dimanche 31 mars 2013

La méditation continue dans L'amas de joyaux



Ci-dessous un passage profond et très bel extrait du Tantra de l'amas de joyaux (rin po che spungs pa). C’est un des 17 textes appartenant à la Section des Transmissions tantriques (man ngag sde). L’extrait vient du chapitre 1. Il parle de la « basse continue » de la Pensée éveillée (T. dgongs pa), la méditation naturelle continue, toujours là, mais jamais reconnue. Certains passages rappellent l’Hymne à l’élément spirituel attribué à Nāgārjuna. Le passage suivant montre comment ce courant continu est toujours présent dans toutes les catégories (tattva), même s’il n’est pas perceptible ou reconnu. L’idée de la méditation continue est aussi utilisée par Maitrīpa.

Le regroupement en versets, qui est le mien, est provisoire, tout comme cette traduction d'ailleurs. C'est une première tentative.

« A l’écart du temporel et de l'atemporel[1]
Il y a un courant éternel sans divisions spatio-temporelles
Qui fait que le commencement, le milieu et la fin,
Toute mesure de temps, est depuis toujours déjà parachevée.

A l’écart des mots (śabda) [désignant] l'égalité universelle
Les apparences, sans se disperser [du fond],
Restent indivises même différenciées
Et sont par nature la perfection universelle.

Tous les sens (artha) convergent dans l'intellect
Même les concepts de l'invisible et de l'absence d'objet
Ne sont pas arrêtés, étant déjà d'eux-mêmes retranchés

La racine de la non-reconnaissance (avidyā) qui ne perçoit pas l'erreur[2]
Étant déjà retranchée dès avant l’imagination (S. kalpita)
Comment quelqu'un pourrait-il en faire l'expérience ?

Tous les éléments grossiers (bhūta) également
Sont déjà dispersés
N'ayant pas de lieu où aller, ils s’évanouissent d'eux-mêmes
Aussi le corps physique n'a-t-il jamais eu d'existence propre.

En l’absence d'un avant et après, c'est l'instant présent qui est connu directement
Tout instant présent est à la fois atemporel et temporel
Par un, deux, six et trois/ ou trois fois six[3]
Il y a [respectivement] l'invisible, le visible et le mi-visible[4]
Même au niveau du son naturel (S. svaśabda) qui le fait disparaître[5]

En appréhendant des niveaux spirituels (bhūmi), tout en étant,
Personne ne remarque ce qui a toujours été là[6]
En le parcourant, le chemin qui n'a jamais existé
A toujours été proche.

Ce qui était déjà présent en soi
N'avait jamais été vu auparavant, l'autoconnaissance étant dégradée (S. rajas)[7]
La Pensée éveillée (T. dgongs pa) de la méditation non localisée (apratiṣṭhāna)[8]
N'a pas besoin d'être cultivée, elle est déjà présente
Elle aussi n'a pas été reconnue auparavant.
Le soi et les objets réifiés qui sont saisis 
Sont le fond des choses (dharmatā) dès leur premier instant
Toutes ces choses sont les reflets naturels de l'autoconnaissance
Toujours visible, mais jamais reconnue auparavant.

En l'approchant comme un soi, [l’autoconnaissance] est astreinte par cinq afflictions (kleśa)
Qui dès l’origine se présentent d'elles-mêmes au Discernement (T. rig pa)
Comme ses associées naturelles (sahajaṣṭhāna) mais sans être reconnues (T. zhal ma 'tsho)

Les quatre éléments terre, eau, feu et air
Constituent dès l’origine le corps physique
Mais personne ne les perçoit, les yeux étant comme dégradés (rajas)

La sève de la transmission (S. āmnāya) de la Réunion des mystères (guhyasamāja)
Se transmet d'elle-même (T. rang grags) sans interruption (S. nāsti-antarikā)
Celui qui ne l'entend pas à l'instant même
N'aurait-t-il pas d'ouïe ?[9]

L'Élément en son lieu propre (svaṣṭhāna-dhātu) et l'odeur perçu
Ne sont jamais séparés, et font partie de son entourage naturel (T. rang 'khor)[10]
Ceux qui ne l'ont pas remarqué, auraient-ils les narines bouchées ?

Les transmissions des trois types de saveurs (rasa) sont regroupées en une seule
Qui depuis toujours est la saveur du corps-esprit
Ceux qui ne l'ont jamais goûtée, auraient-ils bien une langue ?

La réflexion [du corps] a sa propre lumière, les couleurs étant leurs parures,[11]
Elle n’est jamais séparée du corps physique (sva-deha)
Tel le corps et son ombre
[Continuellement] sans notion de nuit et de jour
Et pourtant, personne ne l'a pourtant sentie, leur corps serait-il degradé ?[12]

La qualité (dharma) de la liberté (sukha) qui est diffuse dans la souffrance
Se situe (svaṣṭhāna) par nature dans l'ineffable (vinābhilāpena)
Et pourtant personne ne la perçoit, leur Discernement étant dégradé

Les traces (S. vāsanā) de l'existence cyclique (S. saṁsāra) entassées les unes sur les autres
Sont cependant depuis l'origine présentes comme le corps spirituel (S. dharmakāya)
Ceux qui ne le voient pas méritent la compassion

Quand les [six] facultés [psychosensorielles] sont conçues comme un soi, des objets émergent[13]
Les remémorations, les pensées, les modifications (T. 'gyu ba S. vṛtti)
Émergent dès l'origine comme le corps de délectation (sambhogakāya)

En ne m'en souvenant pas, je (T. ngas) l'oublie
Et je m'agite, je suis des observances (S. caryā), je cherche et je pratique
Tout cet empressement (ucca-śabda) dont l'individu est le centre
Constitue [cependant] dès l'origine le corps fonctionnel (nirmāṇakāya)
Et pourtant personne ne le perçoit, l'intelligence étant dégradée

Toute l'agitation mentale de pensées et de remémorations
Est comme le courant d'un fleuve qui ne s'interrompt jamais
Et qui dérobe mon mental continuellement

L'état naturel se cultive cependant sans effort
Mais il n'est pas assimilé, la conscience étant toujours dispersée
Tout ce qui paraît tangible comme le monde inanimé et animé
Est imaginé et n'a pas de nature propre

La Vue qui interrompt le « courant des villages » (T. grong khyer)[14]
Existe depuis toujours, mais on ne la voit pas
Aurait-on les portes des facultés [psychosensorielles] fermées ? »

***
Illustration de L'étrange histoire de Peter Schlemihl ou l’homme qui a vendu son ombre, d'Adelbert von Chamisso, né Louis Charles Adélaïde de Chamissot de Boncourt.

[1] litt. les trois temps et le sans temps

[2] 'khrul ma myong bas ma rig rtsad

[3] Énigmatique. Le un correspond, au premier instant où les apparences sont authentiques (dag pa). Le deux correspond au deuxième temps de la représentation avec un sujet et un objet. Le dernier, si c’est six fois trois = 18, peut-être les 18 dhatu/tattvas ? D’autres éléments en vrac : dga ba = nandana (= année cho 'brug) yar ngo = lune croissante, l'année nandana premier, le premier jour du mois, deuxième, le sixième jour troisième, onze jours, phase descendante. Yar ngo'i dga' ba dang po tshes gcig gnyis pa tshes drug gsum pa tshes bcu gcig mar ngo'i dga' ba dang po tshes bcu drug gnyis pa tshes nyi shu gcig gsum pa tshes nyi shu dru. Le premier et deuxième instant de la première joie de la phase ascendante, la première joie de la phase descendante. « Of these various enumerations, Khenpo Tsewang Gyatso (May 10, 1995) says: "gcig: 'khor ba ma dag pa'i chos thams cad kho rang sems gcig; kho rang sems gcig snang bar ma gtogs yog ma red ba? rdzogs chen gyi gnas skabs su ga re zer na, rig pa byang chub gyi sems gcig. gnyis: sems kyi snang ba 'di ma dag pa'i Vwr ba; ye shes kyi snang ba 'di my a ngan las 'das pa, dag pa. sems kyi snang ba ma dag pa red, ye shes kyi snang ba 'di, kho rang dag pa red. de ni de las 'gro ba rigs drug dang khams gsum. »

[4] « Khenpo Tsewang Gyatso (May 10, 1995) identifies the "non-manifest" (snang med) as the formless realm (gzugs med khams), the "manifest" (snang ba) as the desire realm ('dod pa'i * khams), and the "semi-manifest" (phyed snang) as the form realm (gzugs khams) which he attributes to Longchenpa in the yid bzhin mdzod. «

[5] « La plénitude universelle (S. mahāsukha), spontanée et inconditionnée,
Est le corps de délectation, Mahāvajradhara,
Qui [Fait resonner] le son originel (S. svaśabda) jamais engendré. »
Voir : tasmindrste mahayoge yatayato na vidyate | svasabdena bhavetpranah svadhisthanam tadasrayah || 11|| L'énergie vitale, prana (2), fait résonner dans le Svadhisthana chakra le son originel qui jamais ne fut engendré, sva-shabda - Upanishad-Joyau de la Couronne du Yoga - YOGA CHUDAMANI UPANISHAD

[6] On ne perçoit que les différences, les changements ? L'élément terre étant là depuis l'origine, il ne peut pas être perçu comme une apparence nouvelle ? On semble jouer à la fois avec le sens de terre, élément, et terre, niveau spirituel (bhûmi).

[7] "rtul" correspond à "rajas". Les trois guṇa correspondent à des dégradations de l'état naturel. Pour ce qui est du rajas, il s'agit d'une dégradation de la prise de conscience (vimarśa).

[8] La méditation naturelle et continue, relié ici à la théorie (sarvadharma)-apratiṣṭhāna (sarvadharmāpratiṣṭhāna)

[9] Le son authentique est recouvert par les sons audibles. Voir aussi l'Hymne à l'élément spiritituel

39.
Par la rencontre des sons et des oreilles
[Est produite] une perception [sensorielle] (T. shes pa) telle quelle (S. yathā-bhūtam ≠ T. rnam par dag pa).
Ces trois[23] constituent l'Élément spirituel (S. dharmadhātu) sans caractéristiques (S. lakṣana)
Mais quand la construction mentale (S. kalpana) s'y ajoute, elle devient une audition [dualiste].


[10]Les 'khor, cercles ou entourages, qui sont comme des tattvas. Les cercles du roi pancréateur. Voir aussi dans l'Hymne au dharmadhātu, le passage sur les cinq sens

[11] snang ba rang 'od kha dog rgyan

[12] Sans doute une idée ancienne. Les réflexions de notre corps que l'on perçoit dans un miroir ou dans l'eau sont jamais séparés comme une ombre. Pourtant on ne sent pas leur présence sur notr corps.

[13] C'est le stade après les apparences, quand elles sont représentées et saisies par le biais d'un sujet et d'un objet

[14] Peut-être skandha. Voir phung po'i grong la rnam shes 'jug pa. « Grong » signifie village (grāma), un groupement de maisons. Dans cette expression, les cinq constituants psychophysiques (skandha) sont comparés à un village, dans lequel entre « le principe vital ». Mais de quelle nature est ce principe vital ?

Texte tibétain (Wylie)


dus gsum dus med khyad par las//
bar dang mtshams med rtag rgyun gyis//
thog ma bar dang mtha' med par//
dus tshod grangs rnams ye zad par//
mnyam pa chen po'i sgra las ni//
yengs pa med pa'i snang ba yang//
rnam rtog rang la cha med par//
rang bzhin rdzogs pa chen po yi//
don kun blo yi dkyil du tshud//
mi snang yul kun rtog pa yang//
ma bcad rang sa nyid du chod//
'khrul ma myong bas ma rig rtsad//
ma brtags ye nas chod nas 'dug//
gang du 'di kun sus ma tshor//
rags pa'i 'byung ba bzhi kun yang//
thog ma nyid nas rang dengs par//
'gro ba'i gnas med rang sangs pas//
rang lus ye nas med par ni//
snga phyi med par 'dir yang rig//
'di kun dus med ye dus pas//
gcig dang gnyis dang drug gsum gyis//
snang med snang dang snang phyed snang//
mi snang mdzad pa'i sgra rang sangs//
sa 'dzin sa la gnas par ni//
[79]ye nas 'dug pa sus ma tshor//
bgrod du ye nas med pa yi//
lam 'di ye nas rang nye bar//
'di ni rang la ye 'dug pas//
sngar ma mthong ste rang rig rtul//
mi gnas bsam 'das dgongs pa ni//
bsgom pa med par ye 'dug pas//
'di yang ang gis sngar ma rig//
chags dang 'dzin pa'i zhen yul ni//
dang po nyid nas chos nyid las//
'di kun rang gi rang snang bar//
ye nas snang ba sngar ma rig//
bdag rtog bcings pa nyon mongs lnga//
ye nas rig pa rang shar bas//
lhan cig gnas pa zhal ma 'tsho//
sa chu me rlung 'byung ba bzhi//
ye nas rang gi lus yin par//
sus ma mthong ba'i mig de brtul//
yang gsang bsdus pa'i man ngag bcud//
bar mtshams med par rang rags pa//
gang gis 'di nyid ma thos par//
rna ba'i dbang po med dam ci//
rang gnas dbyings dang rig pa'i dri//
bral ba'i skabs med rang 'khor ba//
tshor ma myong ba sna 'gags sam//
bcud gsum man ngag gig dril lo//
ye nas lus sems bcud yin pas//
'di nyid ma myong lce chad dam//
[80]snang ba rang 'od kha dog rgyan//
rang gi lus dang 'bral med par//
lus dang grib ma bzhin du ni//
nyin dang mtshan mo med 'dug pa//
sus kyang ma rig lus bem ma ma//
sdug bsngal phyag 'ded bde ba'i chos//
brjod pa med par rang gnas pa//
sus ma shes pa blo ri brtul//
'khor ba'i bag chags yang brtsegs pa//
ye nas chos kyi skur 'dug pas//
gang gis ma mthong snying rje'i gnas//
dbang po bdag rtog yul shar nas//
dran bsam 'gyu ba sna tshogs rnams//
ye nas longs skur rang shar bas//
'di kun ma dran brjed ri ngas//
bya byed tha dad rtsol bsgrub dang//
skye bo 'dus pa'i ca co kun//
ye nas sprul pa'i sku yin pas//
sus ma shes pa ngo re brtul//
ci ltar bsam dang dran 'gyus pa//
chu yi rgyun bzhin bar med par//
rtag tu rang gi yid 'phrog par//
rtsol med rang bzhag bsgom par ni//
nyams su ma tshud sems re yengs//
snod bcud yod thos snang ba 'di//
brtags pas rang bzhin med pa yang//
grong khyer rgyun gcod lta ba ni//
ye nas 'dug pa ma mthong bar//
[81]dbang po rnams kyi sgo 'gags sam//

Tradition, fantasme, réalité ?


Merci de votre réaction Arnaud. Ma réponse est devenue un peu trop longue, je la publie donc ici.

Je ne peux pas parler à la place de Yangsi Kalou Rinpoché, je parlerai donc pour moi. Mais je partirai néanmoins de la phrase "Quand [le Bouddha, ou tout autre éveillé] partageait sa sagesse avec un véritable respect, de l’amour et du souci de l’autre, ses paroles et son approche devenaient elles-mêmes Dharma". Un éveillé agit et parle par rapport à un individu et à une situation. Et ce qu'il dit est alors un dharma pour cet individu. Je le dis un peu schématiquement pour montrer que c’est différent d’une transmission de type Révélation, où une doctrine serait vraie partout, toujours et pour tous.

Le dharma que le Bouddha et ses successeurs ont enseigné était adapté aux besoins des époques, des contrées, des mentalités. Les instructions de type devayoga sont apparues dans des milieux où le culte de dieux ou de divinités était un fait. Elles s’en sont servies comme véhicule pour transmettre le Dharma. Elles ont en effet été enseignées par des être dits éveillés, mais tout ce qui a été dit et enseigné par un éveillé, à toutes les époques, dans toutes les régions géographiques et à tous les individus, doit il être pratiqué ? Et peut-il être efficace tel quel pour toutes les époques, toutes les régions et pour tous les individus ?

Nous vivons dans une époque et dans un pays marqués par les Lumières, les sciences, la révolution, la laïcité, la mondialisation. La croyance en les êtres surnaturels, en la magie, les rites de sacrifice etc. y a disparu. Nous avons tous eu une formation où nous avons appris les principes de la science, peut-être aussi un peu de philosophie. Nous ne pouvons pas en faire abstraction. Personnellement, je ne pleurerai pas sur cette évolution. Je ne suis pas un Traditionaliste. Quoi qu’il en soit, la situation actuelle est-celle-là, voilà notre conditionnement à nous. Que faire avec ou à partir de cela ? Je ne pense pas que nous verrons un jour le retour du culte des dieux etc. Faut-il alors d’abord faire comme si nous étions encore à une époque ou dans une contrée où celui-ci existait, comme si nous croyions en les êtres surnaturels, à la magie, pour qu’ensuite nous pourrions utiliser les moyens adaptés à des gens dans ce cas-là ? Pour moi c’est comme si nous étions dans un lieu A et que nous voulions aller dans un lieu B juste à côté. Mais nous n’avons pas de cartes pour aller de lieu A à lieu B. Nous avons en revanche pleines de vieilles cartes qui vont de C à B etc. Il faudrait donc d’abord aller dans un des autres lieux pour ensuite pouvoir aller de là à B.

Bonne nouvelle ! :-), en fait il existe des cartes pour aller directement de A à B. Il se trouve qu’au Tibet, pour des raisons qui lui sont propres, on avait valorisé à partir du 12ème siècle des moyens habiles (upāya) qui conviendraient mieux aux circonstances. Nous ne sommes pas des indiens, nous ne sommes pas des tibétains, nous vivons en d’autres temps, nous ne sommes pas obligés de faire les mêmes choix.

Cela pour préciser ma pensée sur le sujet. Vous écrivez : « La pratique des divinités etc... est une fabuleuse science de l'esprit qui purifie de nombreux mécanismes cognitifs etc... ». Tout n’était pas à rejeter non plus dans la magie, l’alchimie etc. La magie antique est devenue la magie naturelle, et celle-ci a abouti à la technologie, et à la science telle qu’elles sont de nos jours. Dans le passage de la magie antique à la magie naturelle, les êtres surnaturels étaient laissés de côté, mais l’essentiel fut gardé. Ce qui purifie les mécanismes cognitifs peut sans doute être abordé plus directement ? 

Pour terminer, je dois préciser que je ne pense pas du tout que Yangsi Kalou Rinpoché veuille renoncer aux préliminaires et aux pratiques de divinités. Il est après tout le détenteur et le conservateur de la lignée Shangpa. Il a dû constater l’effet de ces pratiques quand elles sont prises au premier degré, et qu’au lieu de produire de bons êtres humains ils produisent des « pratiquants bouddhistes trippés » (crazy Buddhist practitioners). D’où sa tournée « tradition, fantasme, réalité ? » où il essaie « de nous ramener à la réalité, de nous ramener à notre réalité d’être humain ».

samedi 30 mars 2013

Des anges oui, de l’angélisme non



Le Bhoutan vient de décider la mise à disposition gratuite de préservatifs dans ses monastères, afin de freiner la diffusion de maladies sexuellement transmissibles et le VIH (nombre de cas en hausse). Cela fait suite à un rapport de 2009 qui avertissait contre les dangers de pratiques sexuelles au sein des monastères. Notamment une forme spécifique répandue utilisant les cuisses (T. brla rgyag) d’un autre moine. Il n’est pas exclu que cette forme spécifique, considérée par le Code monastique (S. vinaya) comme une forme de masturbation, peut servir à masquer d’autres pratiques sexuelles avec pénétration et éjaculation. L'interdiction de la masturbation fait partie des treize vœux additionnels (T. lhag ma bcu gsum). C’est au bout de trois fois que le moine sera expulsé.

Un an après la publication du rapport, le Ministre de la santé s’était inquiété quand une douzaine de moines, parmi lesquels un moine de 12 ans, furent diagnostiqués avec des MST. Au moins cinq moins étaient porteur du virus du sida, le plus jeune ayant 19 ans. Le nombre de porteurs du sida avait augmenté en 2010 et en 2011 (pas de chiffres pour 2012). La décision semble faire suite à cette évolution.

Depuis février 2013, avec l’aide d’Unicef Bhutan, un service de la protection de l’enfant est rattaché aux écoles monastiques, et des droits sont accordés aux enfants. Désormais, les enfants dans les monastères ont la possibilité de déclarer les cas de violence, de négligence, de mal-traitement et de viol. Le service est en lien avec les monastères, la police et les services sociaux de l’état.

Quand le premier ministre de Sri Lanka voulait organiser une campagne de recrutement de 2000 enfants pour grossir les rangs des moines, Gananath Obeyesekere, anthropologue à l’université de Princeton, s’y était opposé. Une des raisons principales pour Obeyesekere était de les protéger contre le viol, qui est une pratique associée à toutes les formes de monasticisme institutionnalisé  La lutte contre le viol dans les monastères bouddhistes devait être menée de front avec lucidité. Le même type de problème existe en Thailande.

Yangsi Kalou Rinpoché avait publié un vidéo sur sa page Facebook en novembre 2011, dans lequel il disait avoir été la victime d’une série de viols pendant plusieurs années dans le monastère où il résidait, sans donner le nom du monastère. En août 2012, il revient sur les faits au cours d’une entrevue avec un journaliste américain (ici pour la traduction française). Les « attouchements » auxquels fait allusion le journaliste correspondent sans doute à la pratique "ladyak" (brla rgyag) mentionnée ci-dessus.
« Mais Kalu dit que dans les premières années de son adolescence, il a été abusé sexuellement par une bande de moines plus âgés qui se rendaient dans sa chambre chaque semaine. Quand j’aborde la notion d’ « attouchements », il éclate d’un rire tendu. C’était du sexe hard-core, dit-il, avec pénétration. « La plupart du temps ils venaient seuls », dit-il. « Ils frappaient violemment à la porte et je devais ouvrir. Je savais ce qui allait se passer, et après on finit par s’habituer ». C’est seulement après son retour au monastère après la retraite de trois ans, qu’il a réalisé à quel point cette pratique était incorrect. Il dit qu’à ce moment là le cycle avait recommencé sur une plus jeune génération de victimes. » 
Des viols systématiques, pendant des années, par une bande de moines plus âgés, et qui continuaient avec des nouvelles victimes... Il ne s’agit pas de quelques « pommes pourries », c’est le système qui est à revoir, ou qui doit être mieux encadré, ce que le Bhoutan a commencé à faire. Quid des monastères en Inde, où Kalou Rinpoché fut victime ? Des mesures ont-elles été prises ?

Dans le même interview, Yangsi Kalou Rinpoché parle de son projet d’école au Bhoutan :
« Il peste contre le coût humain du système monastique, qui consomme des milliers d’enfants, simples moines et tulkus vénérés, sans leur fournir d’éducation pratique ou de solution de repli, tout ça pour produire une poignée de maître spirituels commercialement brillants. « Le système des tulkus c’est comme des robots », dit-il. « Vous construisez 100 robots, et peut-être que 20 % réussiront alors que 80 % seront mis au rebut. » 
Lors d’une conférence publique à Marseille (janvier 2013), il avait expliqué que depuis 2010, on ne prenait plus de novices dans son monastère de Sonada. Il préfère que la voie monastique soit suivie par des personnes avec une pleine expérience de la vie qui la choisissent de plein gré et en connaissance de cause.

Avec cette nouvelle mesure, le Bhoutan est en avance d'autres pays, comme p.e. les Etats-unis, où des campus universitaires (p.e. Boston) peuvent encore de nos jours refuser la distribution de préservatifs, parce que cela va à l'encontre de la volonté de l'église catholique.  

jeudi 28 mars 2013

Consommer du Dharma n’est pas très efficace



« De mon point de vue, l’étudiant est la priorité dans le bouddhisme. Pas le bouddhisme en lui-même. On peut penser que la priorité est le bouddhisme, mais en tant qu’enseignant qui a la responsabilité d’enseigner, je vois l’étudiant comme étant de la plus grande priorité. Il doit être traité avec du respect et de la disponibilité.

[1 :20] Telles que les choses se passent actuellement, chaque enseignant, y compris moi-même, fait de son mieux. Et quelquefois on échoue. Parce que le Dharma est présenté comme un kit. Généralement, On veut pratiquer le Bouddhisme, parce qu’on veut se libérer, pas pour devenir un pratiquant bouddhiste trippé. Nous voulons être heureux et être libres, c’est la simplicité de notre philosophie d’être humain. Nous voulons comprendre la spiritualité, le bouddhisme. Nous voulons avoir accès à cette compréhension, recevoir des instructions, parce que nous voulons nous libérer. Voilà l’idée initiale très simple du bouddhisme. Mais en fait, quand on se tourne vers le bouddhisme, on est demandé de faire des pratiques préliminaires, de pratiquer telle divinité, puis encore telle autre, de prendre des engagements (samaya), de recevoir des initiations…Et toutes ces choses inutiles finissent par prendre beaucoup de place dans notre vie. En fait c’est consommer le Dharma, et la consommation du Dharma n’est pas très efficace.

[03 :06] J’étais moi-même un consommateur de Dharma, car j’étais 100% attaché aux apparences bouddhistes, sans comprendre la qualité et l’essence du Dharma. Je ne connaissais pas la saveur du Dharma. Alors tout est très limité, car je croyais en un bouddhisme qui, comme toute autre chose, était si solide. Et quand on croit que quelque chose est solide, tout devient figé/rigide. Il est donc important d’avoir un peu de flexibilité dans l’esprit, un peu de sagesse et de qualité.

[04 :06] Le Bouddha ne disait pas à ses étudiants de pratiquer les préliminaires et de pratiquer des divinités. Il ne leur disait pas qu’il fallait pratiquer Tchenrézi (Avalokita). Il ne leur disait rien de tout cela. Il leur expliquait tout simplement sa façon (way) à lui. Et d’où venait cette explication ? De sa sagesse, de sa compréhension de la nature de l’esprit. Quand il partageait sa sagesse avec un véritable respect, de l’amour et du souci de l’autre, ses paroles et son approche devenaient elles-mêmes Dharma. [4 :40] Ce que vous recevez de l’enseignant est l’instruction, et ce que vous analysez avec cette instruction est la pratique. Ce que vous partagez avec votre cœur authentique et avec respect, sans protection, est la qualité et l’essence du Dharma. Ce que vous partagez sans protection est le Dharma. [5:55] Il est important de partager le Dharma avec les autres sans protection. »

[Enseignement de Yangsi Kalou Rinpoché au Temple des Mille Bouddha, Palden Shangpa, 71320 La Boulaye, le 9 mars 2013.]

Transcription éditée de la version anglaise

From my point of view, the priority in Buddhism is the student. Not Buddhism itself. We think that Buddhism is the priority, but as a teacher having the responsability to teach I see the student as the main priority. He has to be treated in a respectful way and a very accessible way.

[1 :20] Right now, what is happening is that every teacher tries his best, including myself, but sometimes it goes wrong. Because we teach the Dharma like a package. That is the problem. People wan to practise Buddhism, because they want to liberate themselves, not because they want to become a crazy Buddhist practitioner. We all want to be happy and liberate ourselves, that is the simplicity of our philosophy as a human being. You want to understand the spiritual way of thinking, Buddhism. We want to connect with that understanding, we want to receive the teachings, beacuse we want to liberate ourselves. That was the initial simple idea, but what actually happen when you turn to Buddhism, is that you are said to do these foundation practices, practise this deity, that deity, you have to commit yoursel to this, you have to receive that empowerment. And all those unnecessary things become so important in your life, but it is like consuming Dharma. Consuming Dharma doesn’t really help.

[03 :06] I used to consume Dharma, because I was so 100% attached to Buddhist appearance, I didn’t understand the quality and the essence of the Dharma, I didn’t get the flavour of the Dharma. Everything was very limited, because I believed in a Buddhism that like everything was so solid. When you believe something to be very solid, eveything becomes so fixed. So it is very important to have a bit of flexibility in our mind, a little bit of wisom and quality.

[04 :06] The Buddha didn’t teach his students to practice the foundations, to have them do deity practice, he wasn’t telling them to do Tchenrézi practice, he wasn’t telling them any of this. He was just simply talking his faith/way ? And where did that explanation come from ? From his wisdom, from his realisation of the nature of the mind. When he shared his wisdom with true respect, love and care, his words and approach itself became Dharma. [4 :40] What you receive from your teacher is a teaching, and what you analyse with the teaching is the practice. What you share with your true heart and respect is the quality and the essence of Dharma, without protection. What you share without protection, that itself is the Dharma. [5 :55] It is important to share the Dharma with other people without protection.

mercredi 27 mars 2013

L’auto-connaissance de Dieu


La formulation par Rudolf Otto ci-dessous de la thèse de Maître Eckhart, pourrait capturer l'idée de base de plusieurs approches mystiques qui nous intéressent sur ce blog. Si on veut bien faire abstraction des aspects terminologiques et mythologiques spécifiques. Elle revient également sur le risque de confusion avec des thèses panthéistes.   
Dieu prononce son Verbe éternel de toute éternité. II l’exprime d’une double manière qui, du point de vue de Dieu, n’en fait d’ailleurs qu’une. II le prononce éternellement en lui-même et du même coup le prononce éternellement dans l’âme. II engendre son Fils éternellement en lui-même et du même coup l’engendre en nous et, par-là, nous engendre nous-même comme son Fils unique. Qu’est-ce que ce Verbe éternel, ce Fils unique quand il est prononcé dans le fond de l’âme ? Qu’est-il là ? ce qu’il est en Dieu et pour Dieu lui-même, la pensée que Dieu a de lui-même, c’est-à-dire la connaissance que Dieu a de lui-même, connaissance qui devient celle de l’âme grâce à sa participation réelle au Verbe lui-même. Posséder le Verbe en soi, c’est donc participer à la connaissance par laquelle Dieu se connaît lui-même. C’est en même temps avoir la connaissance de Dieu non pas comme un accident, comme un fait « psychologique » empirique, ni dans un acte isolé et concret de représentation, non pas comme un concept ou une théorie, mais comme le fond essentiel propre, supra-empirique, de l’âme elle-même. L’âme n’a pas le Fils, elle est le Fils ; elle n’a pas la connaissance de Dieu, son essence même est au fond la connaissance même de Dieu. Et tout ce qui revêt en nous la forme de « pensée » ou d’idée de Dieu n’est que fonction extérieure des « puissances », non la réalité essentielle elle-même. Ainsi donc Dieu se connaît et s’aime lui-même en nous, dit Eckhart.
On peut se méprendre du tout au tout sur cette profonde affirmation et alors nous sommes en plein « panthéisme ». II n’est que de l’entendre dans le sens d’Ed. von Hartmann, pour qui Dieu lui-même ne parvient à la conscience de lui-même que dans la conscience humaine. Cela serait pour Eckhart le dernier mot de la démence[1]. Dieu, en effet, engendre éternellement son Fils en lui-même. Éternellement la Déité se détermine en Dieu, en conscience personnelle de soi et en connaissance de soi, du fait que le Père prononce en lui-même le « Verbe »[2]. Mais Dieu donne éternellement a l’âme tout ce qu’il est et tout ce qu’il a, et l’âme « participe » à son être même et n’a d’être que par là. Elle participe donc à sa connaissance divine. Ainsi donc sa connaissance n’est pas acte propre, découverte propre — et là est la pointe — elle ne connaît absolument que parce que l’Être éternel lui-même est en elle et, du même coup, aussi l’auto-connaissance éternelle[3]. Ce n’est pas là du panthéisme mais bien plutôt son opposé diamétral, et peut-être superlative : c’est la conception théopantiste d’une « doctrine excessive de la grâce », ce n’est pas une divinisation de la créature[4]
Rudolf Otto, Mystique d’Orient et mystique d’Occident, pp. 198-199

[1] Cf. Lehm. 240 : « Dieu a conscience de lui-même et ce n’est que dans cette conscience de lui-même qu’il connaït aussi les créatures. »

[2] « Dieu le Père possède une absolue intuition de lui-même, une connaissance abyssale de lui-même par lui-même, sans aucune image (espèce). Et c’est ainsi que Dieu le Père engendre son Fils » (Rf. 6, 5).

[3] « Connaitre Dieu et être connu de Dieu, c’est, si l’on va au fond des choses, tout un. Nous connaissons et voyons Dieu par Ie fait même qu’il nous connait et nous rend voyant » (Lehm. 190). — Luther s’exprime exactement de la même façon : « Dieu seul connait et, avec lui, ceux qui voient par les yeux de Dieu, c’est-a-dire ceux qui possèdent l’Esprit » (édit. de Weimar, 18, 700, 1 sq.).

[4] Sur l’opposition entre théopantisme et panthéisme, cf. notre Vishnu Nârâyana, 2ème édition, 85.

mardi 26 mars 2013

Lignée authentique & lignée institutionnelle


Dans la suite de l’entretien avec Reginald Ray (en anglais), on aborde le sujet de la lignée authentique et de la lignée institutionnelle. On trouve cette opposition dans toutes les religions. Les institutions sont utiles à une culture de multiples façons, mais se préoccupent plutôt de leur propre survie et ont la tendance d’avoir une attitude territoriale des instructions. Le bouddha, ainsi que de nombreux saints bouddhistes (Ray est l’auteur de Buddhist saints in India) sont souvent rejetés ou marginalisés par les institutions bouddhistes. Pour le Bouddha, Rey rappelle l’épisode du Bouddha avec l’ascète nu Upaka (MN 26)[1].

Seules les lignées authentiques donnent accès aux expériences de l’éveil, de la libération et de l’amour. Mais les gens font confiance à l’autorité. Ray observe que de nombreuses personnes qui voulaient jeter par-dessus bord toutes les traditions dans les années 60-70, sont les mêmes qui depuis se sont attachées aux formes institutionnelles. Son maître Trungpa avait commencé par rejeter les institutions (9 :25). Les tibétains étaient méfiants de donner leurs instructions aux occidentaux, qu’ils voyaient comme des barbares, des séculiers non qualifiés pour recevoir les instructions, mais aussi comme des bienfaiteurs. Mais Trungpa voyait comment ils aspiraient à trouver la liberté. Il s’est débarrassé de son habit de moine et ressentait le besoin de partager leur vie. Il se fit rejeter par sa première communauté, qui lui interdisait d’enseigner et qui avait fait appel aux services secrets britanniques pour l’expulser du Royaume-Uni. Ils voulaient le détruire. L’institution se sentit menacée par sa façon d’enseigner de manière ouverte. Selon RR, sans sa femme, Trungpa, incapable d’enseigner, se serait suicidé.

L’ironie veut, qu’après ses succès aux Etats-Unis, ces mêmes institutions l’ont réinvité à bras ouverts. Mais pas sa façon d’enseigner. Ils étaient impressionnés par le niveau de pratique de ses étudiants (Vajrayogini, des retraites avec de centaines de participants). La plupart de maîtres traditionnels ne comprenaient pas ce qu’il voulait faire, ils ne s’étaient pas ouverts à l’occident (16 :00). Aujourd’hui, certains veulent aller dans la même direction, mais doivent en même temps gérer leurs propres institutions en Asie. L’approche de Trungpa était de trouver une intersection entre les approches occidentale et orientale.

Pour son propre choix d’enseigner la Mahāmudrā, RR explique que ces instructions ne se situent pas dans le cadre du vajrayāna, mais qu’elles ont pour but de mettre à nu les fondements de l’expérience humaine. C’est là que se trouve la libération. Nous autres (occidentaux) ne sommes pas des tibétains (18 :00). Le bouddhisme tibétain tel qu’il est présenté par les institutions tibétaines est une religion triomphaliste (19:58). Le triomphalisme c’est le territoire de l’égo, qui débouche au spiritualisme matériel.

Il ne s’agit pas de rejeter intégralement ce que ces institutions ont à offrir. L’attitude juste se situerait sans doute entre les valeurs des institutions et l’approche démocratique de l’occident, car nous avons besoin de valeurs. Quelles sont les qualités fondamentales qui peuvent procurer un bien-être véritable aux gens ? De combien de structure (institutionnelle) avons-nous besoin, combien d’organisation, et quand est-ce qu’il y en a trop (23:55) ? Que faut-il changer ?

Le bouddhisme s’accroche actuellement à son identité, à ses hiérarchies, à sa patriarche et son fonctionnement féodale (26:25). On pense devoir protéger les instructions contre le monde moderne. Mais plus on veut les protéger et plus on s’éloigne de leur essence. Je ne suis pas un spécialiste en la méditation, dit RR, mais je veux être un spécialiste en le lâcher-prise (letting go) par rapport à nos préjugés (27:55). Il faut identifier les points auxquels nous nous accrochons et qui nous empêchent d’avoir accès à la réalité telle qu’elle est. Il faut donner une chance à la réalité. Le Dharma n’a pas besoin d’être protégé contre le monde moderne, il doit s’ouvrir à lui.

***

[1] "Alors, après être resté à Uruvela aussi longtemps qu'il m'avait plu, je partis en marchant par étapes pour Varanasi. Upaka l'Ajivaka m'ayant sur la route entre Gaya et (l'endroit de) l'Eveil, et en me voyant me dit, 'Claires, mon ami, sont vos facultés. Pur votre teint, et clair. Pour qui avez-vous tout quitté? Qui est votre enseignant? Dans quel Dhamma vous plaisez-vous?'
"Quand ceci fut dit, je répondis à Upaka l'Ajivaka en vers:
'Vainquant tout, sachant tout suis-je, par rapport à toutes choses,
   sans adhérer.
Abandonnant tout, libéré dans la cessation de l'envie insatiable: m'étant pleinement compris moi-même, qui devrais-je désigner comme mon enseignant?
Je n'ai pas d'enseignant, et on ne peut trouver personne comme moi. Dans le monde avec ses devas, je n'ai aucune contrepartie.
Car je suis un arahant dans le monde;
   moi, l'enseignant sans pareil.
   moi seul, suis correctement auto-éveillé.
Je suis refroidi, libéré.
Pour mettre en route la roue du Dhamma je vais dans la cité de Kasi. Dans un monde devenu aveugle, je bats le tambour du Sans-Mort.'
"'A ce que vous prétendez, mon ami, vous devez être un conquérant infini.'
"'Les conquérants sont ceux comme moi qui ont atteint la fin des fermentations. j'ai conquis les qualités mauvaises, et ainsi, Upaka, je suis un conquérant.'
"Quand ceci fut dit, Upaka dit, 'Qu'il en soit ainsi, mon ami,' et -- secouant la tête, prenant une route transversale -- il partit. (Source Sangharime, version anglaise)

dimanche 24 mars 2013

Mahamudra et Skype



Dr. Reginald A. (« Reggie ») Ray de Dharma Ocean a développé un cours intitulé « Mahāmudrā in the modern world » après 40 années d’apprentissage. D’abord 7 ans d’études universitaires (histoire des religions, sanskrit, tibétain), suivi de 17 années d’études auprès de Chogyam Trungpa, dont il dit était un des maitres les plus conservateurs. Quand RR avait commencé de transmettre lui-même les enseignements vajrayāna, à la demande de Trungpa, il y eut beaucoup de critiques de la part de maîtres tibétains. Trungpa leur expliqua qu’il y avait des étudiants qui voulaient étudier avec RR, et que si celui-ce n’y donnait pas suite, il briserait ses vœux de bodhisattva. Trungpa avait expliqué à RR que l’instruction d’autrui était nécessaire pour que RR continue son propre développement.

A la mort de Trungpa en 1987, RR commença à enseigner dans le centre Dharma Ocean dont il est le directeur spirituel. C’est seulement à partir de 2005 qu’il décida d’enseigner la Mahāmudrā de manière ouverte, tout comme Gampopa l’avait fait au commencement de la lignée Kagyupa. Cela venait partiellement d’un changement d’attitude dans la nouvelle génération d’étudiants, moins fascinés par les maîtres tibétains que la génération (beat, hippie) d’avant. RR avait trouvé qu’il était devenu difficile pour eux d’avoir accès aux instructions les plus efficaces (c’est-à-dire directement au niveau de la nature de l’esprit), parce que les maîtres tibétains, trop conservateurs aux goûts de la nouvelle génération, demandaient toute une série de pratiques, dont elle ne voyait pas l’utilité. Une autre difficulté est qu’il est très rare d’avoir une relation personnelle suivie avec un maître tibétain, ce qui est cependant nécessaire à ce type de transmission.

Il rappelle que Chogyam Trungpa disait toujours que le rôle d’un maître était de mettre la vie de son étudiant sens dessus dessous, afin de le pousser à suivre le chemin dans son intégralité. C'est, selon RR, une relation très spéciale et très forte, dont la relation amoureuse s'approche peut-être le plus. Sans un maître, le vajrayāna ne peut pas se faire. Cela tient, selon RR, au fait que la deuxième des deux obnubilations, c’est justement les patrons psychiques (patterns) qui nous ont formés et auxquelles nous sommes aveugles. C’est là que l’intervention d’un maître serait nécessaire.

RR propose donc un cours qui consiste en environ 48 heures de matériel, et qui suit l’approche traditionnelle de Gampopa. Mais qui est moderne par les moyens qu’il utilise, notamment Skype. Il explique que les communications par Skype permettent tout à fait d’avoir le type de relation nécessaire aux fins du vajrayāna. Toutes ces infos viennent de l’entretien (en anglais) entre Reginald Ray et Vincent Horn de Buddhist Geeks. Vous pouvez l’écouter ici.

samedi 23 mars 2013

Un royaume phallocrate ?



Hier soir France 3 avait diffusé un documentaire sur le Bhoutan, Faut pas rêver, BHOUTAN, UN ROYAUME EN HIMALAYA (à revoir ici le temps qu'il reste en ligne...).

Dans ce pays, qui a fait des progrès énormes, et qui fait du Bonheur Brut National (BBN) son critère de développement (stratégie marketing selon un grapheur bhoutanais 47 :00), la femme est toujours considérée comme une « naissance basse » (T. skye dman). Traditionnellement, elle ne participe pas au sport national qu’est le tir-à-l’arc. Un astrologue dit (55 :11) que c’est justement parce qu’elle est une naissance basse. Il explique qu’un homme peut avoir neuf niveaux de naissance différents : faible, moyen et élevé. Une femme n’a que trois niveaux de naissance, les plus bas... Si une femme, une naissance basse, participait à la cérémonie de tir-à-l’arc, cela attirerait des esprits malfaisants et porterait malchance.

Il est plus difficile pour des filles à la campagne, d’avoir accès à l’éducation. Généralement, les nonnes étaient des orphelines, des femmes sans mari ou des victimes de viol. Une nonne du monastère de Gangteng Tulku à Bumthang explique qu’elle a beaucoup de chance de pouvoir faire des études. Elle "a un bon karma", même si elle est née dans un corps de femme… C'est-à-dire même si elle est une naissance basse, susceptible d’attirer les esprits malfaisants.

Le saint emblématique du Bhoutan est le yogi fou Droukpa Kunleg, dont des légendes plus merveilleuses les unes que les autres circulent depuis le 16ème siècle, l’époque du mouvement politique des « yogis fous » (T. smyon pa). Il serait venu au Bhoutan pour y dompter les démons, comme avant lui Padmasambhava au Tibet. Appartenant à une lignée Réchungpiste, il pratiquait surtout la libération par la porte inférieure. Pour dompter les démons et pour bénir les femmes du Bhoutan, il utilisait le vajra que la nature lui avait donné, autrement dit son phallus.

Son phallus, capable de donner à la fois protection et bénédiction, est toujours représenté pour servir de porte-bonheur qui protège contre le mauvais œil. Les couples font le pèlerinage vers le temple de Drukpa Kunleg (36 :50) pour se faire bénir avec son phallus afin d’obtenir de beaux enfants, de préférence pas de naissances basses...

Pour ceux qui aimeraient pratiquer la prière de refuge enseigné par Droukpa Kunleg à un vieil homme incapable de retenir toute autre prière. La voici :
« Même en pendant depuis la racine, comme un vieil arbre
Je rends hommage au phallus du vieillard qui ne renonce pas à sa fierté (ātma-grāha, ahaṃkāra)
Même si on s’y enfonce loin, comme dans une gorge profonde
Je rends hommage au vagin de la vieille qui ne renonce pas au libido
Je rends hommage au jeune phallus de l’homme adulte, dont la vitalité ne se laisse pas décourager par la mort quand il se dresse du fond de son orgueil,
Je rends hommage au jeune vagin de la femme adolescente, oubliant la honte et la timidité quand ses entrailles sont secouées de plaisir, comme par des vagues d’eau. » 

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MàJ 01/12/2014 Article de Françoise Pommaret

MàJ 11052015 Voir aussi le phénomène Fascinus

Texte tibétain en Wylie :

Sdong rgan rgad bu bzhin du rtsa ba nas ‘gyel kyang*//
bdag ‘dzin blo yis ma thong ba a pha rgad bu’i mje la phyag ‘tshal lo//
gcong rong dog mo bzhin du gting du lhung yang*//
‘dod chags blo yis mi thong ba a ma rgan mo’i stu la phyag ‘tshal lo//
nga rgyal gting nas langs tshe ‘chi ba srogs la mi ‘tsher ba stag shar gzhon pa’i mje la phyag ‘tshal lo//
smad nas bde ba chu’i rba rlabs bzhin du gyo tshe//
khrel dang ngo tsha mi ‘dzems pa na chung bu mo’i stu la phyag ‘tshal lo//

Comprendre les propos du Bouddha



Selon le canon pāli, le Bouddha pouvait enseigner de deux manière différentes. En tenant des propos dont le sens devait être déduit (P. neyyattha T. drang don) et des propos dont le sens (S. artha T. don) était déjà explicite (P. nītattha T. nges don), et qui n’avait pas besoin d’être déduit. Ceux qui interprétaient les propos explicites (P. nītattha) ou qui prenaient pour explicites (nippariyāyena) des propos provisoires (pariyāya) dont le sens devait être déduit (P. neyyattha ) déformaient les propos du Bouddha, comme il explique dans le Neyyatha Sutta (AN 2.25), et pouvaient se faire gronder par lui comme Arittha dans l’Alagaddupama Sutta (MN 22).

Dans ce sutta, et notamment dans l’exemple du serpent d’eau, le Bouddha donne un exemple des neuf types (P. aṅga) de propos (Dhamma) du Tipitaka, dont le sens doit être saisi conformément. Il s’agit de :
« dialogues (sutta), récits mixtes en prose et en vers (geyya/geya), explications (veyyākaraṇa/vyākaraṇa), gathas en vers (gātha), exclamations spontanées (udāna), citations (itivuttaka), histoires de naissance (jātaka), évènements miraculeux (abbhutadhamma/adbhutadharma), sessions de questions et réponses (vedalla) »[1]
Il ne donne pas de liste de propos ou de discours (S. sūtra) dont le sens serait explicite, ou dont le sens doit être déduit, mais explique que chacun doit, par son propre discernement (S. prajñā), en saisir (P. upaparikkhanti) le sens (S. artha). De la même façon qu’un homme habile capturait un serpent d’eau, sans se faire mordre par lui. Il faut avoir un peu de jugeotte (S. prajñā) et c'est cela qu'il convient de développer.

Cela n’a pas empêché certains de faire du zèle et d’utiliser les termes « sens explicite » (ou sens certain) et « sens à déduire » pour classer les discours du Bouddha[2]. Ainsi, un discours pouvait être dans son intégralité (y compris les commentaires associés) à « sens explicite » ou à « sens à déduire », sans tenir compte du fait qu’il pouvait contenir des éléments imagés et autres dont le sens devait être déduit.

En fait, ce classement a servi à faire ce que voulait justement éviter le Bouddha : discréditer certains propos pour en valoriser d’autres, « pour attaquer les autres et pour se défendre eux-mêmes dans les débats » (Alagaddupama Sutta). Ce type de classement peut aussi avoir pour effet que ce qui doit être justement mis en œuvre pour en saisir le sens, le discernement (prajñā), peut rester au repos et se faire remplacer par la foi. Il pourrait inciter à considérer certains discours, dits à sens explicite, comme des dogmes, ce que voulaient justement éviter et le Bouddha et Nāgārjuna.

***

[1] suttaṃ geyyaṃ veyyākaraṇaṃ gāthaṃ udānaṃ itivuttakaṃ jātakaṃ abbhutadhammaṃ vedallaṃ
[2] RANGJUNG YESHE DICTIONARY True meaning. The definitive meaning as opposed to the expedient or relative meaning. The teachings of Prajnaparamita and the Middle Way. In his Treasury of Knowledge, Jamgön Kongtrül the Great defines the true /definitive meaning in the following way: "The topics taught to exceptional disciples that the nature of all phenomena is profound emptiness devoid of constructs such as arising and ceasing, and, that the innate real condition of things is by nature luminous wakefulness and lies beyond words, thoughts and description. Moreover, it is the words of the Buddha expounding this meaning as well as the commentaries upon them."
On trouve cette utilisation spécifique des termes sens explicite et sens à déduire dans un autre classement : celui des trois mises en branle de la roue du Dharma.

vendredi 22 mars 2013

Saisir le serpent


« Les Victorieux ont proclamé que la vacuité est le fait d’échapper à tous les points de vue (dṛṣṭī). Quant à ceux qui font de la vacuité un point de vue, ils les ont déclarés incurables. »[1] 
Candrakīrti glose qu’ils ressemblent à un homme qui, après que le marchand lui a dit : « Je n’ai absolument rien à vous vendre », répond : « Eh ! bien donnez-moi cet « absolument rien » »[2]

Certains aiment rappeller Mūlamadhyamaka-kārikā 24.11 pour affirmer que la vacuité serait plus dangereuse que les autres points de vue (dṛṣṭī), mais c’est oublier que la vacuité est définie (MMK13.8) précisément comme le fait d’échapper à tous les points de vue, ou encore aux extrêmes (anta) et à la prolifération (prapañca).

Voici la citation :
« La vacuité, mal comprise, perd l’homme à l’intelligence courte, comme un serpent mal saisi ou une formule magique mal appliquée. »[3] 
Ce n’est pas la vacuité qui perd l’homme à l’intelligence courte, mais le manque de discernement (prajñā) de ce dernier. Le manque de discernement n’est pas le choix d'un  point de vue qui serait mauvais, mais le fait que l’homme à l’intelligence courte adhère à un point de vue, quelqu’il soit, et s’appuie sur lui. Nāgārjuna n’était pas le premier à utiliser l’exemple du serpent mal saisi, le Bouddha l’avait déjà utilisé avant lui (Alagaddupama Sutta, MN 22). En lisant ce dialogue, il apparaît clairement que ce n’est pas la vacuité qui est en cause, mais bien le manque de discernement (prajñā) du sens (artha), à cause de l’attachement à un point de vue (dṛṣṭī). Dans ce cas précis le point de vue pernicieux (P. ditthigata) que les plaisirs sensuels ne font pas obstacle. En d'autres termes, le réalisme naïf à l'opposé d'un nihilisme, pour lequel on veut encore souvent faire passer la vacuité.

Pour que ce soit encore plus clair, le Bouddha commence par expliquer qu’il ne s’agit pas de lire et d’appliquer aveuglement, dogmatiquement, les diverses instructions, mais d’en saisir le sens (artha) avec discernement (prajñā). L’esprit, pas la lettre. La lettre est morte, l’esprit est vivant.

Le Bouddha ne preche pas l’ortho-doxie (« point de vue juste »), dans le sens d’un dogme ou d’un credo auquel il faut adhérer par le biais de la foi. Ni d'ailleurs la connaissance précise d'un objet précis. Plutôt une ortho-praxie, une pratique juste, qui serait accessible par l’octuple chemin etc. Là non plus, il ne s'agit pas suivre des règles ou une procédure à la lettre. P.e. en suivant à la lettre les instructions du Bouddha pour attraper un serpent. "il le coincerait fermement avec un bâton fourchu (ajapada). Après l'avoir coincé fermement avec un bâton fourchu, il le saisirait fermement par le cou." L'essentiel est le discernement (prajñā), quelque soit la méthode que l'on suit.

Pour rappel, les quatre refuges (S. catuḥpratisaraṇa)

1. La Loi est le refuge et non l'homme
2. l'esprit de la lettre est le refuge et non la lettre
3. Le sūtra de sens définitif (S. nītārtha T. nges don) est le refuge et non le sūtra de sens à élucider (S. neyārtha T. drang don).
4. La connaissance principielle (S. jñāna T.ye shes) est le refuge et non pas les perceptions sensorielles avec la conscience mentale (S. vijñāna T. rnam shes

Les deux derniers de ces quatre refuges appartiennent d'ailleurs plus spécifiquement au mahāyāna. J'y reviendrai. 

Voici l'exemple du serpent d'eau, tel qu'on le trouve sur le site Canonpali.org.

La comparaison du serpent d'eau

[20] "Moines, il y a le cas où des gens sans valeur étudient le Dhamma: dialogues, récits mixtes en prose et en vers, explications, gathas en vers, exclamations spontanées, citations, histoires de naissance, événements stupéfiants, sessions de questions et réponses [premières classifications des enseignements du Bouddha ]. Après avoir étudié le Dhamma, ils ne s'assurent pas du sens (ou: du propos) de ces Dhammas au moyen de leur discernement. Ne s'étant pas assurés du sens de ces Dhammas au moyen de leur discernement, ils n'arrivent pas à s'accorder sur ce qu'ils ont pondéré. Ils étudient le Dhamma autant pour attaquer les autres que pour se défendre eux-mêmes dans les débats. Ils n'atteignent pas le but pour lequel [des gens] étudient le Dhamma. Leur saisie erronée de ces Dhammas entraînera leur malheur et leur souffrance à long terme. Pourquoi est-ce le cas? A cause de la saisie erronée des Dhammas.

[21] "Supposons qu'il y ait un homme qui aurait besoin d'un serpent d'eau, qui chercherait un serpent d'eau, qui irait à la recherche d'un serpent d'eau. En voyant un grand serpent d'eau, il le saisirait par les anneaux ou par la queue. Le serpent d'eau, en se retournant, le mordrait à la main, au bras, ou à l'un de ses membres, et à cause de cela il souffrirait de la mort ou de souffrances semblables à la mort. Pourquoi cela? A cause de sa saisie erronée du serpent d'eau. De même, il y a le cas où des gens sans valeur étudient le Dhamma... Après avoir étudié le Dhamma, ils ne s'assurent pas du sens de ces Dhammas au moyen de leur discernement. Ne s'étant pas assurés du sens de ces Dhammas au moyen de leur discernement, ils n'arrivent pas à s'accorder sur ce qu'ils ont pondéré. Ils étudient le Dhamma autant pour attaquer les autres que pour se défendre eux-mêmes dans les débats. Ils n'atteignent pas le but pour lequel [des gens] étudient le Dhamma. Leur saisie erronée de ces Dhammas entraînera leur malheur et leur souffrance à long terme. Pourquoi cela? A cause de la saisie erronée des Dhammas.

[22] "Mais ensuite il y a le cas où des hommes de clan étudient le Dhamma... Après avoir étudié le Dhamma, ils s'assurent du sens de ces Dhammas au moyen de leur discernement. Après s'être assurés du sens de ces Dhammas au moyen de leur discernement, ils arrivent à s'accorder sur ce qu'ils ont pondéré. Ils n'étudient pas le Dhamma pour attaquer les autres ni pour se défendre eux-mêmes dans les débats. Ils atteignent le but pour lequel des gens étudient le Dhamma. Leur saisie correcte de ces Dhammas entraînera leur bien-être et leur bonheur à long terme. Pourquoi cela? A cause de leur saisie correcte des Dhammas.

[23] "Supposons qu'il y ait un homme qui aurait besoin d'un serpent d'eau, qui chercherait un serpent d'eau, qui irait à la recherche d'un serpent d'eau. En voyant un grand serpent d'eau, il le coincerait fermement avec un bâton fourchu (ajapada). Après l'avoir coincé fermement avec un bâton fourchu, il le saisirait fermement par le cou. Alors peu importe combien le serpent d'eau pourrait enrouler ses anneaux tout autour de sa main, son bras, ou n'importe lequel de ses membres, il ne souffrirait pas à cause de cela de la mort ou de souffrances semblables à la mort. Pourquoi cela? A cause de sa saisie correcte du serpent d'eau. De même, il y a le cas où des hommes de clan étudient le Dhamma... Après avoir étudié le Dhamma, ils s'assurent (upaparikkhanti) du sens (atthaṃ) de ces Dhammas au moyen de leur discernement (paññāya). Après s'être assurés du sens de ces Dhammas au moyen de leur discernement, ils arrivent à s'accorder sur ce qu'ils ont pondéré. Ils n'étudient pas le Dhamma pour attaquer les autres ni pour se défendre eux-mêmes dans les débats. Ils atteignent le but pour lequel des gens étudient le Dhamma. Leur saisie correcte de ces Dhammas entraînera leur bien-être et leur bonheur à long terme. Pourquoi cela? A cause de leur saisie correcte des Dhammas.

"En conséquence, moines, quand vous comprenez le sens de mes énoncés, c'est ainsi que vous devez vous les rappeler. Mais quand vous ne comprenez pas le sens de mes énoncés, alors là, vous devriez interroger soit moi, soit les moines expérimentés.

Version anglaise originale

Traduction anglaise de Jayarava

Autre exemple de serpent, utilisé dans le Dzogchen ancien par Rongzompa.

***

[1] Traduction de Guy Bugault, Stances du milieu par excellence, p. 173. Śūnyatā sarva-dṛṣṭīnāṃ proktā niḥsaraṇaṃ jinaiḥ, yeṣāṃ tu śūnyatā-dṛṣṭis tān asādhyān babhāṣire. rgyal ba rnams kyis stong pa nyid//lta kun nges par ‘byung bar gsungs//gang dag stong pa nyid lta ba//de dag bsgrub tu med par gsungs//

[2] Bugault, citant le Prasannapadā (commentaire de Candrakīrti) 247, 5-6

[3] Guy Bugault, Stances du milieu par excellence, p. 309. T. stong pa nyid la blta nyes na//shes rab chung rnams phung par byed//ci ltar sbrul la bzung nyes dang//rigs sngags nyes par bsgrub pa bzhin/
Version en Pali :
20. Idha bhikkhave ekacce moghapurisā dhammaṃ pariyāpuṇanti: suttaṃ geyyaṃ veyyākaraṇaṃ gāthaṃ udānaṃ itivuttakaṃ jātakaṃ abbhutadhammaṃ vedallaṃ. Te taṃ dhammaṃ pariyāpuṇitvā tesaṃ dhammānaṃ paññāya atthaṃ na upaparikkhanti. Tesaṃ te dhammā paññāya atthaṃ anupaparikkhataṃ na nijjhānaṃ khamanti. Te upārambhānisaṃsā ceva dhammaṃ pariyāpuṇanti itivādappamokkhānisaṃsā ca. Yassa catthāya1 dhammaṃ pariyāpuṇanti tañcassa atthaṃ nānubhonti. Tesaṃ te dhammā duggahītā dīgharattaṃ ahitāya dukkhāya saṃvattanti. Taṃ kissa hetu: duggahītattā bhikkhave dhammānaṃ.

21. Seyyathāpi bhikkhave puriso alagaddatthiko alagaddagavesī alagaddapariyesanaṃ caramāno- so passeyya mahantaṃ alagaddaṃ, tamenaṃ bhoge vā naṅguṭṭhe vā gaṇheyya, tassa so alagaddo paṭiparivattitvā2 hatthe vā bāhāya vā aññatarasmiṃ vā aṅgapaccaṅge ḍaseyya,3 so [PTS Page 134] [\q 134/] tatonidānaṃ maraṇaṃ vā nigaccheyya maraṇamattaṃ vā dukkhaṃ. Taṃ kissa hetu: duggahītattā bhikkhave alagaddassa. Evameva kho bhikkhave idhekacce moghapurisā dhammaṃ pariyāpuṇanti: suttaṃ geyyaṃ veyyākaraṇaṃ gāthaṃ udānaṃ itivuttakaṃ jātakaṃ abbhutadhammaṃ vedallaṃ. Te taṃ dhammaṃ pariyāpuṇitvā tesaṃ dhammānaṃ paññāya atthaṃ na upaparikkhanti. Tesaṃ te dhammā paññāya atthaṃ anupaparikkhataṃ na nijjhānaṃ khamanti. Te upārambhānisaṃsā ceva dhammaṃ pariyāpuṇanti itivādappamokkhānisaṃsā ca. Yassa catthāya dhammaṃ pariyāpuṇanti tañcassa atthaṃ nānubhonti. Tesaṃ te dhammā duggahītā dīgharattaṃ ahitāya dukkhāya saṃvattanti. Taṃ kissa hetu: duggahītattā bhikkhave dhammānaṃ.

22. Idha pana bhikkhave ekacce kulaputtā dhammaṃ pariyāpuṇanti: suttaṃ geyyaṃ veyyākaraṇaṃ gāthaṃ udānaṃ itivuttakaṃ jātakaṃ abbhutadhammaṃ vedallaṃ. Te taṃ dhammaṃ pariyāpuṇitvā tesaṃ dhammānaṃ paññāya atthaṃ upaparikkhanti. Tesaṃ te dhammā paññāya atthaṃ upaparikkhataṃ nijjhānaṃ khamanti. Te na ceva upārambhānisaṃsā dhammaṃ pariyāpuṇanti itivādappamokkhānisaṃsā ca. Yassa catthāya dhammaṃ pariyāpuṇanti tañcassa atthaṃ anubhonti. Tesaṃ te dhammā suggahītā dīgharattaṃ hitāya sukhāya saṃvattanti. Taṃ kissa hetu: suggahītattā bhikkhave dhammānaṃ.

23. Seyyathāpi bhikkhave puriso alagaddatthiko alagaddagavesī alagaddapariyesanaṃ caramāno - so passeyya mahantaṃ alagaddaṃ, tamenaṃ ajapadena daṇḍena suniggahītaṃ niggaṇheyya, ajapadena daṇḍena suniggahītaṃ niggahetvā1 gīvāya2 suggahītaṃ gaṇheyya, kiñcāpi so bhikkhave alagaddo tassa purisassa hatthaṃ vā bāhaṃ vā aññataraṃ vā aṅgapaccaṅgaṃ bhogehi paliveṭheyya,3 atha kho so neva tatonidānaṃ maraṇaṃ vā nigaccheyya maraṇamattaṃ vā dukkhaṃ. Taṃ kissa hetu: suggahītattā bhikkhave alagaddassa, evameva kho bhikkhave idhekacce kulaputtā dhammaṃ pariyāpuṇanti, suttaṃ geyyaṃ veyyākaraṇaṃ gāthaṃ udānaṃ itivuttakaṃ jātakaṃ ababhūtadhammaṃ vedallaṃ. Te taṃ dhammaṃ pariyāpuṇitvā tesaṃ dhammānaṃ paññāya atthaṃ upaparikkhanti. Tesaṃ te dhammā paññāya atthaṃ upaparikkhataṃ nijjhānaṃ khamanti. Te na ceva upārambhānisaṃsā dhammaṃ pariyāpuṇanti na itivādappamokkhānisaṃsā ca. Yassa catthāya dhammaṃ pariyāpuṇanti tañcassa atthaṃ anubhonti tesaṃ te dhammā suggahītā dīgharattaṃ hitāya sukhāya saṃvattanti taṃ kissa hetu: suggahītattā bhikkhave dhammānaṃ.

Tasmātiha bhikkhave yassa me bhāsitassa atthaṃ ājāneyyātha athā naṃ dhāreyyātha. Yassa ca pana me bhāsitassa atthaṃ na ājāneyyātha ahaṃ vā4 paṭipucchitabbo ye vā panassu viyattā bhikkhū.





jeudi 21 mars 2013

Deux itinéraires, Brahman et Purusa


Madeleine Biardeau (1922-2010) explique dans L’Hindouisme, anthropologie d’une civilisation, que l’absolu en Inde n’a pas un seul nom (Dieu), mais au moins deux noms, le Brahman et le Puruṣa. Le Brahman est l’indifférencié qui est Être pur, Conscience pure et Illimité[1], ou Béatitude. Le Puruṣa est l’Homme cosmique, ou « le Mâle », qui par son sacrifice[2] crée le cosmos. Par le dépècement de son corps dans l’acte sacrificiel (karma) naissent les êtres animés, à commencer par les quatre castes (varṇa) humaines. L’acte créateur est un sacrifice, renouvelé pas les rites dont les brāhmanes sont les prêtres.

Avec l’apparition des sectes de renonçants, un éloignement du modèle sacrificiel se dessine, y compris chez les brāhmanes. Dans les upaniṣad, on trouve toujours les deux noms de l’absolu, qui vont correspondre à deux itinéraires distincts. Une voie de la connaissance, plutôt moniste, qui mène à la connaissance de l’identité du Brahman et de l’ātman, qui selon Biardeau aurait sa charte dans le chapitre VI de la Chāndogya-upaniṣad. Et une voie plutôt technique (yoga), qui prendra pour modèle (Īśvara) Viṣṇu (Kaṭha-upaniṣad) ou Śiva (Śvetāśvatara-upaniṣad). C’est une approche plus dualiste, avec une relation entre l’adepte et le Seigneur, où la bhakti et la grâce sont monnaie d’échange. Même si elle peut avoir des variations non-dualistes.


Le yoga, surtout après l’avènement des tantras, devient une intériorisation du sacrifice de l’Homme cosmique, et cherchera a reconstituer le corps divin immortel. L’édification d’un corps immortel (kāyasādhana, notamment des yogis nāth) s’inscrit dans l’itinéraire de type Puruṣa. Dans le bouddhisme tantrique, on le retrouve dans les approches du Kālacakra et de l’essence séminale (snying thig). Selon le Śrī Kālacakratantra par exemple, aucune perfection (siddhi) n’est possible sans le corps et la béatitude suprême ne peut pas être atteinte sans le corps. C’est pourquoi le corps [subtil] avec son système de nāḍī est si important pour le yoga. Avec la perfection du corps, on aura accès à toutes les perfections des trois mondes[3]. Car tout, y compris le temps (les jours, les nuits, les mois, les années etc.) est contenu dans le corps, et on y accèderait par la maîtrise du souffle vital (prāṇa-vāyu) et autres techniques yoguiques

***

[1] "Stong pa, gsal ba, ma ‘gags pa"

[2] Ṛg-veda X.90

[3] « kāya-bhāve na siddhir na ca parama-sukhaṁ prāpyate janmanī ha // tasmāt kāya-ṛtha-hetoh pratidina-samaye bhāvayet nāḍī-yogam / kāye siddhe anya-siddhis tribhuvana-nilaye kiṅkaratvaṁ prayāti// » Śrī Kālacakratantra, MS. [Cambridge, Add. 236 (4) p. 33(B)]

mercredi 20 mars 2013

Unité d'action, de temps et de lieu



Le prince (pho brang zhi ba 'od)[1] est l’auteur d’une lettre ouverte au peuple tibétain (bka’ shog)[2], dans laquelle il jette le discrédit sur certains tantras dits anciens et qu’il accuse d’être des apocryphes ou des œuvres syncrétistes. Il accuse par exemple Noubchen Sangyé yéshé (T. gNubs chen sangs rgyas ye shes, 10ème siècle) d’écrire des tantras anciens en les faisant passer pour les traductions de textes indiens. Le Discours du roi pancréateur serait selon lui un texte écrit par un certain Drang nga shag tshul de Khro gangs dans le Nyang supérieur. Zhi ba ‘od accuse l’auteur de ce texte d’être l’adepte d’une doctrine éternaliste (mu stegs rtag Ita ba)[3]. Il y a en effet quelques ressemblances[4] entre ce texte et des textes shivaïstes cachemiriens comme le Mokṣa-upāya-śāstra ou le Yogavāsiṣṭha (composé au Cachemire vers 950). Il y a notamment le rôle central de l’intuition autoproduite (rang byung ye shes), qui a certaines similitudes avec la conscience autonome de Śiva, mais il y a aussi des différences comme le note E.K. Neumaier-Dargyay,[5] comme p.e. le rôle des upāya et du yoga, qui fait défaut dans le Discours du roi pancréateur. C’est par le biais de la Section des transmissions tantriques et des cycles Nyingthig, que les upāya et le yoga feront leur retour en force dans le « Dzogchen ».

Le Discours du roi pancréateur est un texte qui a beaucoup évolué. Il existe une version qui compte 57 chapitres principaux (rtsa ba’i rgyud)[6]. Cette version comporte des textes anciens dont la traduction est attribuée à Vairocana. A cette version ont été ajoutées 27 chapitres supplémentaires (58-84) appelés « tantras ultérieurs » (phyi ma’i rgyud[7]) pour faire une version augmentée qui compte 84 chapitres. La deuxième version semble commencer par le chapitre 58, qui a une véritable introduction (gleng gzhi le'u) à elle. Selon Namkhai Norbu, ces chapitres ajoutés constitueraient le sens quintessentiel de l’intégralité de ce tantra. Il n’est pas impossible que ce soit justement la raison d’être de ces chapitres ajoutés « ultérieurement » (phyi ma).

Quoi qu'il en soit, le tout premier chapitre, l'introduction du Discours du roi pancréateur semble se moquer des critères d'authenticité des canons bouddhistes. Le lion ne parle-t-il pas son propre langage que les renards ne parlent pas et vice-versa ? Vous voulez des preuves d'authenticité ? semble vouloir dire ce texte, vous en aurez pour votre argent ! Ces critères sont traditionnellement des informations sur l'interlocuteur, le discours, le moment du discours, le lieu et les personnes présentes (entourage, cercle). Et il commence par la formule consacrée "Voici ce qu'une fois j'ai entendu (evaṁ maya)." Suit ce qui semble être une délicieuse parodie moniste sur l'Un, "la sphère", où il n'y a pas d'autre.

Premier chapitre du Discours du roi pancréateur 

Hommage à la conscience éveillée en tant que le Roi pancréateur, 
En ces temps-là, les propos suivants furent énoncés, à Akaniṣṭha-bhavana,[8] dans l'espace du fond des choses (dharmatā), dans le Flux de l'Élément (dhātutva), dans le séjour de la conscience-en-soi (S. cittatva), à l'intérieur du palais de l'intuition libre d'obnubilation,

sa propre nature (prakṛti), sa propre essence, et sa propre compassion s'étant manifestées en les intuitions des cercles suivants.
Le cercle dit du « corps spirituel » (dharmakāya), qui est le cercle de sa propre nature. 
Le cercle dit de « la terre » du corps de délectation (sambhogakāya) qui est le cercle de sa propre essence.
Le cercle dit de « l'eau » du corps de délectation qui est le cercle de sa propre essence.
Le cercle dit du « feu » du corps de délectation qui est le cercle de sa propre essence.
Le cercle dit de « l'air » du corps de délectation qui est le cercle de sa propre essence.
Le cercle dit de « l'espace » du corps de délectation qui est le cercle de sa propre essence.

Puis sa propre compassion s'était encore manifestée comme l'intuition des cercles de créations (nirmāṇa) suivants.
Le cercle dit « des êtres du plan du sensible (S. kāma-dhātu) ».
Le cercle dit « des êtres du plan des formes (S. rūpa-dhātu) ».
Le cercle dit « des êtres du plan sans formes (S. ārūpya-dhātu) ».

D'autre part, sa propre nature avait les cercles de la Vue, que sont les quatre types de yoga.
Le cercle dit de « l'Atiyoga ».
Le cercle dit de « l'Anuyoga ».
Le cercle dit du « Mahāyoga ».
Le cercle dit du « Sattvayoga ».
Sa propre nature (prakṛti), sa propre essence, ainsi que sa propre compassion, étant indivisibles de ceux-ci, formaient une seule méthode (upāya) unique.

D'autre part, les cercles suivants avaient accès à sa propre nature :
Les Éveillés du passé, étant les cercles qui demeurent en lui.
Les Éveillés de maintenant, étant les cercles qui agissent pour lui.
Les Éveillés du futur, étant les cercles qui se produiront de lui.
Ils formaient une seule méthode unique, par la nature indivisible.

Par conséquent, puisque tous les cercles étaient dynamisés par sa nature de conscience éveillée en tant que roi pancréateur, il fit dissoudre l'esprit de tous les cercles dans son Esprit. Et l'intuition autoproduite (rang byung ye shes) brillait.

Puisque tout (sarva) est doté du fond des choses (dharmatā), tout est là regroupé dans une sphère universelle unique. L'être fulgurant (vajrasattva) lui-même étant là dans la sphère universelle unique, en sortit. Et il se plaça face à la conscience éveillée en tant que le Roi pancréateur, l'esprit joyeux, et d'apparence radieuse.

La conscience éveillée en tant que le Roi pancréateur [émerveillé], dit à l'être fulgurant :
« Être fulgurant, tu es merveilleux !
ton esprit joyeux, merveilleux !
ton apparence radieuse, merveilleux !
tu es sorti de moi, merveilleux! » 
L'être fulgurant lui demanda alors :
« Hé, guide des guides, roi pancréateur,
le guide lui-même serait-il aussi la sphère simple (aprapañca) ?
tous les cercles seraient-ils aussi la sphère simple ?
sa doctrine serait-elle aussi la sphère simple ?
le moment et le lieu seraient-ils aussi la sphère simple ?
Tout (sarva) est-il de la nature de la sphère [unique] ?
Guide des guides, expliquez-moi.
Pourquoi les cercles circulent-ils comme des cercles ?
Pourquoi enseigner la doctrine aux cercles ?
Comment le moment et le lieu sont ils uns ? » 
Ainsi furent ses questions. Ensuite la conscience éveillée en tant que le roi pancréateur dit alors à l'être fulgurant :
« Eh, grand être (mahāsattva), sois attentif à ce que je vais dire.
Je t'expliquerai le sens.
Eh, grand être (mahāsattva),
Moi, roi pancréateur, la conscience-en-soi (S. cittatva)
Je suis le Coeur de toutes les choses
Ce Coeur simple et éternel est la sphère [unique]
La sphère est la réalité (artha) simple et éternelle
Le guide, la doctrine, le cercle, le moment et le lieu
Sont produits de moi, la sphère éternelle
Et ma nature est ce qu'enseigne la sphère. » 
Ainsi dit-il.

Extrait de la conscience éveillée en tant que le Roi pancréateur, l'introduction, le premier chapitre.

*** 

[1] Neveu de Ye shes ‘od, également l’auteur d’une lettre ouverte

[2] An Open Letter by Pho-brang Zhi-ba-'od to the Buddhists in Tibet, Karmay, Samten G., The Tibet Journal V/3 1980, pp. 3-28

[3] T. nyang stod khro gangs su drang nga shag tshul gyis byas pa’i sems sde bco brgyad kyi rgyud rnams la/ kun byed rgyal po dang/ mdo bcu gsang ba dang/ ye shes gsang ba dang/ ‘grel ba dang sa bcod dang/ dbang bskur gyi man ngag dang/ sgom pa’i man ngag dang/ sems nyams kyi man ngag dang*/ John M. Reynolds : .« In the words of this edict, it is said that 'The eighteen Tantras of the Sems-sde written by Drang-nga Shag-tsul at the Copper Glacier in Upper Nyang, such as the Kun-byed rgyal-po, the ten esoteric Sutras (mdo bcu), the Ye-shes gsang-ba, commentaries, outlines, initiations, and meditation instructions on psychic phenomena, the Srid-pa'i rgyud, as well as all the teachings on the Ma-mo, such as the Ma-mo Tantras, and finally the Five Kingly Teachings: the innumerable Tantras, commentaries, instructions, and practical handbooks (associated with them, are prohibited)! » This edict has been quoted by the Nyingma-pa scholar and historian Sog-dog-pa (Sog-zlog-pa blo-gros rgyal-mtshan, 1552-1624).36 According to Sog-dog-pa, Zhiwa-od, who was both a prince belonging to the royal family of the kingdom of Guge in Western Tibet and a Buddhist monk affiliated with the Kadampa school, considered that Dzogchen resembled the etemalist view of the Hindus (mu-stegs rtag Ita-ba). The name Drang-nga Shag-tsul is otherwise unknown, although the name appears to be Bonpo rather than Shaivite or Indian. Obviously he is connected in some way with the Dzogchen Tantras, but whether he is an author of some of them or merely their propagator in Western Tibet remains to be seen.

[4] E.K. Nuemaier-Dargyay, The Sovereign All-Creating Mind, The Motherly Buddha, p. 6

[5] E.K. Nuemaier-Dargyay, The Sovereign All-Creating Mind, The Motherly Buddha, p. 7

[6] Qui selon la tradition auraient été traduits par Vairocana et son maître Śrī Siṃha (T. dpal gyi seng ge). Les autres chapitres auraient été traduits par un certain Śrī Siṃha nātha. Voir Golden Letters, John Myrdhin Reynolds p. 247-248

[7] Rtogs pa bshad zhes bya ba’i rgyud phyi ma

[8] « qui n'est pas inférieur »

Texte tibétain (Wylie)

bcom ldan 'das byang chub kyi sems kun byed rgyal po la phyag 'tshal lo/ / 
'di skad bshad pa'i dus na/ 'og min gyi gnas/ chos nyid kyi mkha'/dbyings nyid kyi klong/sems nyid kyi gnas/ye shes sgrib pa mi mnga' ba'i gzhal yas khang na/ 
nyid kyi rang bzhin dang*/ nyid kyi ngo bo dang*/ nyid kyi thugs rje ye shes mngon du phyung ba'i 'khor 'di lta ste/ 
nyid kyi rang bzhin gyi 'khor chos kyi sku zhes bya ba'i 'khor dang*/ 
nyid kyi ngo bo'i 'khor longs spyod rdzogs pa'i sku sa zhes bya'i 'khor dang*/
nyid kyi ngo bo'i 'khor longs spyod rdzogs pa'i sku chu zhes bya ba'i 'khor dang*/ 
nyid kyi ngo bo'i 'khor longs spyod rdzogs pa'i sku me zhes bya ba'i 'khor dang*/ 
nyid kyi ngo bo'i 'khor longs spyod rdzogs pa'i sku rlung zhes bya ba'i 'khor dang*/ 
nyid kyi ngo bo'i 'khor longs spyod rdzogs pa'i sku nam mkha' zhes bya ba'i 'khor dang*/ 
gzhan yang thugs rje ye shes mngon du phyung ba'i sprul pa'i 'khor 'di lta ste/ 
'dod pa'i khams kyi sems can zhes bya ba'i 'khor dang*/ 
gzugs kyi khams kyi sems can zhes bya ba'i 'khor dang*/ 
gzugs med pa'i khams kyi sems can zhes bya ba'i 'khor dang*/ 
gzhan yang nyid kyi rang bzhin la lta ba'i 'khor rnal 'byor rnam pa bzhi 'di lta ste/ 
shin tu rnal 'byor zhes bya ba'i 'khor dang*/ 
yongs su rnal 'byor zhes bya ba'i 'khor dang*/ 
rnal 'byor chen po zhes bya ba'i 'khor dang*/ 
sems dpa'i rnal 'byor zhes bya ba'i 'khor dang*/ 
nyid kyi rang bzhin dang*/ nyid kyi ngo bo dang*/ nyid kyi thugs rje'i rang bzhin 'byed pa mi mnga' bas thabs gcig go/ 
gzhan yang nyid kyi rang bzhin rtogs pa'i 'khor 'di lta ste/ 
sngar 'das pa'i sangs rgyas nyid la gnas pa'i 'khor dang*/ 
da ltar bzhugs pa'i sangs rgyas nyid kyi don mdzad pa'i 'khor dang*/ 
slad nas 'byon pa'i sangs rgyas nyid las 'byung ba'i 'khor dang*/ 
'byed pa mi mnga' ba'i rang bzhin gyis thabs gcig par bzhugs so/ de nas byang chub kyi sems kun byed rgyal po des/ 'khor thams cad nyid kyi rang bzhin du byin gyis brlab pa'i phyir/ 'khor thams cad nyid kyi sems nyid kyi thugs la thim par mdzad do/ rang byung gi ye shes gsal bar mdzad do/ 
de nas thams cad chos nyid du ldan par bya ba'i phyir/ thams cad bsdus nas thig le chen po gcig tu bzhugs so/ de nas sems dpa' rdo rje de nyid kyis rang bzhin thig le chen po gcig tu bzhugs pa de las byung nas/ byang chub kyi sems kun byed rgyal po'i spyan sngar/ dga' ba'i sems kyis dang ba'i mdangs phyung ste 'khod pas/ 
byang chub kyi sems kun byed rgyal pos/ sems dpa' rdo rje la smras pa/ 
sems dpa' rdo rje %e ma ho/ 
dga' ba'i sems skyes %e ma ho/ 
dang ba'i mdangs phyung %e ma ho/ 
nga las byung ba %e ma ho 
ces gsungs pas/ de nas sems dpa' rdo rjes zhus pa/ 
kye ston pa'i ston pa kun byed rgyal po lags/ 
ston pa nyid kyang thig le spros med dam/ 
'khor rnams kun kyang thig le spros med dam/ 
bstan pa kun kyang thig le spros med dam/ 
dus dang gnas kyang thig le spros med dam/ 
thams cad kun kyang thig le'i rang bzhin na/ 
ston pa'i ston pas ci zhig ston par mdzad/ 
'khor du 'khor ba'i don ni ci la 'khor/ 
'khor la bstan pa ci zhig ston par byed/ 
dus dang gnas ni gcig pa ji lta bu/ 
zhes zhus so/ de nas byang chub kyi sems kun byed rgyal po des/ sems dpa' rdo rje de la 'di skad ces gsungs so/ 
kye sems dpa' chen po yid sgra la chug cig/ 
ngas don sgrar bshad kyis/ 
kye sems dpa' chen po/ 
sems nyid kun byed rgyal po nga nyid ni/ 
chos rnams thams cad kun gyi snying po ste/ 
snying po ma spros ye nas thig le yin/ 
thig le ye nas spros pa med pa'i don/ 
ston pa dang ni bstan pa 'khor dus gnas/ 
nga las byung ba ye nas thig le ste/ 
nga yi rang bzhin thig le bstan pa yin/ 
ces gsungs so/ byang chub kyi sems kun byed rgyal po las/ gleng gzhi'i le'u ste dang po'o/