dimanche 19 juin 2022

La mahāmudrā comme l'intégration des représentations (vikalpa)

Manuscrit de Gemur, Anthologie d'écrits attribués à Gampopa

Dans la série d’exercices spirituels (blo sbyong), transmise dans la lignée qui remonte à Atiśa, on trouve un genre d’exercice qui s’appelle “lam du bslang pa” ou “lam du kyer ba” (lam khyer), intégration sur le chemin, et qui permet de prendre les situations adverses comme des défis, et d’en faire des facteurs d’amendement (bog ‘don) de la pratique spirituelle. En premier, ce sont les souffrances, les maladies, les adversités, etc. que l’on intègre sur le chemin[1], en dehors des sessions de recueillement, lors du “recueillement subséquente” (tib. rjes thob, autrement dit dans toutes les activités quotidiennes (īryā-patha) : marcher, être assis, être couché, etc.).

Ensuite, ces mêmes exercices prennent aussi en charge les causes des souffrances : les passions (kleśa)[2], avant que celles-ci ne conduisent à des actes négatifs, qui à leur tour mûriraient en de nouvelles souffrances. Cette pratique s’inscrit dans l’idée d’une (sur)vie dans un environnement hostile, et de la capacité de transformer les divers poisons en nectar, comme on peut le voir dans La roue des armes tranchantes (bLo sbyong mtshon cha’i ‘khor lo) de Jowo Atiśa Dīpaṃkara Śrījñāna.
La lignée Kadampa qui prend sa racine en les enseignements d'Atiśa et de 'brom ston pa, s'est divisée en trois transmissions. 'Brom ston pa (1004 /1005-1064) eut trois disciples principaux, appelés les "trois frères" (T. sku mched gsum) qui étaient à la source des trois transmissions. Po to ba (1027/1031-1105) et les Adeptes des textes canoniques (T. gzhung ba pa), sPyan snga ba (1038-1103) et les Adeptes du chemin graduel (T. lam rim pa) et Phu chung ba (1031-1106) qui était à l'origine des Adeptes des Instructions (T. gdams ngag pa/man ngag pa), parmi lesquels on trouve des maîtres de Gampopa. Il est très possible que le nom "Adeptes des Instructions" fasse référence aux instructions particulières des distiques de Saraha et de l'approche d'Advayavajra, qu'Atiśa n'avait pas pu enseigner en public.” Blog La mahāmudrā Kadampa.
C’est dans la lignée de Phu chung ba (1031-1106) que s’est sans doute développé un autre type d’Intégration (tib. lam khyer), qui est celle des représentations (vikalpa). Dans l’optique bouddhiste classique, l’objectif est de purifier la pensée, et notamment de la purifier des passions (kleśa). C’est donc assez risqué, voire inconscient, de se croire capable de manipuler les passions, et de les “intégrer dans le chemin”... C’est comme manipuler des serpents venimeux, ou des poisons. Cette idée peut être choquante ou surprenante pour un bouddhiste lambda.

Il faut dire que l’exercice d’intégration des passions présentées dans la collection des exercices spirituels les traite de manière très générale. On imagine que la passion de la convoitise (tib. ‘dod chags) des autres s’empile au-dessus de la nôtre, et que l’on finit avec une pile aussi grande que le mont Meru, tout en libérant les autres de la convoitise. Ensuite, on raisonne : l’essence de la convoitise est la pensée, et il n’y a pas de convoitise en dehors de la pensée. Dans celle-ci, le passé n’existe plus, le futur pas encore, et le présent est libre de toute caractéristique (nimitta) de forme, de couleur, etc. La pensée ne pouvant être identifiée (tib. ngos zung dang bral ba) d’aucune de ces façons, est comme l’espace, et l’on se pose dans cet état sans point de référence. La “convoitise” est alors simplement un nom sans référence (tib. ming tsam yang don du grub pa ci yang mi ‘dug).

Cela montre qu’au lieu de purifier la pensée de la passion de la convoitise, au lieu de s’en débarrasser et d’empêcher que de nouvelles passions surgissent, l’intégration veut les saper de l’intérieur, et les neutraliser comme un poison, à l’aide de la vacuité (analyse scellée par la méditation). Si cela fonctionne, c’est formidable, sinon, et surtout si l’on n’est pas conscient de son échec, c’est encore pire…

Géshé Phu chung ba, aurait également enseigné, de façon très discrète, une “intégration des représentations” (rtog pa lam du khyer). Nous savons cela, car Gampopa (1079–1153) en parle beaucoup dans son “Introduction au sens ultime des représentations” (rNam rtog don dam ngo sprod). Gampopa avait reçu cette Intégration de son maître kadampa Géshé lcags ri ba, qui l’avait reçu de Géshé gLang ri thang pa (1054-1123), et ce dernier de Géshé Phu chung ba. L’innovation de Gampopa est peut-être de l’avoir encadré dans une Introduction (tib. ngo sprod), d’où le titre et le déroulement du texte, et sans doute aussi la longue explication de l’origine de l’intégration des représentations. C’était un hot topic, car dans le bouddhisme mahāyāna, il y avait peut-être bien le concept et la pratique de la vacuité, mais les traités bouddhistes expliquaient aussi, que la représentation même est l’ignorance (vikalpa eva hy avidyā[3]), et que son intégration dans le chemin risquait ne pas être bien accueilli. Ce fut en effet la cas, mais les polémiques au sujet de la mahāmudrā kagyupa avaient des raisons bien plus complexes.
Le guide (Gampopa) avait demandé à Géshé lcags ri ba si ces instructions pour intégrer (lam du 'khyer ba) [les représentations] n'étaient pas en contradiction (mi spong bar) avec celles de l'école Kadampa. lCags ri ba lui avait répondu que quand Géshé gLang ri thang pa avait posé la même question à géshé Phu chung ba, celui-ci avait hésité [tshems = tshoms? nem mdzad nas] et répondu "oui (yod dag yod), mais je ne peux pas (dbang med) le répéter (zlos).[4]
Ces instructions, qui sont ici attribuées à Géshé lcags ri ba, se retrouvent également dans d’autres textes de maîtres kagyupa[5], notamment dans des textes qui ont pour objet “la réintégration[6] du Naturel” (lhan cig skyes sbyor), auquel terme on ajoute parfois “mahāmudrā” (phyag chen lhan cig skyes sbyor).

Les instructions (tib. gdams ngag)[7] que reçoit alors Gampopa sont celles de Géshé lcags ri ba. Un disciple de Gampopa, l’auteur de l’Introduction au sens ultime des représentations, ouvre le texte avec ces instructions. Le texte semble être une sorte de défense de l’utilisation des représentations, avec un dossier de témoignages prestigieux : Mila[8], Gangādara (tib. rnal 'byor ma gang+g'a dha ra), La yoginī Karkadoha (tib. rnal 'byor ma kar ka do ha'i zhal nas).

Dans un autre texte attribué à Gampopa, “Les instructions de la double armure de la Mahāmudrā” (phyag chen go cha gnyis kyi man ngag), on retrouve de nouveau la triple instruction de Géshé lCa ri wa (dge bshes lcags ri ba'i 'khyer lugs), après une présentation des deux types de guides (les représentations, et les êtres humains en tant que guides), et de la double Armure. Dans ce texte, il est expliqué que “la réintégration du Naturel est l’intégration de la double Armure” (lhan cig skyes sbyor ni go cha gnyis kyis lam du 'khyer te).
Si l'on se demande quel [Naturel (sahaja)] est réintégré, c’est l’intelligence (tib. rig pa) et la vacuité. Cela ne veut pas dire qu'il s’agit d’éléments individuels (tib. rang) et différents (tib. tha dad). Quand l’intelligence, la lucidité, le bien-être et la vacuité sont rejoints (tib. sbyor) [ensembles], c’est la réintégration du Naturel.[9]
Dans le manuscrit de Gemur, une anthologie d’écrits attribués à Gampopa[10], on trouve un passage qui comporte de nombreux détails intéressants[11], sur lesquels je reviendrai dans d’autres blogs, mais où l’auteur parle aussi de la réintégration du Naturel.
Quelle est la différence entre l’état natif et la réintégration du Naturel ?

La réintégration du Naturel est l’intégration (tib. lam du ‘khyer ba) des représentations. Il y a deux sortes de représentations, des bonnes et des mauvaises représentations. En reconnaissant celles qui surgissent, n’importe lesquelles, comme une grâce (tib. sku drin), les représentations sont intégrées, les égarés de l’Errance ne reconnaissant pas les représentations [en tant que telles] continuent d’y errer, mais en intégrant les représentations dans la pratique spirituelle (tib. lam du byed pa), ils n’ont plus peur (tib. nyam nga) de l’Errance.

L’état natif (gnyug ma, nija) dit : en intégrant tes représentations, tu fais la différence entre l’objet à retrancher et le moyen qui retranche, et les représentations ne cesseront pas[12]. Si une représentation surgit, tu dois la reconnaître [en tant que telle], et si une autre surgit, tu dois la reconnaître encore. Si tu ne vois pas leur essence (tib. ngo bo), c’est inutile[13]. S’il se présente quelque chose à voir, c’est moi [l’état natif]. Il n’y pas autre chose à voir [qui n’est pas moi]. Si tu ne me vois pas, les représentations ne cesseront pas, et le problème est que tu ne m’atteins pas. D’abord, je ne suis pas produit (anutpāda). Ensuite, je ne dure (tib. gnas pa) pas, et à la fin, je ne cesse pas. Je ne peux pas être identifié (tib. ngos bzung dang bral ba). Ma nature (tib. rang bzhin) est ininterrompue, et mes caractéristiques dépassent l’intellect (tib. blo las ‘das pa)
.[14]
L’état natif nous parle directement en nous tutoyant. Ce passage nous apprend aussi que “La réintégration du Naturel est l’intégration (tib. lam du ‘khyer ba) des représentations”.

Tsalpa Zhang (Zhang G.yu-brag-pa Brtson-'grus-grags-pa, 1123-1193), le fondateur de la branche Tshalpa kagyu, actuellement éteint, était le disciple de Gompa Tsultrim Nyingpo (sgom pa tshul khrims snying po, 1116-1169), un neveu de Gampopa. Dans l'oeuvre complète de Tsalpa Zhang, on trouve dans la partie “Cycle des guides de la pratique de la méditation”, le “Cycle de la réintégration du Naturel[15]. Ce passage commence par l’explication d’une citation de l’Introduction à la mahāmudrā[16], telle qu’elle était pratiquée au siège de Gampopa. Zhang explique les quatre réintégrations (“quatre yoga de la mahāmudrā”), suivi des instructions de la double Armure, qui sont la réintégration du Naturel. Ces instructions permettent de réintégrer le Naturel.
En reposant dans la non-production, une représentation se produit, puis une autre, mais elles sont la pensée naturelle en elle-même (sva-cittatva). C'est ainsi que l'on développe (tib. sgom pa) [l'expérience] que la pensée non-produite en elle-même (cittatva) est le Corps réel (dharmakāya).
Si des représentations émergent en ce moment-là, on applique la triple [instruction][17] : a. retracer (rjes dpyad pa), b. détruire ce qui se présente ('phral gzhom pa) et c. l'absence [de représentations] est une erreur (med pa sprul pa).[18]
Ici, Tsalpa Zhang parle de la triple instruction de géshé lCag ri ba, mais sans citer son nom. Il donne en revanche des explications plus détaillées du contenu de cette pratique.
a. Toutes les représentations passées sont la pensée naturelle (svacitta). La pensée en elle-même (cittatva), non-produite, est imaginée (tib. sgom) comme le Corps réel (dharmakāya).

b. Toutes les représentations de l'instant présent, dès leur production, sont la pensée naturelle en elle-même (sva-cittatva). La pensée en elle-même (cittatva) est imaginée (tib. sgom) comme le Corps réel (dharmakāya).

c. Les divinités non-théistes (tib. lha med pa'i lha), les enfers etc. étant aussi des représentations, sont des illusions (tib. sprul pa). Ces représentations sont la pensée naturelle en elle-même (sva-cittatva). La pensée en elle-même (cittatva) est imaginée (tib. sgom) comme le Corps réel (dharmakāya).

Ainsi, en accédant (tib. rtogs) au Corps réel (dharmakāya) en s'appuyant sur des représentations, on imagine que les représentations sont d'une grande gentillesse (tib. drin che bar)
.[19]
Je terminerai par le Guide d'instructions sur la réintégration naturelle de la Mahāmudrā[20] de Karmapa III Rangjung Dorjé (1284-1339). Ce texte, composé en 1324, insère un guruyoga, ainsi que la prière à sept branches dans les préparatifs, avant de présenter la pratique de śamatha et vipaśyanā. La pratique de vipaśyanā est précédée d’une Introduction (introduction pour développer la perspicacité (vipasyanā), qui sont expliqués en détail. Karmapa III mentionne la réintégration naturelle de la mahāmudrā, mais ne rentre pas dans les détails de son déroulement. Il élabore davantage les signes de réussite, explique les trois égarements, comment amender la pratique (tib. bog ‘don), comment la réalité ordinaire est produite par l’interaction des six consciences, du mental immédiat et du mental affligé, ainsi que la pratique correcte du recueillement et du recueillement subséquent. Son Guide, par ailleurs parsemé de citations de mahāsiddha, comporte des éléments yoguiques, que l’on trouve aussi dans la mahāmudrā pneumatique de Dampa rMa, disciple de Dampa Sangyé.

***

[1] P.e. dans le Blo sbyong tshogs bshad ma (14. Public Explication of Mind Training) de Sangyé Gompa (1179-1250), traduit en anglais par Thubten Jinpa dans Mind Training, Library of Tibetan Classics, p.313, Blo sbyong brgya rtsa, p. 203. Il s’agit d’une compilation d’exercices spirituels par Shönu Gylachok (gzhon nu rgyal mchog 1311-1390). Un des plus anciens auteurs de ce genre hormis Atiśa étant Géshé Langri Thangpa (glang ri thang pa 1054–1123), Chekawa Yéshé Dorje (1102–1176), etc.

[2] P.e. dans le Nyon mongs pa lam du blangs pa’i chos (13. A Teaching on Taking Afflictions on the Path), non attribué, traduit en anglais par Thubten Jinpa dans Mind Training, Library of Tibetan Classics, p. 197, Blo sbyong brgya rtsa, p. 114.

[3] "Vikalpa eva hy avidyā", Dharmakīrti, Pramāṇavārttikasvavṛtti, PVSV ad PV1.98-99 (G:50.20).

[4] rNam rtog don dam ngo sprod : “dge bshes lcags ri ba la/ bla ma nyid kyis/ bka' gdams mi spong bar lam du 'khyer ba'i gdams ngag yod dam zhus pa la/ lcags ri ba'i zhal nas/ dge bshes glang ri thang pas/ dge bshes phu chung pa la zhus pas/ tshems nem mdzad nas/ yod dag yod de/ nga la zlos dbang med pa gsung skad/”

[5] Gampopa, Tsalpa Zhang, Karmapa III, Rang byung rdo rje, … des maîtres droukpa et drikhoungpa, etc.

[6] Traduction de “yoga” dans Yoga, méthode de réintégration, Alain Danielou. 

Les philosophes hindous enseignent que toute connaissance est basée sur l'expérience, mais aussi qu'une perception extérieure ne constitue pas à elle seule une vraie connaissance, et que l'unique moyen pour l'homme d'obtenir d'un objet une connaissance véritable est de s'identifier à lui; ce n'est que lors qu'il est un avec lui qu'il peut le connaître tel qu'il est et non plus seulement tel qu'il paraît. Tel est le sens du mot yoga, qui signifie « identification ». C'est en l'identification à la Divinité que consiste la ‘ réintégration ‘, le retour de l'être fragmentaire dans l'Être total.”

Même si ce terme a son origine dans une tradition théiste et essentialiste, le bouddhisme ésotérique (“yogācāra”) a néanmoins décidé de l’adopter et de l’utiliser pour désigner ses plus hautes réalisations, à ses risques et périls.

[7] “sgom chen de bsgom pa'i dus su/ rnam par rtog pa 'byung ste/ phrad 'joms pa/ phyi bsnyags/ med sprul pa rnam pa gsum mo/ /dang po rnam rtog byung ma thag skye med du chod pa ni/ phrad 'joms pa bya ba yin/ phrad ma thag ma choms na/ phyi bsnyag gsung / rnam rtog de gang nas byung / de sems las byung / sems su thim/ sems dang gnyis tha mi dad de/ phyi bsnyag bya ba yin gsung / med sprul pa ni/ gang shes pa la lci ba/ nyams la mi bde ba cig med sprul pa yin te/”

[8]Ces représentations sont nécessaires, bienveillantes, indispensables et ont toutes les qualités. Elles sont inhérentes (tib. rang chas su) [à la pensée]. Elles sont le dynamisme (tib. rtsal sbyang) de la radiance ('od gsal) qui s'appuie sur la contemplation (samādhi) des quatre méditations (dhyāna) des bodhisattvas. Les grands contemplatifs ne voient pas les représentations comme un défaut, mais comme un élément indispensable à la maîtrise (tib. dbang thob ) de la réalisation (tib. rtogs pa). Or, le grand contemplatif qui a la maîtrise de la réalisation, pourrait-il tomber malade ? Il le peut, mais dès que cela arrive, il réalise que la maladie est une représentation, les représentations sont la conscience et la conscience est non-née. Il peut mourir, mais il sait grâce aux instructions cruciales (tib. gnad ka) de la non-production (anutpāda) , que la mort aussi est non-produit. [212] Si des apparences infernales se produisent, il imagine (tib. snyam) aussi vite qu'une boule de soie rebondit de la terre, qu'elles aussi sont des représentations, que les représentations sont la pensée, et que la pensée est non-produite. L'essence de la pensée est quelquefois appelée la “perception ordinaire” (tib. tha mal gyi shes pa). Tout cela est la même chose. Quelquefois, on l'appelle aussi "l’état natif" (tib. gnyug ma, nija). C'est aussi la même chose que dharmatā (tib. chos nyid). En fait, c'est que l'on appelle "essence" (tib. ngo bo). C'est le sens de non-néant (tib. med pa ma yin pa'i don), qui se manifeste (tib. gsal) dans un être éveillé.

rNam rtog don dam ngo sprod : bla ma mi la'i zhal nas/ rnam par rtog pa de ni/ dgos pa/ sku drin can/ med du mi rung ba/ yon tan thams cad kho rang la rang chas su yod pa yin gsung / byang chub sems dpa' rnams kyi bsam gtan bzhi'i ting nge 'dzin la brten nas/ 'od gsal gyi rtsal sbyang ba yin gsung / gsang sngags kyi dbang du byas na/ brtul zhugs kyi spyod pa la log nas kyang / bskyed pa'i rim pa la brten nas rtsal sbyang ba yin gsung / sgom chen pa rnam rtog skyon du mi lta bar/ rtogs pa la dbang thob pa cig dgos gsung / 'o na rtogs pa la dbang thob pa'i sgom chen pa de la na ba 'ong ngam zhe na/ 'ong ste/ byung ma thag tu na ba rnam par rtog pa yin/ rnam par rtog pa sems yin/ sems de ltar skye med du rtogs pa cig mchi/ de la 'chi ba 'ong ste/ skye ba med pa'i gnad kas 'chi ba yang skye med du shes/ gal te dmyal ba'i snang ba lta bu shar yang / 'di rnam par rtog pa yin/ rnam par rtog pa sems yin/ sems skye ba med pa yin snyam pa 'ong ste/ dar gyi pho long brdab pa tsam gsung / sems kyi ngo bo la res 'ga' tha mal gyi shes pa bya bar ming btags te/ de thams cad gcig yin gsung / res 'ga' gnyug ma bya bar ming btags te/ de chos nyid gcig yin gsung / don la ngo bo bya ba yin te/ med pa ma yin pa'i don te/ sangs rgyas la gsal gsung /

[9] Phyag chen go cha gnyis kyi man ngag : “lhan cig skyes sbyor ni/gang dang skyes sbyor zhe na/ rig pa dang*/ stong pa lhan cig skyes/ de rang dang tha dad 'dug pa lta bu ma yin te/ rig pa gsal ba bde ba stong nyid du sbyor bas na/ lhan gcig skyes sbyor ro//”

[10] Anthologie d’instructions de Seigneur Gampopa, les hagiographies de Tailopa, Nāropa, etc.
- rje sgam po pas mdzad pa'i tai lo nA ro'i rnam thar sogs chos tshan khag cig. Ce texte inclue une hagiographie de Sonam Lhundrub (1488-1552), qui appartient à la lignée de Gampopa.

[11] On en retrouve certains aussi dans les échanges entre Gampopa et Dusumkhyenpa et Phamodroupa, etc. Ce sont peut-être les sources.

[12] gnyug ma na re/ khyod kyis rtog pa lam du khyer bas/ gcad bya dang gcod byed gnyis su bzung nas rtog pa la zad pa med de/

[13] rtog pa gcig byung ba de ngo shes par byas/_yang cig byung ba de yang ngo shes par byas kyang*/ ngo bo ma mthong na des go ma chod/

[14] Anthologie, pp. 529-530. On la trouve aussi dans l’échange avec Dusumkhyenpa (dus gsum mkhyen pa'i zhus lan)

“gnyug ma dang lhan cig skyes sbyor gyi khyad gang zhe na/ lhan cig skyes sbyor ni rtog pa lam du 'khyer te/ rtog pa la gnyis/ bzang rtog dang ngan rtog go_/gang byung yang sku drin du shes pas rtog pa lam du byed pas/_'khor bar 'khyams pa ni rnam par rtog pa ngo ma shes pas 'khyams te/ de ni rtog pa lam du byed pas 'khor ba la nyam nga med do// gnyug ma na re/ khyod kyis rtog pa lam du khyer bas/ gcad bya dang gcod byed gnyis su bzung nas rtog pa la zad pa med de/ rtog pa gcig byung ba de ngo shes par byas/ yang cig byung ba de yang ngo shes par byas kyang*/ ngo bo ma mthong na des go ma chod/ mthong rgyu gcig 'byung na de rang yin/ gzhan mthong rgyu med/ nga ma mthong na rtog pa la zad pa med pas khyod kyi de la thug pa med pa'i skyon yod/ nga ni dang po skye ba med pa yin/ bar du gnas pa med pa yin/ tha ma 'gag pa med pa yin/ ngo bo ngos bzung dang bral ba yin/ rang bzhin rgyun chad med pa yin/ mtshan nyid blo las 'das pa yin/”

[15] gSung 'bum/ brtson 'grus grags pa, vol. 6 [305] Nyams len sgom khrid skor, Lhan cig skyes sbyor gyi skor.

[16] Dans ce cas attribué à l’autre neveu de Gampopa, Gomchung (slob dpon sgom chung shes rab byang chub 1127-1171).

[17] Les trois instructions de [rgya] lCags ri ba [gong kha pa] dans le Phyag chen go cha gnyis kyi man ngag de Gampopa "Détruire ce que qui se présente [455]. Retracer L'absence [de représentations] est une erreur (med sprul pa)."
1. [Détruire ce que qui se présente] Lorsque ce grand yogi méditait, il détruisait toutes les imaginations. Dès qu'une imagination apparaissait, il la neutralisait en établissant sa non-production

2. Retracer. En cherchant d'où est venu cette imagination au départ, on trouve qu'elle vient de la conscience et qu'à la fin elle se dissipe en la conscience. Ainsi on découvre qu'elle n'est pas différente de la conscience. Savoir que la conscience est non-produite est appelé "Retracer".

3. L'absence [de représentations] est une erreur (med sprul pa). Si l'on pense que cela rend la conscience plus "lourde"/substantielle : cette gêne est une méprise, elle est une imagination, puisqu'il est dit que la conscience est le corps naturel non-produit. 3. L'absence [de la représentation] serait une méprise.

Voir aussi : L'exercice spirituel pour niveler les concepts (blo sbyong rtog pa 'bur 'joms) de Serlingpa. Il s’agit d’antidotes :

Les conditions adverses sont tes instructeurs
Les discordances des émanations du Victorieux
Les maladies balaient les traces de la négativité
Les peines sont l'expression continue du réel
.”

[18] rtog don du shes pas sgom pa'i shes rab yin te/_sems skye med la gzhag tsa na/_rnam rtog gcig skyes gnyis skyes rang gi sems nyid yin/_sems nyid skye med chos skur sgom pa'o//
de'i tshe rtog pa byung na yang rjes dpyad pa dang /_'phral gzhom pa dang /_med pa sprul pa gsum las/

[19] dang po 'das pa'i rtog pa thams cad rang gi sems yin/_sems nyid skye med chos skar sgom pa'o//
gnyis pa da ltar 'phral skyes kyi rtog pa thams cad rang gi sems nyid yin/ sems nyid skye med chos skur sgom pa'o//
gsum pa ni lha med pa'i lha dang /_dmyal ba la sogs pa yang rtog pas sprul pa ste/_rtog pa de nyid rang gi sems nyid yin/ [30 zhang gi bka' 'bum] sems nyid skye med chos skur sgom pa'o//
de ltar rtog pa la brten nas chos skur rtogs pas/_rtog pa drin che bar bsam mo//

[20] Phyag rgya chen po lhan cig skyes sbyor gyi khrid yig.

mardi 31 mai 2022

La mahāmudrā "pneumatique" de Dampa rMa

rMa Chos kyi Shes rab (détail HA87609)

Ce que nous savons de la “transmission intermédiaire” de rMa, vient surtout d’une compilation des transmissions de la Pacification (Zhi byed) composée par Minling Lochen Dharmaśrī (1654–1718), le frère cadet de Padma Garwang Gyurme Dorje (1646–1714), aussi connu sous les noms Terdak Lingpa ou Minling Terchen, le fondateur de Minling. Il s’agit de trois textes que l’on trouve dans l’oeuvre complète[1] de Dharmaśrī.
1. Une collection de prières à la lignée (bla brgyud gsol ‘debs) intitulé Zhi byed snga phyi bar gsum gyi bla brgyud gsol 'debs
2. Une collection d’initiations et d’autorisations de pratique (rjes gnang), intitulé Zhi byed snga phyi bar gsum gyi dbang chog
3. Une collection d’instructions pratiques, intitulée Zhi byed snga phyi bar gsum gyi khrid yig.
Dharmaśrī était le détenteur de toutes les transmissions, que les frères Rog[2], et notamment le superdétenteur Rogben Sherab Eu (Rog Shes rab ‘od 1166-1244), avait reçues de différentes façons, souvent assez créatives. A partir de là, “la Pacification” (Zhi byed), c’est l’ensemble de toutes les doctrines et pratiques très hétéroclites, transmises sous ce nom. Au départ, le socle de la Pacification était la perfection de la sapience (prajñāpāramitā), c’est d’elle (et de son mantra-vidya) que cet ensemble de transmissions tient son nom. A mon avis, ce que Dampa Sangyé avait enseigné au Tibet, “au départ” (avant le départ hagiographique pour la Chine, et son retour) se trouve dans la “transmission intermédiaire”, où la tradition tibétaine classe trois disciples de Dampa, surtout connus par leurs noms de clans, qui ont donné leurs noms aux systèmes (lugs) respectives rMa (Chos kyi Shes rab), sKam (Ye shes rgyal mtshan) et So (dge ‘dun ‘bar). Parmi ces trois, je pense qu’avec les systèmes de rMa et de sKam, on a le plus de chance de se faire une vague idée du noyau originel de Dampa l’individu et de sa doctrine. Sans même regarder le contenu du système de So (So lugs), avec So, les choses commencent à prendre une autre direction, simplement à en juger par lagitation des hagiographes autour de lui. On peut s’en faire une idée assez facilement par une analyse critique ou une lecture attentive des hagiographies de So “le cadet” (chung ba)[3].

sKam Ye shes rGyal mtshan (détail HA87609)

Nous ne savons pas grand chose de sKam, qui est à l’origine de la “transmission intermédiaire” sapientielle de la Pacification. Il y a davantage de matériaux hagiographiques sur rMa, mais sans doute très peu de choses à retenir quand on suit une approche davantage archéologiqueintratextuelle. C’est-à-dire quand on n’applique pas rétroactivement au système de rMa, des interprétations venant de la vue d’ensemble de la tradition de la Pacification, telle que nous la connaissons maintenant. 

So (Chung ba) dGe 'Dun 'Bar (détail HA87609)

Quand So entre en scène (vers la fin du passage BA concernant la vie de rMa), les hagiographes mettent tout en œuvre pour que So surclasse son maître sKam, et So reçoit de Dampa une transmission nettement plus vajrayānique (So lugs), que son premier maître rMa n’avait pas reçue encore. So passe par-dessus son maître, pour obtenir de Dampa des instructions sans doute plus tardives que le XIIème siècle. Nous avons vu la même chose dans le cas de Réchungpa, qui passe par-dessus de Milarepa pour récupérer des instructions et des lignées. So aurait par ailleurs reçu une transmission de lénigmatique sKor Nirūpa (BA p.879). Il aurait aussi reçu "toutes" les instructions de la “transmission du sens” (don brgyud) ainsi que les textes des 54 siddha (sgrub thob pho mo lnga bcu rtsa bzhi’i dpe rnams DN p. 1028) hommes et femmes[4]. So aurait confié les textes des 54 siddha à sa mère, qui les aurait perdus par la suite. D’autres textes de siddhas furent cependant retrouvé, probablement écrits par So lui-même (So chung rang gis byas pa)… (BA, p. 878-879, DN 1028). L’auteur des Annales bleus, Gö lotsawa ne semblait ne pas être dupe, mais c’était pour la bonne cause.

Le début du passage sur rMa dans les Annales bleus (BA p. 872) est intéressant. On y apprend que Dampa avait résidé pendant trois ans dans le monastère de sNyed gro[5] dans la région gNyal (où l’inventeur de l’alphabet tibétain Thonmi Sambhota fut né). Ce serait après avoir quitté le monastère, qu’il aurait rencontré rMa (Chos kyi Shes rab, né en 1055), qui avait grandi dans une famille “nyingma”[6]. rMa était moine (rab tu byung nas), étudia le “spyod phyogs[7] , la Voie du milieu madhyamaka, lécole haute (stod lugs) de la mahāmudrā[8], et il aurait (selon Gö lotsawa) également étudié la mahāmudrā tantrique (grub snying), même si de cela on ne trouve pas de traces dans les instructions du système de rMa (rma lugs), telles qu’elles nous sommes parvenues…

A l’âge de 19 ans (1073), rMa rencontre Dampa. Tout comme sKam, rMa était malade (sans précision de la maladie : sku khams ma bde ba). Du haut de sa maison, il vit passer un ācārya noir ne portant un simple habit sur l’épaule. rMa l’invite et demande des instructions. Dampa, car c’était lui, demande quelle doctrine rMa connaissait. "Je connais le 'tantra Père" (pha rgyud) et la mahāmudrā". Dampa lui répond que rMa connassait peut-être “la mahāmudrā des mots” (tshig gi phya rgya chen po), mais que Dampa lui enseignerait “la mahāmudrā du sens” (don gyi phya rgya chen po).
Je vais t’enseigner 'la mahāmudrā du sens' ” dit Dampa, qui lui fait une “Introduction à ‘la racine’” (rtsa ba’i ngo sprod mdzad), en s’appuyant sur des vers canoniques, que Gö lotsawa cite :

Ne pas fermer les yeux, arrêter les actes de conscience (skt. citta-nirodha)
Bloquer l’énergie vitale (skt. pavana), est réalisé par/grâce au glorieux Maître
” (DKG n°66)[9]
Il s’agit en fait d’une citation du Dohākoṣagīti (Do ha mdzod kyi glu, Toh. 2224) attribué à Saraha. rMa fait une expérience décisive (nyams rtogs khyad par can), et Dampa reste encore 18 jours avec lui. Ensuite (BA p. 873), l’histoire de So vient s’incruster dans l’hagiographie de rMa, en l’éclipsant pour des raisons sectaires internes de la “transmission intermédiaire” et de la tradition Zhi byed dans son ensemble. Dans le passage (BA p. 873) sur So, où rMa est utilisé pour mettre en valeur son disciple So, les hagiographes mettent aussi en scène une rencontre entre rMa et Asu le newar (bal po A su) à un lieu appelé rLung Shod où Asu séjourne[10], sans préciser de raison spécifique. C’était lors d’un séjour à Byen yul (au ‘Phan yul), quand rMa passa du temps “auprès de Dampa, afin de dissiper des doutes au sujet des instructions (gdams pa’i ‘phro bcad pa)” (DN p. 1022). A la même occasion il aurait reçu les “Instructions des 64 arrangements de cailloux [divinitoires]” (bkod pa drug cu rtsa bzhi pa’i rde’u khrid)[11]. rMa serait ensuite rentré dans son propre pays, aurait congédié ses servants, distribué ses richesses, et serait devenu un sādhaka (sgrub pa po).

Notons que Dampa Sangyé, qui avait résidé trois ans au monastère sNang Gro dans le gNyal pour y aider les moines, enseigna “la mahāmudrā du sens” à rMa, et lui fait une Introduction ‘à la racine’ (voir le Guide des instructions de rMa pour le sens précis de ce terme) en s’appuyant sur le plus ancien (et probablement le seul authentique) Dohākoṣa de Saraha (Toh. 2224 surnommé le “Dohā du peuple”). Le même qu’Atiśa avait enseigné lors de son arrivée au Tibet (en 1042), et qu’on lui avait interdit d’enseigner en public[12]. C’est cette transmission que l’on appelle la “transmission initiale” (snga ba), et que rMa avait déjà étudiée (BA p.872 DN p. 1021 avant de rencontrer Dampa en 1073. C’est sur le dohākoṣa (Toh. 2224) de cette tradition-là que s’appuie Dampa pour Introduire rMa à 'la racine' (mūla). Les distiques (dohā) cités par Dampa font référence au “contrôle énergétique” (rtsal sbyong), qui est essentiel dans le système de rMa (rma lugs).

Pour résumer la vie de Dampa selon l’hagiographie de rMa, Dampa aurait résidé au monastère sNang Gro en ca. 1070, et toutes traditions confondues il serait mort à Dingri en 1117. Selon la tradition tibétaine, après sa rencontre avec rMa, sKam et So, Dampa serait allé en Chine pour une période de 12 ans, et cest à son retour au Tibet quil se serait installé à Dingri (en 1097, BA, p. 912), pour enseigner “les transmissions ultérieures”, etc. A mon avis, le système de So est une transmission plus tardive, qui a réussi par l’activité hagiographique à trouver une place dans la “transmission intermédiaire”.

En 1073, Dampa aurait donc enseigné le futur “système de rMa”. A en juger par les instructions détaillées qui nous sommes parvenus grâce à Lochen Dharmaśrī, il s’agit d’une “mahāmudrā du sens”, qui passe par une Introduction (ngo sprod), et qui utilise l’Affinement (bcun) et le Contrôle énergétique (rtsal sbyong). Il n’y a aucune mention de consécration (abhiṣeka), de pratique d’une divinité (devayoga, yidam), ni de cakras (le système énergétique est rudimentaire). L’Introduction n’a pas lieu dans le cadre d’un tantra, et il n’y donc pas de relation maître-disciple (dans le sens guruvāda), avec des engagements (samaya), où la dévotion devient la pièce maîtresse de la voie[13]. rMa passe 18 jours avec Dampa, et celui-ci repart (en Chine selon la tradition). De façon similaire, Dampa aurait aussi passé 14 jours avec sKam (lignée sapientielle). Avec rMa et sKam, il y a une rencontre, une transmission, et les deux parties se séparent. C’est à cause de l’incrustation hagiographique de So (d’abord disciple de rMa) que ce schéma change. Les sources hagiographiques du disciple So viennent changer la donne, et le maître rMa joue un rôle secondaire, puisque So et son système le dépassent pour se rattacher directement à Dampa.

En 1073, Dampa est encore un simple ācārya, il n’est pas encore le grand “mahāsiddha” “indien” des tibétains. C’est So (et les transmissions ultérieures, y compris la lignéecachemirienne), ou plutôt les hagiographes qui en sont les scénaristes, qui semblent être à l’origine de la vie nettement plus légendaire de Dampa, et qui ont rendu inaudible le message singulier initial de cette tradition, qui est devenu une tradition vajrayānique ordinaire, qui n’a plus rien à envier aux autres sept chariots (shing rta).

J’avais fait une première traduction française (en 2014) de la partie concernant la Guide des instructions de la transmission aurale de la mahāmudrā de rMa (rma’i phya rgya chen po snyan brgyud kyi gdams ngag ces pa’i khrid). J’ai repris cette traduction maintenant, et je publierai sans doute des passages sur mon blog.

Le "pneumatique" dans le titre fait référence à l'utilisation du contrôle énergétique. Mais dans le système de rMa on n'a pas l'impression d'un "pneumatisme" très développé, c'est-à-dire qu'il n'y a pas (encore) tout un discours métaphysique qui le soutient, et qui l'ancre pleinement dans le vajrayāna. Il n'y a par exemple pas encore de mention de nectar d'immortalité (amṛta, bdud rtsi). C'est un simple moyen, pour contribuer à faire cesser l'activité mentale, ou pour la réduire, afin de permettre d'accéder à 'la racine' [du recueillement] et de préserver cet accès au quotidien.   

***

[1] Collected Works of Lochen Dharmashrī (“Reproduced from various manuscripts and blockprints available in India and Nepal, 1975–1977”). Dehra Dun: D.G. Khochen Tulku, 1999. BDRC W9140

[2] Zhikpo Rinchen Sherab (zhig po rin chen shes rab 1171 - 1245) et Tsondru Sengge (brtson 'grus seng+ge 1186 - 1247), au surnom de Mawai Sengge (smra ba'i seng ge)

[3] P.e. Blue Annals pp. 876 etc.

[4][So] was supposed to leave with Magom, but instead stayed with Dampa, receiving the complete instructions of the meaning lineage and of the fifty-four male and female adepts. Drakpa Jungne, Treasury of Names, pp. 1789–90. Sarah Harding, Zhije.

[5] Roerich, mais dans DN p. 1020 gnyal gyi sNang gror dge ‘dun gyi gyog lo gsum mdzad nas chos sgo la byon te.

[6] Une famille qui fit le culte de Padma dbang chen, un aspect nyingmapa de Hayagrīva (Roerich/Guendun Chöphel, p. 872).

[7] Je ne vois pas à quoi correspond ce terme, à part peut-être, la pratique de la classe des caryātantra.

[8]Après la tentative échouée d’Atiśa, il y eut selon Geu deux systèmes (tib. lugs) et quatre phases de traductions (tib. ‘gyur), pour transmettre une mahāmudrā clairement tantrique. Une école haute (tib. stod lugs avec Karopa et skor Nirūpa) et une écolé basse ou newar (tib. smad lugs, à partir d’Asu le newar).” Blog Récapitulatif des billets sur la mahāmudrā

[9] Le texte tel qu'il est cité dans le Deb ther sngon po
mig ni mi ‘dzums sems ni ‘gags pa dang*// rlung ‘gags pa ni dpal ldan bla mas rtogs//

Le texte de DKG n°66 : 
mig ni mi 'dzums sems 'gog dang//
rlung 'gag pa ni dpal ldan bla mas rtogs//
(gang tshe rlung rgyu de ni mi g.yo ste//)

Le dernier vers traduit en français : 66.3 Même lorsque l’énergie se meut, [le Maître] reste immuable

[10] Asu le Newar, est celui qui a vraisemblablement composé les deux autres dohākoṣa attribués à Saraha. L’objectif hagiographique de cette rencontre est de mettre rMa en contact avec la source "trilogiste".

[11] Blue Annals, p. 873, Deb ther sngon po p. 1022
Un lien quelconque avec le Yi jing ? 64 hexagrammes ?
Trop de projets pour cette vie-ci est cause d’Errance (saṃsāra)
Jetez vos cailloux de divination chinoise, gens de Dingri !


Lots of plans for this life are the cause of samsara;
toss out the Chinese divination pebbles, people of Dingri
.” (trad. Sarah Harding)

tshe 'di'i bsam mno mang po 'khor ba'i rgyu//
rgya rtsis rde'u bor cig ding ri ba

Lotus Clusters: A Final Teaching from the Heart (thugs kyi zhal chems pad mo brtsegs pa), DNZ, vol. 13

[12]Le premier à tenter d’enseigner le Receuil des distiques de Saraha au Tibet fut le maître indien Atiśa (980-1054). Maitrīpa et Atiśa avaient été tous les deux des élèves de Ratnākaraśānti. Quand, à son arrivée au Tibet en 1042, Atiśa résida à Samyé il était parti quelques jours à mTshims phu pour y enseigner les [sept] Siddhanta (tib. grub sde) et le Cycle des six textes sur le Cœur (tib. snying po skor drug), abrégés en "grub snying". Son disciple laïc Dromteunpa (1008-1064) se serait opposé à l'enseignement de ces cycles parce qu'ils pourraient "causer un comportement grossier parmi les tibétains". Atiśa n’a donc pas pu enseigner officiellement ces instructions, mais elles ont néanmoins été transmises au sein de l’école kadampa et jusqu’à Gampopa, par le biais de Géshé Phu chung ba, Géshé gLang ri thang pa (rdo rje seng+ge, 1054-1123) et Géshé lcags ri ba (lcags ri gong kha pa)[2]. Gampopa a lui-même écrit qu’l avait fait converger la mahāmudrā de Milarepa et les instructions de l’école kadampa.” Blog Récapitulatif des billets sur la mahāmudrā

[13] Cela n’empêche pas que plus tard, pas plus tard qu’au XVII-XVIIIème siècle quand Lochen Dharmaśrī, compose les consécrations (abhiṣeka) ou autorisations (rjes gnang), pour encadrer vajrayāniquement la pratique des trois transmissions intermédiaires, la consécration qui concerne la pratique de rMa fait intervenir Mañjuśrī Vādisiṃha (tib. 'jam dbyangs smra ba'i seng+ge).
Voir 9. EMPOWERMENT OF MAHĀMUDRĀ IN THE MA SYSTEM, Zhije, Essential Teachings of the Eight Practice Lineages of Tibet, Sarah Harding

jeudi 19 mai 2022

Le bodhisattvayāna


Ce que j’apprécie dans A Few Good Men de Jan Nattier c’est l’effort de l'auteure pour exposer en détail la méthodologie utilisée, à force de détails et d’exemples. Ce livre contient une traduction et une analyse du Sūtra demandé par Ugra (Ugraparipṛcchā tib. ‘phags pa drag shul can gyis zhus pa chen po’i mdo), un gṛhapati laïc éminent. Ce sūtra a été inclus plus tard dans le Ratnakūṭa (tib. dkon mchog brtsegs pa’i mdo), qui est une collection de sūtra, dont un certain nombre existaient déjà de façon autonome avant leur inclusion.

Je ne relèverai ici que quelques éléments qui m’ont particulièrement intéressés dans son livre. Elle invente le terme "sutrafication[1]” pour décrire un processus dans lequel des discussions avec des enseignants bouddhistes, se transforment graduellement en des paroles du Bouddha. Cela ne vaut évidemment pas pour tous les sūtra du mahāyāna, mais cela indique que c’est possible. On sait déjà que les sūtra (tout comme les tantra) peuvent être des patchworks de “Paroles de Bouddha”, éventuellement sutrifiés ou “tantrifiés”.
‘Tout ce que le Bouddha a dit, est bien dit’ disaient les Hinayanistes. Les Mahayanistes retournèrent ainsi l’axiome ‘Tout ce qui est bien dit, le Bouddha l’a dit’ implicitement, virtuellement”, écrit Léon Wieger[2].
Un autre élément est justement le statut de “laïc éminent” (skt. gṛhapati tib. khyim pa). Il ne s’agit pas de n’importe quel homme chef de foyer, mais d’un “maître de maison” (dominus). Selon Jan Nattier pas n’importe quel “maître de maison”, mais un “dominus” avec des “moyens financiers considérables”. Edgerton (dictionnaire de Sanskrit hybride) propose même “capitaliste”[3], un marchand, un chef de guilde, un banquier (śreṣṭhin). Le “maître de maison” fait partie des “sept joyaux” du cakravartin, auprès de qui il fait fonction de trésorier ou de “conseiller financier”. Il y avait également des upāsakas (laïcs hommes et femmes) rattachés aux vihāra et monastères et travaillant pour ceux-ci, qui n’étaient pas des “maîtres de maison”.

Et puis il y a une méthodologie un peu “débrouillarde” pour tenter d'extraire des données historiques d’une source normative (p.63), sur la base de plusieurs principes. Au départ, il faut être conscient du fait que des textes normatifs et prescriptifs ne sont pas des preuves que les normes et les prescriptions étaient en effet suivies. Il convient donc dans des sources prescriptives de distinguer entre des éléments prescriptifs et descriptifs, ce qui n’est pas simple. Quelques principes d'extraction de données historiques.

1. Le principe d’embarras

Quand l’auteur mentionne au cours d’une discussion un fait embarrassant pour le groupe ou la position qu’il défend, qui dévalorise ou peut dévaloriser l’image du groupe. Nattier donne quelques exemples, auquel on pourrait ajouter les nombreux anecdotes autour de la formation du Vinaya, tel que décrit par Léon Wieger[4], les schismes dans le bouddhisme ancien. Nattier mentionne les Auditeurs qui partent en claquant la porte pendant l’enseignement du Sūtra du Lotus, et un groupe de moines (Vinaya), demandant au Bouddha de se mêler de ses affaires[5]. Il s’agit ici cependant plutôt de faits mentionnés de façon non-intentionnelle.

2. le principe d’insignifiance

Quand l’auteur mentionne dans un texte normatif des faits qui ne sont pas pertinents pour son propre agenda. Ainsi, le Sūtra demandé par Ugra mentionne au cours d’une discussion comment un bodhisattva doit utiliser ses possessions, et qu’il devrait en distribuer à ses esclaves mâles et femelles (daśa et daśī). L’existence de l’esclavage en lui-même ne posait pas de problème, la prescription étant de bien les traiter.

3. Le principe du contre-argument

En donnant à répétition des injonctions comme “il ne faut pas croire X”, ou “il ne faut pas faire Y”, il a dû exister de bonnes raisons pourquoi ces injonctions furent nécessaires. Dans le mahāyāna, on retrouve régulièrement l’injonction de ne pas mépriser les Auditeurs (śrāvaka), très probablement pour contrer la tendance de leur manquer de respect.

4. Le principe de la preuve corroborante

L’existence d’autres sources (non-bouddhistes, étrangères, etc.), confirmant ou infirmant des faits mentionnés dans des textes.

L’interprétation d’absences de certains faits (ex silentio), peut également fournir des indications. Nattier donne notamment l’exemple de l’absence de toute mention d’un culte de stūpa, ou d’un “véhicule unique” (ekayāna) dans le Sūtra demandé par Ugra. Dans le chapitre 7, Nattier dresse la liste des absences, qui permettraient de qualifier le sūtra plutôt de “bodhisattvayāna” que de “mahāyāna”.

1. Le terme dénigrant “hīnayāna” n’apparaît pas dans le texte.

2. Absence de la notion “universaliste” du mahāyāna. Le fruit de l’état d’arhat est considéré comme un fruit valable de libération, bien qu'il ne satisfasse pas le bodhisattva. L’état de bouddha comme objectif pour tous par le biais d’un véhicule unique fait défaut, par rapport au Sūtra du Lotus.

3. Le Bouddha est un “bouddha rédempteur du monde” aux 32 marques de grandeur (mahāsattva) . Il n’y a aucune trace d’un Bouddha au triple Corps (trikāya), ni au double Corps (dharmakāya et rūpakāya). Le Bouddha n’a pas de “corps de gloire” supramondain (lokottara), son corps se conforme aux besoins du monde.

4. Pas de mention du culte de stūpa, et ce terme apparaît une seule fois quand le Bouddha dit à Ānanda qu’il est mieux de recevoir et réciter ce sūtra que de faire le culte de stūpa.

5. Absence relative du culte du texte. C’est-à-dire, cette notion manque dans les versions anciennes du sūtra et est présente dans les versions ultérieures.

6. Pas de dévotion aux Bouddhas “célestes”. Les Bouddhas “célestes” étant des Bouddhas avec leur propre Terre (buddha-kṣetra), tels Amitābha, Akṣobhya, etc.

7. Pas de dévotion aux “grands” bodhisattvas “célestes”, tels que Avalokiteśvara, Kṣitigarbha , Tārā, etc. Contrairement aux Bouddhas célestes, les bodhisattvas célestes sont mobiles, même si Mañjuśrī (Wu tai shan en Chine) et le Potala(ka) d’Avalokiteśvara ont des lieux qui leur sont consacrés.

Le Sūtra demandé par Ugra (Ugraparipṛcchā) est un texte de mahāyāna à cause de ses instructions destinées aux bodhisattvas, mais de nombreux éléments caractéristiques de la voie du mahāyāna font défaut. Ce n’est pas non plus un texte fondateur du mahāyāna, car il prend pour acquis la voie du bodhisattva, et n’en fait pas l’apologie.

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[1] Nattier p.11, n.3

[2] Bouddhisme chinois tome I Vinaya monachisme et discipline hinayana, véhicule inférieur

[3] Nattier p. 23

[4] Bouddhisme chinois. tome I: Vinaya, Monachisme et Discipline. Hinayana, Véhicule inférieur. (1910)

[5] Note de Nattier : Vinaya I.341-342, trad. Horner 1951, vol. 4, pp. 488-489