménage depuis, y compris en dédommageant un certain nombre de victimes. La leçon implicite aux bouddhistes est de ne pas attendre que l'orage passe de lui-même, car ce ne sera pas le cas, et de nouveaux orages arriveront sans aucun doute.  

En absence d’une autorité bouddhiste en France, d’une autorité bouddhiste responsable à Dharamsala, il ne reste dans la situation actuelle que les tribunaux français en dernier ressort pour régler ce problème en externe, car  les bouddhistes en sont incapables, n'en ont pas la volonté, ou n'en ressentent pas la nécessité. D'ailleurs, il y a des procès uniquement quand des survivants ont le courage de faire ce pas difficile et laborieux, en sachant que “moins de 2% des affaires de viols aboutissent à une condamnation en cour dassises” ? Faut-il alors alerter les médias (puisque les chefs bouddhistes sont impuissants de régler leurs problèmes) comme le suggère le Dalaï-lama, qui a dit depuis que "les leaders religieux devraient être plus attentifs" à cette problématique, mais sans toutefois attirer l'attention de ses propres chefs religieux sur cette problématique dans une réunion promise aux survivants. Qu’attendent-ils, qu’attendent les bouddhistes français devant l'inertie de leurs maîtres, impuissants ou manquant d’autorité dans ce domaine ?

MàJ 16122020 Un pourvoi en cassation a été introduit dans le cadre du procès de la communauté OKC

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[1] Sex and Violence in Tibetan Buddhism, Mary Finnigan et Rob Hogendoorn, p. 86

[2] Wikipédia Paldenshangpa La Boulaye

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