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Photo : OSV News photo/Dylan Martinez, Reuters |
“Toute la philosophie occidentale n’est qu’une série de notes en bas de page à Platon” (Alfred North Whitehead[1])
On pourrait dire la même chose pour les cultes, religions et spiritualités ayant subi l’influence helléniste, gréco-romaine depuis Platon et Aristote. Platon lui-même était inspiré par Pythagore, Parménide, “l’Egypte”, etc. Les écoles philosophiques et les courants religieux portaient les marques d’éléments cosmogoniques, théogoniques, anthropogoniques, mythologiques, etc., antérieurs, et ces éléments peuvent avoir des traces dans la philosophie occidentale et dans les religions actuelles. Attribuer “tout cela” à Platon est sans doute et avant tout une boutade.
“Il est difficile de se libérer du connu”, dit et écrit un messie universel démissionnaire, et il avait raison sur ce point. Il s’agit de Jiddu Krishnamurti, désigné comme messie par la Société théosophique, dont certains membres se séparèrent pour créer leur propre mouvement, comme p.e. Rudolf Steiner (1861-1925), fondateur de la Société anthroposophique en 1913.
Un autre membre qui avait fini par créer son propre mouvement était Alice Bailey (1880-1949), qui fonda Lucis Trust en 1922, initialement appelé Lucifer Publishing Company. Généralement, les spiritualistes pour qui “le connu” se rapporte surtout au “spirituel” ne cherchent pas du tout à s’en libérer, et se sentent parfaitement à l’aise dans les “notes en bas de page à Platon”, notamment sa théorie de l’harmonie des sphères. Bailey reprend la doctrine des “sept rayons” [planétaires], héritée de la théosophie. Chacun de ces rayons correspond à une qualité divine, un type d’énergie et une mission spécifique dans “le Plan Divin”, qui avait été télépathiquement transmis à Bailey par un des mahatmas de la Société théosophique, le nommé Djwhal Khul, surtout connu comme “le Tibétain”. Bailey le décrit comme un membre avancé de “la Hiérarchie”, chef d’un ashram subsidiaire du mahatma Koot Humi, et porteur d’une mission de renouvellement de la “Sagesse Éternelle” pour l’ère nouvelle, celle du Verseau. “La Hiérarchie” est dirigée par le Christ-Maitreya, le futur Messie.
“La Hiérarchie” tient des Conclaves à “Shamballa”, tous les cent ans, pour réviser le “Plan Divin”. Le premier est dit avoir lieu en 1425, et cette année, en 2025, aura lieu un Conclave déterminant, car le Messie serait sur le point à revenir, pour aider l’humanité à franchir la prochaine étape évolutive. Cette manifestation du Messie et l’exécution de son Plan est appelé “Externalisation”. Nous étions dans “l’Étape du Précurseur” jusqu’au 21 mars 2025, date qui marquerait par ailleurs la fin du Kaliyuga selon des calculs savants, et l’entrée dans l’ère transitionnelle de 1200 ans, dite de la “Conflagration”, selon Bibhu Dev Misra. Ces données sont tirés du “Traité du feu cosmique” (A Treatise on Cosmic Fire), publié par Lucis Trust.
Le Messie à venir est un “Avatar de Synthèse”. Il est présenté comme un avatar extra-planétaire dont l'origine est un grand mystère, même pour les “Logoi Planétaires”[2]. Sa fonction est d'apporter la mort aux vieilles formes limitantes ("le connu") et à ce qui abrite le mal. Le chaos et le désastre liés à son approche sont causés par ceux qui résistent au changement et par le fait que sa force est aussi la force de destruction divine qui détruit les formes cristallisées pour permettre l'émergence d'un nouveau monde. L'Avatar de Synthèse arrive sur Terre pour promouvoir l'unité, la solidarité et l'interrelation, en maniant l'énergie du “premier rayon”, l'énergie spirituelle de la Volonté, du Pouvoir et de la Synthèse. Chacun verra cet Avatar, ce Messie, comme le Messie, Imam, etc. de sa tradition propre.
H.P. Blavatsky affirma que Vishnu reviendra sur Kalki, le Cheval Blanc, le dernier Avatar. Elle dit aussi que le Kalki Avatar et le Seigneur Maitreya (le Christ et le futur Bouddha) sont les mêmes. De plus, Helena Roerich, la femme de Nicolas Roerich (1874-1947), identifie Kalki / Maitreya comme le Seigneur de Shambhala. Dans le livre de l'Apocalypse, St. Jean le Théologien prophétise la venue de l' Avatar comme le "Cavalier sur un cheval blanc". Paul Davidson note la similarité évidente entre l' Avatar Kalki hindou chevauchant un cheval blanc et le Cavalier sur le cheval blanc de l'Apocalypse. H.P. Blavatsky considère également Sociosh, le sauveur mazdéen, comme le prototype du "fidèle et du vrai" de l'Apocalypse, et le même que Vishnu dans le Kalki-Avatara. Il y en aura pour tout le monde. L'événement de sa venue est perçu comme une convergence de différentes prophéties mondiales.
Que “La Hiérarchie” tient ses Conclaves centenaires à “Shamballa” n’est évidemment pas un hasard, puisque le mahatma Djwhal Khul, qui communique télépathiquement avec Baily, est “le Tibétain”, et que “Shamballa” a nourri tous les fantasmes sur ce royaume caché, notamment depuis la fin du 18e et le début du 19e siècle. Le Conclave de 2025 décidera de la suite, mais selon Bailey, la venue de “l’Avatar de Synthèse” serait imminente.
Le Kālacakra Tantra et textes dérivés sont la source tibétaine de tout ce qui concerne “Shamballa”. Ils prophétisent le futur règne du dernier roi (rigs ldan) de Shambhala après la bataille de la fin des temps. Sans doute inspiré par le Purāṇa de Viṣṇu, dont Livre 4, chapitre 24, raconte la généalogie des rois à venir à la fin des temps. C’est alors que Viṣṇu “descendra” (avatara) sous la forme du héros millénariste Kalki, qui naîtra dans la maison d'un brahmane éminent de “Śambhala”, pour restaurer l’ordre cosmique.
Ce règne est vu comme le modèle d'une théocratie dirigée par un "maître-roi" (dharmaraja), où le pouvoir séculier et religieux sont unis. La figure de Gésar de Ling est associée à Shambhala dans la croyance tibétaine, où il est censé résider et servir de général aux armées du roi Rigden dans la bataille finale. Ça va péter !
Les théosophes et d’autres spiritualistes, des candidats-théocrates, et parfois des simples adversaires d’idéologies socialistes et communistes (“matérialisme”), se sont servis de la légende de l’avatar de Shambala. Un des plus pittoresques est le Baron Ungern-Sternberg (célébré par Hugo Pratt), “le baron fou”, qui voulait restaurer les monarchies et les théocraties avec l'aide d'un "ordre de bouddhistes militaires". Il y a les tentatives théocrato-diplomatiques du Russo-tibétain Agvan Dorjiev (1853-1938, le "Great Game"), et de Nicolas Roerich, théosophe, qui recevait des ordres du Mahatma El Morya. La théocratie Shambala était la Terre promise des théosophes.
Le 14ème Dalaï-lama avait reçu la permission onirique de répandre le Kālacakra dans le monde, y compris à des non-bouddhistes, avec l'intention de "transformer le monde entier en Shambhala". Il avait donné des initiations Kālacakra à de larges audiences dans le monde. L'objectif derrière la diffusion du Kālacakra est de planter des "graines karmiques" dans les êtres pour préparer leur entrée dans l'Âge d'or et de promouvoir des thèmes universels comme la responsabilité, la compassion et l'altruisme.
Chogyam Trungpa avait développé un projet "Shambhala" visant à établir une "société éveillée séculière". Il aurait reçu des "termas" (enseignements cachés) directement des Rigden, rois de Shambhala. Il s'était présenté comme un "Sakyong" (protecteur de la terre), un maître-roi dont le rôle est d'établir une société humaine en joignant le ciel et la terre (théocratie). Il avait été formellement sacré "Sakyong" par de hauts lamas tibétains (Dilgo Khyentse et Karmapa XVI), reconnaissant ainsi l'union de son activité à la fois spirituelle et temporelle. Trungpa avait mis en place des structures rappelant des aspects militaires occidentaux, comme les Kasung (gardes vajra), pour "transmuter le militarisme". Le Baron Ungern-Sternberg aurait apprécié. Le concept du “maître-roi” a conduit à des séries d’abus (Trungpa, son régent vajra, son fils le Sakyong, OKC, etc.) dans différents mouvements bouddhistes-tibétains en Occident, où la théocratie n’est/n’était pas une évidence.
Il est donc tout naturel que pour “l’Internationale Spiritualiste”, Shambala soit le siège de “la Hiérarchie”, où lors d’un Conclave centenaire il serait décidé du retour du Messie Christ-Maitreya, comme “l’Avatar de Synthèse”. Surtout dans un monde qui semble se diviser de plus en plus.
Ces idées sont profondément ancrées dans une vision millénariste et utopique qui aspire au rétablissement d'un ordre idéal, souvent perçu comme théocratique et basé sur des traditions et des valeurs anciennes. Cette aspiration se définit en opposition claire au "matérialisme" et aux forces (comme la révolution et l'égalitarisme associés au marxisme/communisme) qui sont vues comme les agents du déclin de l'âge sombre (Kali Yuga).
Cette convergence millénariste autour de “Shambala”, et, pour Bailey et d’autres, autour de l'année 2025, révèle une aspiration profonde et transversale à un renouveau spirituel face aux crises du monde contemporain. Qu'il s'agisse des théosophes attendant l'Avatar de Synthèse, des bouddhistes tibétains préparant l'avènement du roi Rigden, de Kalki, ou du pape Léon XIV déplorant le recul de la foi, tous partagent un diagnostic commun : celui d'un monde en fin de cycle, dominé par “le matérialisme” et nécessitant une intervention divine.
Mais cette nostalgie d'un ordre théocratique idéalisé pose question. L'histoire récente nous a montré les dérives autoritaires des tentatives de fusion entre pouvoir spirituel et temporel - du "baron fou" Ungern-Sternberg aux abus dans les communautés bouddhistes occidentales. Le rêve d'une société parfaite guidée par des "maîtres-rois" théocrates se heurte inexorablement aux réalités humaines.
Peut-être que le véritable défi n'est pas d'attendre un Messie ou de restaurer d'anciennes théocraties, mais de trouver comment les valeurs spirituelles peuvent coexister avec la pluralité du monde moderne. Car si "toute la philosophie occidentale n'est qu'une série de notes en bas de page à Platon", l'humanité a aussi appris, douloureusement, que les utopies théocratiques portent en elles les germes de leur propre corruption. L'année 2025 sera sans doute moins celle d'une apocalypse que celle d'un choix : celui de chercher le sacré dans la complexité du réel plutôt que dans la pureté d'un ordre fantasmé.
[2] The Coming Avatar, Dorje Jinpa, Pentarba Publications, 2012
[3] “Apparently, the year 2025 is the cut-off date for humanity to recognize that we are divine souls, that the gods described in many ancient traditions are the guardians of the human civilization, and it is our sacred obligation to act in accordance with the divine plan, which is to live in peace and harmony, and to progressively purify our consciousness by following the ancient wisdom teachings. If we are unable to do so by 2025 – and, to be honest, that seems quite unrealistic at this stage – catastrophic changes will inevitably sweep over the earth.” Bibhu Dev Misra, Alice Bailey’s Prophecy about 2025 and its links to the Kalachakra Tantra, 2024
“Il est difficile de se libérer du connu”, dit et écrit un messie universel démissionnaire, et il avait raison sur ce point. Il s’agit de Jiddu Krishnamurti, désigné comme messie par la Société théosophique, dont certains membres se séparèrent pour créer leur propre mouvement, comme p.e. Rudolf Steiner (1861-1925), fondateur de la Société anthroposophique en 1913.
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Lucis Publishing Company |
Un autre membre qui avait fini par créer son propre mouvement était Alice Bailey (1880-1949), qui fonda Lucis Trust en 1922, initialement appelé Lucifer Publishing Company. Généralement, les spiritualistes pour qui “le connu” se rapporte surtout au “spirituel” ne cherchent pas du tout à s’en libérer, et se sentent parfaitement à l’aise dans les “notes en bas de page à Platon”, notamment sa théorie de l’harmonie des sphères. Bailey reprend la doctrine des “sept rayons” [planétaires], héritée de la théosophie. Chacun de ces rayons correspond à une qualité divine, un type d’énergie et une mission spécifique dans “le Plan Divin”, qui avait été télépathiquement transmis à Bailey par un des mahatmas de la Société théosophique, le nommé Djwhal Khul, surtout connu comme “le Tibétain”. Bailey le décrit comme un membre avancé de “la Hiérarchie”, chef d’un ashram subsidiaire du mahatma Koot Humi, et porteur d’une mission de renouvellement de la “Sagesse Éternelle” pour l’ère nouvelle, celle du Verseau. “La Hiérarchie” est dirigée par le Christ-Maitreya, le futur Messie.
“La Hiérarchie” tient des Conclaves à “Shamballa”, tous les cent ans, pour réviser le “Plan Divin”. Le premier est dit avoir lieu en 1425, et cette année, en 2025, aura lieu un Conclave déterminant, car le Messie serait sur le point à revenir, pour aider l’humanité à franchir la prochaine étape évolutive. Cette manifestation du Messie et l’exécution de son Plan est appelé “Externalisation”. Nous étions dans “l’Étape du Précurseur” jusqu’au 21 mars 2025, date qui marquerait par ailleurs la fin du Kaliyuga selon des calculs savants, et l’entrée dans l’ère transitionnelle de 1200 ans, dite de la “Conflagration”, selon Bibhu Dev Misra. Ces données sont tirés du “Traité du feu cosmique” (A Treatise on Cosmic Fire), publié par Lucis Trust.
Le Messie à venir est un “Avatar de Synthèse”. Il est présenté comme un avatar extra-planétaire dont l'origine est un grand mystère, même pour les “Logoi Planétaires”[2]. Sa fonction est d'apporter la mort aux vieilles formes limitantes ("le connu") et à ce qui abrite le mal. Le chaos et le désastre liés à son approche sont causés par ceux qui résistent au changement et par le fait que sa force est aussi la force de destruction divine qui détruit les formes cristallisées pour permettre l'émergence d'un nouveau monde. L'Avatar de Synthèse arrive sur Terre pour promouvoir l'unité, la solidarité et l'interrelation, en maniant l'énergie du “premier rayon”, l'énergie spirituelle de la Volonté, du Pouvoir et de la Synthèse. Chacun verra cet Avatar, ce Messie, comme le Messie, Imam, etc. de sa tradition propre.
Kalki sur son cheval blanc |
H.P. Blavatsky affirma que Vishnu reviendra sur Kalki, le Cheval Blanc, le dernier Avatar. Elle dit aussi que le Kalki Avatar et le Seigneur Maitreya (le Christ et le futur Bouddha) sont les mêmes. De plus, Helena Roerich, la femme de Nicolas Roerich (1874-1947), identifie Kalki / Maitreya comme le Seigneur de Shambhala. Dans le livre de l'Apocalypse, St. Jean le Théologien prophétise la venue de l' Avatar comme le "Cavalier sur un cheval blanc". Paul Davidson note la similarité évidente entre l' Avatar Kalki hindou chevauchant un cheval blanc et le Cavalier sur le cheval blanc de l'Apocalypse. H.P. Blavatsky considère également Sociosh, le sauveur mazdéen, comme le prototype du "fidèle et du vrai" de l'Apocalypse, et le même que Vishnu dans le Kalki-Avatara. Il y en aura pour tout le monde. L'événement de sa venue est perçu comme une convergence de différentes prophéties mondiales.
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Couverture "The Coming Avatar" Dorje Jinpa |
Que “La Hiérarchie” tient ses Conclaves centenaires à “Shamballa” n’est évidemment pas un hasard, puisque le mahatma Djwhal Khul, qui communique télépathiquement avec Baily, est “le Tibétain”, et que “Shamballa” a nourri tous les fantasmes sur ce royaume caché, notamment depuis la fin du 18e et le début du 19e siècle. Le Conclave de 2025 décidera de la suite, mais selon Bailey, la venue de “l’Avatar de Synthèse” serait imminente.
Le Kālacakra Tantra et textes dérivés sont la source tibétaine de tout ce qui concerne “Shamballa”. Ils prophétisent le futur règne du dernier roi (rigs ldan) de Shambhala après la bataille de la fin des temps. Sans doute inspiré par le Purāṇa de Viṣṇu, dont Livre 4, chapitre 24, raconte la généalogie des rois à venir à la fin des temps. C’est alors que Viṣṇu “descendra” (avatara) sous la forme du héros millénariste Kalki, qui naîtra dans la maison d'un brahmane éminent de “Śambhala”, pour restaurer l’ordre cosmique.
“26. Au temps où se perdront toutes les vertus, le bienheureux Vasudeva, descendu glorieux sous la forme de Kalki dans la maison d'un brahmane éminent de Sambhala, détruira tous les Mlêtchtchas [mleccha], tous les hommes abjects et adonnés à de mauvaises pratiques ;Le but est de rétablir la justice (dharma) sur Terre et d'établir un Âge d'or (Krita Yuga).
27. Et, par ses propres vertus, il rétablira le monde entier. Alors, à l'expiration du kaliyuga, les âmes des hommes, qui se seront réveillées, seront purifiées. et deviendront semblables à un cristal sans tache.” (Viṣṇu Purāṇa, Livre IV, sect. 24, sl. 26-27).
Chinggis Khan (19-20e s.), Badγar Coyiling süme (Wudang zhao 五當召), Isabelle Charleux |
Ce règne est vu comme le modèle d'une théocratie dirigée par un "maître-roi" (dharmaraja), où le pouvoir séculier et religieux sont unis. La figure de Gésar de Ling est associée à Shambhala dans la croyance tibétaine, où il est censé résider et servir de général aux armées du roi Rigden dans la bataille finale. Ça va péter !
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Baron Ungern-Sternberg vu par Hugo Pratt |
Les théosophes et d’autres spiritualistes, des candidats-théocrates, et parfois des simples adversaires d’idéologies socialistes et communistes (“matérialisme”), se sont servis de la légende de l’avatar de Shambala. Un des plus pittoresques est le Baron Ungern-Sternberg (célébré par Hugo Pratt), “le baron fou”, qui voulait restaurer les monarchies et les théocraties avec l'aide d'un "ordre de bouddhistes militaires". Il y a les tentatives théocrato-diplomatiques du Russo-tibétain Agvan Dorjiev (1853-1938, le "Great Game"), et de Nicolas Roerich, théosophe, qui recevait des ordres du Mahatma El Morya. La théocratie Shambala était la Terre promise des théosophes.
De la BD "Man of Peace", Bob Thurman, 2015 |
Le 14ème Dalaï-lama avait reçu la permission onirique de répandre le Kālacakra dans le monde, y compris à des non-bouddhistes, avec l'intention de "transformer le monde entier en Shambhala". Il avait donné des initiations Kālacakra à de larges audiences dans le monde. L'objectif derrière la diffusion du Kālacakra est de planter des "graines karmiques" dans les êtres pour préparer leur entrée dans l'Âge d'or et de promouvoir des thèmes universels comme la responsabilité, la compassion et l'altruisme.
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Chögyam Trungpa, en roi de Shambala, photo Andrea Roth |
Chogyam Trungpa avait développé un projet "Shambhala" visant à établir une "société éveillée séculière". Il aurait reçu des "termas" (enseignements cachés) directement des Rigden, rois de Shambhala. Il s'était présenté comme un "Sakyong" (protecteur de la terre), un maître-roi dont le rôle est d'établir une société humaine en joignant le ciel et la terre (théocratie). Il avait été formellement sacré "Sakyong" par de hauts lamas tibétains (Dilgo Khyentse et Karmapa XVI), reconnaissant ainsi l'union de son activité à la fois spirituelle et temporelle. Trungpa avait mis en place des structures rappelant des aspects militaires occidentaux, comme les Kasung (gardes vajra), pour "transmuter le militarisme". Le Baron Ungern-Sternberg aurait apprécié. Le concept du “maître-roi” a conduit à des séries d’abus (Trungpa, son régent vajra, son fils le Sakyong, OKC, etc.) dans différents mouvements bouddhistes-tibétains en Occident, où la théocratie n’est/n’était pas une évidence.
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Donald Trump en prière collective lors d'un événement de Turning Point Action, une organisation conservatrice fondée pour "sauver l'Amérique", Etat de Géorgie, octobre 2024 |
Il est donc tout naturel que pour “l’Internationale Spiritualiste”, Shambala soit le siège de “la Hiérarchie”, où lors d’un Conclave centenaire il serait décidé du retour du Messie Christ-Maitreya, comme “l’Avatar de Synthèse”. Surtout dans un monde qui semble se diviser de plus en plus.
“Apparemment, l'année 2025 est la date limite pour que l'humanité reconnaisse que nous sommes des âmes divines, que les dieux décrits dans de nombreuses traditions anciennes sont les gardiens de la civilisation humaine, et que c'est notre obligation sacrée d'agir en accord avec le plan divin, qui consiste à vivre dans la paix et l'harmonie, et à purifier progressivement notre conscience en suivant les anciens enseignements de sagesse. Si nous sommes incapables de le faire d'ici 2025 – et, pour être honnête, cela semble assez irréaliste à ce stade – des changements catastrophiques balayeront inévitablement la terre.[3]”L'opinion de Bibhu Dev Misra, auteur de Yuga Shift, semble très répandue, toutes confessions confondues. Le pape Léon XIV, fraîchement élu, “déplore le recul de la foi au profit de l'argent du pouvoir et du plaisir”. Que le “matérialisme” soit marxiste ou capitaliste, il faut revenir à “la foi”.
Ces idées sont profondément ancrées dans une vision millénariste et utopique qui aspire au rétablissement d'un ordre idéal, souvent perçu comme théocratique et basé sur des traditions et des valeurs anciennes. Cette aspiration se définit en opposition claire au "matérialisme" et aux forces (comme la révolution et l'égalitarisme associés au marxisme/communisme) qui sont vues comme les agents du déclin de l'âge sombre (Kali Yuga).
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Statue d'un artiste chinois ? (posté sur X par xuynx) |
Cette convergence millénariste autour de “Shambala”, et, pour Bailey et d’autres, autour de l'année 2025, révèle une aspiration profonde et transversale à un renouveau spirituel face aux crises du monde contemporain. Qu'il s'agisse des théosophes attendant l'Avatar de Synthèse, des bouddhistes tibétains préparant l'avènement du roi Rigden, de Kalki, ou du pape Léon XIV déplorant le recul de la foi, tous partagent un diagnostic commun : celui d'un monde en fin de cycle, dominé par “le matérialisme” et nécessitant une intervention divine.
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Image IA postée par Trump sur X |
Mais cette nostalgie d'un ordre théocratique idéalisé pose question. L'histoire récente nous a montré les dérives autoritaires des tentatives de fusion entre pouvoir spirituel et temporel - du "baron fou" Ungern-Sternberg aux abus dans les communautés bouddhistes occidentales. Le rêve d'une société parfaite guidée par des "maîtres-rois" théocrates se heurte inexorablement aux réalités humaines.
Peut-être que le véritable défi n'est pas d'attendre un Messie ou de restaurer d'anciennes théocraties, mais de trouver comment les valeurs spirituelles peuvent coexister avec la pluralité du monde moderne. Car si "toute la philosophie occidentale n'est qu'une série de notes en bas de page à Platon", l'humanité a aussi appris, douloureusement, que les utopies théocratiques portent en elles les germes de leur propre corruption. L'année 2025 sera sans doute moins celle d'une apocalypse que celle d'un choix : celui de chercher le sacré dans la complexité du réel plutôt que dans la pureté d'un ordre fantasmé.
***
[1] “the safest general characterization of the European philosophical tradition is that it consists of a series of footnotes to Plato” [2] The Coming Avatar, Dorje Jinpa, Pentarba Publications, 2012
[3] “Apparently, the year 2025 is the cut-off date for humanity to recognize that we are divine souls, that the gods described in many ancient traditions are the guardians of the human civilization, and it is our sacred obligation to act in accordance with the divine plan, which is to live in peace and harmony, and to progressively purify our consciousness by following the ancient wisdom teachings. If we are unable to do so by 2025 – and, to be honest, that seems quite unrealistic at this stage – catastrophic changes will inevitably sweep over the earth.” Bibhu Dev Misra, Alice Bailey’s Prophecy about 2025 and its links to the Kalachakra Tantra, 2024