mardi 27 mai 2025

Les paradoxes d'un "philosophe roi"

Karmapa 8 Mikyö Dorje (détail, HA65823)

Jim Rheingans de l’université de Vienne a étudié de près le Grand sceau pratiqué et enseigné par le huitième Karmapa Mikyö Dorje (1507–1554)[1] d’après les sources hagiographiques de Karmapa, ses oeuvres et les entrevues spirituels (dri lan) avec ses disciples. Suite de mes explorations

Un lama-racine âgé de trois siècles

"Lama Zhang", palais du Potala 

Karmapa 8 Mikyö Dorje avait quatre maîtres spirituels principaux[2], principalement Kagyupa et/ou Sakyapa. Jeune homme, son coeur semblait balancer entre leGrand sceaumystique et ésotérique. Dans sa Méthode de placement [de la pensée, cittasthāpanā] selon les instructions de la lignée Dagpo Kagyu (Dwags po bka' brgyud kyi bzhag thabs shig) que Mikyö Dorje avait finalisé en 1546, une information ajoutée en note (mchan) m’intéresse particulièrement.
"Quand le huitième Karmapa se dit béni par le premier Karmapa et par Lama Zhang [brTson grus seng ge (1123–1193)], le commentaire interlinéaire remarque que si le Karmapa avait d'abord adhéré à la vue 'faux-aspectiste' (rnam rdzun pa) du Cittamātra, par la suite, ayant lu L'ultime voie suprême de la Mahāmudrā (Lam mchog mthar thug) de Lama Zhang [Yudrakpa (1122–93)], il se tourna vers le Madhyamaka de Candrakīrti et prit Zhang comme guru racine[3]."
L'ultime voie suprême de la Mahāmudrā semble avoir fait une très forte impression sur Mikyö Dorje, au point qu’il décida d’en faire une source d’inspiration majeure, et de prendre son auteur, “Lama Zhang”, comme lama-racine. Il est standard de prendre refuge en le Bouddha, en les lamas de la lignée, mais la possibilité de prendre un maître ancien décédé depuis trois siècles pour lama-racine ne m’était pas encore connue. Une déclaration de Situ Panchen (1700–1774) confirme d’ailleurs cette possibilité (sGrub brgyud karma kaṃ tshang brgyud pa rnam thar rin po che’i rnam par thar pa rab ’byams nor bu zla ba chu shel gyi phreng ba).

Mikyö Dorje avait par ailleurs composé trois textes sur “Lama Zhang”, dont un intitulé “Les excellentes instructions (saddharma) du Protecteur du monde Zhang g.yu drag pa, connues comme 'Les paroles scellées' (Zhang 'gro ba'i mgon po g.yu brag pa'i dam chos bka' rgya mar grags pa)[4]. Dans ce texte, le principal maître du Karmapa, le premier Sangyé Nyenpa (Sangs rgyas mnyan pa 1457 - 1519), est loué comme étant extérieurement (phyi) Lama Zhang, intérieurement (nang) le Premier Karmapa,  secrètement (gsang) le "Grand Sceau", et au niveau de la réalité ultime (de kho na nyid) la grande béatitude (bde ba chen po). Un autre texte[5], commence par un guru-yoga sur Lama Zhang. La possibilité de prendre un maître bouddhiste lointain comme lama-racine ouvre des perspectives...

Madhyamaka et trois types de Mahāmudrā

En ce qui concerne sa vue de la vacuité, Mikyö Dorje termine, également en 1546, son grand commentaire sur l’Entrée dans la voie médiane (Madhyamakāvatara), intitulé Le chariot des siddhas de la lignée Dagpo (Dwags brgyud grub pa’i shing rta). Dans ce texte, il explique la connexion entre le Madhyamaka et le Mahāmudrā, ainsi que la tradition des siddhas. Il y présente une synthèse originale du Madhyamaka centrée sur l'approche singulière d'Advayavajra/Maitrīpa, fondée sur son Tattvadaśaka et sur le commentaire de Sahajavajra (Tattvadaśakaṭīka), disciple de ce dernier. Mikyö Dorje nomme cette approche "Amanasikāra-madhyamaka" (Madhyamaka de non-engagement mental[6]) et distingue trois types : le Mantra-Madhyamaka (Marpa, Milarepa, Rechungpa), le Sūtra-Madhyamaka (Gampopa) et l’Alikakāra-Cittamātra-Madhyamaka (tradition des dohākoṣa, donc des siddhas). “L’Alikakāra” était propagé par Vajrapāṇi (disciple d’Advayavajra), Asu du Népal (Bal po A su, probablement à l’origine de deux dohākoṣa attribués à Saraha, Trilogiste), et le très énigmatique Kor Nirūpa. Le Grand sceau “des siddhas” semble correspondre ici à “l’Alikakāra”, un terme tantrique énigmatique, qui revient à un autre endroit de la thèse de Jim Rheingas. Notamment dans la partie qui traite des entrevues spirituelles entre Mikyö Dorje et ses disciples. Dans une des entrevues :
Ces derniers temps (da zhag) j'ai fait l'expérience de maladie et de méditation confuse. Veuillez m'aider (dgos) et [me donner un moyen] d'éliminer [ces] obstacles. »
À cela (pa la) le Drung [Karmapa] dit : « Vous devez éliminer les obstacles par l'essence de la conceptualisation (rnam rtog)
! » 
Et il ajouta : « Ne nourrissez pas d'espoir qui aspire à obtenir le résultat. Si [vous] nourrissez l'espoir de vouloir obtenir le résultat, vous n'êtes pas un bon méditant (sgom chen). Les rayons de lumière ('od zer) du Bouddha et un poil de chien—les deux ne sont pas différents ! Établissez [votre esprit] sur ces deux comme [étant] en union ! Dans cet état, pratiquez la liberté de réfuter ou d'accomplir, la conduite A li kā lī (t. A li kā lī’i spyod pa)[7].”
Alikakāra correspond ici à une observance (cārya) tantrique, peut-être du système de Cakrasaṃvara, ou du moins saṃvara. “A li kā lī” ou “alika[8]” semble pouvoir référer à un langage tantrique codé (Vākchomā). Les dohākoṣa trilogistes peuvent contenir des signes cryptés (alikāliṅga). Dans le contexte de l’anecdote ci-dessus, on peut déduire une observance, ne suivant pas les obligations sociales - ce qu’il faut faire et ne pas faire -, parfois de façon antinomique, en allant à l’encontre des attentes, comme dans la conduite insensée, dans le but de se libérer de l’emprise de tout espoir et crainte.

Des répartis façon Ch’an

Intendant de Karmapa 8, A Khru ?  (détail, HA65823) 

Les extraits des entrevues spirituelles (dri lan) sélectionnés par Jim Rheingans, montrent que tout comme Gampopa, le neveu de celui-ci, Gom Tshul (1116-1169), disciple de ce dernier, “Lama Zhang” donnait des Introductions (ngo sprod) en la nature de la pensée (“Grand Sceau”), hors du cadre des initiations. Le message central est que les conceptualisations (vikalpa) sont le [rayonnement du] Corps réel (dharmakāya). A ceux qui le mettent en doute (comme le pauvre intendant de Mikyö Dorje), le huitième Karmapa répond : "Les gens [comme vous] qui disent 'les conceptualisations ne sont pas le dharmakāya et les apparences ne sont pas la pensée' ont des cendres dans la bouche ![9]"

Ngo sprod faite à un chien (photo Chiens & Chats

Certains répartis rappellent ceux du maître Ch’an Linji Yixuan (Lin-tsi/Linji). Voici une petite sélection. Le chien, qui nest pas toujours le meilleur ami de lhomme, en prend pour son compte.
"La queue d'un vieux chien Gya mo et la protubérance crânienne (uṣṇīṣa) d'un Bouddha sont une [seule chose] ! Quand rGya ston demande "Dans quel contexte cela est-il enseigné ? Dans le contexte des bKa' brgyud pas. " (A khu a khra[10])

Ne nourrissez pas d'espoir qui aspire à obtenir le résultat. Si [vous] nourrissez l'espoir de vouloir obtenir le résultat, vous n'êtes pas un bon méditant (sgom chen). Les rayons de lumière ('od zer) du Bouddha et un poil de chien—les deux ne sont pas différents ! Fixez [votre pensée] sur ces deux comme [étant] inséparables !" (A khu A khra[11])

[Le Karmapa] arracha alors un poil ('jag ma) de la literie (gzims 'bog) et le tint dans sa main, disant :
Les trois corps [du Bouddha] sont complets en cela !’
[Mi nyag :] ‘Comment sont-ils complets ?’
[Karmapa :] ‘Ce poil lui-même est le dharmakāya, donc le dharmakāya [est présent]. Comme il se dresse (longs pe 'dug pas), le saṃbhogakāya [est présent]. Qu'il soit agité (sprul sprul) par le vent (rlung) est le nirmāṇakāya.
(A khu A khra)[12]

En dehors de cela [établir l'esprit comme mentionné ci-dessus], il n'y a [aucun moyen] de réaliser l'accomplissement du Grand Sceau par des [activités] fatigantes telles qu'aller demander une initiation, sonner la cloche, réciter [des mantras] en méditant sur un aspect de Bouddha, et ramasser du bois de yam et faire des offrandes de feu ; ou accomplir un rituel de méditation [élaboré] après avoir rassemblé des [substances] d'offrande.[13]

[dBon po :] 'En outre, veuillez m'expliquer (thugs la 'dogs pa) comment retenir les vents d'énergie et comment méditer sur les six doctrines [de Nāropa] ?' [Karmapa :] 'Pour ces choses-là vous devez comprendre les concepts comme dharmakāya ![14]’”

Si les apparences ne sont pas la pensée, il s'ensuit que tous les différents phénomènes ne sont pas d'une saveur unique (ro gcig), parce que les conceptualisations (vikalpa) ne sont pas le dharmakāya. De plus, un dharmakāya qui soit quelque chose de différent des conceptualisations ; apportez-le[-moi], montrez-le[-moi] ! » [Le Karmapa] eut de nombreuses discussions dharma de ce genre.[15]

Poil de chien versus Triple corps, poil de chien déclaré vainqueur par Ockham.  

Quand Mikyö Dorje agit ainsi, il semble agir comme son premier maître Sangyé Nyenpa (1445/1457–1510/1525), dont il dit dans une invocation qu’extérieurement il est “Lama Zhang”, intérieurement le premier Karmapa et secrètement le Grand sceau (voir ci-dessus).

Ce “Grand sceau” est mystique dans le sens d’inconcevable (acintya), c’est l’expérience de l’union des deux vérités, dans le cadre de l’Introduction (ngo sprod) par un ami de bien. Des tantras, du moins dans la première partie de sa vie, Mikyö Dorje semble surtout retenir la conduite non-dualiste extrême, antinomique, dite “A li kā lī” des siddhas. En essence, l’abandon de toute crainte et espoir.

Vacuité extrinsèque, Kālacakra et Mahāmudrā ésotérique

Khenchen Chodrub Senge (détail, HA65823)

Un autre maître de Mikyö Dorje fut le Sakyapa Khenchen Chodrub Senge (mKhan chen Chos grub seng ge (15e siècle), spécialiste du Kālacakra Tantra. Il semble avoir orienté Mikyö Dorje vers la vue de la vacuité extrinsèque, et l'influença dans sa rédaction du Commentaire de l’Abhisamayālaṃkāra selon la tradition Jonang et Zhilungpa[16]. Le huitième Karmapa étudia aussi le Yoga à six branches (yan lag drug) avec Chos grub seng ge, une pratique qui, dans le contexte du Kālacakra, est étroitement liée aux enseignements de la vacuité extrinsèque. Mikyö Dorje est d’ailleurs l’auteur d’un traité sur cette doctrine (gZhan stong legs par smra ba'i sgron me).

C’est peut-être sous l’influence Sakya-Jonang que Mikyö Dorje aurait écrit la fameuse citation de Jamgön Kongtrul, où il déclasse le Grand sceau inconcevable de Gampopa, en faveur du Grand sceau ésotérique, le Kālacakra Tantra et le Yoga à six branches.
Ce n'est pas le siddhi authentique de la Mahāmudrā de la lignée Kagyupa, transmis du Dharmakāya Vajradhara jusqu'au grand Nāropa, et qui est présent dans les gnoses analogique et ultime (dṛstāntajñāna et pāramārthikajñāna, dpe don gyi ye shes) authentiques, car ces dernières ne sont pas manifestes (ngon sum) avant les trois initiations supérieures des quatre consécrations (mchog dbang gong ma gsum). Mais c'est le Parāmitāyāna causal de nos jours et la tradition des instructions communes de Samātha-Vipassana qui viennent d’Atiśa et qui font partie du chemin graduel de l’éveil. Il était enseigné par sGam-po-pa (1079-1153) et Phag mo gru pa (1110-1170) pour répondre à la demande des étudiants de l’époque dégénérée, friands des enseignements les plus élevés, et qui l'ont appelé pour cette raison "Mahāmudrā-Sahaja" (phyag-chen skyes-sbyor). Dans la pratique de la plupart des étudiants de sGam-po-pa , les instructions de la Mahāmudrā furent données avant l'initiation, ce qui est appelé "la tradition commune du Sūtrayāna et du Mantrayāna..[17]"
Ce n’est pourtant pas verbatim la formule de Mikyö Dorje dans la Courte instruction (Khrid thung, Gdams khrid man ngag gi rim pa 'chi med bdud rtsi'i ljon bzang).
Les instructions traditionnelles de śamatha-vipaśyanā communes au véhicule des pāramitā, les instructions de la "Lampe du chemin de l'éveil" (Bodhipathapradīpa) transmises depuis le protecteur Atiśa, connues comme l'union co-émergente (lhan cig skyes sbyor) du grand enseignant Geshé [Potowa] et des Geshé Gönpapa, [que] le vénérable Gampopa et le protecteur Phagmo Drupa, pour les disciples dégénérés qui se complaisent dans les véhicules de plus en plus élevés, ont nommé "union co-émergente du Grand Sceau" (phyag chen lhan cig skyes sbyor).”
On n’y trouve pas la formule triomphaliste “le siddhi authentique de la Mahāmudrā de la lignée Kagyupa, transmis du Dharmakāya Vajradhara jusqu'au grand Nāropa”. Ce que je retiens de ce que j’ai lu sur Mikyö Dorje, grâce à Jim Rheingans, c’est que son approche du Grand sceau semble consister en une indispensable Introduction en la nature de la pensée (Grand sceau), qui restera comme la pratique de base sous-jacente à toutes les autres pratiques ésotériques, ou de type Lam rim, comme la pratique principale intime d’une vie, et le critère ultime de réussite. C’était assez courant dans le bouddhisme Ch’an/Zen, comme par exemple chez le maître coréen Chinul (1158-1210).

Mikyö Dorje était aussi un chef de lignée, un théocrate dans ses territoires, dont l’autorité s’exprime aussi dans un cérémoniel impressionnant. A cet égard, il est difficile de faire mieux, et d’être plus complet que le système de Kālacakra, et son thème central de philosophes rois ou maîtres-rois (dharmaraja, chos rgyal). Un trésor étouffé sous de l'or...

Esotérisme et théocratie

Tsurphu au Tibet, siège des Karmapas (détail, HA65823)

Selon Ronald M. Davidson dans Indian Esoteric Buddhism: A Social History of the Tantric Movement (2002), le bouddhisme ésotérique “féodal" désigne la transformation du bouddhisme tantrique en système de légitimation du pouvoir politique entre le VIIe et le XIIe siècle en Inde. Dans un contexte de fragmentation politique post-Gupta, les cours royales régionales s'allient avec des maîtres tantriques (vidyādhara) qui sacralisent l'autorité royale par des rituels initiatiques (abhiṣeka) et des enseignements ésotériques réservés à l'élite. Cette symbiose crée une théocratie de fait le pouvoir spirituel (gnose tantrique) et temporel (autorité royale) se légitiment mutuellement, transformant le bouddhisme monastique en système hiérarchique de lignées ésotériques contrôlées par une classe demandarins au service des élites politiques. L'ésotérisme devient ainsi un instrument de pouvoir autant qu'une voie spirituelle.

Cette dynamique s'est parfaitement reproduite au Tibet, notamment après la période mongole (XIIIe-XIVe siècles), lorsque la fragmentation du pouvoir central a créé des conditions similaires à celles de l'Inde post-Gupta. Les lignées ésotériques tibétaines (Kagyu, Sakya, Gelug) ont développé le même modèle d'alliance théocratique : maîtres réincarnés (tulku) et seigneurs régionaux se légitiment mutuellement par des systèmes initiatiques et des rituels de consécration politique. Le système des tulku devient l'équivalent tibétain des vidyādhara indiens - une classe de "détenteurs de gnose" héréditaire qui monopolise à la fois l'autorité spirituelle et temporelle. Cette évolution culmine avec le régime théocratique des Dalaï Lamas (XVIIe siècle), où le pouvoir politique est entièrement sacralisé par l'ésotérisme tantrique. Comme en Inde, la fragmentation politique favorise l'émergence de principautés théocratiques (Sakya, Gelug, etc.) fonctionnant en compétition, chacun légitimé par sa propre tradition ésotérique "supérieure", reproduisant la même dynamique de compétition ésotérique décrite par Davidson pour le sous-continent indien.

Statue de Mikyö Dorje (photo)

Concilier pouvoir séculier et spirituel a été un défi depuis toujours. Le roi et le prêtre peuvent les partager. L’Inde a eu ses dharmaraja (Aśoka 268-232 av. JC, Harṣavardhana 590-647, Kaniṣka Ier Ier-IIe siècle, …), le concept du monarque universel (cakravartin) et son dharma cosmique, la croyance en des avatars millénaristes, etc. La Chine et la Mongolie ont eu leurs empereurs et Khans, assistés de mandarins (mantrins). Le pouvoir séculier et spirituel réunis dans les mêmes mains, est appelé une théocratie, étayée par un système ésotérique. Pouvoir est savoir. Un savoir expert, non vulgarisé.

***

[1] The Eighth Karmapas Life and his Interpretation of The Great Seal: A Religious Life and Instructional Texts in Historical and Doctrinal Contexts. 2017, Hamburg Buddhist Studies 9. Bochum/Freiburg: Projektverlag.
The Eighth Karmapas Answer to Gling drung pa: A Case Study, publié dans 2011, In Kapstein, Matthew T. and Roger R. Jackson (eds.), Mahāmudrā and the bKa´-brgyud Tradition. Proceedings of the 11th Seminar of the International Association for Tibetan Studies Bonn. IITBS GmbH: Halle, 345–386.

[2](i) Sangye Nyenpa Tashi Paljor, (Sangs rgyas mnyan pa bKra shis dpal ’byor (1445/1457–1510/1525, sometimes called the mahāsiddha of Denma (gDan ma),
(ii) Dumoma Tashi Ozer (bDud mo ma bKra shis ’od zer (b. 15th century, d. c.1545)),
(iii) Khenchen Chodrub Senge (mKhan chen Chos grub seng ge (b. 15th century)), and
(iv) Karma Trinleypa Chogle Namgyal (Karma ’phrin las pa I Phyogs las rnam rgyal (1456– 1539)).
” Jim Rheingans 2017

[3]When the Eighth Karmapa calls himself blessed by the First Karmapa and Lama Zhang, the interlinear commentary remarks that while the Karmapa first adhered to the ‘false aspectarian’ (rnam rdzun pa) view of Cittamātra, later, because he had seen the Lam mchog mthar thug (The Path of Ultimate Profoundity)179 by Lama Zhang, he turned to Candrakīrti’s Madhyamaka and took Zhang as his root guru.” Jim Rheingans 2017

Si tu Paṇ chen’s Kaṃ tshang recounts that, through Lama Zhang’s blessing (byin gyis brlabs), the Karmapa settled the ultimate Madhyamaka view (mthar thug dbu ma) to be the tradition of prāsaṅga or ‘consequentalists’. Being himself inspired by the gzhan stong, Si tu Paṇ chen viewed the Eighth Karmapa’s commentary as chiefly in conformity with the Third Karmapa, Rang byung rdo rje, which he interprets as gzhan stong.” Jim Rheingans 2017

[4]Mi bskyod rdo rje, Karma pa VIII, Zhang 'gro ba'i mgon po g.yu brag pa'i dam chos bka' rgya mar grags pa. The first lines (ibid. fol. 1b/p. 576) praise the Karmapa’s main teacher Sangs rgyas mnyan pa as being Lama Zhang outwardly (phyi), the First Karmapa inwardly (nang), secretly (gsang) the Great Seal, and on the level of suchness (de kho na nyid) the great bliss (bde ba chen po). This work can be considered a Guru Yoga invocation ritual and Great Seal instruction. Zhang 'gro ba'i mgon po'i gsang ba'i rnam thar bka' rgya las 'phros pa'i gsang ba'i gtam yang dag pa, continues this topic: the text starts out with a guru yoga on Lama Zhang who is depicted as the Buddha Cakrasaṃvara. Interestingly, passages in this invocation bear similarity to Zhang bka' rgya'i brgyud rim gsol 'debs, fol. 1a (p. 894) and are almost identical with a passage in the Eighth Karmapa’s Thun bzhi'i bla ma’i rnal ’byor.

[5] Zhang 'gro ba'i mgon po'i gsang ba'i rnam thar bka' rgya las 'phros pa'i gsang ba'i gtam yang dag pa

[6] Faut-il, comme semble le faire Klaus-Dieter Mathes, inclure toutes les (25+1) instructions du cycle Amanasikāra (yid la mi byed pa'i skor) dans cette approche Amanasikāra-madhyamaka ? Les manuscrits découverts dans la bibliothèque royale du Népal par Haraprasad Shastri, qui leur donna le nom Advavavajrasangraha, forment-ils un ensemble, propageant le même message, chaque texte devant être interprété à la lumière des autres, et des commentaires et systématisations ultérieurs ?

Chapter 9 Maitrīpa’s Amanasikāra-Based Mahāmudrā in the Works of the Eighth Karma pa Mi bskyod rdo rje Dans: Mahāmudrā in India.

[7] "These days (da zhag) I have experienced sickness and unclear meditation. Kindly assist (dgos) me and [give me a means] to remove [these] obstacles.’

To that (pa la) the Drung [Karmapa] said: ‘You should remove obstacles through the essence of conceptualisation (rnam rtog)!

And he further said: ‘Do not harbour hope which longs to obtain the result. If [you] harbour hope wishing to obtain the result you are not a good meditator (sgom chen). Light rays ('od zer) of the Buddha and a dog’s hair—the two are not different! Settle [your mind] on those two as [being] in union! In this state, practice the freedom from refuting or accomplishing, the A li kā lī conduct.

“A khu A khra, fol. 32a (p. 95): der dgongs phyi mo zhig la mi nyag skya ging bya bral bas nga da zhag na ba dang sgom mi gsal ba byung bas gegs sel thugs rjes 'dzin dgos zhus pa la/ drung nas/ khyod kyis rnam rtog gi ngo bo des gegs sel gsungs/ 'bras thob 'dod kyi re ba ma byed/ 'bras bu thob 'dod kyi re ba byas na sgom chen min/ sangs rgyas kyi 'od zer dang/ khyi'i spu gnyis la khyad med/ de gnyis zung 'jug tu zhog/ de'i ngang la dgag sgrub dang bral ba a li kā lī'i spyod pa gyis gsungs/.”

Note de Rheingans :
"A li kā lī’i spyod pa. According to [Khams-born] mKhan po [Karma Nges don] it is one kind of tantric conduct. It is neither mentioned within the Kālacakratantra, ed. Vira R. and L. Chandra (New Delhi: International Academy of Indian Culture, 1966) or Hevajratantra, ed. David L. Snellgrove (London: Oxford University Press, 1959) nor among the four kinds of tantric conduct (Mar pa Chos kyi blo gros and mTshur phu rGyal tshab bKra shis dpal ’byor, rTsa lung 'phrul 'khor, p. 168–170)."

[8] Voir aussi : A Critical Edition of the Vajraḍākamahātantrarāja (I) --- Chapter 1 and 42 ---Tsunehiko Sugiki, 2002, 智山学報(Journal of Chisan Studies)

[9] Dans A khu a khra. A Khru fut l’intendant de Mikyö Dorje. Rheingans, 2017, p. 65

[10] “A khu A khra, fol. 28b (p. 88): tha mal shes pa de sgom dgos sam mi dgos zhus pas/ las dang po pas sgom dgos gsungs de nas mi dgos gsungs lta ba de ci yin zhus pas/ tha mal gyi shes pa de yin pas 'bras bu yang de yin gsung/ tha mal shes pa min pa'i chos med par go na sangs rgyas 'gro gsungs/ sems nyid dri ma med pa la rdo gong dang brag ri 'di rnams kyis dri ma byed mi thub/ rdo gong 'di spros bral gyi ngo bor grub na rdo gong las chos sku bzang po mi 'ong gsungs/ yang khyi rgan gya bo'i rnga ma dang sangs rgyas kyi gtsug gtor gcig yin gsungs/ gang gi skabs su yin zhus pas/ bka' brgyud pa'i skabs su yin gsungs/.”

[11] “A khu A khra, fol. 32a (p. 95): sangs rgyas kyi 'od zer dang/ khyi'i spu gnyis la khyad med/ de gnyis zung 'jug tu zhog/ de'i ngang la dgag sgrub dang bral ba a li kā lī'i spyod pa gyis gsungs/.”


[12] “A khu A khra, fol. 32a (p. 95): gzims 'bog gyi spu 'jag btogs nas phyag tu bsnams nas/ sku gsum 'di la tshang ba yin gsung/ ci ltar tshang ba yin zhus pas/ spu de ka chos sku yin pas chos sku/ longs pe 'dug pas longs sku/ rlung gi [read gis?, see note 88 above] sprul sprul byed pa sprul sku yin gsungs/.”

[13] “Mi bskyod rdo rje, Karmapa VIII, Gling drung pa la 'dor ba’i dris lan, fol. 3a (p. 315): de la dbang bskur zhur ’gro ba dang/ dril bu ’khrol ba dang/ lha bsgoms nas bzlas pa dang/ yam shing bsags nas spyin bsreg bya ba sogs dang/ ’bul sdud byas nas sgrub mchod ’dzugs pa sogs kyi ngal bas phyag rgya chen po’i dngos grub sgrub pa ma lags/.” Rheingans 2017

[14] “A khu A khra, fol. 29b (p. 90): yang rlung bzung lugs dang chos drug sgom lugs thugs la 'dogs dgos zhus pas/ de ga la rnam rtog chos skur shes dgos gsungs/.” Rheingans 2017

[15] " ‘If appearances are not mind, it follows that all the different phenomena are not of one taste (ro gcig), because thoughts (rnam rtog) are not the dharmakāya. Further, a dharmakāya which is something different from the thoughts; bring it [to me], show it [to me]!’ [The Karmapa] had many such discussions about the dharma.

“ 'o na brag tu snang ba de nam mkha' de nam mkha' ltar mi 'dzin par thal/ sems min pa'i sra mkhregs 'gyur med yin pa'i phyir/ zhes dang snang ba sems min na chos thams cad du ma ro gcig min par thal/ rnam rtog chos sku min pa'i phyir/ yang rnam rtog las logs su gyur pa'i chos sku de khyer la shog la [las] nga la ston dang gsung ba sogs chos kyi gsung gleng mang du mdzad do/.”


[16]He taught him various large gzhan stong explanations (bshad pa) and asked him to uphold [this] view. Therefore he later commented on the Abhisamayālaṃkāra in the tradition of Jo [nang] and Zi [lung pa].” Rheingans 2017.

 Pawo Tsuglag Threngwa (1504–1566), mKhas pa’i dga’ ston, p. 1236. Zhilungpa (Zi lung pa) est Śākya mChog ldan (1428-1507).

[17] Trésor de la connaissance (Shes bya kun khyab) écrit par Jamgon Kontrul (1813-1900). Le texte qui a servi de base à la traduction a été publié par la Maison d'édition du peuple (mi rigs dpe skrun khang) en trois volumes, 1982 (ISDN M17049(3)28). La partie traduite se trouve dans le volume III (smad cha), pages 375 à 390.

samedi 24 mai 2025

Surenchères ésotériques

Tour de Babel (détail wikimédia), Pieter Bruegel l'ancien, 1563

Quand on pose une réalité invisible et inconnaissable pour les non-initiés, et un mode de connaissance supérieure (gnose) qui y donnerait accès, ce qui sépare le commun des mortels de cette réalité invisible est leur propre manque de gnose (a-vidyā). Ceux qui ont accès à la réalité primordiale invisible et inconnaissable, les connoisseurs, peuvent guider les non-connaissants vers la gnose par des méthodes différentes. Ces différentes méthodes peuvent être hiérarchisées, et de nouvelles méthodes et expertises peuvent apparaître et surclasser les méthodes existantes. Le savoir, c'est le pouvoir. La gnose, c'est le pouvoir. La gnose au pouvoir, c’est la théocratie.
"Tant que les philosophes ne seront pas rois dans les cités, ou que ceux qu'on appelle aujourd'hui rois et souverains ne seront pas vraiment et sérieusement philosophes ; tant que la puissance politique et la philosophie ne se rencontreront pas dans le même sujet ; tant que les nombreuses natures qui poursuivent actuellement l'un ou l'autre de ces buts de façon exclusive ne seront pas mises dans l'impossibilité d'agir ainsi, il n'y aura de cesse [...] aux maux des cités, ni, ce me semble, à ceux du genre humain." (Platon, La République, livre V, 473c-d)
Surenchères de Grand sceau

Sans hiérarchiser, on peut dire qu’il y a trois sortes d’approches dites “Grand sceau” ou “Sceau universel” (mahāmudrā). Un Grand sceau centriste (Mādhyamika), un Grand sceau mystique (Advaya-Avadhūti , Sahajavajra, Gampopa) et un Grand Sceau ésotérique. Ces trois approches ne sont pas clairement délimitées, et peuvent se chevaucher. Les trois approches en soi peuvent d’ailleurs être bouddhistes ou non-bouddhistes. De toute façon, le nom grandiloquent (mahā-) suggère une certaine universalité, qui va au-delà de radeaux ou d’échelles spécifiques. Cela est cependant moins vrai pour le Grand sceau ésotérique, qui est comme une gnose, car les systèmes ésotériques s’inscrivent nécessairement dans des sociétés ou communautés spécifiques (théocraties).

Jim Rheingans de l’université de Vienne a étudié de près le Grand sceau pratiqué et enseigné par le huitième Karmapa Mikyö Dorje (1507–1554)[1] d’après les sources hagiographiques de Karmapa, ses oeuvres et les entrevues spirituels (dri lan) avec ses disciples. Rheingans soutient que la Mahāmudrā de l'école Karma Kagyü n'est pas un système statique. Il s'agit plutôt d'un système indépendant que le Guru/Lama adapte aux besoins des différents disciples, caractérisé par un pragmatisme didactique.

Le destin avant tout

Il y a aussi la vie et l’évolution individuelle de Karmapa 8, qui a pu soutenir différentes vues à différentes phases de sa vie, dans ses oeuvres et lors des entretiens. Il était le chef réincarné (tulku) de la lignée Karma Kagyu. Ce statut l’inscrit par dans un système ésotérique et la société théocratique des régions tibétaines. Le roi légendaire Indrabhūti avait abdiqué de son pouvoir, afin de devenir un bhikkhu/yogi bouddhiste, pour revenir parmi son peuple comme un dharmarāja théocrate par la suite. J'ignore des cas de hiérarques tibétains ayant renoncé à leur statut. Aucun n'est devenu un simple moine, yogi ordinaire, ou logicien mādhyamika. Il y a bien une hégémonie ésotérique, qui l’empêcherait de faire cela. Il ne peut pas choisir librement entre madhyamaka, yogācāra, vajrayāna ou tel type de Grand sceau. Il ne peut déclarer l'un supérieur à l'autre ou le préconiser. A titre individuel, il peut évidemment avoir ses préférences comme tout un chacun. Il ne faudrait pas, selon moi, donner trop de poids à l’une ou l’autre de ses déclarations dans une des sources, même si elles peuvent être intéressantes. La grande ligne reste celle d’un chef théocrate qui se soucie de la pérennité de sa lignée, qui passera à une autre réincarnation de théocrate.

Esotérisme et théocratie, l’alliance transcendante

L’ésotérisme étant ce qui justifie la position du théocrate ou du dharmarāja/cakravartin, il restera le cadre de toute entreprise spirituelle au sein d’une lignée. C'est universel, même le roi d’Angleterre, qui est à la fois le gouverneur suprême de l'Église d'Angleterre descend du roi David par une opération ésotérique limpide. Les conceptions contemporaines du Grand sceau restent définies par Jamgon Kongtrul Lodro Thaye (1813-1899). Il distinguait trois types : Mahāmudrā de type Sūtra, de type Mantra, et Mahāmudrā essentielle. La Mahāmudrā essentielle n’est accessible qu’à des individus prédisposés, et correspond au "chemin de la cognition directe" de Gampopa, qui se situe au-delà des sūtra et des tantras. La Mahāmudrā de type Sūtra ne donne pas accès à la réalisation finale, et est présenté comme laborieux et long. La Mahāmudrā de type Mantra est l’approche préconisée pour tous, même si, en fonction des dispositions inférieures ou intermédiaires, il faudrait initialement passer par des approches inférieures ou intermédiaires.

Esotérisme et hiérarchisation

Les systèmes ésotériques procèdent à des classements hiérarchiques de méthodes et d’individus, et ont besoin de maîtres (guru, lama, etc.) pour gérer la progression des individus en fonction de leurs talents et handicaps respectifs par rapport aux niveaux à atteindre. C’est le maître qui valide les acquis spirituels (réalisations, siddhis), et qui fait accéder le disciple à un autre niveau par le biais d’une autre méthode plus appropriée.

Il semble ne pas y avoir de fin aux classements hiérarchiques, il y a toujours moyen de surclasser le dernier niveau insurpassable, même pour les yogatantras supérieurs (bla na med pa).
Le Kālacakra Tantra considère les tantras-père (comme Guhyasamāja et Yamāntaka) et tous les tantras-mère (comme Cakrasaṃvara et Hevajra) comme des tantras mondains ('jig rten pa). Les initiations obtenus par ces tantras, et plus particulièrement l'utilisation de la karmamudrā et jñānamudrā lors de la troisième initiation pour atteindre la quatrième, visent à obtenir des siddhis “mondains”. Les siddhis atteints par les tantras “mondains” sont ceux du Vajradhara surpassable (bla bcas pa), ou du "Vajrasattva inférieur" (rdor sems nyi tshe ba).

Les initiations supramondaines du Kālacakra (en particulier la quatrième initiation) conduisent à l’état de Vajrasattva universel (khyab pa'i rdor sems) et à la réalisation ultime du Mahāmudrā ésotérique. Dans ce système, la troisième initiation du Kālacakra, qui prépare à la quatrième (l'ultime sagesse du Grand Sceau), n'est pas mélangée aux siddhis mondains. La quatrième initiation du Kālacakra est ainsi considérée comme supérieure à la quatrième initiation provenant d'autres tantras comme Cakrasaṃvara et Guhyasamāja. Le Kālacakra est considéré comme plus profond, plus vaste et plus complet dans sa présentation de la voie ultime, clarifiant ce qui peut être caché ou moins explicite dans d'autres tantras.” (Blog Kālacakra Tantra et Mahāmudra ésotérique)
L’état de Vajrasattva “limité” (nyi tshe ba, s. prādeśika), des yogatantras insurpassables, comme le Guhyasamāja et le Hevajra, déclassés en “mondains” ('jig rten pa), ne permettent pas d’aller tout au bout du bout, et ne lavent pas plus blanc que blanc. Karmapa 8 préfère donc le Kālacakra tantra. Il se trouve que ce soit aussi le tantra le plus ouvertement et largement théocratique… et millénariste ainsi que militariste.

Le besoin de hiérarchie produit trois sortes de Grand sceau

Retour au Grand sceau madhyamaka et mystique. Le Grand sceau mādhyamika semble correspondre à la réalisation que les Dix versets sur le Réel (Tattvadaśaka d’Advayavajra) considèrent comme la voie du Milieu “intermédiaire”, “non ornée par les instructions du Guru”. Le Grand sceau mystique est celui d’Advayavajra, qui fait l’objet du Tattvadaśaka et de son commentaire par Sahajavajra ; celui diffusé par Gampopa et associé au chemin graduel Kadampa. Cette méthode (Introduction ngos sprod) est considérée au-dela des sūtras et tantras par Gampopa. Sahajavajra montre comme cette méthode Grand-mādhyamika est compatible avec les tantras (“mondains” comme le Hevajra). Cette compatibilité ne suffit pas cependant. La méthode de Gampopa peut être donnée hors du cadre des quatre initiations des yogatantras supérieurs, ou du chemin ésotérique (thabs lam), et par un simple ami de bien (kalyāṇamitra, dge bshes), et non un Guru ésotérique. Il s’agit au fond d’entrer dans l’ésotérisme. Pourquoi ? L’objectif est le “parfait état de Bouddha” avec les trois, quatre ou cinq Corps d’un Bouddha, car sur ce point aussi, il ny a pas de fin aux classements et surclassements.

Le parfait éveil à un corps, et jusqu’à cinq corps

Le “parfait état de Bouddha” doté du plus grand nombre de Corps est celui du Kālacakra Tantra. Un seul, le Corps Gnostique (Jñānakāya), mais qui en contient quatre : le Sahajakāya (vacuité et béatitude), le Dharmakāya, le Sambhogakāya, et le Nirmāṇakāya. Dans le kālacakra, l'actualisation des quatre corps du Bouddha comme les quatre aspects du Jñānakāya est instantanée. La purification des quatre gouttes (bindu), qui sont les supports intérieurs des quatre types de Jñānakāya, est graduelle. Ainsi, on peut comprendre qu'il y a quatre types de Jñānakāya qui correspondent aux quatre corps. La gnose (jñāna) est également décrite en termes de gnose-vajra, de gnose de la béatitude innée (représentée par Kālacakra) et de gnose de la vacuité ayant tous les aspects (représentée par Viśvamata). Cela rejoint les six yogas du Kālacakra.

Il est évident que selon le Kālacakra tantra et la vue associée du vide extrinsèque (gzhan stong), le Grand sceau mādhyamika et le Grand sceau mystiques, non-ésotériques, ne peuvent pas conduire au “parfait état de Bouddha” et son jñānakāya primordial.

Voir ou ne pas voir la réalité lumineuse

La vue du vide extrinsèque pose une réalité lumineuse transcendante, qui, n’étant pas reconnue, englobe en quelque sorte la réalité conventionnelle et la réalité ultime ordinaires ou naturelles, tout comme le jñānakāya englobe les quatre (ou trois) Corps de Bouddha. L’union des deux vérités, conventionnelle et ultime, non-dualiste, est en contact avec la réalité lumineuse schématiquement parlant. Même en étant au sein même de la réalité lumineuse, elle ne La connaît pas positivement. Il manque la Gnose transcendante, qui n’est pas accessible par des moyens non-ésotériques. Les poissons voient-ils l’eau dans laquelle ils nagent, les oiseaux voient-ils l’air qu'ils traversent ? Tant d’ignorance.

Le Grand sceau mystique, “orné par les instructions du Guru”, par le biais d’une Introduction ou révélation (ngo sprod, en anglais souvent Pointing out), est une “connaissance” non-conceptuelle, déjà plus positive, rendue “tangible” par des paroles et des symboles d’un guide, conduisant à une expérience immédiate. De quoi ? De “la nature de la pensée”, la pensée se voyant elle-même. Que voit une pensée qui se voit elle-même ? La luminosité, lauto-illumination de la conscience réflexive (Dharmakīrti) sont des métaphores.
X a sans doute raison de se comparer à un “volcan”, mais il a tort d’entrer dans des détails.” (Emil Cioran, De l’inconvénient d’être né)
Exploiter celles-ci, excessivement, est se rendre sur un terrain glissant, d’un point de vue bouddhiste mainstream. Regarder son esprit (sems la blta ba), et voir sa nature lumineuse très bien, mais où en est la lumification/divinisation de ton corps lumineux ?

Le Grand sceau mystique non plus ne conduit au “parfait état de Bouddha au complet”. Ce sont les plus hauts tantras qui vous le disent, et ceux-ci se surclassent les uns les autres, souvent à grand bruit. Il reste donc que le Grand sceau ésotérique, susceptible de doter un candidat de parfait état de Bouddha complet de ses trois, quatre ou cinq Corps. On trouve d’ailleurs la même logique de (sur)classement dans le Dzogchen, et dans tout système ésotérique.

Dans le prochain blog, j'aborderai d’autres thèmes intéressants soulevés dans les recherches de Jim Rheingans

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[1] The Eighth Karmapas Life and his Interpretation of The Great Seal: A Religious Life and Instructional Texts in Historical and Doctrinal Contexts. 2017, Hamburg Buddhist Studies 9. Bochum/Freiburg: Projektverlag.
The Eighth Karmapas Answer to Gling drung pa: A Case Study, publié dans 2011, In Kapstein, Matthew T. and Roger R. Jackson (eds.), Mahāmudrā and the bKa´-brgyud Tradition. Proceedings of the 11th Seminar of the International Association for Tibetan Studies Bonn. IITBS GmbH: Halle, 345–386.