jeudi 9 septembre 2021

Le "dépouillement sublime et glacial" et ses emballages encombrants

Illustration de Grandville, "Les Mystères de l'infini" dans Un autre monde

Pour ce billet, je me suis surtout servi du livre Julien l’apostat de Lucien Jerphagnon et Paul Veyne.

Malgré sa thèse de l’Un primordial, la dualité Intelligence-Matière et le projet qui s’ensuit, l’approche du platonicien Plotin (et de Porphyre) est considérée philosophique. L’âme individuelle est la chute d’une parcelle de l’Âme du Monde dans de la matière pure, par le biais d’un processus d’émanation. L’Âme du Monde est le produit de l’Intelligence universelle, produite ou émanée de l’Un, qui se situe au-delà de tout, même au-delà de l’être. La chute ne serait cependant pas définitive, et l’âme individuelle peut, tel un saumon nageant à contre-courant, espérer remonter la série des couches concentriques pour finalement retrouver l’Un.

Toute ressemblance entre “l’Un” et “Dieu” n’est peut-être pas fortuite. Les philosophes religieux ne s’y sont jamais trompés. Toute la philosophie occidentale est du platonisme, dit même Heidegger. Il est évident qu’il est difficile d’échapper à cette dualité (avec la primauté de l’esprit) et de penser “out of the box”.

Même les approches qui tentent consciemment d’éviter la dualité, en visant une “non-dualité”, n’arrivent à oublier “the duality in the room”, “l’ombre de Dieu”. Le Bouddha, inventeur d’une voie du Milieu, tente d’éviter de s’investir dans les extrêmes d’être et de non-être, etc. Mais son parcours passe par les structures même de la dualité “primordiale” et dynamique qu’est “l’Un”. Il y a toujours l’image de l’ascension, une remontée vers le monde de Brahma, puis “au-delà”, en passant par des couches concentriques, qui ne sont que des étapes. C’est en ne s’identifiant pas, justement, que l’adepte bouddhiste “remonte”, en ne se fixant nulle part. Il n’y aura pas d’identification avec l’Âme du Monde, ni même avec l’Intelligence, et en dépassant “tout” (sarva), ainsi que l’être et le non-être, “il” doit bien se trouver (ou ne pas se trouver) quelque part dans les sphères de “l’Un”, “la Source”. Mais dans l’absence de toute appropriation et identification, “il” n’en sait plus trop. Peut-il encore savoir quoi que ce soit dans ses retrouvailles avec l’Un ?

Ceux qui sont revenus des extases dans l’Un - qui ont originellement chutés, puis ont réussi à remonter jusqu’à l’Un, et sont de nouveau redescendus de leur plein gré (?) pour nous en parler - nous donnent beaucoup de détails. S’ils en restent là, ils sont considérés des “philosophes” (platoniciens) et leur mysticisme est un “mysticisme rationnel”. D’autres adeptes platoniciens sont allés plus loin, dans le sens de la religion[1], puis des adeptes religieux ont fait le chemin inverse, pour se servir des arguments “philosophiques” des adeptes platoniciens, afin d’étayer et de consolider leurs propres constructions religieuses fragiles, et ne pas toujours passer pour les ravis de la crèche.

Ces doubles (voire multiples) rencontres ont eu beaucoup lieu à lépoque de Jambilique[2], où la Gnose, dans toute sa diversité, prends son essor.
Le modèle du genre était Jamblique de Chalcis, qui venait tout juste de mourir. Il avait été à Rome l'élève de Porphyre. Contemporain de Constantin, il avait fait courir les foules, qu'enchantaient sa pédagogie, sa vaste culture, sa renommée de mage, même si on ne comprenait pas tout. On peut dire que Jamblique concentrait en lui toutes les traditions, tous les courants philosophiques et religieux du passé et du présent. Cet authentique savant, dont il nous reste aujourd'hui quelques traités, avait cependant un faible pour le surnaturel et pour les pratiques qu'on appelait théurgiques, autrement dit capables de manipuler le divin, de le faire advenir dans la vie des hommes. C'était d'ailleurs une préoccupation d'époque: chrétiens et païens cherchaient à intégrer l'humain au divin et le divin à l'humain, dans une perspective de salut. Ainsi saint Athanase, évêque d'Alexandrie, contemporain de Julien, enseigne que Dieu s'est fait homme afin que l’homme soit fait Dieu.”
C’est une approche où l’homme ne se soumet plus à Dieu (aux dieux et aux démons), mais les utilise pour arriver à sa fin : devenir l’égal de Dieu, y compris en savoir, ou du moins avoir accès à ce savoir (la Gnose), pour en disposer à sa guise.
C'était l'esprit du siècle, et toutes les religions, à l'époque, rivalisaient de ce merveilleux qui aujourd'hui nous fait douter, bien à tort d'ailleurs, du bon sens de ces gens. On estimait que dans la nature, animée de forces mystérieuses, mal dominées, tout se tenait - et de là à les solliciter quelque peu, il n'y avait qu'un petit pas. On donnait au besoin un coup de pouce aux phénomènes pour que se manifeste mieux une vérité à laquelle on tenait autant par la sensibilité que par la raison. On se mouvait dans les on-dit, et tout cela se vivait dans une bonne foi dont nous avons perdu la recette.”
Dans la personne de Jambilique, on voit donc un “philosophe” (platonicien, adepte de “mysticisme rationnel”), doublé d’un théurge. Le retour à l’Un passait “autant par la sensibilité que par la raison”.

Le sensible (l'esthétique), c’est une sorte de rencontre entre “l’Esprit” et “la matière”. Une rencontre où l’on peut voir, entendre, sentir, goûter et toucher l’Intelligence manifeste. N’oublions pas que nous sommes toujours dans une approche dualiste, qui pose un Esprit et une Matière, et qui conçoit une rencontre entre les deux. Plotin aurait, selon Jerphagnon, méprisé les approches sensibles, et aurait cherché à s’approcher de l’Un uniquement à travers l’Âme du Monde et l’Intelligence, par une approche qui se sépare du sensible.

Il est possible de concevoir une Intelligence qui se manifeste par le sensible, s’empare de tout le sensible, et le remplit entièrement d’ “Intelligence manifeste”, sans laisser aucun interstice. “Manifeste” équivaut cependant “sensible”. Ce n’est pas de l’Intelligence pure, celle qui aurait accès à l’Un. Mais tout cela reste de la théorie avec des a priori, et notamment la dualité Esprit-Matière.

Est-ce que passer par le sensible aussi subtil soit-il (les rituels, les archétypes, etc.) peut-il être “habile” (upāyakauśalya) dans l’optique du projet “philosophique” d’un Plotin, etc. ? Jambilique et de nombreux autres théurges ont décidé que oui.
Pour Plotin, chercher la divinité dans les temples, les rites, les sacrifices, c'était bon tout au plus pour le vulgaire; c'était le chemin de ceux qui sont incapables de philosopher pour de bon. C'était en somme prendre les choses par le mauvais bout: “C'est aux dieux de venir à moi, disait-il à ses disciples éberlués, non à moi d'aller vers les dieux. “ Et ce détachement même à l'endroit des cérémonies du culte n'avait pas toujours été compris ni très apprécié en un temps où l'on attachait tant de prix aux dévotions de toutes sortes, aux révélations merveilleuses, aux miracles. La doctrine de Plotin, en raison de son dépouillement sublime et glacial, ne pouvait satisfaire qu'un tout petit nombre d'esprits, une heureuse minorité formée à la vraie spéculation philosophique.”
Un “tout petit nombre d’esprits” versus des approches “chaleureuses”, “généreuses”, “habiles”, sensibles et esthétiques, dont le succès n’a jamais tari. Ce tout petit nombre de “philosophes” platoniciens reste néanmoins dualiste de par sa doctrine et optique, contrairement, en théorie et en quelques écrits, aux bouddhistes madhyamika (pour simplifier). Mais les bouddhistes madhyamika sont comme des mirages : de loin on croit en percevoir, mais en s’en approchant on tombe le plus souvent sur des théurges… “habiles” ou non...

***

[1]Pour le moment, les platoniciens, soutenus par la religiosité de ce siècle, inquiets aussi de la prolifération des sectes chrétiennes elles-mêmes imbibées de réminiscences platoniciennes, rivalisaient avec elles de surnaturel et de merveilleux.”
“[...] à ce schéma, on incorporait des données de tous les cultes orientaux, les révélations censées venir de la lointaine Chaldée ou d'Égypte, voire de Perse. Ce que la pensée platonicienne perdait en hauteur et en rigueur, elle le gagnait en chaleur communicative: elle touchait ainsi plus de gens, qui découvraient là une sorte de philosophie de la religion. Les rites auxquels ils étaient sentimentalement attachés trouvaient dans ces élucubrations leur fondement rationnel, et la raison s'y réchauffait de religiosité. Tout se tenait. C'était, en somme, l'alliance de la bibliothèque et de l'autel.”

[2]Ce qui déconcerte la sensibilité d'aujourd'hui, c'est le goût prononcé d'un philosophe comme Jamblique pour les anges et les archanges - car le paganisme a les siens-, pour les démons aussi qu'il classe selon leurs activités supposées. Avec cela, Jamblique se complaisait dans les liturgies. Il célébrait à l'occasion, et on disait même qu'il lui était arrivé de faire des miracles. Il n'était du reste pas le seul. Il faisait apparaître des génies sur les eaux des fontaines; quand il priait, ses vêtements prenaient une belle teinte dorée, et son corps s'élevait à dix coudées au-dessus du sol (comptez à peu près cinq mètres), le tout accompagné de musiques célestes et de parfums capiteux. Si on ajoute à cela les jets d'eau lumineux, les ombres mouvantes, les portes qui s'ouvrent toutes seules et les statues animées, on a l'impression déprimante de choir dans les farces et attrapes de sacristie, et l'on se prend à déplorer que les intuitions fulgurantes du néoplatonisme se soient affadies jusqu'à se commettre avec ce bricolage.”

dimanche 5 septembre 2021

Aider autrui à accepter son sort

Astérix et Cléopâtre

“La religion est le soupir de la créature opprimée, l'âme d'un monde sans coeur, comme elle est l'esprit de conditions sociales d'où l'esprit est exclu. Elle est l'opium du peuple.”[1]
Les êtres opprimés rêvent d’un meilleur monde ou un monde plus sensé, et quand le monde réel posent des limites au possible, le rêve dépasse le monde ou se dirige vers un monde parallèle. Le paradis terrestre, le pays de Cocagne, champs élyséens, siddhaloka, les terres pures etc. Les souffrances et les sacrifices ici-bas ne resteront pas vains. Depuis les origines de l’homme, une expertise s’est développée pour alimenter, étayer et consolider “ce soupir”, dont l’autre face est l’espoir. Bienveillante, elle permet d’atténuer les souffrances et les peurs. Elle peut aussi lier certaines conditions à l’accès aux bonheurs futurs et donner des préceptes. Elle peut s’associer avec le pouvoir en place et harmoniser les préceptes de celui-ci avec les siens, ou le conseiller sur la gestion de masses. Il faut dire que les religions détentrices d’une telle expertise ont souvent été un instrument clé du pouvoir.


Une “religion” est au départ un culte (superstitio) élevé au rang dereligio licitapar un pouvoir séculier, pour des raisons politiques. Une aubaine pour une religion, qui devient ainsi hégémonique. Les religions peuvent être remplacées par des idéologies et leurs experts correspondants[2], qui à leur tour veulent devenir hégémoniques, car c’est la nature d’un pouvoir.
Sans doute Constantin saisit-il le profit qu'il pouvait tirer, dans les circonstances difficiles où il se trouvait et au moment où il lui fallait conquérir le pouvoir, de l'immense parti chrétien en pleine expansion. Résolument, donc, il s'engagea dans une politique de plus en plus favorable à la religion nouvelle, sans toutefois rompre trop ouvertement avec l'ancienne, encore puissante à ce moment-là. Grassement subventionnée, l'Église étendit son influence. Les évêques ne tardèrent pas à faire la pluie et le beau temps, tant et si bien que le christianisme devint peu à peu religion d'État, les païens n'étant plus que tolérés. Sous les fils de Constantin, le culte des dieux finira par être prohibé et passible, du moins en principe, des peines les plus graves. Les anciens persécutés étaient devenus persécuteurs.

“Bref, l'Église devenait folle de son corps, au grand détriment de son âme. Il faut bien reconnaître qu'alors les moeurs des adeptes de Chrestos, du moins dans l'ensemble, n'avaient plus grand-chose de commun avec les Béatitudes. De plus, les gâteries du pouvoir civil n'allaient pas sans contrepartie. En échange de ses bons procédés, Constantin attendait un soutien franc et massif à sa politique d'unification de l'Empire, et il ne se gênait pas pour exercer en ce sens un contrôle strict des institutions ecclésiastiques. Regardant les assemblées de clercs comme des rouages de sa politique ou comme des courroies de transmission, il n'allait pas tarder à se mêler de tout et de rien, intervenant à son gré dans la gestion des affaires - ce qui était normal dans la mesure où il payait -, mais encore dans les questions proprement dogmatiques
.” (Julien dit l'Apostat de Lucien Jerphagnon).
Des situations similaires d’opportunisme religio-politique et d’élévation au statut de religion d’état ont eu lieu en Inde, en Chine, au Tibet … Une religion peut être remplacée par une idéologie, et une idéologie peut devenir une religion hégémonique, en empruntant des méthodes aux religions. Les religions, parfois nostalgiques d’époques où elles étaient hégémoniques, ne se débarrassent jamais complètement de leurs projets théocratiques anciens, et leurs relations avec les démocraties sont alors pour le moins complexes. Les experts en religions, et désormais aussi en divers cultes de bien-être peuvent fréquenter et assister la nouvelle idéologie hégémonique au pouvoir, pour avancer leurs projets et/ou pour attirer des faveurs.

Pour être bien considérés et profiter du ruissellement, ils ne doivent pas gêner les projets de l’idéologie hégémonique, et même leur être utiles. Le culte de bien-être qui réussit le mieux actuellement est la Pleine conscience avec son produit panacée “La Méditation”. Elle est totalement dissoluble dans l’idéologie du Marché, c’est-à-dire de la marchandisation (commodification). Elle se veut a-politique (ni de gauche ni de droite), ce qui revient à dire qu’elle s’appuie sur l’idéologie hégémonique pour exister et proférer, sans aucun jugement (d’ailleurs un élément essentiel de sa méthode). En retour, ses adeptes deviennent de bons rouages de l’Idéologie : concentrés, résilients, sans jugement, “réalistes” et “pragmatiques” (acceptant les choses telles qu’elles sont), etc.


Quand le stress, la pression et les cadences augmentent (ce qui est conforme au projet de l’idéologie hégémonique), l’individu peut donner des signes de fatigue, de dépassement, de faiblesse, de manque d’attention, de colère. Avec la bénédiction de patrons paternalistes, les cultes de bien-être l’invitent alors à retrouver des ressources insoupçonnées en son être profond, en pratiquant un peu de Méditation, de prendre son mal en patience (“résilience”) et de s’aligner de nouveau sur la “réalité”. Certains qualifient ce type de paternalisme de “ féodalisme moderne” ou de “théocratie capitaliste”[3].


Certains enseignants bouddhistes s’inspirent du succès de la Pleine conscience (un produit dérivé du bouddhisme) en proposant leur propres programmes de Pleine conscience “augmentée”, peut-être dans l’espoir d’en faire des adeptes et de leur proposer des produits davantage religieux. Quand ces services sont proposés surtout aux classes moyennes, et aux cadres supérieurs, parfois par le biais de leurs entreprises, il n’est pas impossible qu'un des réflexes éternels du bouddhisme “Follow the Money” y joue un rôle aussi. Il y a toujours un temple, un stupa, un shédra et une hôtellerie à construire quelque part, ou sinon un projet charitable à soutenir.

***

[1] Karl Marx, Contribution à la critique de la philosophie du droit de Hegel, 1844, in Critique du droit politique hégélien, trad. A. Baraquin, Éd. Sociales, 1975, p. 198.
La suite :
L'abolition de la religion en tant que bonheur illusoire du peuple est l'exigence que formule son bonheur réel. Exiger qu'il renonce aux illusions sur sa situation c'est exiger qu'il renonce à une situation qui a besoin d'illusions. La critique de la religion est donc en germe la critique de cette vallée de larmes dont la religion est l'auréole

[2] Voir p.e. Gaël Giraud : « Les marchés financiers occupent la place qui était celle de Dieu dans lAncien Régime »

[3] Gaillard J.M., « Les temps du paternalisme », in Puissance et faiblesses de la France industrielle, Seuil, Point histoire, 1996, p. 501.

jeudi 2 septembre 2021

Une spiritualité experte en tout

Visuel du site Ways & Lore

Il s’agit dans ce billet surtout de montrer une certaine tendance de marchandisation spirituelle, où l’on voit la convergence de différents facteurs anciens et nouveaux. Des hommes prodiges (par leur naissance, leur élection, leurs propres efforts, …) sont censés avoir accès à une réalité, ou à un niveau de conscience ou d’éveil supérieurs, et à partir de là, seraient en mesure de guider les non-initiés vers le bien-être ou vers des niveaux supérieurs. Quelle que soit l’époque ou la région géographique, on trouve ces experts immanquablement du côté des puissants, pour proposer et mettre en oeuvre de façon hiérarchisée “les solutions” qu’ils trouvent ou reçoivent, afin de maintenir l’équilibre moral et spirituel d’un peuple, le plus souvent conformément aux voeux (docilité) des puissants. L’exemple ci-dessous en est simplement un parmi des centaines d’autres. Les experts spirituels se reconnaissent souvent par leur gamme d' “expertises” très diversifiées et multidisciplinaires, touchant à tous les domaines de l’existence humaine. C'est d'ailleurs tout à fait comparable avec les compétences quasi-infinies de la Révolution de la méditation des coaches en Pleine conscience.

Jamyang Khyentse Wangpo (1820-1892), membre éminent du mouvement Ris-med, fut un grand lama au service de la cour du roi de Dergé, pour lequel il officiait en tant que prêtre principal dans des cérémonies et rituels divers, et en tant que législateur.

Dans son article sur Treasury of Lives, Alexander Gardner inventorie au moins dix tulkous de Khyentsé Wangpo, parmi lesquels Dilgo Khyentse Tashi Peljor (1910-1991) de Shechen, qui avait procédé à l’intronisation de Chögyam Trungpa en tant que Sakyong, et Jamyang Khyentse Chokyi Lodro (1893-1959) de Dzongsar, auprès de qui Sogyal Lakar avait grandi.

Mila Khyentsé Wangpo

Très récemment, j’ai appris l’existence d’un tulkou français de Khyentsé Wangpo, au nom de Mila Khyentsé Rinpoché (MKR, Laurent Dupeyrat). Ce tulkou français avait préfacé le livre L’Odyssée des karmapas - la grande histoire des lamas à la coiffe noire, écrit par Lama Kunsang (Olivier Brunet) et Marie Aubèle. La traduction anglaise du livre avait été  publéie en 2012 par Shambala. Il existe aussi une interview en anglais de Lama Kunsang et de sa femme Lama Pemo[1].

Ensemble avec Philippe Cornu, Mila Khyentsé Rinpoché (MKR, Laurent Dupeyrat) et Lama Kunsang avaient fondé lassociation Rimé Thrinlé Ling en 2009. Celle-ci a pour but “la découverte, la préservation et la diffusion des grandes traditions sous tous leurs aspects, ainsi que leur rencontre avec les traditions modernes”, et elle organise des “séminaires, conférences, publications, voyages, et plus généralement toutes activités qui concourent à réaliser son objet”.

Philippe Cornu et MKR ont également fondé lInstitut Khyèntsé Wangpo[2], qui “a pour vocation de faire connaître le bouddhisme de façon traditionnelle suivant une approche moderne – de type cours universitaires – et correspondant plus aux besoins actuels.”
Le cursus porte sur six années d’enseignement permettant ainsi d’avoir accès à un échantillon très vaste de principes des mondes bouddhiste et dzogchèn, sans distinction de courants ou d’écoles.”
Le cursus et les activités de l’institut ne sont pas uniquement destinés à un public de pratiquants bouddhistes ou dzogchèn, mais également à tous ceux intéressés par la philosophie et l’étude phénoménologique de l’esprit[3].”
Parmi les enseignants réguliers de l’institut on trouve Philippe Cornu et MKR, Lama Kunsang, Damien Brohon, et comme intervenants ponctuels Stéphane Arguillère, le père Francis Tiso, et Jean-Pierre Dumas.
Mila Khyèntsé est le président d’honneur de l’Institut. Ancien enseignant chercheur à Paris Sorbonne et à l’INALCO, il a été reconnu comme tulkou par un maître tibétain du Dzogchèn et du Bouddhisme Tibétain, Tertön Lobsang Dargyé Rinpoché, qui l’a intronisé comme régent-détenteur de sa lignée. Très engagé dans le dialogue inter-traditionnel, Mila Khyèntsé enseigne le Bouddhisme Tibétain et le Dzogchèn en Europe, en Asie et aux Etats-Unis. Au travers de nombreux projets, il essaie de rendre accessible le chemin traditionnel asiatique à la pensée et aux besoins d’aujourd’hui.”
Je n’ai pas réussi à identifier le maître tertön qui avait reconnu et intronisé MKR en tant que tulkou, ni la lignée, dont MKR serait désormais le “régent-détenteur”. Sur un flyer plus ancien du centre Reiki de Colmar, le maître tertön s’appellait Péma Teutrengtsel Rinpoché[4]. Si quelqu’un connaît ce tertön, merci de laisser un message.


Au sujet de la pureté des lignées, MKR écrit dans la préface de l’Odyssée des Karmapas :
Il y a eu, tout au long de l’histoire du Tibet, des heurts, des conflits entre tulkous, institutions et au sein des différentes institutions elles-mêmes. Les temps actuels n’échappent pas à la règle. Mais il ne faut pas oublier que dans la tradition tibétaine, la lignée d’enseignement n’est pas liée à l’institution. L’enseignement se transmet de maître à disciple et l’enseignant peut être totalement indépendant de tout « circuit officiel ».” (Préface Odyssée)
Les activités du tulkou français de Khyentsé Wangpo ne s’arrêtent pas là. La méditation pour les enfants est un autre de ses nombreux projets. MKR change alors de casquette et d’habit et redevient Laurent Dupeyrat, l’enseignant-chercheur. C’est avec Johanne Bernard qu’il avait co-écrit “ J'ai rendez-vous avec le vent, le soleil et la lune” (éd. La Martinière), lequel livre a fait l’objet d’une traduction anglaise “Meditation for Kids: How to Clear Your Head and Calm Your Mind”.
« Les enfants sont de plus en plus pressurisés, énervés, angoissés... Ils ont beaucoup de sollicitations extérieures et très peu de temps pour eux. Or, s’arrêter fait du bien. La méditation leur permet de se poser instantanément. Au bout d’une heure, ils sont déjà plus calmes, plus sereins. Ils prennent de la distance avec leurs notes, leur téléphone portable, leurs soucis » Extrait de l’article “Méditation pour les enfants : le grand retour au calme” Brigitte Bègue, journaliste santé, le 24/10/2016.
Les bienfaits de “La Méditation” sont désormais bien connus : "réduction du stress, de l’anxiété, de la colère, de la fatigue, des maladies chroniques, de l’hyperactivité, augmentation de l’attention, de la concentration, de l’empathie, ..."

Il n’y a pas que les enfants qui peuvent bénéficier de la méditation. Le monde des affaires cherche des coaches capables de guider leurs leaders vers la réussite, de les accompagner dans la transformation humaine à l'ère digitale, et de les enseigner à piloter les entreprises et ressources humaines d’une main ferme mais compassionnée et altruiste. MKR se transforme alors en Laurent Dupeyrat, Directeur des Formations et du Développement de Ways & Lore. Le formateur de “Leaders Focus” les fait pratiquer La Contemplation Du Digital, leur apprend “La Performance Durable”. Grâce à la contemplation, “cette façon non mentale d’observer le monde”, le Leader Focus arrive à “percevoir directement l’information à sa source, celle dont il a besoin”.


Un Leader Focus sait aussi s’adapter aux temps difficiles imprévus.
Récemment, nos conditions de vie ont radicalement changé et ont entraîné des conditions extrêmes pour beaucoup d'entre nous. Nous n'étions ni habitués ni préparés à cela. Ce programme récent à la frontière de nos programmes Leadership et Santé[5], a été conçu pour nous permettre de répondre autant personnellement que collectivement à la formidable pression engendrée par les conditions actuelles. Resilient Mind a été créé pour nous aider à demeurer clairs quelle que soit la situation, en acceptant les chocs et en les intégrant sereinement.”
Accompagner les soignants et les patients dans les épreuves actuelles devient ainsi une nouvelle compétence. Tout comme le très versatile Khyentse Wangpo (ou encore Ju Mipham[6]), MKR semble avoir une réponse à tout.

Certes, il y a différentes sortes de bouddhisme, qui peuvent avoir des objectifs, doctrines, méthodes et pratiques différents. Traditionnellement, le bouddhisme avait été introduit au Tibet par décret royal, et les détenteurs du bouddhisme tibétain ont souvent été proches du pouvoir politique et du côté des puissants, pour des raisons qui leur sont propre. Dans le bouddhisme tibétain, les Révélations avec leurs discours associés (origines de la transmission, hagiographies,...) , la Tradition, les rapports hiérarchiques, etc. jouent un rôle important. Comme la réincarnation est un élément essentiel pour justifier le pouvoir des hiérarques, la croyance en la réincarnation y joue un rôle plus important (car constitutif du pouvoir) que dans les autres formes du bouddhisme. Cette croyance inclue la croyance en les diverses méthodes surnaturelles pour contrôler et maîtriser les trajets de la conscience post-mortem et la réincarnation. C'est une Science surnaturelle, dont pas mal de bouddhistes tibétains (mais pas que) espèrent qu'un jour Elle sera reconnue et/ou prouvée par la science ordinaire... L'école des Anciens est sans doute l'école bouddhiste tibétaine qui a poussé le plus loin cette Science, tout en y associant le projet théocratique du retour d'un Maître-roi au gouvernement, comme au bon vieux temps légendaire du Tibet impérial. Il semblerait que ce soit un projet continu que partagent les diverses réincarnations et avatars des Khyentsé. Si l'espoir d'une théocratie semble exclus, celui d'une oligarchie plutocratique assistée par des experts de tout genre (y compris spirituels) semble en bonne voie.

Pour ceux qui ne le connaissent pas encore, je conseille de jeter un oeil sur le site parodique (et visionnaire) de Tutte Wachtmeister, datant de quelques années déjà, et dont la parodie se fait rattraper par la réalité.


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MàJ 16032023 Précisions de Mila Khyentsé sur son statut d'enseignant tulku :

"Tout d’abord, mon Maître, Terton Lobsang Dargye Rinpoche, également appelé Alags Chorten, ne m’a pas reconnu comme un tulku de Jamyang Khyentse Wangpo, mais comme un de Do Khyentse. De mon côté, je n’en ai absolument aucune idée, n’ayant pas la vue de mon Maître.

Il m’a nommé gyaltsab et détenteur des lignées qu’il détenait d’un certain nombre de maîtres et de son maître principal Khenpo Norbu Zangpo de la région de Dzogchen, qui les avait reçu de Jigme Yonten Gonpo, toujours de Dzogchen. Ces lignées sont principalement Dzogchen donc.

J’ai passé de nombreuses années auprès de mon Maître en Chine et dans les régions tibétaines où il était, à apprendre et à mettre en pratique ses enseignements. Lui était originaire du monastère de Kirti dans l’Amdo où il avait été reconnu comme tulku gelug et il a fini par rencontrer son Maître racine, Khenpo Norbu Zangpo, dans les prisons dont ils ont pu s’échapper et ont pratiqué ensemble de manière solitaire dans les montagnes, loin de tout et des prisons.

Mon Maître m’a enjoint de diffuser ses enseignements partout où c’était possible tout en essayant d’adapter cet enseignement aux besoins locaux, ce que j’essaie (tant bien que mal !) de faire depuis un certain nombre d’années. Mon Maître est parti en 2016 et depuis j’essaie de maintenir ses lignées vivantes et de continuer également sa tâche dans les régions tibétaines où il œuvrait."

***

[1]It was in 2008 that we actually decided to sit down in order to compile this rich material, with the goal of providing a complete reference work concerning the Karmapas. Encouraged by Marie Aubele—a French editor and writer who offered her help— we started writing History of the Karmapas.

We also turned to Mila Khyentse Rinpoche to help us in this challenging task. He considerably contributed to the book due to his immense knowledge in numerous fields. We requested that he draw some calligraphies of the Karmapas and write an introduction to explain some Buddhist notions difficult for the average reader to understand
.”

[2] "Pourquoi avoir choisi ce nom ? Jamyang Khyèntsé Wangpo était un des plus grands maîtres du 19e siècle au Tibet. Son importante activité à l’orientation non sectaire, dont l’impact est encore présent aujourd’hui, a permis de préserver et revivifier toutes les lignées du bouddhisme tibétain." Flyer PDF

[3]Pour les grands bodhisattvas, il ne peut y avoir de frontière à l’enseignement, même s’il est indispensable de préserver la pureté de la transmission et d’éviter de tout mélanger, ce qui rendrait des enseignements infiniment précieux complètement indigestes et inefficaces.” Préface Odyssée.

[4]Mila Khyèntsé est un tulkou français
Terteun Péma Teutrengsel Rinpoché, l'un des plus grands martres Dzogchen contemporains, l’a reconnu comme un grand bodhisattva et intronisé en tant que régent-détenteur de sa lignée
.”

[5]Les objectifs des programmes Focus et Santé portent sur l'accompagnement des patients pour les professionnels de la santé et sur l'accompagnement de la douleur et du processus de soins pour les patients.” https://www.waysandlore.fr/programmes-sante/

[6] Auteur de "Le vase d'excellence qui exauce tous les désirs : petit manuel de mantras à toutes fins utiles" (The Excellent Wish-Fulfilling Treasure Vase: A Little Book of Mantras for All Kinds of Jobs T. las sna tshogs pa'i be'u bum dgos 'dod kun 'byung gter gyi bum pa bzang po). Voir A toutes fins utiles

jeudi 26 août 2021

La Trungpamanie fait de la résistance

Dilgo Khyentse Yangsi Rinpoché parlant de Chögyam Trungpa

02:59 "Je sais que beaucoup de gens ne seront pas d'accord avec moi, il y aura beaucoup de désaccords. Il buvait du saké, c'était en soi un acte artistique. Il a fumé des cigarettes, c'était un acte artistique en soi. Il utilisait l'éventail de l'empereur du Japon. C'était un immense enseignement d'élégance, de calme, de sagesse, d’attention à la conscience et de connaissance de la conscience. Tout était une œuvre d'art."

04:31 "Je pense que les gens se souviendront de lui tel qu'il était : il était un pionnier et il était un héros. Et cela même résume tout. Aucune explication supplémentaire n'est nécessaire. Si les gens ne comprennent pas cet aspect, alors je pense qu’ils auront une perception erronée de Chögyam Trungpa Rinpoché (CTR). C'est ce que je ressens."

11:10 "Mais ce qui est amusant, c'est que tous les maîtres qui disent du mal de CTR, ou qui commentent les activités de CTR, veulent tous le copier, afin d'avoir des étudiants occidentaux adéquats. Pour enseigner correctement le Dharma aux Occidentaux. Il n'y a pas d'autre méthode ! Le seul Maître qui était capable de rentrer vraiment dans la tête des Occidentaux était CTR. Ce qui est amusant - vous avez remarqué ? - c'est qu'après le décès de tous ces grands Maîtres, tous les maîtres actuels sont désorientés. Ils ne savent pas comment gérer les étudiants occidentaux, alors ils essaient de copier tout le monde. Ils créent beaucoup de désordre. Je ne veux pas faire de commentaires négatifs, mais cela devient un énorme désordre, difficile à résoudre.

Personne ne peut donc copier CTR. Il est unique en son genre, et je ne pense pas que quiconque puisse se tromper sur lui ou sur ses activités, même si Rinpoché a vécu très peu de temps. Cela est déjà en soi un enseignement."

13:21 "Dilgo Khyentsé Rinpoché et Chögyam Rinpoché étaient si proches ! Peut-être comme des frères. Il n'y aura jamais d'autre Maître comme CTR.

14:19 "Un chat peut ramper comme un tigre, mais un chat ne peut pas soumettre les animaux". Seul un tigre ou un lion peut le faire.”[1] (traduit avec www.DeepL.com/Translator (et quelques amendements)

L’extrait “ Yangsi Rinpoche on Chögyam Trungpa Rinpoche ” (tourné en 2017 au monastère de Shechen au Népal) fait partie du film “ YANGSI: REINCARNATION IS JUST THE BEGINNING “ de Mark Elliott (disciple de CTR), produit par Crestone Films. “Yangsi Rinpoche” est ”H.H Dilgo Khyentse Yangsi Rinpoche” l’actuel “tulku” successeur de Dilgo Khyentse Rinpoche, le fondateur du monastère de Shechen. Shechen Rabjam Rinpoche, le petit-fils du précédent Dilgo Khyentse R, est actuellement l’abbé de Shechen. Shechen Rabjam Rinpoche sest également exprimé sur CTR de façon très élogieuse. Yangsi Rinpoche déclare dans l'extrait précité que Dilgo Khyentsé Rinpoché et Chögyam Rinpoché étaient très proches. C’est DKR qui fut lofficiant du couronnement de CTR en tant que Sakyong de Shambala. 

CTR, le Sakyong, à cheval, "le général", portant le casque colonial britannique

C’est encore DKR qui demanda aux disciples de CTR de soutenir son régent Thomas Rich, quand celui était en difficultés suite aux révélations du New York Times

Salutations from private DJKN to the general to mark his day

Dzongsar
Khyentsé R. (DJKN) se souvient que Dilgo Khyentsé Rinpoché I avait une photo de Trungpa sur son autel celui-ci portait luniforme coloniale britannique. Chögyam Trungpa R, ou plutôt ses réussites restent une cause d’admiration et un exemple à suivre pour de nombreux maîtres tibétains de la jeune génération.

L’extrait de Yangsi Rinpoche date certes d’avant tous les événements et révélations de2017, mais bien après d’autres événements et révélations concernant CTR, le régent vajra et le Sakyong Mipham. Les propos du successeur de Dilgo Khyentse R sont si élogieux, qu’on conçoit difficilement un changement de perspective sur la question. De toute façon, aucune déclaration de la part des hiérarques de Shechen n’a été faite suite aux événements et révélations de 2017. Pour eux, CTR reste "un pionnier", "un héro" et "un lion" parmi les maîtres tibétains.

CTR tenant l'éventail impérial japonais avec élégance

Ses nombreuses addictions (à l’alcool, au tabac, au sexe, à la cocaïne, …) étaient autant d’ “actes artistiques” (dans un cadre spirituel bouddhiste, ne l’oublions pas), et sa vie courte, ainsi que sa déchéance et sa mort d’insuffisance hépatique (qui en furent le résultat direct) étaient des enseignements précieux. Ses abus de pouvoir, humiliations, tortures d’animaux, étaient sa manière de “rentrer dans la tête des occidentaux” et de les domestiquer (“meekness”) avec élégance, calme, sagesse... En cela, il était semblable au lion qui subjugue les animaux dans la forêt, apparemment le modèle ultime du maitre-roi pour un Maître Trungpamaniaque.

On voit bien comment les Maîtres Trungpamaniaques pensent comment il faudrait “enseigner correctement le Dharma aux Occidentaux”. “Il n'y a pas d'autre méthode !” Mais, des Maîtres ”Lions” comme CTR, il n’y en a malheureusement plus. Les nombreux Maîtres “chats”, tentent bien d’imiter le Lion, mais ils n’y arrivent pas, et ne font qu’empirer le grand désordre… Il ne leur reste finalement que leur nostalgie de la Trungpamania. Les abus dans le bouddhisme tibétain (des “actes artistiques” ?) ne les choquent pas, tant qu’il s’agit de moyens habiles sur le long terme, et qu’ils s’inscrivent dans la grande domestication des volontés (universal meekness). Ils ne méritent pas de commentaire ou de déclaration, qui ne servirait qu’à affaiblir leur Projet et leur autorité.

MàJ 31082021 Article de Mathew Remski "Survivors of an International Buddhist Cult Share Their Stories", datant de nov/dec 2020

***

[1] 02:59 “I know many people [will] not agree with me, there would be lot of disagreement. He drank sake, that itself was an act of art. He smoked cigarettes, that itself was an act of art. He used the Japanese Emperor’s fan. That was an immense teaching of elegance, calmness, wisdom, awareness mindfulness and awareness wisdom That itself is a piece of art. Everything is a piece of art.”

04:31 “I think people shall remember him as who he was: he was a pioneer and he was a hero. And that itself sums everything up. No more no less explanation is needed. If people don't understand that factor, then I think it becomes a misconceptual perception of Trungpa Rinpoche. That's what I feel.”

11:10 “But the funny thing is, all the teachers who say bad things about TR, or comment on TR’s activities, all want to copy him, in order to have proper Western students. In order to teach Westerners properly Dharma. There is no other method! The only teacher who was able to get really into Westerner’s heads was only TR. But the funny thing, do you notice that after all these great teachers passed away, nowadays all the teachers are confused. They don't know how to handle Western students, so they try to copy everybody. They create a lot of mess. I don't want to comment so much badly, but that becomes a huge mess huge mess, difficult to be solved. So nobody can copy TR. He is a one of a kind and I don't I don't think anyone should ever misjudge him and have misunderstanding of his activities, even though Rinpoche lived very shortly. That in itself is a teaching.”

13:21 “Dilgo Khyentse Rinpoche and Chögyam Rinpoche, so close! Maybe like brothers. There will never be another teacher like TR.

14:19 “A cat can crawl like a tiger, but a cat can not subdue the animal kingdom”. Only a tiger or a lion can do that.

vendredi 6 août 2021

La voie de la perception selon Gampopa


Free as a Bird, collage by Deborah Stevenson

Suite au blog Quintessential Practice of Sūtra and Mantra: Essential Instruction of the Fivefold Path of Mahāmudrā du 4 août 2021 sur le site —dGongs1 ("the teachings of Drikungpa Jigten Gonpo (1143–1217)") de Jan-Ulrich Sobisch

Il est vrai que Gampopa (1079-1153) n’a jamais qualifié son système de mahāmudrā de “sūtrayānique” (tib. mdo lugs), et que la tripartition de la mahāmudrā date du XIX-XXème siècle. En revanche, Gampopa avait sa propre tripartition de voies : : la voie du renoncement (véhicule des auditeurs et bouddhas-pour-soi, ainsi que le grand véhicule), la voie de la transformation (système de mantras, mahāyoga…), la voie de la perception (Dzogchen, Mahāmudrā, tels qu’ils étaient au XIIème siècle)[1].

Dans un autre passage[2], Gampopa distingue entre instructions à interpréter (skt. neyārtha), conduisant à une meilleure existence (skt. abhyudaya tib. mngon mtho), et instructions de sens précis (skt. nītārtha), conduisant au bien ultime (skt. naiḥśreyasa tib. legs pa). Les textes de sens précis sont ensuite classés ainsi :
1. Véhicules 1.1 des auditeurs (skt. śrāvaka) et 1.2 des bouddhas-pour-soi (skt. pratyeka-buddha).

2. Le véhicule universaliste (skt. mahāyāna) divisé en 2.1 Le système de la perfection de la sapience (skt. prajñāpāramitā), 2.2. Le système des mantra, classés en 2.2.1. la phase d’émergence ou génération 2.2.2. la phase de résorption ou perfection. La phase de résorption est encore divisée en 2.2.2.1. la perfection universelle (« Dzogchen ») et 2.2.2.2. le grand sceau universel (« Mahāmudrā »).
Contrairement à ce que semble dire Jan-Ulrich Sobisch[3], qui s’appuie sur les écrits de Drikungpa Jigten Gonpo (1143–1217), disciple de Phamodrupa (1110-1170), qui s’inscrivent dans la tradition Réchungpiste, chez Gampopa la voie de la perception/sapience (tib. shes rab kyi lam) ne fait pas partie du chemin des mantras (tib. thabs kyi lam)[4], et constitue une voie à part. Plusieurs anecdotes[5] attestent de cela.

Il est incontestable qu’après la mort de Gampopa et de ses neveux, la mahāmudrā a changé de nature par des apports nouveaux, suite à des polémiques, notamment avec l’école sakyapa. Depuis, la voie de la perception y fait partie intégrante du chemin des mantras. Une évolution comparable a eu lieu dans l’école nyingmapa, où le Dzogchen (sems sde) a été intégré dans un Dzogchen visionnaire et tantrique.

Quand Jan-Ulrich Sobisch écrit :
The point is that mahāmudrā does neither need inferences nor transformations. The mind itself already is mahāmudrā; directly perceiving that is liberation. But such direct perception needs masses of merit, and these are accumulated through the practices of the sūtra path and—much faster—through the mantra path of blessing, empowerment, practicing deities, and so forth. Thus, unless you are an instantaneous realizer with masses of merit from practice in previous lives, your mahāmudrā approach will be one through practices of sūtra and mantra.”
Il fait dépendre la perception directe, qui relève du sens précis (et du bien ultime), de l’accumulation de mérite, qui relève de la cause d’une meilleure existence (skt. abhyudaya tib. mngon mtho), ou d’un autre facteur encore plus mystérieux. Un facteur qui fait que même un Milarepa et un Gampopa[6] n’auraient pas eu les dispositions nécessaires à la perception directe de la voie de la (re)connaissance. Que faisait alors Gampopa en acceptant si facilement à toute personne qui le lui demandait[7] de l’introduire dans la nature de l’esprit, c’est-à-dire dans la voie de la perception ?

Il semblerait qu’ici Jan-Ulrich Sobisch suive justement le raisonnement des maîtres kagyupa du XIX-XXème siècle, avec leur tripartition à eux, en réservant la troisième voie à des individus plus extraordinaires (légendaires, mythiques ?) encore que Milarepa et Gampopa, ce qui revient à dire que cette voie directe de la connaissance est une voie uniquement théorique, impossible dans la pratique, et qu’il vaut dans ce cas mieux suivre la voie des mantras en suivant les instructions d’un guru.

C’est l’idée de Jamgoeun Kongtrul 1er, qui appelait cette troisième voie de “système du Coeur” (tib. snying po’i lugs).
Le système du "Cœur
"Par la descente de la Gnose indestructible, qui est le Cœur,
Les individus au potentiel supérieur arrivent immédiatement à maturation et sont aussitôt libérés
."

C’est le chemin direct et puissant de la réalisation du Coeur profond, encore plus profond et plus merveilleux que les deux précédents. C’est la grâce (adhiśṭhāna ; byin rlabs) de la consécration (abhiśeka ; dbang) de gnose indestructible, conférée par un lama réalisé, qui descend sur un disciple très prédisposé et qui éveille la connaissance ordinaire au centre du cœur, produisant simultanément réalisation et libération sans technique artificielle ni processus d'apprentissage. Cela s’est produit fréquemment dans les hagiographies des siddha des 4 grandes et 8 petites écoles de la lignée Kagyupa.”[8]
Mais donc pas chez Milarepa et Gampopa... C’est cette tripartition de Jamgoeun Kongtrul 1er (1813-1900), que suit Jan-Ulrich Sobisch, et non pas celle de Gampopa, pour qui la voie de la perception (tib. gzhir shes pa) est bien une voie autre que la voie des sūtra et la voie des mantra (transformation de la Base). Cette troisième voie n’a pas besoin d’un guru qui initie un disciple dans le cadre d’une consécration yogatantra supérieure, mais d’un ami de bien (skt. kalyāṇamitra), qui introduit l’étudiant en la nature de l’esprit (tib. ngo sprod), y compris en dehors d’un cadre tantrique. Comme il s’avère du Guide du Naturel (Sahajasiddhipaddhati de Lakṣmīṅkārā), après l’introduction à la nature de l’esprit, l’individu "introduit" peut même poursuivre sa propre voie (brahmanisme, etc.), quelle qu’elle soit. Il peut aussi, comme une cerise sur le gâteau, “accumuler du mérite”, pratiquer les mantras dans le cadre d’une consécration avec un guru, vivre comme un Heruka, etc., s’il veut des siddhi, un corps d’arc-en-ciel, etc. Il est “libre”.

***

[1] Tshogs chos yon tan phun tshogs : rje dwags po rin po che'i zhal nas/ lam rnam pa gsum yin gsung*/ de la lam rnam pa gsum ni/ rjes dpag lam du byed pa dang*/ byin rlabs lam du byed pa dang*/ mngon sum lam du byed pa dang gsum yin gsung*/ de la rjes dpag lam du byed pa ni/ chos thams cad gcig dang du bral gyi gtan tshigs kyis gzhigs nas/ 'gro sa 'di las med zer nas thams cad stong par byas nas 'jog pa ni rjes dpag go /lha'i sku bskyed pa'i rim pa la brten nas rtsa rlung dang thig le dang*/ sngags kyi bzlas brjod la sogs pa byin rlabs kyis lam mo/ /mngon sum lam du byed pa ni bla ma dam pa cig gis sems nyid lhan cig skyes pa chos kyi sku 'od gsal bya ba yin gsung ba de lta bu nges pa'i don gyi gdams ngag phyin ci ma log pa cig bstan pas/ rang la nges pa'i shes pa lhan cig skyes pa de la lta spyod sgom gsum ya ma bral bar gnyug ma'i shes pa lam du khyer ba ni mngon sum lam du byed pa'o/ /lam gsum la 'jug pa'i gang zag ni gnyis te/ rim gyis pa dang*/ cig char ba'o/ /cig char ba ni/ nyon mongs pa la sogs pa mi mthun pa'i bag chags srab pa/ chos kyi bag chags mthug pa sbyangs pa can gyi gang zag la zer ba yin te/ de shin tu dka' ba yin/ nga ni rim gyis par 'dod pa yin gsung*/

[2] Tshogs chos yon tan phun tshogs : rje dwags po rin po che'i zhal nas/ lam rnam pa gsum yin gsung*/ de la lam rnam pa gsum ni/ rjes dpag lam du byed pa dang*/ byin rlabs lam du byed pa dang*/ mngon sum lam du byed pa dang gsum yin gsung*/ de la rjes dpag lam du byed pa ni/ chos thams cad gcig dang du bral gyi gtan tshigs kyis gzhigs nas/ 'gro sa 'di las med zer nas thams cad stong par byas nas 'jog pa ni rjes dpag go /lha'i sku bskyed pa'i rim pa la brten nas rtsa rlung dang thig le dang*/ sngags kyi bzlas brjod la sogs pa byin rlabs kyis lam mo/ /mngon sum lam du byed pa ni bla ma dam pa cig gis sems nyid lhan cig skyes pa chos kyi sku 'od gsal bya ba yin gsung ba de lta bu nges pa'i don gyi gdams ngag phyin ci ma log pa cig bstan pas/ rang la nges pa'i shes pa lhan cig skyes pa de la lta spyod sgom gsum ya ma bral bar gnyug ma'i shes pa lam du khyer ba ni mngon sum lam du byed pa'o/ /lam gsum la 'jug pa'i gang zag ni gnyis te/ rim gyis pa dang*/ cig char ba'o/ /cig char ba ni/ nyon mongs pa la sogs pa mi mthun pa'i bag chags srab pa/ chos kyi bag chags mthug pa sbyangs pa can gyi gang zag la zer ba yin te/ de shin tu dka' ba yin/ nga ni rim gyis par 'dod pa yin gsung*/

[3] “Moreover, the third path of direct perception, too, is not outside of mantra. Only the sūtra approach is outside of mantra, since Gampopa explained that sūtra is an indirect approach (through inferences) while “mantra takes the actual, direct object as the path.” Hence, the third path above—the path of direct perception—is also a mantra path.” Blog

[4] Voir entre autres Enlightenment by a Single Means de David Jackson (p.20, p.24 “A Great Seal Beyond Sūtra and Tantra”).

[5] "Vers la fin de sa vie (1153), deux moines venaient le voir en le suppléant une offrande de gtor-ma à la main de leur enseigner le chemin des Techniques (upāya-mārga). « Ayez de la compassion pour nous » ajoutèrent-ils. Gampopa disait à sont intendant qu’il ne voulait pas être dérangé. L’intendant dit alors aux deux moines de demander la Mahāmudrā. Ils s’exécutèrent aussitôt et Gampopa les fit entrer immédiatement et leur donna les instructions sur la Mahāmudrā". Blue Annals, p. 461-462

« Mogchok présente une offrande (T. phyag rten) dans la chambre de Gampopa et lui dit : "Quand mon maître, le grand Shangpa, est mort, j'ai pratiqué (T. dge sbyor) et j'ai eu telles expériences du chemin des techniques, corps illusoire, rêve et claire lumière. Je suis venu demander si j'étais arrivé au bout ou pas. Mais comme le maître de Shang est décédé et que vous n'êtes pas mon maître, je ne peux pas vous demander (T. bla ma khyed min pa zhu sa mi bdog). Il me faut maintenant demander la transmission complète (T. khrid tshar gcig) des six yogas." Gampopa repondit : "Vous avez eu de bonnes expériences. Mais vous devez ajuster (T. thag chod) votre vue." Et il lui donna les huit vers de la Mahāmudrā (T. phyag rgya chen po'i tshig rkang brgyad[4]) et les Cinq introductions (T. ngo sprod lnga pa)[5], suite à quoi Mogchokpa eut confiance en sa perspective de la vue (T. lta ba'i phyogs). Ensuite Gampopa dit : "Etudiez plutôt le cycle des six yogas (T. chos drug tshar gcig) avec Gomtshul (T. sgom pa tshul khrim snying po 1116-1169). J'ai personnellement fait le vœu de ne pas enseigner les sādhana et les six yogas[6] » biographie de Mogchokpa


[6]For those few individuals who are instantaneous realizers (and not even Milarepa and Gampopa counted themselves among such lucky individuals), it is a mantra path of direct perception, and for everyone else, including Mila and Gampopa, mahāmudrā is achieved through sūtra and mantra practices.” blog

[7] "J’ai violé l’ordre de mon maître Mila.-Comment cela seigneur ? En donnant les instructions à tous. Et à une autre occasion : -J’ai suivi l’ordre de mon maître. – Comment cela seigneur ? En dédiant toute ma vie à la pratique. " “Les questions de Dus gsum mkhyen pa » dans l’œuvre complet de Gampopa

[8] gsum pa snying po'i lugs ni/ snying po rdo rje'i ye shes 'bebs pa yis// dbang rab smin grol dus gcig 'byung ba'o// snga ma gnyis ka las zab cing ngo mtshar la khyad par rmad du byung ba zab mo'i snying po btsan thabs su rtogs pa'i lam ni, rtogs ldan gyi bla mas skal ldan gyi slob ma ches dbang rnon du gyur pa la rdo rje ye shes kyi dbang gi byin rlabs 'bebs pa tsam gyis, tha mal shes pa snying dbus su sad nas rtogs grol dus mnyam du 'gyur bas spros bcas kyi thabs dang sbyangs pa'i rtsol ba la ma ltos pa'i phyir, bka' brgyud che bzhi chung brgyad kyi grub thob sa chen po'i rdul tsam byon pa'i rnam thar dang lag rjes mngon sum snang ba 'di nyid yin cing

Trésor de la connaissance (shes bya kun khyab), Maison d'édition du peuple (mi rigs dpe skrun khang) en trois volumes, 1982 (ISDN M17049(3)28). La partie traduite se trouve dans le volume III (smad cha), pages 375 à 390.