vendredi 11 décembre 2020

Entre l'Himalaya et le Schlahörner de Davos


Matthieu Ricard à Davos en discussion avec Lakshmi Mittal du group ArcelorMittal en 2017

Dans la situation française, ce qui se passe autour du Dalaï-Lama globalement se passe autour de Matthieu Ricard sur une échelle plus petite dans le monde francophone. Depuis 1989, il est l’interprète officiel en français du dalaï-lama, et en cette qualité, il a fréquenté les mêmes cercles que Sa Sainteté, et a en outre noué ses propres contacts, pour ses propres organisations caritatives et activités.

Davos 2016

Étant un moine bâtisseur bouddhiste, il répète souvent que “La seule chose qui me fait quitter mon ermitage, c'est l'action humanitaire.”[1] Quitter l'ermitage de l'Himalaya pour se rendre dans les Alpes suisses à Davos, en restant tout de même à une altitude de 1 560 mètres.
Ce sont principalement des philanthropes et des fondations familiales qui nous "mécènent", très peu d'entreprises. Or l'idée de Karuna était justement de se rapprocher des entreprises. Nous n'avons aucun grand bienfaiteur français. Beaucoup d'Européens, de Suisses, Allemands, d'Américains, de Hongkongais... Finalement, le bienfaiteur français, c'est moi.” (LExpress 2011)
En effet, depuis 2010, Matthieu Ricard (MR) fréquente les réunions du Forum Économique Mondial (WEF) à Davos, où il rencontre des “philanthropes”, “pour trouver des bonnes volontés qui soutiennent [s]es projets”. 

Remise du Rapport sur "l'économie positive" en 2013

En 2012, François Hollande commanda à Jacques Attali un rapport sur la situation de l'« économie positive » (le rapport est disponible ici). Matthieu Ricard faisait partie du groupe de réflexion. Le projet fut présenté au Président Hollande en 2013. La même année, paraissait le livre “Plaidoyer pour l’altruisme, La Force de la bienveillance”, publié par Matthieu Ricard, aux éditions Nil.
L’économie positive, fondée sur des synergies entre tous les êtres vivants, promeut des valeurs telles que l’altruisme, la bienveillance et la compassion, et transforme la simple croissance en épanouissement. C’est un système économique qui engendre une prospérité équitable et durable. La durabilité et l’équité sont favorisées par une répartition harmonieuse des possibilités existant au sein d’une génération et entre générations. La prospérité repose sur le bien-être, notamment l’élaboration de relations d’entraide, la reconnaissance des liens entre tous les êtres vivants et la possibilité d’évolution personnelle.” Rapport, partie du membre Dennis J. Snower, l’inventeur de “Caring economics” (pour un article sur le même sujet voir Comment construire une économie humaine par Tania Singer.
MR, invité à La France des solutions par Pierre Nougué 

L’attitude positive, ici appliquée à l’économie, était un sujet très médiatique en ces années. L’entrepreneur français Pierre Nougué (né en 1963) dans les nouveaux réseaux d’information, qui avait créé Reporters d'espoirs en 2004, voulait utiliser “les nouveaux réseaux pour montrer que partout, des hommes et des femmes ont des solutions qui donnent à d'autres l'envie d'agir. C'est une immense spirale ascendante.”[2] Il est également l’organisateur de La France des solutions, “ces citoyens qui bâtissent l’avenir”. C’était encore avant les premiers de cordée de la Start-up nation de Macron, mais on la sent déjà arriver. La positiv’ attitude tout comme la compassion est génétique, la science le prouvera bien un jour. Il est possible de guérir même les français râleurs, avec leurs grèves et manifestations qui n’en finissent jamais, et qui ne sont jamais contents.

Chez Google avec Chade-Meng tan en 2016

Puisque tout cela est dans nos gènes et dans nos systèmes neurologiques, pourquoi lutter contre ? Pourquoi aller contre sa nature ? Notre économie et nos entreprises se porteraient mieux avec une attitude plus positive, plus de compassion et d’altruisme, plus d’attention, et plus de résilience, même “au coeur de la tourmente[3] et avec des cadences infernales. C’est le manque de conscience de ces qualités naturellement présentes en l’homme, qui empêche la réalisation d’une “immense spirale ascendante” universelle. Il suffit que chacun de nous redécouvre et se re-connecte à ces qualités. Cette recherche du bonheur intérieur individuel transcende tous les clivages politiques. Chacun est responsable de son propre développement et bien-être indépendamment du monde extérieur, la politique n’a rien à voir là-dedans. Si Matthieu Ricard descend parfois de sa montagne, c’est pour nous le montrer : “se transformer soi-même afin de transformer le monde[4]. Laissons faire les spécialistes de Davos, et occupons-nous d’abord de nous-mêmes, en restant positifs et en attendant le ruissellement.

Quand les crises se multiplient, notamment à cause des politiques menées par ceux qui visiblement n’ont pas grand chose à faire des valeurs compassiologiques, même les prophètes du “biennisme” n’y peuvent plus grand chose, et c’est aux forces de l’ordre de prendre la relève. Consolation : confinés chez soi, chacun peut se consacrer dabord à son propre développement de soi avant de transformer le monde.

Évidemment, que le bouddhisme a des instruments à offrir qui peuvent améliorer notre vie, mais cela passe désormais par une approche d’abord collective et non principalement individuelle. On a beau être des bouddhas, chacun confinés chez soi, dans une planète mise à mal, dans des sociétés où rien n’est fait, ou si peu, ou si mal, pour combattre les inégalités et les injustices, il est grand temps de transformer le monde et notre vie en société, tout en continuant de se transformer soi-même. La plupart de nous n’avons d'ailleurs pas attendu les compassiologues pour travailler sur soi. Si le succès n’est pas évident, même après plusieurs décennies de “biennisme”, c’est peut-être aussi et surtout que la solution n’est pas individuelle, et encore moins omphalopsychienne.

***

[1] “Je constate que beaucoup d'ONG connaissent des problèmes internes - conflits d'ego, corruption... - parce que leurs membres ne sont pas toujours au clair avec leurs motivations réelles. Ce qui nous a permis de garder intacte notre vision, c'est notre quête spirituelle. La seule chose qui me fait quitter mon ermitage, c'est l'action humanitaire. Sinon, je resterais là-haut, seul, sur le toit du monde.” (LExpress 2011)

[2]Nous sommes tous des optimistes” Patrice van Eersel, Clés, janvier 2012.

[3] Dr Jon Kabat-Zinn, Au coeur de la tourmente, la pleine conscience, J’ai lu, Bien-être

[4] Plaidoyer pour l’altruisme, p.854 “La première chose à faire si l'on veut servir les autres, c'est donc de développer soi-même suffisamment de compassion, d'amour altruiste et du courage pour pouvoir se mettre efficacement à leur service sans trahir son objectif de départ. Remédier à son propre égocentrisme est un puissant moyen de servir autrui. Il ne faut donc pas sous-estimer l'importance de la transformation personnelle.”

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